F. Nicolas :
Cours Écouter, lire, dire la musique |
Il s’agira de caractériser
pratiquement et théoriquement ce qu’écouter la musique à l’oeuvre (et qui n’est pas seulement l’auditionner ou
la percevoir) veut dire, pourquoi et comment lire musicalement une oeuvre (ce
qui n’est pas exactement la déchiffrer), en quoi dire la musique (et qui n’est
pas exactement parler de musique) est une exigence de ce temps. Soit un cycle
de trois années consacré successivement à l’écoute, l’écriture et
l’intellectualité musicales.
Ce cours, qui abordera la musique par
son versant contemporain, s’adresse en particulier aux non-spécialistes : si la
musique est bien un art, écouter, lire et dire la musique peut être - doit être
- l’affaire de tout un chacun, et pas seulement du « professionnel ». À ce
titre comme à d’autres, ce cycle proposera de penser la musique avec d’autres
disciplines (mathématiques, poésie, philosophie, psychanalyse…).
Première
année (2003-2004) : THÉORIE DE L’ÉCOUTE MUSICALE L’intégralité du cours
est disponible - en deux polycopiés
pour les élèves de l’Ens, - sous forme de deux
fichiers (Word 98) téléchargeables : Huit cours : Cours.doc (1,3 Mo) Annexes (Analyse de six
moments-faveurs) : Annexes.doc
(2 Mo) |
2° année : Les voies de
l’intellectualité musicale
Un mardi sur deux,
17 h 30-19 h 30 ; salle S. Weil (45, rue d’Ulm –
Paris V°)
L’intégralité du cours est disponible - en un polycopié pour les élèves de l’Ens, - sous forme de quatre fichiers (format pdf)
téléchargeables : |
Cours disponibles :
· 19 octobre 2004 : Comment Aristoxène de Tarente se rapporte à la philosophie d’Aristote
Enjeux
On présentera d’abord les enjeux de cette seconde
année : constituer moins une théorie de l’intellectualité musicale (comme
il y eut l’année dernière une théorie de l’écoute musicale) qu’une
compréhension des différentes voies de l’intellectualité musicale.
On partira pour ce faire d’une première caractérisation de
l’intellectualité musicale comme projection de la pensée musicale dans la
langue du musicien, projection nécessairement associée à une clarification
proprement musicienne de ce qu’est le monde de la musique — on distinguera à
cet effet l’intellectualité musicale de la musicologie et de la théorie
musicale — pour présenter le double rapport qu’on privilégiera cette
année : celui de l’intellectualité musicale aux œuvres musicales (second
semestre) et celui de l’intellectualité musicale à la philosophie (premier
semestre).
On justifiera cette proposition en déployant une première
vision généalogique des différentes intellectualités musicales qu’on examinera
cette année.
Le
« moment grec »
On attaquera ensuite notre parcours annuel par l’examen du
moment nouant, dans la Grèce des VI°-V° siècles, théorie musicale,
mathématiques et philosophie.
À ce titre, on s’attardera un instant, texte à l’appui
(fragment VIII du Poème de Parménide), sur la plus ancienne démonstration par l’absurde
de l’histoire…
Aristoxène
Ceci permettra de contextualiser la nouveauté apportée par
Aristoxène de Tarente (IV° siècle) — déploiement pour la première fois d’une
théorie proprement musicienne (et non plus mathématique, physique ou philosophique) de la
musique, théorie qui à proprement parler n’est pas caractérisable comme
intellectualité musicale mais plutôt comme constitution d’une de ses conditions
de possibilité… — et de mieux comprendre le rôle que joue en cette affaire
l’appui explicite pris par Aristoxène dans la philosophie d’Aristote.
Après examen d’extraits de son Traité d’harmonique, on proposera de caractériser cet
appui selon trois axes :
— transfert-mutation de concepts philosophiques en catégories musicales ;
— conditionnement par la philosophie en vue de dégager une
nouvelle « méthode », c’est-à-dire une logique proprement discursive (nécessaire à qui prétend établir
un nouveau régime de discours sur la musique : « théoriser la
musique » implique de clarifier ce que « théoriser » veut
dire…) ;
— adossement à la manière dont la philosophie ressaisit
les notions scientifiques de son temps en sorte à la fois de préserver un
espace de pertinence de ces notions dans le champ proprement musical et
d’émanciper ce dernier de la tutelle théorique jusque-là exercée par les dites
sciences (arithmétique et géométrie pour Aristoxène). Où l’émancipation passe
par une diversification et une délimitation des conditionnements assumés, non
par leur dénégation…
Descartes
et Rameau
· 16 novembre 2004 : Comment Descartes se rapporte en philosophe à l’état contemporain de la musique
Descartes entame son œuvre philosophique par un Abrégé de musique (1618), non publié de son vivant. Il la
conclura par un traité des Passions de l’âme (1649) qui réalise le programme suggéré à la fin de
son essai de jeunesse. La musique semble ainsi encadrer l’ensemble de son œuvre
sans pour autant constituer un vecteur explicite de ses grands textes
philosophiques. S’agit-il là de simples péripéties biographiques ?
On fera plutôt l’hypothèse que l’Abrégé initie le projet cartésien de prendre
philosophiquement mesure d’un remaniement général des pensées
contemporaines — en particulier des rapports entre mathématiques (y
compris les rapports internes entre arithmétique, géométrie et nouvelle
algèbre) et physique (ce temps est celui de Galilée) —, la musique lui
apparaissant comme premier terrain d’exercice philosophique pour caractériser,
dans ces nouvelles conditions, ce que penser, raisonner et calculer veut dire.
• On se demandera alors ce qui s’était déjà passé en musique en ce
début de XVII° siècle qui pouvait ainsi requérir le travail du
philosophe ; on thématisera à ce titre cette nouvelle autonomie de la
musique — conquise sur l’arithmétique et gagée sur un solfège — dont
Descartes va entreprendre de prendre philosophiquement mesure.
• On examinera les biais adoptés par Descartes pour traiter
philosophiquement de ces questions musicales ; on verra comment il s’agit
pour lui de donner proprement raison à la nouvelle primauté de la tierce sur la quarte (on
insistera sur la part explicite de fiction que Descartes introduit — par
dénégation — en cet endroit : « Que personne ne juge
imaginaire ce que nous disons… »),
à la dualité musicale du rythme et du contrepoint, au rapport de l’affectio sonore et de l’affectus musical.
• On formulera quelques hypothèses sur les effets proprement
philosophiques de ce geste initial : en matière de nouvelle rationalité
(distinction du clair et de l’obscur - la quarte comme « ombre de
la quinte » et « monstre
de l’octave » -,
autonomisation de l’ordre des raisons par rapport à l’ordre quantitatif
naturel) et de causalité diversifiée (la distinction de deux types de
consonances — « par elles-mêmes » / « par accident » — annonce la distinction des causes
formelles et efficientes) comme de rapports entre corps et âme (via la polarité
de la géométrie sonore et de l’affect musicien).
Au total, on prendra mesure de ce que la musique se trouve ainsi
mobilisée par Descartes au point même où la philosophie déploie la nouvelle
figure d’un « sujet de la science » (Lacan), ce qui nous introduira à
la question : pour quelles raisons spécifiquement musicales Rameau
va-t-il, un siècle plus tard, se rapporter à cette philosophie ?
· 30 novembre 2004 : Comment Jean-Philippe Rameau se rapporte à la philosophie de Descartes
On prolongera dans un premier temps l’analyse
de l’Abrégé de musique
écrit par le jeune Descartes en rappelant le contexte musical dans lequel cet
écrit intervenait, en particulier les grandes étapes ayant conduit à
l’affirmation musicale de
la tierce harmonique.
On ressaisira alors le geste philosophique visant à rendre raison de
cette primauté musicale de la tierce sur la quarte en le caractérisant comme
dualisation des manières de scinder l’espace : d’un côté un partage de la géométrie (acoustique) du monocorde et
de l’autre une division de
la géométrie (musicale) du clavier, le couplage de cette dualité
(partage/division) à la métaphore du regard préfigurant la problématique
cartésienne du doute.
Dans un second temps, on fera une première ponctuation générale en
confrontant le principe de l’intellectualité musicale (elle vise à dire la
musique) à la célèbre thèse
concluant le Tractatus de
Wittgenstein (« ce qu’on ne peut dire, il faut le taire ») : s’il est vrai que la musique ne peut
être dite, l’intellectualité musicale serait-elle donc condamnée au
silence ?
Soutenant, après bien d’autres, qu’a contrario l’intellectualité est
précisément ce qui force un impossible à dire, on présentera l’intellectualité
musicale comme forçant un dire la musique sous la double modalité d’un nommer et d’un phraser la pensée musicale à l’œuvre.
On thématisera sur cette base une première démarcation entre philosophie
et intellectualité musicale au point même où ces deux figures de pensée se
jouxtent au plus près.
Ceci nous introduira à la problématique singulière de Rameau. On fera à
son sujet la double hypothèse suivante :
— Rameau est le fondateur proprement dit des intellectualités musicales,
près de vingt siècles après qu’Aristoxène ait été celui des théories proprement
musiciennes de la
musique ;
— l’appui que, pour ce faire, Rameau a dû prendre dans la philosophie de
Descartes n’est pas de pure circonstance mais vaut principe plus général qu’on
entreprendra de dégager.
·
14 décembre 2004 : Comment Boulez
et Pousseur se rapportent à Rameau
Rameau…
On achèvera d’abord notre examen de l’œuvre théorique de Rameau en
étudiant deux moments singuliers de ses écrits : sa
« génération » du mode mineur (Génération…, 1737 – Démonstration…,
1750) et son analyse du monologue d’Armide de Lully (Observations…, 1754).
On relèvera le souci de Rameau d’articuler réciproquement (et non pas
unilatéralement) musique et nature : en naturalisant certes la musique
(grâce à son principe) mais également en musicalisant la nature (voir le rôle
joué ici par le mode mineur). On y discernera une nouvelle manière de rapporter
la musique à ses conditions de possibilité extramusicales.
On rehaussera ce faisant la constitution d’un nouveau rapport musicien à
la théorie musicale (qu’on nommera intellectualité musicale) : une vision désormais
stratégique, prescriptive et subjectivante du théorique (plutôt que savante,
descriptive et objectivante), une dynamisation des connaissances (plutôt qu’une
récollection des savoirs), une volonté de comprendre (plutôt que la
communication d’explications).
On examinera alors comment les préoccupations de cette intellectualité
musicale se nouent autour d’un triplet {musicien-œuvre-monde} que les théories
musiciennes savantes ne prennent pas en charge. On explicitera le chiffre
général de l’intellectualité musicale que donne Rameau en nouant, pour son
propre compte (Observations…, 1754), une théorie prescriptive (de la musique),
une analyse partisane (des œuvres) et une propagande militante (vers les
non-musiciens).
On se demandera ensuite pour quelles raisons essentielles (et non pas
contingentes) Rameau a eu besoin pour ce faire de s’adosser à la philosophie de
Descartes.
On soutiendra qu’en sus des trois raisons apparues dès Aristoxène (le
musicien cherche auprès du philosophe une figure du temps présent qui
contemporanéise pensée musicale et autres formes de pensée ; une
caractérisation ravivée de ce que penser, dire et théoriser veut dire ;
enfin un renouvellement conceptuel qui stimule le travail musicien de
nomination), l’intellectualité musicale ramiste se tourne vers la philosophie
pour comprendre les nouvelles figures de consistance et par là la nouvelle
capacité musicale de faire monde (voir les catégories ramistes de principe et
d’harmonie…).
On terminera ce parcours en examinant la manière dont Rameau a basculé,
autour de la querelle des Bouffons, d’une autolimitation de son intellectualité
musicale (avant 1752) à ce qu’on proposera d’appeler une archimusique (figure
proprement musicienne de l’antiphilosophie). On tentera d’en tirer quelque
conséquence quant à la discipline interne dont une intellectualité musicale
doit se doter.
On achèvera en soulevant l’hypothèse d’un Rameau instituant un
« sujet de la musique » comme Descartes, selon Lacan, a pu, un siècle
plus tôt, instituer un « sujet de la science »…
… et ses suites
Ceci fait, on examinera comment la question-Rameau a repris quelque
acuité musicale et compositionnelle au tournant des années 1960, sur un terrain
heureusement renouvelé par rapport à la référence (franchouillarde) de Debussy
à Rameau.
On restituera l’opposition entre Boulez énonçant « L’ère de Rameau
et de ses principes “naturels” est définitivement abolie » (1961) et
Pousseur prônant une « apothéose de Rameau » (1968) par réactivation
de fonctions harmoniques ancrées dans la physique.
On y lira un partage sur les rapports de la composition à l’acoustique
plutôt qu’une opposition sur cette position d’intellectualité musicale
inaugurée par Rameau et assumée de fait par nos deux protagonistes.
·
11 janvier 2005 - Avec Gilles
Dulong : Intellectualité
musicale, esthétique et critique dans la querelle des Bouffons : les
analyses du monologue d’Armide
La querelle des Bouffons (1752) précipite
l’invention par Rameau de cette figure subjective du musicien pensif qu’on
propose d’appeler intellectualité musicale et qui subsume le nouveau type de théorie musicale que
Rameau élaborait depuis 1722.
Cette invention de l’intellectualité
musicale s’avère strictement contemporaine
de deux autres inventions, non moins importantes :
— d’une part, en France, celle de la critique, par Diderot, celui-là même qui initie en 1753
le duel Rameau/Rousseau en sélectionnant le terrain (le monologue d’Armide) et
les armes (l’analyse musicale) de leur affrontement ;
— d’autre part, en Allemagne, celle de l’esthétique, par Baumgarten qui en fixe le nom (1735) puis
en établit le concept philosophique (1750).
Cette contemporanéité incite à comprendre les
positions soutenues par Diderot, Rousseau et Rameau en cette affaire comme le
jeu triangulaire d’une critique (littéraire), d’une esthétique (philosophique) et d’une théorie (musicienne), jeu que l’intellectualité
ramiste va tenter, pour son compte propre, de nouer de l’intérieur de la musique
en sorte que le nom Rameau
indexera simultanément un des sommets du triangle (la théorie de la musique comme monde, là où celui de Diderot indexe une critique évaluatrice des œuvres et celui de Rousseau une esthétique musicale adressée aux non-musiciens) et son centre de gravité interne à la
musique.
On en tirera quelques conséquences plus larges
1) quant aux différentes voies de
l’intellectualité musicale : on distinguera
·
une voie théorique (centrée sur la musique comme monde, ou comme
« système » : Rameau en constitue la figure éminente),
·
une voie esthétique (centrée sur la musique comme adresse aux
non-musiciens : on se référera ici à Wagner),
·
une voie critique (centrée sur l’analyse des œuvres : Boulez nous servira ici de référence)
·
et enfin une voie
centrale plus polyvalente
(installée au centre de gravité du triangle théorie-esthétique-critique : Schoenberg en sera l’emblème) ;
2) quant à la nécessité pour
l’intellectualité musicale d’auto-limiter ses ambitions en sorte de s’arrêter
au seuil de cette archi-musique — rivale de la philosophie et prétendant fixer le diapason de
l’esprit du temps — que Rameau, emporté par son élan, a malheureusement
déployée à partir de 1754.
*
Cette situation restituée, on examinera en
détail la scène de l’opéra de Lully (1685) puis ses analyses, partisanes et
militantes, successivement par Rousseau (Lettre sur la musique française, 1753) puis par Rameau (Observations sur
notre instinct pour la musique,
1754).
· 25 janvier 2005 - Méthodes de travail pour une intellectualité musicale
Peut-on dégager une méthode de travail propre à
l’intellectualité musicale ? Si les questions, investigations et
« résultats » de l’intellectualité musicale diffèrent de ceux de la
musicologie « savante », ses méthodes (ses principes et ses manières
propres d’en tirer conséquence, en quelque sorte « sa » logique) en
diffèrent-elles aussi et de quelle manière ?
S’il est vrai que l’intellectualité musicale
est un type singulier de discours sur la musique qui se caractérise moins par
la particularité de ses énoncés que par la spécificité de son
énonciation — celle du musicien pensif —, alors il convient de
dégager ses méthodes à partir de la position de qui, indécidablement, fait de la musique en même temps qu’il est fait par
elle.
À partir de ces postulats, on explorera
successivement les manières
1) dont le musicien constitue un point relevant de l’intellectualité musicale —
on avancera l’intérêt particulier, pour ce faire, de penser la musique
« avec » d’autres disciplines ; on différenciera ce faisant le
discours de l’intellectualité musicale de celui du musicologue érudit (dont on prélèvera le chiffre chez Michel
Foucault) ;
2) dont le musicien entreprend ensuite de situer ce point — on différenciera ici les
différentes manières de contextualiser une question et de prendre en charge les
dimensions historiques des situations ; on différenciera ici le discours
de l’intellectualité musicale de celui du musicologue historien ;
3) enfin dont le musicien fait travailler
sa question dans cette situation — il s’agira ici d’articuler l’invention
d’un tracé diagonal (Badiou) au moment crucial de le conclure (Lacan) ; on
différenciera alors le discours de l’intellectualité musicale de celui du
musicologue encyclopédiste.
On illustrera le jeu de ces trois dimensions
méthodo-logiques — délimitation, situation, diagonalisation — dans quelques travaux personnels concernant
Schoenberg, le concert, et l’écoute.
Pierre Boulez
·
8 février 2005 - L’intellectualité
musicale de Boulez (1) : ses références à la pensée scientifique
On entamera cet examen de l’intellectualité
musicale de Boulez par sa caractérisation générale au regard des trois grandes
dimensions de toute intellectualité musicale :
— prépondérance ici de la dimension critique (dès les écrits de 1948, puis Probabilités
critiques du compositeur en
1954, …) ;
— prise en charge momentanée de la
dimension théorique (début
des années 60 : Penser la musique aujourd’hui…)
— débouché ultérieur sur la dimension esthétique (Nécessité d’une orientation esthétique en 1964 ; et surtout, à partir de 1976,
les cours du Collège de France).
On situera ensuite le rapport de cette
intellectualité musicale boulézienne aux autres formes de pensée :
— inexistence du rapport à la philosophie ;
— effacement de tout rapport à une
problématique (psychanalytique…) de la différence sexuelle ;
— désintérêt manifeste pour toute politique
comme pensée (la question du
rapport de Boulez aux institutions et à leurs pouvoirs relevant, bien sûr,
d’une tout autre logique) ;
— maigreur d’un rapport aux sciences — singulièrement aux mathématiques — qui prend chez Boulez la forme de
quelques révérences polies et de références distantes plutôt qu’il n’atteste
d’un véritable compagnonnage de pensée ;
— primauté, au final, du rapport de cette
intellectualité musicale aux autres arts ; et, dans ce cadre, prépondérance des rapports à
la poésie et à la peinture.
À partir de là,
• on problématisera la généalogie de cette intellectualité musicale : quels
antécédents… ?
• puis on caractérisera son archéologie, s’entend les grandes questions musicales que
cette intellectualité se propose de prendre en charge.
On esquissera sur ces bases le programme des
exposés ultérieurs (5 et 15 mars) :
1) Rendre compte du caractère concentré
sur la période 1960-1963 de l’effort proprement théorique de Boulez. Quels rôles jouent en cette affaire
— d’une part ses exigences de mettre le
théorique à hauteur de ce que « théorie » veut désormais dire en
matière de formalisation mathématique,
— d’autre part le gouffre musical avéré
entre ordre théorique et ordre compositionnel…
2) Dégager les particularités de son esthétique (entendue comme mode d’exposition de la
musique à son extériorité non-musicienne)
3) Thématiser la tonalité singulière de sa
critique (comprise comme
cette capacité particulière chez Boulez de projeter dans la langue la pensée
musicale à l’œuvre).
[ Lambert Dousson : Contradictions de l’autonomie et politiques de l’écriture chez Pierre Boulez ]
· [5 mars 2005 : « L’intellectualité musicale de Boulez » Colloque international La pensée de Pierre Boulez à travers ses écrits ]
[ enregistrement vidéo : http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=580 ]
·
29 mars 2005 : La
catégorie de langage musical chez Boulez
On soutiendra que l’intellectualité musicale de
Boulez a pour enjeu central la catégorie de langage musical : c’est elle qui oriente les dimensions tant critique (évaluation des œuvres) et théorique (formulation des lois donnant consistance
intrinsèque à la musique) qu’esthétique (articulation de la musique à son époque) de
l’intellectualité musicale boulézienne. Ainsi, selon Boulez
— Le langage musical doit être pour la critique une « valeur » centrale : une
œuvre musicale sera évaluée selon ses exigences en matière de langage musical
(c’est à ce titre que les œuvres du sérialisme restreint dépassent les œuvres dodécaphoniques).
— Le nouveau langage musical doit être théoriquement
fondé pour déployer toute sa
puissance (le sérialisme généralisé prouvera ainsi sa capacité de constituer une nouvelle
figure du langage musical).
— Le nouveau langage musical, s’il ne se
réduit pas à une grammaire formaliste, doit être esthétiquement unifié : pour concevoir une sémantique
qui donne sens à la syntaxe musicale, il faut prendre en compte les rapports de
la musique à son époque (à ce titre, la constitution d’une sémantique musicale
contemporaine va impliquer la conception d’un nouveau thématisme).
Pénétrer ce souci du langage musical comme intension permanente de l’intellectualité musicale boulézienne,
à échelle d’un demi-siècle (1948-1995), nous fera parcourir ses différentes
séquences :
— une entame centrée sur la dimension critique (quand le sérialisme restreint se détache du dodécaphonisme par réévaluation
des œuvres de la première moitié du XX° siècle) ;
— une tentative à partir de 1952 (mais
essentiellement durant le moment-Darmstadt 1960-1963) de « fonder théoriquement » la généralisation du sérialisme ;
— une longue marche ensuite — à
partir de 1963 (mais essentiellement durant la séquence-Collège-de-France 1975-1995) — pour « unifier
esthétiquement » le
langage musical contemporain, en lui assignant en particulier un « enjeu
thématique » (la
décennie-Répons des années
80).
Une fois dissipé ce qu’on appellera l’imbroglio
du formel chez Boulez (le
parti, saturé, d’une formalisation non formaliste de
la forme musicale…), il
s’avèrera que le grand tournant
de 1963 (avec son basculement
d’une fondation théorique
du langage musical à son unification esthétique) pointe un réel de l’intellectualité musicale
boulézienne : un style constructiviste de pensée que cette intellectualité
musicale n’examine jamais comme tel (où l’on retrouvera trace de sa modalité
particulière de révérence,
intimidée et distante, à la philosophie…).
En effet, on montrera — par remontée
inductive des thèses bouléziennes vers les décisions implicites les rendant
possibles — que si Boulez, butant sur l’impossibilité de construire théoriquement une sémantique et une Forme musicales (comme
il lui a été possible de le faire pour la syntaxe : voir Penser la
musique aujourd’hui), choisit
de les construire esthétiquement (passant pour cela par la construction d’un nouveau thématisme), c’est
parce que l’intellectualité musicale de Boulez porte souterrainement une
conviction fondamentale : la musique doit coûte que coûte être représentée
comme langage puisque, sans cela, elle ne serait plus concevable comme
constructible.
La décision princeps, propre au
compositeur-Boulez, nous apparaîtra alors un axiome de constructibilité
musicale : le musicien, pour pouvoir désirer créer de la musique, doit la
tenir pour essentiellement constructible. S’il est vrai que toute intellectualité musicale a
pour fonction ultime d’encourager le musicien pensif dans son propre labeur de
création, c’est donc bien à ce titre que l’intellectualité musicale de Boulez doit déployer une conception de la nouvelle musique
comme langage (sériel & thématique).
On terminera en relevant que ce point de réel,
s’il vaut pour l’intellectualité musicale boulézienne, ne transite nullement en
point de réel pour l’œuvre proprement musicale de Boulez.
Ceci nous rappellera qu’intellectualité
musicale du musicien pensif et pensée musicale à l’œuvre résonnent sans nécessairement consonner,
composent un contrepoint et nullement un unisson.
Richard Wagner
· 19 avril 2005 : Comment Richard Wagner se rapporte à la philosophie de Schopenhauer
Résumé
Troisième volet de ce parcours : Wagner et
la dimension esthétique de
l’intellectualité musicale (après Rameau et la dimension théorique, puis Boulez et la dimension critique).
On centrera notre attention sur les textes
proprement esthétiques de Wagner, délaissant en particulier cette part capitale
de l’intellectualité musicale wagnérienne qui se déploie dans les livrets que
Wagner rédige, parfois très longtemps à l’avance, pour ses opéras.
Esthétique nommant ici la manière dont l’intellectualité musicale
situe la musique dans une époque de la pensée, on s’intéressera spécifiquement
aux raisonances
philosophiques du discours wagnérien (Feuerbach, Schopenhauer, Nietzsche) et
plus précisément à la seconde : on étudiera pour ce faire quelques pages
particulièrement denses du Beethoven (1870) où Wagner s’autorise de Schopenhauer
(articulant rêve & veille) pour profiler la supériorité artistique de la
musique.
On dégagera les questions musicales en jeu dans
ce propos wagnérien. Le recours à la philosophie pour théoriser des questions
proprement musicales se révèlera alors comme générateur de mythologies dont on
examinera le chiffre à la lumière de la formule canonique du mythe de Claude Lévi-Strauss.
[14 mai 2005 : Journée Wagner avec Alain Badiou]
· 17 mai 2005 : L’intellectualité musicale de Richard Wagner
L’anti-intellectualité
musicale
· 31 mai 2005 : Pour une histoire de l’anti-intellectualité musicale (Chopin, Debussy, Varèse, Berio…)
–––––––
(2005-2006) : Wagner, une musique encore à
venir ? Analyse de Parsifal
Un mardi sur deux,
17 h 30-19 h 30 ; salle S. Weil (45, rue d’Ulm –
Paris V°)
1. 11 octobre 2005
2. 8 novembre 2005
3. 22 novembre 2005
4. 6 décembre 2005
5. 10 janvier 2006
6. 24 janvier 2006
7. 21 février 2006
8. 7 mars 2006
9. 21 mars 2006
10. 4 avril 2006
11. 2 mai 2006
12. 16 mai 2006
Si le XXème siècle a soustrait la création musicale à l’influence directe de Wagner – à l’exception notable de la musique de film -, des compositeurs comme Stockhausen, Boulez, Boucourechliev ont cependant, au crépuscule du sérialisme, réactivé la problématique wagnérienne pour y déceler de nouvelles possibilités en matière tant de vaste Forme musicale et de nouveau thématisme que de grande œuvre ouverte.
À différents titres, l’œuvre musicale de Wagner retrouverait-elle aujourd’hui un avenir possible ? Peut-elle stimuler une conception renouvelée de la variation musicale (dépassant la polarité altération/identification), de la pluralité des entités musicales (débordant le jeu classique des dualités), de la logique musicale, d’un développement autonome apte à se nourrir d’une intension poétique, etc. ?
Cette réouverture musicienne du « dossier Wagner » se déploiera autour d’une analyse renouvelée de Parsifal.