la fonction stratégique de la catégorie de langage
musical dans l’intellectualité
musicale de Boulez
(29 mars 2005)
François
Nicolas
Résumé
On
soutiendra que l’intellectualité musicale de Boulez a pour enjeu central la
catégorie de langage musical :
c’est elle qui oriente les dimensions tant critique (évaluation des œuvres) et théorique (formulation des lois donnant consistance intrinsèque
à la musique) qu’esthétique (articulation
de la musique à son époque) de l’intellectualité musicale boulézienne. Ainsi,
selon Boulez
— Le
langage musical doit être pour la critique une « valeur » centrale : une œuvre musicale sera
évaluée selon ses exigences en matière de langage musical (c’est à ce titre que
les œuvres du sérialisme restreint
dépassent les œuvres dodécaphoniques).
— Le
nouveau langage musical doit être théoriquement fondé pour déployer toute sa puissance (le sérialisme généralisé prouvera ainsi sa capacité de constituer une nouvelle
figure du langage musical).
— Le
nouveau langage musical, s’il ne se réduit pas à une grammaire formaliste, doit
être esthétiquement unifié :
pour concevoir une sémantique qui donne sens à la syntaxe musicale, il faut prendre
en compte les rapports de la musique à son époque (à ce titre, la constitution
d’une sémantique musicale contemporaine va impliquer la conception d’un nouveau
thématisme).
Pénétrer
ce souci du langage musical comme intension permanente de l’intellectualité musicale boulézienne,
à échelle d’un demi-siècle (1948-1995), nous fera parcourir ses différentes séquences :
— une
entame centrée sur la dimension critique (quand le sérialisme restreint se détache du dodécaphonisme par réévaluation des œuvres de la
première moitié du XX° siècle) ;
— une
tentative à partir de 1952 (mais essentiellement durant le moment-Darmstadt 1960-1963) de « fonder théoriquement » la généralisation du sérialisme ;
— une
longue marche ensuite — à partir de 1963 (mais essentiellement durant la séquence-Collège-de-France 1975-1995) — pour « unifier
esthétiquement » le langage
musical contemporain, en lui assignant en particulier un « enjeu
thématique » (la
décennie-Répons des années 80).
Une
fois dissipé ce qu’on appellera l’imbroglio du formel chez Boulez (le parti, saturé, d’une formalisation non formaliste de la forme musicale…),
il s’avèrera que le grand tournant
de 1963 (avec son basculement d’une fondation
théorique du langage musical à son unification
esthétique) pointe un réel de
l’intellectualité musicale boulézienne : un style constructiviste de
pensée que cette intellectualité musicale n’examine jamais comme tel (où l’on
retrouvera trace de sa modalité particulière de révérence, intimidée et distante, à la philosophie…).
En
effet, on montrera — par remontée inductive des thèses bouléziennes vers
les décisions implicites les rendant possibles — que si Boulez, butant sur
l’impossibilité de construire théoriquement une sémantique et une Forme musicales (comme il lui a
été possible de le faire pour la syntaxe : voir Penser la musique
aujourd’hui), choisit de les
construire esthétiquement (passant
pour cela par la construction d’un nouveau thématisme), c’est parce que
l’intellectualité musicale de Boulez porte souterrainement une conviction
fondamentale : la musique doit coûte que coûte être représentée comme
langage puisque, sans cela, elle ne serait plus concevable comme constructible.
La
décision princeps, propre au compositeur-Boulez, nous apparaîtra alors un
axiome de constructibilité musicale : le musicien, pour pouvoir désirer
créer de la musique, doit la tenir pour essentiellement constructible. S’il est vrai que toute intellectualité musicale a
pour fonction ultime d’encourager le musicien pensif dans son propre labeur de
création, c’est donc bien à ce titre que l’intellectualité musicale de Boulez doit déployer une conception de la nouvelle musique comme
langage (sériel & thématique).
On
terminera en relevant que ce point de réel, s’il vaut pour l’intellectualité
musicale boulézienne, ne transite nullement en point de réel pour l’œuvre
proprement musicale de Boulez.
Ceci
nous rappellera qu’intellectualité musicale du musicien pensif et pensée
musicale à l’œuvre résonnent sans
nécessairement consonner, composent un contrepoint et nullement un unisson.
Plan
Rappels 3
Cadre conceptuel sur
l’intellectualité musicale 3
Périodisation de
l’intellectualité musicale boulézienne 6
Les raisonances
musicales chez Boulez 7
Dynamique de l’intellectualité
musicale boulézienne 8
Enjeu : Le rôle
stratégique de la catégorie de langage musical 9
But 9
Méthode 9
Parcours analytique
des trois grandes étapes 10
1) Début (1948) 10
2) Le moment théorique
(1952/1960…) 11
3) Le tournant
esthétique (1963/1976…) 13
La catégorie de langage
musical chez Boulez 15
Remarque : ma
propre position 15
Trois précisions 16
Langage et fonctions 18
Parcours synthétique 18
La butée théorique et
le tournant de 1963 21
–––––– 23
Florilège (Boulez,
1948-1995) 24
Darmstadt, 15
juillet1963 24
Intellectualité
musicale 24
Langage 26
I. Critique 29
II. Théorique 30
III. Esthétique 34
·
ses œuvres,
·
sa consistance de monde (Boulez
nomme « langage » cette consistance),
·
son rapport à une époque.
·
la critique des œuvres,
·
la théorie du monde musical,
·
l’esthétique de son époque.
Généalogie critique
des œuvres / Archéologie théorique du monde de la musique / Historicité esthétique
de l’époque.
L’une est
centrale ; les trois autres ont un centre de gravité déporté vers une
dimension privilégiée :
Cf. les trois pôles
du cours de cette année : nous terminons aujourd’hui Boulez après avoir
étudié Rameau. Nous passerons ensuite à Wagner (avril-mai).
Pour Schoenberg,
voir mon livre…
L’histoire de
l’intellectualité musicale proprement dite commence avec Rameau, très
précisément au grand tournant musical de 1750.
On a vu que
l’intellectualité musicale ramiste déplace son centre de gravité vers le centre
du triangle à partir de 1752 :
On va voir qu’en un
sens, celle de Boulez se déplace d’une manière analogue du pôle critique vers
le pôle théorique, puis vers le pôle esthétique pour finalement revenir vers le
pôle critique mais cette fois en déplaçant le centre de gravité vers
l’intérieur du triangle (spirale centripète) :
Cf. « la
musique ne pense pas seule, le musicien non plus ! »
Ou la
« conjonction » (catégorie boulézienne) musique-mathématiques-philosophie-autres
arts
Défense de
l’intellectualité musicale dès la prise de conscience théorique, c’est-à-dire
dès 1952 (2), (3).
Noter ce
point : une intellectualité musicale qui ne serait que strictement critique (cf.
celle — publiée ! — de Boulez de 1948 à 1951) n’aurait sans
doute pas à batailler pour se faire admettre comme telle et ne se
revendiquerait donc guère comme telle… En ce sens, le point de partage entre
intellectualités musicales serait celui-ci : en sus de leur dimension
critique « naturelle », assument-t-elles également des dimensions théorique et/ou esthétique ?
« grammairiens »
(1) « attitude théoriquement conséquente » (2) « logique
consciemment organisatrice » (4) « activité critique »,
« de réflexion » (6), « artiste-théoricien » plutôt qu’
« artiste-artiste » (7) « introspection analytique » (10),
« spéculation générale » (12), « conscience logiquement
organisée » (13), « effort pour repérer la pensée musicale actuelle »
(13), « discipline/organisation de notre univers mental » (14/15),
« recherche d’un système cohérent » (16), « être à la fois un
intellectuel et un artisan » (19), « champ de réflexion qui
appartient en propre à la musique » (22)
au
« romantisme » (4), à « une tradition académique » (5), à
« la niaiserie des impuissants » (7), au « spontanéisme »
(9), à « une régression mentale » (11), au simple aménagement de
structures de pensée foncièrement étrangères (22), à un éloge unilatéral de
l’inspiration (23)…
Boulez prend bien
en compte une autonomie relative de l’intellectualité musicale par rapport à la
pensée musicale proprement dite (celle qui est à l’œuvre) : cf.
« interpénétration » (3), « jeu de miroirs perpétuel » (4)
« interférences » (5), « activité unique, exprimée
doublement » (8), « l’intelligence assure notre imagination »
(18), cf. « deux manifestes » de la tonalité, et non un seul (20),
« complémentarité » (76)
Le nom de Rameau
vient, à plusieurs reprises, pour attester de l’existence dans l’histoire de la
musique d’une intellectualité musicale : (1) (6) (20)
La nécessité de
critiquer, jusqu’à la musique de Berg, est présente dès l’origine (73)
La critique :
nécessaire pour « préciser son domaine » (74), pour « prendre
ses coordonnées » (79), elle « apporte sa contribution au
développement du langage » (76), elle est « indispensable à la
création » (80), il s’agit de « porter un jugement critique sur nos
prédécesseurs » (83), de « juger » une œuvre (86) et de son
importance (84), de « départager ce qui est musical de ce qui ne l’est
pas » (85)…
Pour tout cela,
rôle décisif de l’analyse (87), créatrice (88), productive (89), fulgurante
(90), partielle et partiale (91), tendancieuse (92).
Premier essai
déclaré de théorie en 1952 (94) : l’enjeu est désormais la généralisation
du sérialisme.
Théoriser —
c’est-à-dire bâtir « un système cohérent » (96, 98), arriver à la
« cohésion d’une synthèse générale » (97) — suppose une méthode
pour cela, une méthode pour théoriser, des « procédés de raisonnement »,
bref une logique (97, 112).
Cette logique ne
saurait être empirique. Les musiciens ont donc du retard par rapport au mode de
penser scientifique. Implicitement il y a l’idée de quitter la logique
inductive — pourtant implicitement prônée ailleurs (115) — pour accéder
à une logique déductive (voir chez Boulez l’attachement qu’on connaît pour la
déduction).
Axiomatique et
formalisation, logique déductive (117)
Le mot « logique »
[…] m’invite à faire des comparaisons. Lorsqu’on étudie, sur les nouvelles
structures (de la pensée logique, des mathématiques, de la théorie
physique…) la pensée des mathématiciens ou des physiciens de notre époque, on
mesure, assurément, quel immense chemin les musiciens doivent encore
parcourir avant d’arriver à la cohésion d’une synthèse générale. Nos
méthodes empiriques ne favorisent d’ailleurs point une voie collective menant
à cette synthèse. Il faut donc, en ce qui concerne le domaine musical, réviser
sévèrement certaines positions, et reprendre les problèmes à leur base pour en
déduire les conséquences nécessaires. […] Je ne pourrais mieux faire que citer
à ce propos ces phrases de Louis Rougier sur la méthode axiomatique,
elles peuvent servir d’épigraphe à notre série d’études : « La méthode
axiomatique permet de construire des théories purement formelles qui
sont des réseaux de relations, des barèmes de déductions toutes faites. Dès
lors, une même forme peut s’appliquer à diverses matières, à des ensembles
d’objets de nature différente, à la seule condition que ces objets respectent
entre eux les mêmes relations que celles énoncées entre les symboles non définis
de la théorie. » Il me semble qu’un tel énoncé est fondamental pour
la pensée musicale actuelle ; notons particulièrement la première
incidente. Ainsi se trouve posée la question fondamentale : fonder
des systèmes musicaux sur des critères exclusivement musicaux — et non
passer, par exemple, de symboles numériques, graphiques ou
psycho-physiologiques à une codification musicale (sorte de transcription)
sans qu’il y ait de l’une aux autres la moindre notion commune. Le
géomètre Pasch écrit par exemple : « Si la
géométrie veut devenir une science déductive, il faut que ses procédés
de raisonnement soient indépendants de la signification des notions géométriques,
comme ils sont indépendants des figures ; seules les relations imposées à
ces notions par les postulats et les définitions doivent intervenir dans la
déduction ». — Il importe de choisir un certain nombre de notions
primitives en relation directe avec le phénomène sonore — et avec lui seul —,
d’énoncer ensuite, des postulats « qui doivent apparaître comme de simples relations
logiques entre ces notions, et cela indépendamment de la signification qu’on
leur attribue ». — […] « Ainsi, poursuit-il
[Rougier], un raisonnement doit toujours être indépendant des
objets sur lesquels on raisonne ». Le péril est clairement énoncé,
qui nous menace : en se fondant presque uniquement sur le « sens
concret, empirique ou intuitif des notions choisies comme premières »,
on est entraîné à des erreurs de conception fondamentales. […] Il était utile,
avant de commencer en détail l’étude de la pensée musicale actuelle, de
rappeler quels principes logiques on doit respecter. […] Le mot-clé de
structure nous invite à une conclusion — toujours d’après Rougier
— qui peut aussi bien s’appliquer à la musique : « Ce que nous
pouvons connaître du monde, c’est sa structure, non son essence. Nous le
pensons en termes de relations, de fonctions, non de substances et d’accidents. »
Ainsi devrions-nous faire : ne partons point des « substances et des
accidents » de la musique, mais pensons-la « en termes de
relations, de fonctions ». (PMA, 27-31)
Noter
— le jeu alors
du formel (« une même forme »), source de confusion entre
formalisation et formalisme (celui à quoi le structuralisme de Claude
Lévi-Strauss dit s’opposer) ;
— les idées
(contraires au principe même de la formalisation) qu’il s’agirait par là de
« fonder » un système musical, et ce « sur des critères
exclusivement musicaux » : la formalisation n’est pas une fondation
(et ne saurait l’être) ; de plus, elle est précisément la construction
d’une rationalité extrinsèque par dérivation…
— le jeu sur
le mot « structure » (source de confusion avec le structuralisme
lévi-straussien).
D’abord
anti-esthétique (128), puis absence (139), et retour à partir de 1960,
« comme malgré nous » (132) : cf. souci de contemporanéité de la
pensée musicale (129, 136), prise en compte de la catégorie de goût (130), puis
nécessité explicite d’une orientation esthétique (131…).
Ce nouveau souci
d’esthétique est explicitement corrélé à la question du langage (135) et plus
spécifiquement de la forme (134).
Le souci de
l’époque est explicite : ses « harmonies » (137, 143), se tenir
face à elle (139), ses liens avec la question du goût (141, 142).
L’insertion dans
une époque est médiée par l’insertion dans une génération (140, 145)
Je distingue quatre
périodes dans l’intellectualité musicale de Boulez :
1. la
première : 1948-1959, où la dimension critique fixe le ton
définitif ;
2. une
seconde : (1952-)1960-1963, constituant ce que j’appellerai son moment
théorique ;
3. une
troisième : 1964-1975, nourrie de textes de circonstances ; [1]
4. la
dernière : 1976-1995, marquée par un déploiement esthétique. [2]
On peut alors
concevoir cette intellectualité musicale boulézienne comme une polyphonie où
— la dimension critique joue le
rôle de basse fondamentale,
— la dimension théorique intervient
comme motif momentané (disons le motif-Darmstadt)
— quand la dimension
esthétique parachève la stratification d’un développement
ultime.
|
1948-[1952]-1959 « critique » |
[1952] :1960-1963 « théorique » |
1964-1975 [ intermédiaire] |
[1963] :1975-1995 « esthétique » |
|
Esthétique |
/////////////////// |
|
|
|
|
Théorique |
|
|
|
||
Critique |
|
|
|
|
|
Date |
Titre |
Thématique principale |
1948 |
Incidences
actuelles de Berg |
Critique |
1948 |
Propositions [3] (Stravinsky – Boulez) |
Critique théorique anti-esthétique |
1949 |
Trajectoires :
Ravel, Stravinsky, Schoenberg |
Critique |
1951 |
Moment de
Jean-Sébastien Bach |
Critique |
1951 |
Stravinsky
demeure |
Critique |
1952 |
Éventuellement |
Théorie |
1952 |
Schoenberg est
mort |
Critique |
1954 |
Probabilités
critiques du compositeur |
Théorie de
la critique |
1954 |
« …
Auprès et au loin » |
Théorie de
la critique |
1955 |
« À la
limite du pays fertile » |
(théorie) |
1956 |
La corruption
dans les encensoirs |
Critique |
1957 |
Aléa |
(théorie) |
1957 |
Tendances de
la musique récente |
Critique de
la théorie |
1958 |
Son et verbe |
Esthétique |
1958 |
Rencontres avec Pierre Boulez
(Antoine Goléa) |
|
1960-63 |
Penser la musique aujourd’hui |
Théorie |
1963 |
Nécessité
d’une orientation esthétique |
Esthétique |
1975 |
Par volonté et par hasard
(Célestin Deliège) |
|
1978… |
Cours
au Collège de France |
Esthétique |
Cf. critique, puis
théorie, puis esthétique…
·
Critique : mise en œuvre puis réflexion (1954)
·
Théorie : réflexion (1952) puis mise en œuvre
(1960…)
·
Esthétique : refus (1948) puis réflexion (1963)
puis mise en œuvre (1976…)
Pour Boulez, autres
arts = Littérature & poésie + peinture : cf. « Quant au rapprochement
entre les “arts”, autrement dit musique et poésie, musique et peinture, … »
(146)
Cinéma ! [4] Danse, architecture, sculpture : Ø
Pour Boulez,
sciences = mathématique + physique.
Rappel :
référence-révérence, mais aussi méfiance vis-à-vis de la logique de
l’application (118, 119, 123), ou alors étrangeté (124)
Élémentaires
(125 : pgcd et ppcm), ou sophistiqué (126 : espace
fibré)…
Le terme n’apparaît
pas dans l’article de Rougier (seulement dans le livre de Rougier consacré en
1920 à Poincaré et que Boulez n’a pas lu).
Boulez a-t-il
parcouru le livre de vulgarisation La science et l’hypothèse de Poincaré
lui-même ? [5] Dans ce livre deux coupures et non une
seule sont présentées :
- celle de Dedekind
(qui n’est pas présentée sous ce nom) et qui s’articule au continu
mathématique ;
- celle que la
précédente inspire à Poincaré et qui concerne le continu physique (on
l’appellera « coupure de Poincaré »).
Or la coupure chez
Boulez n’est clairement ni l’une, ni l’autre :
- ni à l’évidence
la coupure de Dedekind (la question de la construction des nombres réels
n’intéresse bien sûr pas Boulez),
- ni celle de
Poincaré, quoique plus intuitive et basée sur le sensible.
Chez Boulez l’idée
de coupure est celle d’un découpage : ce que Boulez appelle coupure (dans Penser
la musique aujourd’hui), c’est le pas d’un découpage.
Cf. terme essentiel
dans les mathématiques et dans la logique formelle : voir la formalisation
de la déduction (et, par exemple, le fameux théorème de la déduction,
généralisation de la règle de séparation [6])
Voir par exemple la
déclaration du 15 juillet 1963 (point n°2)
Là aussi, le souci
de « fonder » les mathématiques, en particulier de les fonder
logiquement, a été décisif au XX° siècle. On le retrouve dans la logique
formelle que promeuvent Rougier et Martin [7] : voir « on désire par la
formalisation fonder les mathématiques dans leur ensemble, c’est-à-dire
reconstruire celles-ci avec le maximum de solidité » [8].
Rappel :
référence-révérence mais aussi grande méfiance (145…)
Exemple :
|
Mathématique
|
Physique [9] |
Philosophie |
Politique [10] |
Psychanalyse |
Prise
en compte de la différence des sexes |
Regards
sur autrui |
0 |
22 |
12 |
29 |
0 |
0 |
Leçons
de musique |
1 |
13 |
10 |
6 |
0 |
0 |
Ainsi s’il y a deux
mots qui n’apparaissent jamais sous la plume de Boulez, c’est bien psychanalyse et différence
des sexes [11]…
En première
approche (cf. exposé au colloque) la catégorie de langage musical :
·
sert d’opérateur critique (pour
discriminer, évaluer, distinguer),
·
fonde la nécessité d’une généralisation du sérialisme
et oriente sa théorisation,
·
implique d’unifier esthétiquement les faces
syntaxique et sémantique du langage sériel :
Mais nous
reviendrons sur cette première approche synthétique.
Éclairer comment la
catégorie de langage musical est chez Boulez la clef de voûte de toute son
intellectualité musicale, d’une intellectualité musicale stratifiée sur une
basse fondamentale de nature critique.
Examiner dans le
détail la dynamique intrinsèque de cette intellectualité musicale sous
l’hypothèse que cette dynamique tient au traitement de son enjeu central :
le langage musical.
Cette dynamique
interne, je l’appelle intension. Le profil intérieur qu’elle donne à
l’intellectualité musicale, je l’appelle inspect. L’enjeu de
ce travail se dira donc : comment l’intension rend compte
de l’inspect (c’est-à-dire ici : comment l’intension de
l’intellectualité musicale boulézienne, nouée à la préoccupation centrale du
langage musical, rend-elle compte de sa dynamique feuilletée en critique/théorique/esthétique ?)
Tracer une intension parmi un
corpus de textes charnières.
—
Tout premiers textes (1948…)
—
1954 : Probabilités critiques du compositeur (qui expose
ce qu’on pourrait appeler la théorie boulézienne de la critique).
—
1952 : Éventuellement
—
1960 : Penser la musique aujourd’hui + textes
complémentaires (voir tableau plus loin)
—
1963 : Nécessité d’une orientation esthétique précédé, en
1961, de L’esthétique et les fétiches et Le
goût et la fonction + ce que j’appellerai « la déclaration
esthétique de l’été 1963 ».
—
1975… : tout spécialement le programme de travail
au Collège de France : Invention, technique et langage (1975) et le
cours de 1978 Langage, matériau et structure.
Dresser d’abord un
parcours global pour revenir plus en détail ensuite sur le moment théorique,
mon hypothèse étant que ce moment-Darmstadt pointe le
réel de l’intellectualité musicale boulézienne, en particulier concernant la
fonction stratégique de sa catégorie de langage musical.
Pour comprendre la
signification exacte des énoncés de Boulez, je propose de compléter la méthode
déductive classique (examiner les conséquences que l’on peut tirer d’un énoncé
pour en éprouver la consistance propre) d’une méthode inductive consistant à
dégager les conditions de possibilité de l’énoncé examiné : ce qui rend
possible son énonciation. Il s’agit ici d’une sorte de remontée généalogique
pour dégager à quelles conditions telle thèse peut être énoncée, ou constituée
en enjeu.
Remonter ainsi de
l’énoncé B à ses conditions des possibilité sous forme d’un nouvel énoncé A, ce
sera en quelque sorte disposer A comme condition nécessaire pour la possibilité
de l’énoncé B — « si et seulement si A, alors B est possible » —,
alors que descendre de l’énoncé B vers sa conséquence C, c’est poser B en
condition suffisante pour l’existence de C — « si B, alors C ».
Prenons un exemple.
Posons pour énoncé B, l’énoncé suivant : « une œuvre musicale doit
être évaluée à l’aune de ses exigences en matière de langage musical ».
Nous pouvons en déduire l’énoncé C : « une œuvre sera mineure si elle
traite le langage musical de manière désinvolte ». C est conséquence de B
et B est condition suffisante pour C.
Mais nous pouvons
aussi remonter de l’énoncé B à un énoncé logiquement antérieur, l’énoncé A
suivant : « la musique est un langage », mieux « la musique
doit être un langage ». A est cette fois condition nécessaire de la
possibilité B puisque l’importance donnée au critère du langage dans l’évaluation
d’une œuvre suppose une importance donnée au langage tout court.
Notre méthode
d’investigation d’une intellectualité musicale part de ses énoncés pour
descendre déductivement vers ses conséquences et remonter inductivement vers
ses conditions de possibilité : la descente déductive est une flèche de
condition suffisante d’existence ; la remontée inductive est l’inverse
d’une flèche d’une condition nécessaire de possibilité, soit le schéma
suivant :
Nous allons ainsi
dégager le schème suivant
où le langage
musical va apparaître comme condition suffisante d’existence d’une critique,
d’une théorie et d’une esthétique dignes de ce nom
et l’axiome de
constructibilité comme condition nécessaire de possibilité pour que la
problématique en terme de langage musical soit prépondérante :
Disons, autrement,
qu’il s’agit de dégager le réseau d’intellectualité rendant
compte de telle ou telle figure singulière, celle de Boulez dans notre cas.
La nécessité d’une
intellectualité musicale chez Boulez prend d’abord la forme d’une critique.
Cette nécessité
sera explicitement thématisée dans le texte de 1954 Probabilités critiques
du compositeur qui constitue une sorte de théorie de la
critique (prolongée dans l’autre article de 1954 « …
Auprès et au loin »).
La catégorie de
langage est tout de suite là, active : elle sert comme opérateur de
distinction parmi les œuvres. Cf. ce que j’appelle la fonction critique de cette
catégorie : discriminer, distinguer (le non musical du musical, les œuvres
importantes de celles qui ne le sont pas…).
Alors pas de besoin
explicite de théorie. Cette époque est en effet celle de la découverte et de
l’appropriation de la musique des trois Viennois et de Stravinsky, celle de la
maturation du passage du dodécaphonisme au sérialisme proprement dit
(sérialisme d’abord restreint, déduit par abstraction du
dodécaphonisme)…
Position
anti-esthétique déclarée (128)
Voir aussi
·
« À la limite du pays fertile »
(1955) : théorisation de la musique électronique [12]
·
Aléa (1957) : théorisation de l’aléatoire et de
l’ouverture…
·
Tendances de la musique récente
(1957) : une sorte de critique de la théorie…
Nécessité de ce
tournant du point explicite du langage : pour l’unifier contre sa
dissociation (ce qu’on appellera la disjonction Schoenberg/Stravinsky). Cf.
double passage : du dodécaphonisme au sérialisme, et du sérialisme restreint au
sérialisme généralisé. On peut dire : c’est l’intension sérielle
qui écarte à la fois du dodécaphonisme (sépare Webern de Schoenberg) et ouvre à
sa généralisation (et donc à la généralisation-systématisation de Webern). Cf.
double dynamique : extrinsèque (coupure) et intrinsèque (second temps de
consolidation immanente) : cf. Jésus/Paul, Marx/Lénine, Freud/Lacan. Ici
Webern/Boulez…
Cf. nécessité pour
cela d’une théorie. Pourquoi ?
·
Pour abstraire le sérialisme du dodécaphonisme
·
Pour généraliser le sérialisme restreint en sérialisme
généralisé
·
Pour faire tout cela constructivement — cf. le
parti pris constructiviste constant chez Boulez (explicite dans Penser la
musique aujourd’hui) [13]:
« On peut
diviser les relations en trois groupes : de point à point, d’ensembles d
points à ensemble de points, enfin relations entre les ensembles
d’ensembles » (p. 25)
« La
répartition procède par points, ensembles, ensembles d’ensembles. »
(p. 26)
« Les relations
s’établissent de simple à ensemble, de simple à ensembles d’ensembles »
(p. 68)
« Ces deux
catégories s’appliquent d’unité à unité, d’unité à groupes, de groupes à
groupes ». (p. 76)
« Les relations
s’établissent de simple à simple, de simple à complexe, de complexe à
complexe ». (p. 113)
Pas d’esthétique
(mais plus d’« anti-esthétique ») : désormais, une position
plutôt de neutralité…
Le travail
théorique de Boulez s’est déclaré sous le titre générique : Penser la
musique aujourd’hui. Pour lui, Penser la musique aujourd’hui, c’est
théoriser (de manière contemporaine) le langage sériel.
Chapitre |
Date |
Publication (en
français) |
en
allemand [14] |
Préface (Une écurie pour Jarry) |
|
1963 |
|
De moi à moi |
1960 |
1963 :
Penser la musique aujourd’hui |
Musikdenken heute 1 |
I. Considérations générales |
|||
II. Technique musicale |
|||
III. Forme [Périforme] |
1960 1965 |
1981 1966 |
Musikdenken heute 2 Musikdenken heute 2 |
IV. Notation et interprétation Temps,
notation et code |
1960 |
1981 |
Musikdenken heute 2 |
V. Esthétique et
poétique L’Esthétique
et les fétiches Le
Goût et la Fonction Nécessité
d’une orientation esthétique |
1961 1961 1963 |
1962 1963 1964 |
Musikdenken heute 2 |
VI. Synthèse et avenir Conclusion
partielle |
1960 |
1981 |
Musikdenken heute 2 |
Principe du
contemporain de l’intellectualité musicale : une théorie de
la musique contemporaine doit être une théorie contemporaine de la musique.
Pour Boulez, une
telle théorie se décline ainsi : une théorie du langage sériel doit être
une théorie contemporaine du langage musical.
Pour Boulez, la
modalité contemporaine du théorique est à trouver du côté des sciences,
lesquelles opèrent déductivement par axiomatisation et formalisation.
On serait bien en
mal d’expliciter ne serait-ce qu’un axiome dans son effort théorique !
Tout au plus pourrait-on
songer à des énoncés tels ceux-ci :
« Qu’est-ce que
la série ? La série est — de façon très générale — le germe
d’une hiérarchisation fondée sur certaines propriétés psycho-physiologiques
acoustiques, » [15]
« L’espace,
indice de répartition de structures » [16]
mais il s’agit là
de définition ou de caractérisation, nullement de décisions de pensée
infondables et arrachées à l’incalculable.
On pourrait penser
que Boulez aurait un temps caressé l’idée que pourraient lui servir
d’axiomes :
·
un énoncé tel celui-ci : « La perception doit
suivre l’écriture ».
·
un principe de constructibilité généralisée tel celui
qui l’élève progressivement, dans Penser la musique aujourd’hui, d’éléments
vers des ensembles, puis vers des ensembles d’ensembles…
mais il faudrait
alors constater que Boulez a bien vite découvert que l’énoncé précédant le
conduisait à des conclusions musicalement inacceptables (Boulez soutenait dès
le départ que la série était fondée sur des principes psycho-acoustiques) et
que le supposé principe de constructibilité intégrale le conduisait également à
des conséquences musicalement inacceptables puisqu’une enveloppe et plus encore
une Forme musicale s’avéraient non constructibles.
Guère plus !
Il se trouve que
Boulez cite Roger Martin qui a écrit à cette époque un bon livre minutieux
didactique [17]. Boulez disposait donc de la matière de
pensée nécessaire à son entreprise théorique s’il avait véritablement voulu
s’approprier ce que formalisation veut dire.
Il faut bien
reconnaître que Boulez s’est contenté de ce que j’appellerai une référence-révérence : une
référence volontairement distante, pointant la direction de ce qui compte sans
pour autant éprouver le besoin de franchir l’espace qui en sépare.
Si Boulez avait
voulu déployer son propos théorique à la lumière de la formalisation
mathématique, il lui aurait fallu prendre en charge la théorie mathématique des
modèles (celle-là même qu’expose Roger Martin dans l’ouvrage précédemment cité)
ce qui l’aurait conduit à mettre en rapport une formalisation et une
interprétation, une syntaxe de la théorie et une sémantique du modèle, etc. Je
vais y revenir en détail plus loin.
Difficulté
intrinsèque à formaliser théoriquement un langage, à prendre un langage pour
modèle d’une théorie formelle.
Ces difficultés
convergent sur la dimension sémantique (sur la théorie du sens de ce langage,
ou de sa signification) : cf. l’aporie d’un « langage non
signifiant » (36), mais qu’est-ce à dire ? Si « en musique, le
mot est la pensée » (36), alors plus de distinction formelle en aval entre
mots et formules (phrases), et plus de distinction linguistique en amont entre
phonèmes et monèmes (voir la double articulation de Martinet — je vais y
revenir).
Butée, impossible,
point de réel, non seulement de la « théorie » boulézienne mais plus
généralement de son intellectualité musicale (c’est-à-dire de son intension profonde,
vitale).
— celui d’un
embrouillamini sur le « formel » (cf. 3 aspects disparates du
« formel » : Forme, formalisation, formalisme…), ce que je
propose d’appeler l’imbroglio boulézien du formel : le projet
d’une formalisation non formaliste des formes musicales…
— d’une
ellipse, d’un évitement face à la théorisation de la Forme…
Une conception de
la Forme engage une conception de la sémantique. Théoriser la Forme, c’est donc
aussi théoriser la sémantique. Or théoriser la sémantique d’un langage pose des
problèmes très particuliers dans le cadre théorique ici prôné : celui
d’une formalisation bâtie précisément sur l’instauration (et non pas la prise
en compte) d’un couplage syntaxe/sémantique (je vais y revenir).
Boulez tranche le
nœud gordien en déplaçant intelligemment le terrain : en posant que la
sémantique musicale relève de la dimension esthétique de l’intellectualité
musicale, non d’une dimension proprement théorique.
Il interrompt alors
son effort théorique, laisse en plan sa théorie inachevée pour n’y plus
revenir et fait ce que j’appellerai sa déclaration esthétique de l’été
1963.
Cf. trois textes
publiés + une présentation orale d’un vaste projet (qui restera sans suite sous
cette forme)
Voir la déclaration
du 15 juillet 1963 :
[1] Le dernier
volume portera donc sur l’esthétique et c’est pour cela que le titre du premier
chapitre s’appelle “Nécessité d’une orientation esthétique”. Ensuite,
les développements suivront en ceci :
[2] Le premier
chapitre lui-même sera “Le fondement d’une esthétique” : comment
fonder au fond le projet esthétique pour valider l’existence en lui-même du
projet musical ?
[3] Le second
chapitre porte sur le champ du choix esthétique, c’est-à-dire que je
vais étudier plus précisément dans quelle mesure le choix esthétique peut
s’appliquer à toutes les composantes, à tous les étages de la
composition, et s’appliquer sur tous les phénomènes, et surtout
s’appliquer au départ de la composition et non pas seulement à
l’arrivée (ou l’un ou l’autre), c’est-à-dire qu’il faut que le choix
esthétique prenne tous les phénomènes sous sa protection depuis la morphologie
élémentaire jusqu’à la forme globale, et depuis la recherche sémantique
jusqu’au projet poétique.
[4] Ensuite, je
parlerai d’un phénomène très important - je ne parlerai pas du moins, j’ai
écrit -, sur le style et les composantes stylistiques en général qui sont les
rapports de l’individu avec la collectivité à un moment donné, ce qui pose
en plus de cela le rapport d’individu à collectif, porte plus loin sur un
phénomène que j’ai appelé style et tradition, c’est-à-dire ce qui existe a
posteriori dans le style et ce qui existe a priori dans le style.
[5] Ensuite, le
chapitre suivant est le sens de l’œuvre, qui est la signification
de l’œuvre par rapport au compositeur lui-même, c’est-à-dire la compréhension
qu’a autrui de la composition. C’est-à-dire je les décrirai exactement comme
face interne et face externe d’un phénomène unique, ce phénomène unique que
Mallarmé déjà appelait l’Idée.
[6] Ensuite, il
y a la question de la communication. Comme vous le savez, la musique est
irréversible dans le temps, et c’est ce qui fait donc son originalité — en
la joignant au seul théâtre parmi les arts irréversibles dans le temps, et il
faudra parler par conséquent de l’esthétique du concert et de l’esthétique de
l’audition, c’est-à-dire qu’il faudra arriver aux relations du praticien et du
théoricien, c’est-à-dire décrire les relations entre pragmatisme et pensée
pure, entre empirisme et déduction.
[7] Puis il y
aura une justification collective du projet esthétique individuel, c’est-à-dire
les relations de la musique avec les autres modes d’expression et comment
la musique peut s’intégrer en général dans un projet esthétique généralisé.
[8] Puis nous
arrivons à la fin du cycle, en étudiant la permanence d’une justification du
projet musical et l’ambiguïté profonde de l’œuvre et la relativité de son
existence. C’est-à-dire que l’œuvre a une relativité dans son existence
puisqu’après, les générations qui viennent ont affaire à un choix absolu à
l’intérieur d’une circonstance, ce qui est le début d’une autre génération.
C’est-à-dire que cela nous pose de nouveau le problème de la tradition
et de la destruction.
[1] Le texte
« Nécessité… » est donc l’introduction générale.
[2] Ensuite la
question du fondement, étrange en matière d’esthétique. Son but :
rien moins que « valider l’existence du projet musical ». Ainsi la
validité de ce projet dépend désormais pour Boulez d’une esthétique.
[3] Ensuite le
champ de l’esthétique : il s’agit qu’elle prenne toutes les
dimensions de la musique et du langage musical « sous sa
protection ». Non seulement l’esthétique est nécessaire « à
l’arrivée » (pour la forme globale, la sémantique et la poétique) mais
comme il s’agit d’unifier toutes les dimensions (condition pour que la musique
reste un langage), l’esthétique doit donc aussi s’appliquer au départ et sur la
dimension morphologique du langage musical.
[4] L’esthétique
doit alors traiter du collectif (de la société des musiciens et de celle des
hommes).
[5] Retour
ensuite sur la nécessité d’une esthétique pour penser la dimension proprement sémantique
du langage musical. Où l’on retrouve le partage syntaxe/sémantique thématisé
comme faces interne/externe d’un unique phénomène.
[6] Vient
ensuite le thème de la communication (première fonction du langage selon
Boulez) qui touche encore une fois à la sémantique de la musique…
[7] On arrive
à l’articulation de la pensée musicale à son époque, à l’intégration de
l’esthétique musicale à « un projet esthétique généralisé ».
[8] Enfin
cette intégration de la musique à l’époque rétroagit sur ce que veut dire
qu’exister pour une œuvre puisque cette existence relève doublement du
temps : l’œuvre s’expose dans le temps de l’exécution et relève du temps
historique des générations successives, et donc du couple tradition/destruction.
Le souci du langage
est toujours déterminant : il s’agit désormais essentiellement de sa
« double fonction » — de communication et de pensée
artistique : (36) — qui suppose donc l’intégration d’une sémantique.
Ce souci est déterminant car il s’agit toujours d’unifier, de refuser les
risques de dissociation, de disjonction, non plus la dissociation du sérialisme
restreint (entre hauteurs et durées, entre Schoenberg et Stravinsky — voir
citation 41), mais la dissociation syntaxe/sémantique —à partir de 1975 il
s’agira pour Boulez de « repenser complètement le langage musical »
(43) —. Ainsi l’esthétique va devoir non seulement assumer la dimension
sémantique du langage musical mais aussi l’unifier aux autres dimensions de ce
même langage (par une sorte de retour de la sémantique sur la syntaxe).
Noter que le
langage musical dissout progressivement son caractère de langage sériel. On va
ce faisant passer en effet d’un langage sériel à un langage thématique.
Bien noter que Boulez
n’y reviendra plus : il ne théorisera plus sous l’exigence déclarée de
l’axiomatisation et de la formalisation. Par exemple sa « théorie »
ultérieure du signal et de l’enveloppe (cf. l’enjeu thématique au début
des années 80, dans la séquence-Répons) ne se
déploiera plus à l’ombre de ces exigences : ce ne sera plus une théorie se
voulant formalisée.
Déclaration
d’intention (« nécessité d’une orientation ») plutôt que déploiement
effectif (qui devra attendre le Collège de France).
Ceci dit la
nouvelle pratique musicienne de Boulez s’accorde avec cette nouvelle
orientation de son intellectualité musicale car elle traite du concert, de
l’inscription de la musique dans la société et dans son époque, donc de la
« mise en commun » de la musique — de sa communication avec son
époque —.
Noter que la basse
fondamentale perdure. Une étude serait à faire (thèse ?) pour examiner
plus finement les évolutions thématiques de la dimension critique selon ces
différentes périodes : la périodisation de l’intellectualité musicale boulézienne,
qui se fait, non selon cette dimension critique mais selon les deux autres, se
projette cependant dans cette dimension (cf. plus loin les différences entre Points
de repère II & III).
Thème toujours
explicitement au cœur de cette séquence : cf. dans le titre du projet
général (Invention, technique et langage) et dans celui du cours de 1978
(Langage, matériau et structure).
Le mot langage est deux
fois plus fréquemment utilisé (458 fois) que celui de déduction : c’est
toujours bien la principale catégorie de Boulez [18].
Ceci dit,
disparition des mots syntaxe, morphologie, rhétorique, sémantique (cf. nombre
de fois respectivement, dans Leçons de musique : 6, 9, 5,
0). Ainsi le même syntagme « langage musical » semble retrouver
désormais le statut métaphorique qu’il avait avant 1952 (avant le projet de
sérialisme généralisé donc) et qu’il avait perdu pendant le
moment-théorique — on va y revenir plus en détail… —.
Le mot n’apparaît
quasiment plus (32 fois, et de manière générale, non articulée au projet
même des cours). Le mot mathématique a lui aussi disparu (une seule
fois !) comme celui de formalisation (9 fois)…
Le mot devient lui
aussi très rare (33 fois) : Boulez ne nomme plus guère
« esthétique » son projet. Pourquoi ? À mon sens, car il tente
désormais de synthétiser, d’unifier, de se rapprocher donc d’une position
centrale dans le triangle de l’intellectualité musicale — voir plus haut
la comparaison des deux trajectoires centripètes de Rameau et Boulez… —.
Noter : la
taille des deux volumes est comparable.
Il est cohérent que
les noms propres apparaissent deux fois moins souvent dans le second volume
(relevant à mon sens de l’esthétique) que dans le premier (consacré
essentiellement à la critique).
|
Bach |
Wagner |
Mahler |
Debussy |
Schönberg |
Berg |
Webern |
Bartok |
Stravinsky |
∑ |
Regards
sur autrui |
74 |
438 |
70 |
179 |
191 |
562 |
200 |
49 |
161 |
1924 |
% |
4% |
23% |
4% |
9% |
10% |
29% |
10% |
3% |
8% |
100% |
Leçons
de musique |
32 |
79 |
56 |
94 |
161 |
292 |
175 |
27 |
121 |
1037 |
% |
3% |
8% |
5% |
9% |
16% |
28% |
17% |
3% |
12% |
100% |
∆=R/L |
2,3 |
5,5 |
1,3 |
1,9 |
1,2 |
1,9 |
1,1 |
1,8 |
1,3 |
1,9 |
[ Attention : données brutes,
non corrigées des occurrences dans l’introduction et dans l’index ]
Ordre : Berg
loin devant (3 fois sur 10). Puis Wagner dans Regards (près d’une
mention sur 4)… mais Webern et Schönberg (à eux deux une mention sur
3) dans Leçons…
Transformation :
la plus notable concerne Wagner (les références y diminuent 3 fois plus vite).
Cf. pour Boulez, Wagner est important pour la critique musicienne
(interprétation…), guère pour les questions de composition aujourd’hui (Boulez
se réfère — marginalement — à la composition wagnérienne essentiellement
à propos de la question du thématisme…).
Ce premier parcours
fait, reprenons plus systématiquement la manière dont Boulez systématise le
langage musical.
Ma position face à
tout cela est double :
— la pensée
musicale n’a pas à être thématisée comme langage autrement que métaphoriquement
et en tous les cas pas théoriquement ;
— une théorie
de la pensée musicale doit être d’aujourd’hui en un autre sens qu’au sens
strict d’une théorie axiomatisée et formalisée (voir ma propre conception du
théorique dans ma théorie des moments-faveurs et de l’écoute musicale).
Je ne m’accorde
donc nullement à cette conception de la musique ; je ne pense pas qu’il existe
de langage musical ; je tiens que cette expression n’est nullement une
catégorie à part entière de l’intellectualité musicale.
Il ne s’agit donc
pas ici pour moi d’épouser le propos analysé : seulement d’en éprouver l’intension profonde,
de prendre mesure de sa singularité, non pour mettre mes pas dans les siens
mais pour dégager les conditions de consistance propre aux grandes
intellectualités musicales.
Commençons par un
certain nombre de précisions, nécessaires pour approfondir notre évaluation de
la dimension théorique chez Boulez. Elles porteront successivement sur la
linguistique, sur la formalisation et sur le formalisme.
Cf. Guide
linguistique d’André Martinet (pour rester dans le contexte intellectuel de
l’époque : Chomsky, par exemple, restait alors marginal et
embryonnaire) : Linguistique (sous la direction d’A. Martinet ; Denoël,
1969)
Le langage est
distribuable en 4 grandes catégories qu’on retrouve chez Boulez (63-72) : syntaxe, morphologie, rhétorique et sémantique.
La morphologie, « science des formes sous lesquelles se présentent les mots » (Martinet, 245)
La sémantique,
« science des sens » (Martinet, 343)
Cf. Boulez (36)
Cf. Martinet :
—
« fonction centrale du langage : la fonction
de communication » - cf. théorie de l’information, code… (Martinet, 105)
—
« fonctions
secondaires » : « la fonction d’expression (ou encore
d’extériorisation) » (Martinet, 107), « la fonction esthétique »
(Martinet, 108)
Cf. Boulez (36)
Cf. double
articulation (Martinet, 169) : unités distinctives (phonèmes) / unités
significatives (monèmes). « Le vent souffle » = 3 monèmes ;
mais « vent » se partage en deux phonèmes (pour le distinguer de
« banc » et de « vous »)…
Un langage non
signifiant n’aurait donc qu’une simple articulation : de phonèmes non
monèmes
Cf. Boulez (58)
(59)
Cf. distinction de
fonctions syntaxiques, consécutives, sémantiques, verticales… (Martinet, 42)
Voir Roger Martin
(pour rester dans le contexte de l’époque : Boulez le cite en 1963) :
Logique contemporaine et formalisation (Puf, 1964)
La formalisation
est la construction de systèmes formels.
L’ensemble
constitue un système formel. Le modèle peut être une théorie « naïve ». La
théorie du système formel est dite, elle, théorie formalisée.
Construction d’un
système formel : ensemble de symboles, constitution (morphologie) de mots
puis de formules par des règles de formation, distinction de thèses et
d’axiomes avec des règles de déduction.
Syntaxe = règles de
formation + règles de déduction.
Propriétés
syntaxiques : consistance, complétude (syntaxique), décidabilité,
indépendance (des axiomes)…
Sémantique :
cf. traduction des symboles, des mots et des formules… Constitution de domaines
d’interprétation, d’assignation des valeurs et d’évaluation des formules.
Introduction des tables de vérité. Distinction des tautologies (« Les-baleines-ont-des-ailes implique 2+2=4 » [19] : ex falso sequitur quodlibet), des
contradictions et des expressions neutres (interprétation ouverte). Règles de
traduction. Notion de modèle.
Propriétés
sémantiques : complétude (sémantique)
Propriété générale
du système : catégoricité (isomorphie des différents modèles)
Théorèmes de
limitation : Gödel, Lowenheim-Skolem…
Démêlons quelque
peu ce que j’appellerai l’imbroglio du formel dans l’intellectualité musicale
boulézienne : cette étrange « formalisation non formaliste des formes
musicales »…
Boulez déclare
buter sur la question du formalisme dès 1952 : « cette
insupportable question du formalisme » (116) mais elle prendra consistance
plus tardivement, à la lumière du structuralisme de Claude Lévi-Strauss qui en
fait son adversaire dans un passage que Boulez retient. Il s’agit du moment où Penser
la musique aujourd’hui cite « le sociologue [ !] Lévi-Strauss » [20] (36) :
Ainsi que l’affirme le
sociologue Lévi-Strauss à propos du langage proprement dit, je demeure persuadé
qu’en musique il n’existe pas d’opposition entre forme et contenu, qu’il n’y a
pas « d’un côté, de l’abstrait, de l’autre, du concret ». Forme et
contenu sont de même nature, justiciables de la même analyse. « Le
contenu, explique Lévi-Strauss, tire sa réalité de sa structure, et ce qu’on
appelle forme est la mise en structure des structures locales, en
quoi consiste le contenu. » Encore faut-il que ces structures se
soumettent aux principes de logique formelle que nous énoncions plus haut. (PMA,
31)
Boulez reprendra
cette même citation dans son texte Forme de 1960 (105) destiné à être
intégré à la suite du Penser la musique aujourd’hui dont nous
disposons (ce texte se retrouve ainsi dans Musikdenken
heute 2) :
Dans une phrase que
j’ai citée ailleurs, Lévi-Strauss écrit : « Forme et contenu sont de
même nature, justiciables de la même analyse. Le contenu tire sa réalité de sa
structure et ce qu’on appelle forme est la “mise en structure” de structures
locales, en quoi consiste le contenu. » (1960, PR I 359)
Plusieurs
remarques :
·
Claude Lévi-Strauss ne parle pas en cet endroit du
langage : contrairement à ce qu’écrit Boulez, l’affirmation de Claude
Lévi-Strauss n’est pas « à propos du langage » mais à propos de
l’analyse par Vladimir Propp des contes russes. Boulez donc prend sur lui
d’appliquer au langage des considérations de Claude Lévi-Strauss qui ne les
visent nullement.
·
Ce qui dans le texte de Claude Lévi-Strauss précède
cette citation
« On nous permettra
d’insister sur ce point, qui résume toute la différence entre formalisme et
structuralisme. Pour le premier, les deux domaines doivent être absolument
séparés, car la forme seule est intelligible, et le contenu n’est qu’un résidu
dépourvu de valeurs signifiante. Pour le structuralisme, cette opposition
n’existe pas : il n’y a pas d’un côté de l’abstrait, de l’autre du
concret. Forme et contenu sont de même nature, justiciables de la même analyse.
Le contenu tire sa réalité de sa structure, et ce qu’on appelle forme est la “mise
en structure” des structures locales, en quoi consiste le
contenu. » Claude Lévi-Strauss (Anthropologie structurale deux2 ;
p. 158) — L’analyse
morphologique des contes russes, mars 1960)
indique que
l’énoncé retenu par Boulez « résume toute la différence entre
formalisme et structuralisme ». Claude Lévi-Strauss oppose donc à la séparation
formaliste de la forme et du contenu leur étroite concordance structuraliste.
Ceci pourrait laisser croire que Boulez adopte ici le point de vue structuraliste
(du moins au sens lévi-straussien du terme).
·
Dans la phrase qui suit immédiatement cette citation,
Boulez fait un pas de côté :
« Encore
faut-il que ces structures se soumettent aux principes de logique formelle que
nous énoncions plus haut. »
Boulez
énonce ici le curieux principe que le structuralisme lévi-straussien devrait se
soumettre aux principes de la formalisation logico-mathématique (ce qui
précède, en effet, en fait l’éloge sous l’autorité de Rougier et Pasch). Or ces
deux modes de pensée (structuralisme et formalisme), sans être incompatibles
(on sait que Claude Lévi-Strauss a mobilisé une formalisation mathématique des
structures élémentaires de la parenté grâce à l’apport du grand mathématicien
André Weil), ne sont nullement convergents.
·
De plus l’accusation de formalisme qui semble encombrer
Boulez depuis 1952 ne recouvre nullement le formalisme de Propp mais bien
plutôt le structuralisme de Claude Lévi-Strauss ! En effet, l’accusation
« naïve » de formalisme évoquée en 1952 consiste à reprocher au
musicien le fait de trop s’attacher à la forme en oubliant le contenu (le vieux
reproche de « mettre du vieux vin dans une nouvelle outre »), ce qui
est tout le contraire du formalisme rejeté par Claude Lévi-Strauss qui, lui,
sépare ce qui ne devrait pas l’être (en l’occurrence un contenu et un
contenant). Boulez semble en fait adopter le point de vue de Claude
Lévi-Strauss pour des raisons tactiques plutôt que par affinité véritable de
pensée, et sans chercher d’ailleurs à affermir ensuite cette convergence
déclarée (on sait qu’il ne répondra jamais aux attaques explicites de Claude
Lévi-Strauss contre le sérialisme dans Le Cru et le Cuit).
Revenons à Boulez.
Le travail de sa catégorie
de langage est lisible dans l’usage que va faire Boulez de la
catégorie de « fonction langagière ». Pour Boulez en effet, un
langage, c’est avant tout un système de fonctions : c’est un régime
particulier de « double fonction » (32) (communication/pensée
poétique), c’est une distinction entre fonctions « intrinsèques » et
« extrinsèques » (d’expression en particulier, mais aussi de goûts…)
(58).
Or la musique est
dotée de fonctions : il existe en effet des fonctions musicales, des
fonctions modales (53), des fonctions harmoniques tonales (53), des fonctions
thématiques. Ceci à l’évidence incite Boulez à considérer la musique comme un
langage.
Boulez va donc
tenter une investigation du « langage musical » sous l’angle de
·
ses fonctions « syntaxiques » (61) (71)
·
ses fonctions « morphologiques » (50) (61)
(71)
·
ses fonctions « rhétoriques » (64) (65)
·
ses fonctions « sémantiques » (69) (72)
c’est-à-dire ses fonctions « esthétiques » (60) ou ses fonctions
« d’expression » (58) ou « de goût » (59)…
Plus précisément
Boulez va tenter de penser sous ce schème les « fonctions sérielles »
(qui constituent sa cible véritable en matière de fonctions musicales) :
(51) (52) (54) (56) (57).
Synthétisons les
différentes facettes de la catégorie de langage musical selon Boulez.
Je séparerai à
nouveau nos trois périodes : la séquence « purement » critique,
la plus courte (4 années : 1948-1951), le moment théorique (12 ans :
1952-1963) et la période la plus longue (30 années : 1964-1995) que
j’appellerai pour cela la longue marche vers l’esthétique.
Qu’en est-il de la
catégorie de langage musical dans ces trois périodes ?
Dans la première,
la catégorie a un statut métaphorique et une pure fonction
critique : elle sert d’opérateur critique de discrimination entre les
œuvres importantes et les autres. En effet qu’est-ce alors qu’une œuvre
importante pour Boulez ? C’est formellement une œuvre dont on se déclarera
l’héritier car on considèrera qu’elle ouvre à des résonances généalogiques
ultérieures (essentiellement les œuvres de Webern — contre celles de
Schoenberg — et de Stravinsky), et, du point de son contenu, c’est une
œuvre dont la consistance tient à son sérieux en matière de langage, à sa
responsabilité par rapport à la situation musicale prise dans son ensemble, par
rapport à ce que j’appelle monde (de la musique) et que Boulez,
pour sa part, indexe précisément comme langage. Il y a
bien sûr à l’époque un très fort historicisme boulézien, c’est-à-dire la
conviction que ce qui fait la consistance de la musique est une histoire
musicale articulable à une grande Histoire et c’est bien là ce qui explique en
partie le succès de cette catégorie de langage musical puisqu’elle est
compatible avec l’historicisme.
Cette séquence est
celle où le point de vue sériel se constitue par séparation d’avec un point de
vue dodécaphoniste, soutenu en France par Leibowitz. Ce point de vue sériel, je
propose de l’appeler sérialisme restreint pour le distinguer — en
résonance avec la relativité einsteinienne — du sérialisme généralisé qui suivra.
La catégorie de
langage musical acquiert une nouvelle dimension avec le sérialisme généralisé,
lequel requiert une fondation théorique de sa fonction critique (le texte de
1954 « …Auprès et au loin » traite précisément de ce
point : consolider la dimension critique de l’intellectualité musicale
passe, à l’époque du sérialisme généralisé, par une fondation théorique de la
catégorie de langage musical).
Pourquoi la
généralisation du sérialisme nécessite-t-elle la nouvelle dimension
théorique ? Car le sérialisme généralisé s’attaque à la dissociation entre
hauteurs et durées (en simplifiant entre Schoenberg-Webern et Stravinsky) et
veut ainsi donner consistance unifiée à la grammaire (syntaxe + morphologie).
L’unification de la
nouvelle grammaire sérielle, censée prouver la capacité du sérialisme à constituer
un nouveau langage musical, passe pour Boulez par un travail proprement
théorique : la pure et simple dimension critique de
l’intellectualité musicale n’y suffit plus, ni un simple statut métaphorique de
la catégorie de langage musical. Il faut désormais fonder cette
catégorie, et cela doit se faire théoriquement.
C’est donc le
moment de fondation théorique du nouveau langage sériel. Ceci revient à poser
que pour Boulez, Penser la musique aujourd’hui veut dire Fonder
la dimension critique de l’intellectualité musicale sur une théorie contemporaine
du langage sériel.
Comment Boulez
va-t-il s’y prendre ? Par l’élaboration progressive d’une syntaxe
puis d’une morphologie (les deux constituant une grammaire — au sens
restreint du terme) qui devait ensuite se compléter d’une rhétorique (65) pour
constituer une Grammaire (au sens cette fois complet du terme).
C’est en ce point
qu’intervient la butée pointant le réel de la catégorie boulézienne de langage
musical.
Mon exposition,
vous le comprenez, suit un mouvement centripète, par cercles de plus en plus
resserrés autour d’un centre situé l’été 1963. Pourquoi ? Pas seulement
parce que tel est bien le cœur névralgique de l’intellectualité musicale
boulézienne mais parce que mon mouvement d’investigation est lui-même
centripète : il part du foisonnement des textes de Boulez (des milliers de
pages, pas toujours très denses…) pour tenter non pas d’en faire une
présentation érudite, savante et stérile mais pour y discerner le cœur où bat
la pensée en sorte de mesurer à cette aune le cœur de ma propre intellectualité
musicale. En ce sens, une intellectualité musicale procède par rapport à une
autre intellectualité musicale comme une œuvre musicale le fait par rapport à
une autre œuvre : par critique-analyse en sorte de féconder de nouvelles
figures de la pensée.
La difficulté
spécifique aujourd’hui tient à l’ordre d’exposition puisque je me trouve, au
terme de ce travail sur Boulez, avec deux résultats fortement contrastés :
d’un côté un florilège de 150 citations, de l’autre 2 ou 3 thèses extrêmement
compactes sur l’intellectualité musicale boulézienne et par là sur les tâches,
selon moi, d’une intellectualité musicale contemporaine (disons en ce début de
XXI° siècle et non plus de l’après-guerre). Comment transmettre cela ?
Ma réponse consiste
à déployer devant vous un mouvement qui puisse composer un inspect acceptable
pour l’intension profonde au travail chez Boulez. Si je partais des
résultats thétiques et vous démontrais à partir de là l’intellectualité musicale
de Boulez, je construirai un aspect de cette intellectualité
musicale, non un inspect (nous nous tiendrions en effet à l’extérieur de sa
dynamique intrinsèque) : je « maîtriserais » certes cette
intellectualité musicale mais, ce faisant, je la stériliserais. Si à l’inverse,
je partais du florilège pour épouser minutieusement le périple de ma propre
recherche, je devrais y consacrer une année entière !
J’ai donc pris le
parti de parcourir ce domaine en tenant à la fois la dispersion du florilège et
la concentration de l’intension. Pour cela, j’ai pris le même parti qu’à propos de
Rameau : alterner les moments de présentation dispersée et ceux de
concentration synthétique en esquissant un trajet de recherche qui soit
spiralique et centripète, qui resserre progressivement le propos sur son noyau
actif.
Bref, je bâtis une
forme pour cet exposé, comme on peut le faire en musique pour une œuvre :
à partir d’une Idée mise à l’épreuve non de ses déductions (logique de
développement…) mais de ses résonances concentriques (ce que j’appelle des variations-reconnaissance)…
*
Revenons à notre
propos central.
Boulez doit
prolonger sa théorie du langage sériel par une sémantique (c’est-à-dire une
théorie du sens) car il a bien conscience (72) qu’à ne pas le faire, son propos
sombrerait dans le formalisme (nous avons vu qu’il récusait le formalisme
depuis 1952 et que sa récusation s’alliait, autour de 1960, à celle de Claude
Lévi-Strauss…).
Or il apparaît clairement
qu’une théorie de la Forme musicale nécessite une théorie de la sémantique (et
pas seulement de la syntaxe et de la morphologie). À y regarder d’un peu plus
prêt, c’est déjà plus ou moins le cas pour une théorie de la rhétorique dont
Boulez pointe à différents moments la nécessité sans jamais, à ma connaissance
du moins (je ne suis pas un érudit de Boulez, pas plus que je ne le suis de Rameau,
de Schoenberg ou de Wagner, et je ne le suis pas « par volonté, non par
hasard »…), véritablement s’y atteler. La rhétorique en effet est à la
frontière de la grammaire et de la sémantique, à la charnière de la distinction
que fait Boulez entre fonctions intrinsèques et extrinsèques : théoriser
la rhétorique implique d’avoir théorisé la sémantique en sorte que s’il y a
bien, comme on va le voir, une rétroaction de la sémantique sur la syntaxe,
celle-ci se matérialise de manière exemplaire dans une théorie de la rhétorique
(pour fixer les idées, j’entends sous ce terme de rhétorique la forme
donnée au discours, et plus seulement aux mots, et la matérialisation chez
Boulez de la rhétorique musicale se donnera dans ce qu’il appellera le thématisme [21]).
Il va nous falloir
expliquer pourquoi la théorie boulézienne bute sur son extension à la
sémantique, à la rhétorique, donc à la Forme. Avant d’y revenir en
détail — c’est là que se joue le réel du propos —, rappelons comment
Boulez va s’en sortir.
Je rappelle d’abord
que Boulez va décider en 1963 quant à l’intellectualité musicale en même temps
qu’il va décider sur tous les aspects de sa vie de musicien.
En effet le
tournant de 1963 a valeur générale dans le parcours de Boulez puisqu’il prévaut
tant dans ses activités de compositeur (avant/après Pli selon Pli), de
musicien (début de sa carrière internationale après la direction du Sacre
du Printemps à Paris le 18 juin et création française de Wozzeck fin
novembre à Paris également), que de musicien pensif.
L’issue va
consister dans le projet d’assumer désormais esthétiquement et non plus
théoriquement la sémantique musicale (et secondairement la rhétorique). La
catégorie de langage musical va ainsi devenir une catégorie essentiellement
esthétique.
L’enjeu de ce
propos, je le rappelle, est de donner une forme aux entités-frontière entre
grammaire et sémantique, de donner forme au discours musical et Forme à
l’œuvre, « donner » forme voulant ici dire expliciter en
intellectualité musicale les figures de consistance (et pas seulement les créer
musicalement).
Il est certes
patent que le point de butée de l’intellectualité musicale boulézienne a pour
contrepartie une butée dans la composition (d’où la coupure avant/après Pli
selon Pli) et que l’issue qui va progressivement se dessiner
dans l’intellectualité musicale de Boulez (le thématisme venant subsumer
l’ancien sérialisme généralisé) est une raisonance du
nouveau travail compositionnel (de Messagesquisse à Répons…).
En résumé, chez
Boulez la même expression « langage musical » est
successivement :
·
une catégorie métaphorique pour une
fonction critique du sérialisme restreint,
·
une catégorie théorique pour une
fondation du sérialisme généralisé,
·
une catégorie esthétique pour une
unification de la grammaire et de la sémantique en un nouveau thématisme.
Type du
nouveau langage
musical : |
Nature
de la catégorie : |
en vue
d’une |
sérialisme restreint |
métaphorique |
fonction critique
(de discrimination entre les œuvres) |
sérialisme généralisé |
théorique |
fondation (du
sérialisme comme nouveau langage) |
« thématisme » |
esthétique |
unification (de la
grammaire et de la sémantique) |
Remarquer que ces
dimensions ne s’excluent pas mais tendent plutôt à se cumuler…
Achevons notre
parcours en approfondissant son point central, cette butée théorique de 1963
qui se situe au cœur de toute la trajectoire de l’intellectualité musicale
boulézienne (au centre donc de son inspect) et qui nous permettra de mieux
comprendre son intension véritable au
cœur de cette intention déclarée de comprendre inlassablement
la musique comme langage musical.
Pourquoi n’était-il pas possible à Boulez de formaliser
intégralement le nouveau langage musical ?
Parce que théoriser formellement le nouveau langage musical
aurait supposé que Boulez soit déjà doté d’une théorie naïve de ce langage,
susceptible d’opérer comme modèle pour la théorie formalisée. Or cette théorie
naïve n’existait pas.
Ici « modèle » = le « langage musical » concret à
l’œuvre
« théorie
naïve » = théorie musicienne spontanée
de ce langage musical
« théorie
formalisée » = théorisation
« logico-mathématisée » de la théorie musicienne « naïve »
Pourquoi cette théorie naïve n’existait-elle pas ?
Essentiellement parce que le nouveau langage musical
n’existait lui-même pas encore ! Il ne faut pas oublier en effet que
l’intellectualité musicale, comme toute intellectualité musicale, est
prescriptive et prospective : elle pense ce qu’il y a à faire, ce qu’il
faut faire, et non pas simplement ce qui est déjà fait. Si Boulez se débat avec
ces questions de nouveau langage musical, c’est parce qu’il s’emploie à participer
à la création de ce nouveau langage par ses propres œuvres. La théorie qu’il
vise ne saurait donc nullement être une formalisation d’une théorie naïve déjà
là, théorie naïve qui serait elle-même la formulation naïve d’un langage qui
opère déjà.
En fait Boulez veut donner un tour théorique à sa recherche d’un nouveau langage plutôt qu’il ne
recherche une théorie proprement
dite de ce nouveau langage (et théorique ne vaut pas théorie).
Boulez, à cette époque, tente de penser ce qu’une rhétorique et qu’une
sémantique pourraient et devraient être pour pouvoir s’unifier à la syntaxe et
à la morphologie sérielles déjà théorisées, mais clairement il n’en dispose
pas, et il dispose moins encore d’une théorie naïve qu’il s’agirait alors de
formaliser théoriquement.
Par ailleurs, l’état de la linguistique structurale, si tant
est que cet était ait pu intéresser Boulez dans son détail, n’était pas alors
tel qu’il ait pu doter Boulez de théories formalisées adéquates à profiler son
projet : s’il est vrai, selon Jean-Claude Milner, qu’il faut attendre
Chomsky pour disposer d’une théorie linguistique formalisée, alors cette
théorie était alors en gestation et nullement exposée à l’intelligence des
non-spécialistes.
Bref, une théorie formelle du nouveau langage musical butait
sur l’absence d’un espace théorique adéquat et plus encore sur l’absence même
de l’objet à théoriser.
Face à cette double carence, la prescription ouvrant Penser
la musique aujourd’hui – axiomatiser et formaliser
— ne pouvait que fixer un horizon inatteignable. Si elle a pu, cahin-caha,
guider « l’ébauche » d’une syntaxe et d’une morphologie sérielles
(voir ce qu’en dit Boulez à la fin de son livre page 165) (67), elle était trop
vague pour pouvoir, à elle seule, assurer la tâche autrement plus délicate de
formuler une rhétorique et une sémantique sérielles.
On ne peut cependant s’arrêter à cette première
réponse : elle pourrait laisser entendre que Boulez n’a énoncé sa prescription
de l’axiomatique et de la formalisation que superficiellement, comme une
manière de saisir le contemporain de la pensée dans son seul effet de mode.
Si Boulez adhérait à la prescription de l’axiomatique et de
la formalisation, c’est pour des raisons de fond, nullement de mode. Et s’il a
buté sur la formalisation de la sémantique (sous la modalité de la Forme
musicale), c’est donc réellement.
Pourquoi ? Parce que Boulez concevait la formalisation
de manière dynamique, non comme la reformulation d’une théorie naïve
préexistante. C’est donc parce que Boulez concevait le travail de formalisation
comme un travail de construction progressive qu’il a pu d’une part « y
croire » réellement, et d’autre part buter sur la construction de la
sémantique.
D’où la seconde réponse suivante : si Boulez n’a pu
formaliser intégralement le nouveau langage, c’est d’une part parce que pour
lui formaliser intégralement voulait dire construire intégralement et d’autre part parce qu’on ne saurait
construire une sémantique comme on peut construire une syntaxe.
Détaillons ces deux aspects.
Il y a, me semble-t-il, un parti pris fondamental chez
Boulez, en amont de toute pensée concrète, qui est celui d’un certain
constructivisme, d’un certain style constructiviste de pensée (voir mon livre
sur Schoenberg) : l’idée que créer mais aussi penser, c’est
essentiellement construire.
On sait d’ailleurs que dans l’orientation de pensée
constructiviste (voir Alain Badiou), le langage est l’opérateur fondamental de
mesure de l’existence. Il y a donc, au principe de cette manière
constructiviste de penser, le croisement de deux prescriptions :
n’admettre à l’existence que ce qui a été explicitement construit, et se fier à
la capacité du langage pour prendre mesure exacte de tout cela.
Le point est alors que cette dynamique constructiviste bute
en matière de langage musical sur la nécessaire hétérogénéité qui intervient
dès qu’on parle de sémantique puisque ce
terme indique à tout le moins la mise en rapport de deux ordres disjoints et de
natures hétérogènes.
S’il est vrai que la formalisation théorique pratique aussi
la construction de modèles (en vue par exemple de tester la consistance ou la
catégoricité des théories formellement construites), ces modèles sont en fait
des sortes de « monstres » sémantiques, des modèles au sens purement
formels du terme, qui n’ont de justification que de servir de terrain d’épreuve
à la théorie considérée.
Le destin usuel d’un modèle est tout le contraire de
cela : il constitue le terrain d’épreuve préexistant, doté de valeurs de
vérité que la théorie à bâtir doit formaliser et précisément « prendre
pour modèle ».
Autant dire qu’on ne construit pas un tel modèle mais qu’on
en hérite. Tel est bien le cas en musique : l’intellectualité musicale ne
vise pas à inventer de nouveaux mondes formels mais à prendre mesure des
transformations du monde de la musique pour mieux les orienter. En ce sens,
faut-il le rappeler, ce qui en musique décide en dernière instance n’est pas l’intellectualité
musicale mais l’œuvre musicale. Boulez le sait mieux que tout autre. Il ne
s’agissait donc pas pour lui de construire une théorie dotée de modèles purement
formels (ces œuvres dites « virtuelles » qui ont pour seule existence
un programme d’intentions) ni de forcer formellement la construction d’une
sémantique, donc d’un sens musical.
D’où notre second aspect : on ne saurait construire une
sémantique musicale comme on construit une syntaxe et une morphologie, à partir
d’un germe (d’une série pour Boulez : « la série est le germe d’une
hiérarchisation… [22] »)
mais il y faut dès le départ du deux, de l’hétérogène, du disjoint.
En musique, ce deux, c’est bien sûr, pour Boulez plus que
pour tout autre, le couple de l’écriture et de la perception musicales, ce qui
revient à dire que construire une sémantique musicale va passer par la construction
d’une intelligence musicale de ce couple. On reconnaît là le programme que
Boulez va déployer dans les années 80 autour de ce qu’il appellera
« l’enjeu thématique ».
On comprend bien, rétroactivement, comment penser ainsi une
sémantique musicale (et donc ce que sont en musique la rhétorique et Forme) ne
pouvait se faire dans un pur et simple prolongement de ce qui avait été fait
pour la grammaire musicale.
Ceci rend également compte de soucis ultérieurs de
Boulez : la nécessité déclarée au Collège de France de « repenser
complètement le langage musical » (43) (45) faute de quoi pèseraient les
menaces de cryptographie (47), d’inviduation (47), de perte du code commun
(47), de non-communication (45) ; mais aussi l’importance de ne pas céder
sur les exigences syntaxiques acquises lors de la phase antérieure (48) (49) au
nom de la nouvelle prise en compte de la sémantique (dit prosaïquement :
prendre en compte la perception pour Boulez ne saurait se réaliser sur le dos
de l’écriture).
Finalement, en nommant esthétique la nouvelle nécessité ouverte par la déclaration de
1963, Boulez prenait bien acte d’une confrontation au deux non seulement de
l’écriture musicale et de la perception sonore mais, par-delà cette polarité, à
l’hétérogénéité du langage musical et de son époque (dans mon vocabulaire :
l’héétrogénité du monde de la musique et de son époque, sous l’hypothèse que
l’autonomie de ce monde n’est nullement une autarcie et que ce monde ne vit
donc qu’à échanger avec d’autres et avec le chaosmos).
*
Au total, l’intellectualité musicale de Boulez nous apparaît
comme motivée par un axiome sous-jacent de constructibilité : pour
encourager le compositeur constructiviste à créer, la musique doit être conçue
comme constructible et pour cela incessamment représentée comme langage. Telle
est la tâche pour Boulez de l’intellectualité musicale.
La mise de ce programme à l’épreuve des œuvres musicales
concrètes, cette intension singulière
est alors ce qui configure l’inspect
spécifique de l’intellectualité musicale boulézienne.
« Le dernier volume portera donc sur
l’esthétique et c’est pour cela que le titre du premier chapitre s’appelle “Nécessité d’une orientation esthétique”.
Ensuite, les développements suivront en
ceci : le premier chapitre lui-même sera “Le fondement d’une esthétique” :
comment fonder au fond le projet esthétique pour valider l’existence en
lui-même du projet musical ?
Le
second chapitre porte sur le champ du choix esthétique, c’est-à-dire que je
vais étudier plus précisément dans quelle mesure le choix esthétique peut
s’appliquer à toutes les composantes, à tous les étages de la composition, et
s’appliquer sur tous les phénomènes, et surtout s’appliquer au départ de la
composition et non pas seulement à l’arrivée (ou l’un ou l’autre), c’est-à-dire
qu’il faut que le choix esthétique prenne tous les phénomènes sous sa protection
depuis la morphologie élémentaire jusqu’à la forme globale, et depuis la recherche
sémantique jusqu’au projet poétique.
Ensuite,
je parlerai d’un phénomène très important - je ne parlerai pas du moins, j’ai
écrit -, sur le style et les composantes stylistiques en général qui sont les
rapports de l’individu avec la collectivité à un moment donné, ce qui pose en
plus de cela le rapport d’individu à collectif, porte plus loin sur un phénomène
que j’ai appelé style et tradition, c’est-à-dire ce qui existe a posteriori
dans le style et ce qui existe a priori dans le style.
Ensuite,
le chapitre suivant est le sens de l’œuvre, qui est la signification de l’œuvre
par rapport au compositeur lui-même, c’est-à-dire la compréhension qu’a autrui
de la composition. C’est-à-dire je les décrirai exactement comme face interne
et face externe d’un phénomène unique, ce phénomène unique que Mallarmé déjà
appelait l’Idée.
Ensuite,
il y a la question de la communication. Comme vous le savez, la musique est
irréversible dans le temps, et c’est ce qui fait donc son originalité — en
la joignant au seul théâtre parmi les arts irréversibles dans le temps, et il
faudra parler par conséquent de l’esthétique du concert et de l’esthétique de
l’audition, c’est-à-dire qu’il faudra arriver aux relations du praticien et du
théoricien, c’est-à-dire décrire les relations entre pragmatisme et pensée
pure, entre empirisme et déduction.
Puis
il y aura une justification collective du projet esthétique individuel,
c’est-à-dire les relations de la musique avec les autres modes d’expression et
comment la musique peut s’intégrer en général dans un projet esthétique
généralisé.
Puis
nous arrivons à la fin du cycle, en étudiant la permanence d’une justification
du projet musical et l’ambiguïté profonde de l’œuvre et la relativité de son
existence. C’est-à-dire que l’œuvre a une relativité dans son existence puisqu’après,
les générations qui viennent ont affaire à un choix absolu à l’intérieur d’une
circonstance, ce qui est le début d’une autre génération. C’est-à-dire que cela
nous pose de nouveau le problème de la tradition et de la destruction. »
Éventuellement (1952)
1.
Il serait opportun de demander si les grammairiens, suivant
cette formule rabâchée à la gloire du hasard, viennent après les œuvres de
génie. Sans vouloir remonter au Moyen Âge, il est à supposer que Rameau,
n’est-ce pas… (1952, RA 150)
Le nom de Rameau revient quand il s’agit d’exemplifier
l’intérêt de l’intellectualité musicale…
2.
Jusqu’à quel point une attitude théoriquement conséquente
peut-elle nuire ou aider à l’activité d’un compositeur ? (1952, RA 150)
3.
Ce reproche d’intellectualisme se fonde mal car il part d’une
compréhension erronée — quand elle n’est pas pimentée de mauvaise
foi — du rôle interpénétré de la sensibilité et de l’intelligence dans
toute création. N’oublions pas qu’en musique, l’expression est liée très
intrinsèquement au langage, à la technique même du langage. (1952, RA 181)
Il défend l’intellectualité musicale et de manière pour lui
directement conjointe à la question du langage.
4.
Cette insupportable question du formalisme. Dernier résidu du
romantisme, on conçoit toujours les recherches théoriques comme un cycle fermé,
ne coïncidant pas avec les créations proprement dites. […] Débarrassons-nous de
cette légende désuète. […] Une logique consciemment organisatrice n’est pas
indépendante de l’œuvre, elle contribue à la créer, elle est liée à elle dans
un circuit réversible ; car c’est le besoin de préciser ce que l’on
voudrait arriver à exprimer qui amène l’évolution de la technique ; cette
technique renforce l’imagination qui se projette alors vers l’inaperçu ;
et ainsi, dans un jeu de miroirs perpétuel, se poursuit la
création ; organisation vivante et vécue. (1952, RA 182)
Défense de l’intellectualité musicale dans sa dimension
théorique…
Probabilités critiques du compositeur (1954)
5.
On veut souvent établir une cloison étanche entre théorie
et pratique d’un art ; vieilles séparations de fond et de forme, d’essais
et d’œuvres, qu’une tradition académique tient jalousement à sauvegarder.
Il apparaît néanmoins que la situation d’un créateur est plus complexe que
cette distinction académique ne la voudrait supposer ; une telle ségrégation
de ses diverses activités ne semble guère avouable si l’on songe à toutes les interférences
qui tendent à se manifester sous le simple signe de l’imagination. (1954, PR I 27)
Pas de ségrégation académique entre théorie et pratique,
entre essais et œuvres, mais interférences…
6.
Nous devons tenir compte de ce fait très important : la coïncidence
des deux activités — nommons-les provisoirement : critique et
créatrice — ne peut en aucun cas être gratuite. Que ce phénomène double
de réalisation et de réflexion dépende non seulement de la personnalité des
créateurs, mais aussi de l’époque où ils se situent, rien de moins contestable.
L’on devrait, selon une première approximation, distinguer dans l’évolution
continuelle d’un art, des fluctuations plus ou moins lentes, plus ou moins
violentes : d’une part des périodes d’établissement d’un langage,
d’extension des moyens, périodes somme toute stables où une certaine part
d’automatisme dans la mise en jeu garantit une quiétude primordiale ;
d’autre part des périodes de destruction, de découvertes, avec tout ce que cela
comporte de risques à courir face à des exigences nouvelles, inaccoutumées.
Dans le premier cas, peu d’écrits, à part quelques boursouflures polémiques
dont l’intérêt s’épuise rapidement ; dans le second, au contraire, des
discussions passionnées s’engagent sur les problèmes fondamentaux d’un art qui
vit ses automatisme dégénérés, ses moyens affaiblis, son pouvoir de communication
amoindri. Il suffit de se rappeler les nombreux écrits de Rameau —
et les querelles envenimés qu’ils suscitèrent — pour constater combien
notre époque, quelques récriminations qu’on fasse entendre, n’a pas le monopole
de cette frénésie d’ouvrages ou d’opuscules théoriques. (1954, PR I 27-28)
L’intellectualité musicale comme réflexion, essentiellement
critique mais aussi théorique, associée à la création, à la réalisation compositionnelle.
Noter que Rameau apparaît comme paradigme de cette figure
intellectuelle.
7.
Ainsi le point de vue que l’on s’efforce d’imposer et de
maintenir à propos des artistes-artistes et des artistes-théoriciens
ne se résume-t-il qu’en une béate niaiserie inventée par des impuissants pour
protéger des impuissants. (1954, PR I
32)
Boulez distingue à sa manière les musiciens artisans et les musiciens pensifs…
8.
Cette activité unique — exprimée doublement —
[…] Baudelaire, dans son grand article sur Delacroix, parle de ce
« caractère double des grands artistes, qui les pousse, comme critiques, à
louer et analyser » (1954, PR I
32)
L’activité double du musicien pensif, en premier lieu
critique pour Boulez à cette époque…
9.
Désaccord avec un temps où la « spontanéité »
est, en France tout spécialement, une massue toujours prête à vous
cogner : « produire de la musique comme un pommier produit des
pommes ». Par hasard, cette phrase est de Saint-Saëns. (1954, PR I 33)
L’intellectualité musicale contre le spontanéisme du musicien…
Penser la musique aujourd’hui
(1960…)
10.
« Introspection analytique »,
« réflexion » (PMA, 5)
Deux noms bouléziens possibles pour l’intellectualité musicale…
11.
J’affirme que tous ces divers fétichismes proviennent d’un
manque profond d’intellectualisme. Cet énoncé paraîtra étrange, alors qu’en
général on juge la musique de nos jours hyper-intellectuelle ; je puis, au
contraire, constater, sous de nombreux aspects, une régression mentale
certaine : pour ma part, je ne suis pas près de l’admettre. (PMA, 18)
12.
On se doit de reprendre fortement en main son dispositif
intellectuel. Il faut, à un amas de spéculations, opposer la spéculation.
(PMA, 24) Après les spéculations
partielles nécessaires, il faut obligatoirement déboucher sur la spéculation, générale. (PMA, 26)
Ici, l’intellectualité musicale nommée comme
« spéculation »…
13.
Il me paraît primordial d’expliciter l’absolue nécessité d’une
conscience logiquement organisée. Je tâcherai de me placer sur le plan
le plus rigoureux qu’il me soit possible d’atteindre, effort qui permettra,
j’espère, de mieux « repérer » la pensée musicale actuelle. (PMA, 33)
14.
Disciplinons notre univers mental de telle façon que nous
n’ayons pas devant nous de reniements à affronter, de désillusions à subir, de
déceptions à surmonter. (PMA, 33)
L’intellectualité musicale comme manière de discipliner
l’univers mental du compositeur…
15.
Organisons strictement notre pensée musicale: elle nous
délivrera de la contingence et du transitoire.( PMA, 33)
L’intellectualité musicale comme organisation stricte de la
pensée délivrant du contingent et du transitoire…
16.
Ce sont les méthodes d’investigation et la recherche d’un
système cohérent que je considère indispensables pour fonder toute création. (PMA, 166)
L’intellectualité musicale comme investigation et recherche
d’un système cohérent…
17.
L’intelligence doit participer à l’élaboration. (PMA, 166)
18.
Que notre imagination aiguise notre intelligence et que notre
intelligence assure notre imagination. (PMA,
167)
L’intellectualité musicale complémentaire de l’imagination
compositionnelle…
L’esthétique et les fétiches
(1961)
19.
Le musicien est à la fois un intellectuel et un artisan :
seule, cette double attitude lui permet la cohérence vis-à-vis de ce qu’il désire
exprimer. (1961, PR I 492)
Cela recouvre assez exactement la polarité artisan/pensif,
sauf que Boulez semble tenir que tout musicien le serait…
20.
On arrive aux lois tonales, dont les manifestes sont aussi
bien le Traité de Rameau que le
Clavecin bien tempéré. (1961, PR
I 494)
Remarquer que le manifeste de la tonalité est pour Boulez
tout autant une théorie qu’une œuvre musicale…
Nécessité d’une orientation esthétique (1963)
21.
Les meilleurs textes écrits sur les pouvoirs musicaux le
furent par des poètes […] parce qu’ils savent exprimer avec des mots ce qu’ils
ressentent à l’audition d’une œuvre. (1963, PR I 530) Notre animosité contre les écrivains parlant de musique n’est donc
pas systématique, mais nous défendons notre domaine quand nous le sentons
menacé par des mains inexpertes. (1963, PR I 531)
D’une certaine rivalité de l’intellectualité musicale avec
la littérature pour « parler la musique »…
22.
La musique mérite, me semble-t-il, un champ de la réflexion
qui lui appartienne en propre, et non point de simples aménagements sur des
structures de pensée foncièrement étrangères. (1963, PR I 543)
Nécessité d’une intellectualité musicale qui matérialise
l’autonomie de la pensée musicienne
23.
Il faut délibérément partir en guerre contre ce fait que la
réflexion “intellectuelle” est préjudiciable à l’« Inspiration ». […]
Je pense que l’imagination ne perd rien à prendre, dans certaines
circonstances, conscience d’elle-même. (1963, PR I 551)
L’intellectualité musicale comme conscience de soi du
musicien…
24.
La nouveauté du langage n’a rien changé au mode de penser
antérieur à ce langage. (1949, RA 254)
Le souci du langage en musique est au
principe de tous ses écrits.
Moment de
Jean-Sébastien Bach (1951)
25.
Schoenberg est l’exemple même de la recherche d’un langage.
(1951, RA 16)
26.
Webern n’essaiera jamais — comme l’ont tenté Schoenberg,
décevant, et Berg, prestidigitateur — la synthèse aléatoire du langage
tonal et du principe sériel. (1951, RA 18)
Cf. l’évaluation
critique d’une œuvre se fait au moyen de la catégorie de langage qui l’oriente.
Schoenberg
est mort (1951)
27.
Les éléments du langage ainsi obtenus sont organisés
par une rhétorique préexistante, non sérielle. C’est là que se manifeste
l’INÉVIDENCE provocante d’une œuvre sans unité intrinsèque. (1951, RA 271)
Schoenberg est critiqué au nom de
l’incohérence de son langage…
28.
Tout musicien qui n’a pas ressenti — nous ne disons pas
compris, mais bien ressenti — la nécessité du langage
dodécaphonique est INUTILE. Car toute son œuvre se place en deçà des nécessités
de son époque. (1952, RA 149)
La catégorie de langage est au cœur de cette
fameuse citation.
30. Que
nous reste-t-il, dès lors, à tenter, si ce n’est ramasser le faisceau des
disponibilités élaborées par nos prédécesseurs, en exigeant de soi-même un
minimum de logique constructive ? À une époque de transformation et
d’organisation, où le problème du langage se pose avec une particulière
acuité, et dont, semble-t-il, découlera pour un certain temps la grammaire
musicale, nous assumons nos responsabilités, avec intransigeance. (1952, RA 152)
31. Les
deux plans de recherche — langage proprement dit et rythme —
ne coïncident plus. (1952, RA 151)
32. N’oublions
pas qu’en musique, l’expression est liée très intrinsèquement au langage,
à la technique même du langage. (1952, RA 181)
Penser
la musique aujourd’hui (1960…)
33.
Un langage est un héritage collectif dont il s’agit de
prendre en charge l’évolution. (PMA, 8)
34.
On a sous-estimé le fait que prendre une vue d’ensemble sur
l’évolution du langage et de la pensée était au moins aussi important
qu’entrer dans le détail des diverses découvertes morphologiques ou syntaxiques.
(PMA, 15)
Le langage musical ne se réduit pas à une
morphologie et une syntaxe…
35.
Ainsi que l’affirme le sociologue Lévi-Strauss à propos du langage
proprement dit, je demeure persuadé qu’en musique il n’existe pas d’opposition
entre forme et contenu, qu’il n’y a pas « d’un côté, de l’abstrait, de
l’autre, du concret ». Forme et contenu sont de même nature, justiciables
de la même analyse. « Le contenu, explique Lévi-Strauss [24],
tire sa réalité de sa structure, et ce qu’on appelle forme est la mise en
structure des
structures locales, en quoi consiste le contenu. » Encore faut-il que ces
structures se soumettent aux principes de logique formelle que nous énoncions
plus haut. (PMA, 31)
Claude Lévi-Strauss ne parle pas à cet
endroit du langage ! Il n’y prône pas une linguistique structuraliste. Et
Boulez confond ce « structuralisme » avec la formalisation (la
« logique formelle »)…
L’esthétique et les
fétiches (1961)
36.
La musique est un art non signifiant : d’où
l’importance primordiale des structures proprement linguistiques,
puisque son vocabulaire ne saurait assumer une simple fonction de transmission.
Je n’apprendrai à personne la double fonction du langage, qui permet une
communication directe, quotidienne, aussi bien qu’il sert de base à
l’élaboration intellectuelle, ou, plus spécialement, poétique ; il saute
aux yeux que l’emploi des mots dans un poème diffère foncièrement de
l’utilisation courante du vocabulaire, lors d’une conversation, par exemple. En
musique, au contraire, le mot est la pensée. (1961, PR I 492)
Ici, Boulez énonce sa conception du langage
(seule fois, il me semble).
Nécessité d’une
orientation esthétique (1963)
37.
La croyance du romantisme implique que l’inspiration garantit
automatiquement la qualité du langage. (1963, PR I 532)
Où le souci du langage conduit à des
préoccupations d’ordre esthétique…
38.
Considérer les problèmes du langage comme un phénomène
capital et leur donner priorité sur le sens de la création n’a pas donné de
meilleurs résultats que la hiérarchie contraire. Les deux démarches ont abouti
similairement à une sorte d’épuisement des facultés imaginatives. (1963, PR
I 534)
39.
Pour convaincre, il faut maîtriser le langage. (1963,
PR I 542)
40.
Une période où les pures questions de langage se
posaient avec une urgence toute particulière et devaient décider, d’une façon
décisive, de la direction à venir (1963, PR I 561)
Il reste très frappant que les choix
cruciaux en matière de direction aient été alors réfléchis sous cette
catégorie : comme choix de langage musical…
41. Unifier
[dans Structures] les aspects de la langue. Il ne m’était pas
agréable de devoir trouver un système de hauteurs chez un compositeur, un
principe rythmique chez tel autre, une idée de la forme chez un
troisième : face à cet état de choses, la nécessité la plus urgente me
semblait être l’unité de tous les éléments du langage. (1963,
PR I 564)
L’unification
du langage : souci boulézien majeur.
42. La
première pièce [de Structures I] se
présente plus comme une sorte de « mise entre parenthèses » de la
langue musicale. (1963, PR I 565)
Leçons
de musique (1975…)
43.
Ces bouleversements dans la technique amènent à repenser complètement
le langage musical. […] La musique, loin derrière le langage parlé ou
écrit, reste encore inexplorée. (Leçons 1975, 54)
44.
Je propose d’aborder le complexe : invention, technique et
langage dans la composition musicale. (Leçons 1975, 55)
La question du langage reste, 40 ans après,
au principe de l’intellectualité musicale boulézienne…
45.
Je m’attacherai d’abord à la notion même de langage.
Que signifie ce mot appliqué à la musique ? A-t-il même un sens ? La
communication musicale passe-t-elle, a-t-elle besoin de passer par un langage ?
Ces interrogations doivent être posées, car la notion de langage musical est
de plus en plus mise en doute. (Leçons 1978, 111)
46.
Le langage musical a, dans les siècles passés, existé
vraiment comme un code commun. (Leçons 1978, 112)
La tonalité thématisée comme langage commun…
47.
Cette extrême individualisation du langage […] en
arrive presque à dénier au langage sa vertu essentielle, celle de pouvoir
transmettre, du moins à transmettre en clair, le recours à la cryptographie
étant de plus en plus fréquent. (Leçons 1978, 115)
48.
Imaginez que […] on décide qu’il n’y a point de communication
obligatoire entre langage et matériau, que tout phénomène, par lui-même,
est musique. […] Tout
ce qui arrive et qui appartient à la catégorie des vibrations sonores, que ce
soit un bruit de la vie quotidienne, un bruit de la nature, un son ressortant
aux phénomènes culturels ou à des emplois technologiques, tout phénomène sonore
pourra être employé : il est évident que nous avons affaire désormais à
une négation du langage, en tant que tout cohérent et organique. (Leçons
1978, 116)
Où la catégorie de langage est essentielle à la critique : pour discerner
le musical du non-musical…
49.
Ce qui semble le plus évidemment sujet à controverse, dans
l’accueil illimité des phénomènes bruts ou culturels à l’intérieur du langage
musical actuel, c’est l’absence de relation réelle entre l’objet et le langage.
Dans le premier cas, celui de n’importe quel objet sonore accepté, on coupe
volontairement toute relation de l’évènement à la structure, on refuse la
sélection d’un matériau choisi en fonction de ses possibilités d’insertion
formelle, on nie la contrainte qu’impose le développement musical, et ce que
l’on peut accepter comme accident dans une structure assumée, on en fait le
matériau même de la manipulation. (Leçons 1978, 117-8)
50.
Par hédonisme, nous voulons entendre exactement le rôle non
fonctionnel des morphologies, leur côté exclusivement décoratif. (1949,
RA 248)
Dès le début, la morphologie doit être
intégrée au langage sous le schème de la fonction…
51.
C’est grâce à cette méconnaissance des fonctions sérielles
à proprement parler que Schoenberg a été amené à conserver cette notion de partie
principale et de partie
secondaire et que
Webern se refusera toujours à admettre. (1949, RA 254)
Là encore, l’évaluation du caractère
fonctionnel ou non-fonctionnel est une part centrale de l’activité critique…
Moment de Jean-Sébastien
Bach (1951)
52.
Il faut bien avouer que nous ne trouvons guère chez Schoenberg
une conscience du principe sériel générateur de FONCTIONS sérielles
proprement dites. […] En revanche, chez Webern, l’ÉVIDENCE SONORE est atteinte
par l’engendrement de la structure à partir du matériau. Nous voulons parler du
fait que l’architecture de l’œuvre dérive directement de l’agencement de la
série. Autrement dit, alors que Schoenberg limite le rôle de l’écriture
sérielle au plan sémantique du langage — l’invention d’éléments qui seront
combinés par une rhétorique non sérielle — chez Webern le rôle de cette
écriture est étendu jusqu’au plan de la rhétorique elle-même. (1951, RA 17)
Cf. plus haut : on distingue Webern au
titre de son usage des fonctions…
Noter l’étrange usage ici du mot
« sémantique »…
53.
Le langage tonal de Bach corrode les fonctions modales,
le langage dodécaphonique de Schoenberg est corrodé par les fonctions
tonales. (1951, RA 21)
Dialectique des fonctions et du type de
langage…
54.
La cause essentielle de l’échec réside dans la méconnaissance
profonde des FONCTIONS sérielles proprement dites, engendrées par le
principe même de la série. (1951, RA 270)
Penser la musique
aujourd’hui (1960…)
55. Ne
partons point des « substances et des accidents » de la musique, mais
pensons-la « en termes de relations, de fonctions ». (PMA, 31)
56. Qu’est-ce
que la série ? La série est — de façon très générale —
le germe d’une hiérarchisation fondée sur certaines propriétés
psycho-physiologiques acoustiques, douée d’une plus ou moins grande
sélectivité, en vue d’organiser un ensemble FINI de possibilités créatrices
liées entre elles par des affinités prédominantes par rapport à un caractère
donné ; cet ensemble de possibilités se déduit d’une série initiale par un
engendrement FONCTIONNEL. (PMA, 36)
57. Nous
nous sommes appliqué successivement à la définition de la série, puis à sa
description et à son mode d’emploi ; nous avons étudié, ensuite, à quel
univers sonore la série appliquait ses fonctions ; bref, nous avons
esquissé une morphologie. (PMA, 165-6)
Le
goût et la fonction (1961)
58.
Tous les bouleversements qui sont survenus dans l’histoire
d’un art sont nés d’un changement ou d’un changement de sens des fonctions.
Nous entendons non seulement les fonctions intrinsèques d’un moyen
d’expression, mais aussi bien la fonction de ce moyen d’expression dans
une société donnée. (1961, PR I 514)
L’opérateur fonction est, en matière de langage, double :
intrinsèque (syntaxique) et extrinsèque (sémantique)
59.
Les variations du goût pourront clairement s’établir à partir
des changements fonctionnels que subit la musique dans une société. […] Le goût
du musicien reste tributaire de l’époque où il se situe. Autrement dit, il
n’existe pas de goût absolu, mais des
fonctions qui déterminent le goût. (1961, PR I 514515)
Le nom d’une fonction extrinsèque (donc
d’une sémantique) est goût…
60.
fonction esthétique (1961, PR I 514520)
Finalement l’esthétique est ce qui constitue
des fonctions nouvelles (extrinsèques, sémantiques) qui viennent compléter les
fonctions intrinsèques (syntaxiques) du langage musical : pour concevoir
une sémantique du langage musical (non signifiant), Boulez recourt à
l’esthétique et à ses fonctions propres.
61.
Lorsque nous écrivons une œuvre, nous utilisons un ensemble
cohérent de fonctions morphologiques et syntaxiques. (1961, PR I 514521)
Ces fonctions sont les fonctions
intrinsèques.
62.
S’il y a une fonctionnalité du matériau, il y a
également une fonctionnalité d’éléments supérieurs organisés, qu’ils soient en
rapport directement ou non avec la musique : je veux parler du langage.
Utiliser le langage hors d’une technique élaborée à partir de la sémantique, employer
une gestique en contradiction avec sa fonction, se servir d’un instrument
en ignorant, ou en négligeant, sa spécificité, voilà ce qui me paraît relever
du manque d’exigence dans le choix des moyens. (1961, PR I 514526)
Moment de
Jean-Sébastien Bach (1951)
63. Alors
que Schoenberg limite le rôle de l’écriture sérielle au plan sémantique
du langage — l’invention d’éléments qui seront combinés par une rhétorique non
sérielle — chez Webern le rôle de cette écriture est étendu jusqu’au plan de la
rhétorique elle-même. (1951, RA 17)
Schoenberg
est mort (1951)
64. Les
éléments du langage ainsi obtenus sont organisés par une rhétorique
préexistante, non sérielle. C’est là que se manifeste l’INÉVIDENCE provocante
d’une œuvre sans unité intrinsèque. (1951, RA 271)
Éventuellement
(1952)
65. Nous
devons lier les structures rythmiques aux structures sérielles, par des
organisations communes, incluant également les autres caractéristiques du
son : intensité, mode d’attaque, timbre. Élargir ensuite cette morphologie
à une rhétorique coalescente. (1952, RA 152)
Penser
la musique aujourd’hui (1960…)
66. On a
sous-estimé le fait que prendre une vue d’ensemble sur l’évolution du langage
et de la pensée était au moins aussi important qu’entrer dans le détail des
diverses découvertes morphologiques ou syntaxiques. (PMA, 15)
67. Nous arrivons
au terme de notre investigation sur la technique proprement dite au seuil de la
forme. Nous nous sommes appliqué successivement à la définition de la série,
puis à sa description et à son mode d’emploi ; nous avons étudié, ensuite,
à quel univers sonore la série appliquait ses fonctions ; bref, nous avons
esquissé une morphologie. De là, nous sommes passé à l’ébauche d’une syntaxe,
en étudiant la caractérologie des structures, extrinsèque et intrinsèque.
Cependant il n’est pas inutile de rappeler que le travail de composition
proprement dit commence maintenant, là où l’on croit en général qu’il n’y a
plus que des applications à trouver ; à toutes ces méthodes il faut donner
un sens. (PMA, 165-6)
Un
sens, donc une sémantique…
Forme
(1960)
68.
À cette morphologie correspondra une syntaxe (1960,
PR I 359)
La morphologie renvoie, chez Boulez, à la
syntaxe, guère à la sémantique (à l’expression par exemple)…
Nécessité d’une
orientation esthétique (1963)
69.
L’unification du langage impliquait un renouvellement total
des valeurs « sémantiques ». (1963, PR I 564)
L’unification du langage passe par un
renouvellement de sa sémantique, donc par l’esthétique.
70.
reconstituer à partir de ce néant toutes les qualités de morphologie,
de syntaxe et de rhétorique (1963, PR I 569)
71.
Lorsque nous écrivons une œuvre, nous utilisons un ensemble
cohérent de fonctions morphologiques et syntaxiques. (1961, PR I 514521)
72.
Utiliser le langage hors d’une technique élaborée à partir de
la sémantique, employer une gestique en contradiction avec sa fonction,
se servir d’un instrument en ignorant, ou en négligeant, sa spécificité, voilà
ce qui me paraît relever du manque d’exigence dans le choix des moyens. (1961,
PR I 514526)
Incidences actuelles
de Berg (1948)
73. Si,
pourtant, nous nous sommes permis de critiquer Berg, c’est que… (1948, RA 240)
La
dimension critique est là au tout début des écrits. Elle est la première.
Probabilités
critiques du compositeur (1954)
74.
Bien que l’œuvre critique des créateurs soit d’une importance
moindre comparativement aux chefs d’œuvre qu’ils ont produits, il reste ce
besoin, cette hantise de devoir préciser son domaine, ses recherches. Ce n’est
jamais là que s’exprime l’essentiel d’un auteur ; mais ces aperçus
théoriques, ces analyses, ces explications peuvent se révéler comme un
commentaire nécessaire, une sorte d’incantation qui préside à la genèse de
l’œuvre proprement dite. (1954, PR I 27)
La critique vise à préciser un domaine de
recherche. L’œuvre critique ainsi produite (et relevant de l’intellectualité
musicale) est parallèe aux œuvres musicales composées…
75.
Ainsi se ferait jour une notion de critique constructive,
complémentaire de l’activité créatrice, qui apporterait une contribution
valable et positive au développement d’un langage, d’une poétique.
(1954, PR I 28)
La critique est complémentaire de la
création. Elle s’articule à la question du langage musical.
76.
Nous devons tenir compte de ce fait très important : la
coïncidence des deux activités — nommons-les provisoirement : critique
et créatrice — ne peut en aucun cas être gratuite. (1954, PR I 27-28)
77.
Dans le Salon de 1846, Baudelaire écrit : « je crois sincèrement que la
meilleure critique est celle qui est amusante et poétique ; non pas
celle-ci, froide et algébrique, qui, sous prétexte de tout expliquer, n’a ni
haine ni amour, et se dépouille volontairement de toute espèce de
tempérament ; mais — un tableau étant la nature réfléchie d’un
artiste — celle qui sera ce tableau réfléchi par un esprit intelligent et
sensible. Ainsi le meilleur compte rendu d’un tableau pourra être un sonnet ou
une élégie. » […] « Quant à la critique proprement dite, j’espère que
les philosophes comprendront ce que je vais dire : pour être juste,
c’est-à-dire pour avoir sa raison d’être, la critique doit être partiale,
passionnée, politique, c’est-à-dire faite à un point de vue exclusif, mais à un
point de vue qui ouvre le plus d’horizons. » (1954, PR I 29-30)
La critique est essentiellement critiques
des œuvres. Elle fait le tri.
78.
Il semble possible de procéder à une mise en place de ce que
représente la critique « raisonnable et passionnée ». (1954, PR I 30)
79.
La critique du compositeur est d’abord une critique analytique
d’autrui. […] Le compositeur prend ainsi ses coordonnées, et va également
jauger la mesure de ses exigences. (1954, PR I 30) Il s’efforce de rendre visible à lui-même le
déchet d’une époque. (1954, PR I 30)
80.
L’activité critique d’un créateur […] est indispensable à sa
propre création. Elle est, en somme, un « journal de bord », écrit ou
non. (1954, PR I 31-32)
Le travail critique
est essentiel au compositeur pensif.
Penser
la musique aujourd’hui (1960…)
81.
La critique doit être passionnée pour être exacte. (PMA, 7)
La critique est subjective, ou elle n’est
pas.
82.
« Il est impossible qu’un poète ne contienne pas un critique »
(Baudelaire). (PMA, 167)
Nécessité d’une
orientation esthétique (1963)
83.
Nos prédécesseurs nous avaient laissé l’histoire de la musique
à un point donné de son développement ; vouloir composer, après eux,
signifiait : porter un jugement critique sur leur position et prendre une décision personnelle
en fonction de cette analyse de la situation, considérée au point où ils
avaient abouti. (1963, PR I 535)
La critique, opération essentielle du
jugement du compositeur, pour savoir aussi l’héritage qu’il assume…
84.
l’œuvre importante (Leçons 1978, 78)
Cf. une tâche centrale du jugement critique
est de distinguer l’œuvre importante parmi la cohorte des pièces…
85.
Qu’est-ce qui est musical, qu’est-ce qui ne l’est
pas ? Comment peut-on décider en soi d’un critère pour départager ce qui serait musical
et ce qui ne le serait pas ? Pourtant, c’est la critique la plus
spontanée qui vient aux lèvres du professionnel comme du non-professionnel. (Leçons
1978, 129)
L’enjeu central de la critique :
discerner le musical du non-musical…
86.
Le jugement sur une œuvre impliquera toujours en filigrane
un jugement de valeur sur quelque chose qui n’est pas une valeur. Ce n’est pas
le moindre paradoxe de toute appréciation sur l’œuvre musicale ou sur l’a-musique.
(Leçons 1978, 138)
Critiquer, c’est évaluer une œuvre. D’où la
question des valeurs ici en jeu…
Probabilités
critiques du compositeur (1954)
87.
Il y a une qualité transcendante de la critique qui s’appuie
sur la technique et l’analyse proprement dite. (1954, PR I 31)
L’analyse est une opération essentielle de
la critique…
88.
L’analyse non créatrice mutile. (Leçons 1978, 74)
89.
L’analyse productive est probablement, dans le cas le plus
désinvolte, l’analyse fausse. (Leçons 1978, 75)
90.
L’analyse n’est pas forcément cette approche globale, cette
saisie totale et absolue qu’elle se donne souvent comme but. L’analyse peut
être courte, fulgurante, intuitive. Elle n’a pas besoin de porter sur
l’ensemble d’une œuvre pour être déterminante. Elle peut s’accrocher
immédiatement à un détail apparemment secondaire ; elle est parfois le
fait d’une rencontre inspirée, surprenante. (Leçons 1978, 75)
91.
une approche partielle de l’œuvre, une saisie partiale (Leçons
1978, 77)
92.
L’analyse tendancieuse du Sacre du printemps par Messiaen, à celle du Quatuor à cordes de Webern par Stockhausen, ou à l’analyse de mes Structures
pour deux pianos par Ligeti.
(Leçons 1978, 85)
L’analyse relevant de l’intellectualité
musicale doit être créatrice. Pour cela elle n’est pas musicologique mais
subjective, partielle et partiale…
93. Jusqu’à
quel point une attitude théoriquement conséquente peut-elle nuire ou
aider à l’activité d’un compositeur ? (1952, RA 150)
94. Après
cet essai de théorie […] nous conclurons. L’inattendu, encore : il
n’y a de création que de l’imprévisible devenant nécessité. (1952, RA 174)
Cf. ce texte est le
premier de dimensions théorique (en l’occurrence la théorie du sérialisme
généralisé)
95. Cette
insupportable question du formalisme. Dernier résidu du romantisme, on conçoit
toujours les recherches théoriques comme un cycle fermé, ne coïncidant
pas avec les créations proprement dites. […] Débarrassons-nous de cette légende
désuète. […] Une logique consciemment organisatrice n’est pas indépendante de
l’œuvre, elle contribue à la créer, elle est liée à elle dans un circuit
réversible. (1952, RA 182)
Penser la musique aujourd’hui (1960…)
96.
Les spéculations doivent s’intégrer dans un ensemble
systématisé pour tendre à la généralité, but essentiel de la spéculation. Ce système
cohérent, il est impérieux, maintenant, de le promouvoir. On n’est pas allé
au bout de la spéculation partielle, d’où certaines contradictions qu’il faut
maintenant surmonter pour valider totalement, sans faille, la réflexion
musicale contemporaine. (PMA, 27)
La réflexion doit théoriser c’est-à-dire bâtir un système
cohérent. L’intellectualité musicale doit systématiser…
97.
Le mot « logique » […] m’invite à faire des
comparaisons. Lorsqu’on étudie, sur les nouvelles structures (de la pensée logique,
des mathématiques, de la théorie physique…) la pensée des mathématiciens ou des
physiciens de notre époque, on mesure, assurément, quel immense chemin les
musiciens doivent encore parcourir avant d’arriver à la cohésion d’une synthèse
générale. Nos méthodes empiriques ne favorisent d’ailleurs point une voie
collective menant à cette synthèse. Il faut donc, en ce qui concerne le domaine
musical, réviser sévèrement certaines positions, et reprendre les problèmes à
leur base pour en déduire les conséquences nécessaires.. (PMA, 31)
1. Théoriser (c’est-à-dire bâtir « un système
cohérent », arriver à la « cohésion d’une synthèse générale »)
suppose une méthode pour cela, une méthode pour théoriser, des « procédés
de raisonnement », bref une logique.
2. Détermination négative : cette logique ne
saurait être empirique. Les musiciens ont donc du retard par rapport au mode de
penser scientifique. Implicitement il y a aussi l’idée de quitter la logique
inductive (implicitement prônée page 14 !) pour adopter une logique déductive
(voir Pasch).
3. Déterminations positives (axiomatique et
formalisation) suivent…
98.
J’ai tenté de construire un système cohérent. (PMA, 166)
La dimension théorique de l’intellectualité musicale établit
un système cohérent.
99.
Depuis le début du XX° siècle les compositeurs ont découvert
beaucoup de territoires inconnus, se sont débarrassés de pratiquement toutes
les anciennes contraintes. Cependant, la théorie de la musique n’a pas suivi cette
progression. (Leçons 1975, 51)
Penser la musique aujourd’hui
(1960…)
100.
Qu’est-ce que la série ? La série est — de façon très générale — le germe d’une
hiérarchisation fondée sur certaines propriétés psycho-physiologiques acoustiques,
douée d’une plus ou moins grande sélectivité, en vue d’organiser un ensemble
FINI de possibilités créatrices liées entre elles par des affinités
prédominantes par rapport à un caractère donné ; cet ensemble de
possibilités se déduit d’une série initiale par un engendrement FONCTIONNEL. (PMA, 36)
101.
Il suffit, pour instaurer cette hiérarchie, d’une condition
nécessaire et suffisante qui assure cohésion du tout et relations nécessaires
entre ses parties consécutives. Cette condition est nécessaire, car l’ensemble
des possibilités est fini, dans le temps
même où il observe une hiérarchisation dirigée ; elle est suffisante
puisqu’elle exclut toutes les autres
possibilités. (PMA, 36)
102.
Le reproche le plus grave que l’on puisse faire à Pierrot
lunaire est un
manque de cohérence profonde et de relation « utérine » entre le
langage et l’architecture. (1949, RA 253)
Où pointe déjà la question de la forme (ici
« l’architecture ») comme devant être articulée au langage…
Penser la musique
aujourd’hui (1960…)
103.
Nous arrivons au terme de notre investigation sur la
technique proprement dite au seuil de la forme. Nous nous sommes
appliqué successivement à la définition de la série, puis à sa description et à
son mode d’emploi ; nous avons étudié, ensuite, à quel univers sonore la
série appliquait ses fonctions ; bref, nous avons esquissé une
morphologie. De là, nous sommes passé à l’ébauche d’une syntaxe, en étudiant la
caractérologie des structures, extrinsèque et intrinsèque. Cependant il n’est
pas inutile de rappeler que le travail de composition proprement dit
commence maintenant, là où l’on croit en général qu’il n’y a plus que des
applications à trouver ; à toutes ces méthodes il faut donner un sens. (PMA, 165-6)
Le langage musical ne saurait se cantonner à
une morphologie et une syntaxe : il y a faut un sens, donc une sémantique…
La question de la forme est liée à celle du
sens, donc à la sémantique…
104.
C’est pourquoi, avant d’aborder la forme, nos avons
tenté d’opérer une synthèse de la technique actuelle. (PMA, 167)
Lien donc entre le sens (la sémantique) et
la question de la forme.
105.
Dans une phrase que j’ai citée ailleurs [25],
Lévi-Strauss écrit : « Forme et contenu sont de même nature,
justiciables de la même analyse. Le contenu tire sa réalité de sa structure et
ce qu’on appelle forme est la “mise en structure” de structures locales,
en quoi consiste le contenu. » (1960, PR I 359)
Glissement de sens entre forme-formel
(faisant couple avec le contenu), forme-formalisé (faisant couple avec
l’interprétation sémantique) et Forme-globalité (faisant couple avec le local).
106.
Chaque œuvre a dû engendrer elle-même sa propre forme
liée inéluctablement et irréversiblement à son « contenu ». Parler de
la forme en général est donc devenu très difficile car on ne peut guère détacher
cette étude de l’étude des aspects particuliers qu’elle revêt dans chaque
œuvre ; tout au plus peut-on dégager quelques principes organisateurs généraux.
(1960, PR I 360)
107.
la grande structure générale, ou forme. (1960, PR I 362)
Sa définition de la Forme musicale…
108.
Les formants […] permettent à une forme de s’articuler.
(1960, PR I 362)
109.
Autrefois, la perception d’une forme se fondait sur la
mémoire directe et sur son « angle d’audition » a priori. Maintenant,
la perception se fonde sur une para-mémoire, si je puis dire, et sur son angle
d’audition a posteriori. (1960, PR I 362)
110.
Pour engendrer une grande forme — quelle qu’elle
soit — je n’ai besoin d’aucun accident extérieur à elle, dont elle ne
serait pas, même lointainement, responsable. Je trouve l’accident au bout d’une déduction logique et cohérente ;
je ne pars pas de l’accident pour l’organiser suivant des syllogismes
apparemment justes, mais fondamentalement sans rapport avec lui. (1960,
PR I 364)
111.
J’ai essayé de définir la forme comme un ensemble
conceptuel et non point comme un geste. […] La forme ne peut être que vécue
pour être pensée. (1960, PR I 366)
112. Une logique
consciemment organisatrice n’est pas indépendante de l’œuvre, elle contribue à
la créer, elle est liée à elle dans un circuit réversible. (1952, RA 182)
Penser
la musique aujourd’hui (1960…)
113.
« Il faut chercher la discipline dans la liberté »
(Debussy) (PMA, 8)
J’affirme, en retour, qu’on ne peut trouver la liberté que par la discipline. (PMA, 9)
La logique comme exigence de discipline…
114.
Calcul et pensée ne se laissent pas réduire à une même opération
(PMA, 13)
La dialectique de la raison et du calcul, au
cœur de la formalisation (Roger Martin…)
115. Nous allons
définir ce que nous estimons comme les constituants indispensables d’une
méthode analytique active : l’on se doit de partir d’une observation aussi
minutieuse et aussi exacte que possible des faits musicaux qui nous sont
proposés ; il s’agit ensuite de trouver un schéma, une loi d’organisation
interne qui rende compte, avec le maximum de cohérence, de ces faits ;
vient, enfin, l’interprétation des lois de composition déduites de cette
application particulière. (PMA, 14)
Logique inductive…
Éventuellement (1952)
116.
Cette insupportable question du formalisme. Dernier
résidu du romantisme, on conçoit toujours les recherches théoriques comme un
cycle fermé, ne coïncidant pas avec les créations proprement dites. (1952, RA 182)
Exemple de l’embarras boulézien sur le statut
du formel…
Penser la musique aujourd’hui (1960…)
117.
Le mot « logique » […] m’invite à faire des
comparaisons. Lorsqu’on étudie, sur les nouvelles structures (de la pensée logique,
des mathématiques, de la théorie physique…) la pensée des mathématiciens ou des
physiciens de notre époque, on mesure, assurément, quel immense chemin les
musiciens doivent encore parcourir avant d’arriver à la cohésion d’une synthèse
générale. Nos méthodes empiriques ne favorisent d’ailleurs point une
voie collective menant à cette synthèse. Il faut donc, en ce qui concerne le
domaine musical, réviser sévèrement certaines positions, et reprendre les
problèmes à leur base pour en déduire les conséquences nécessaires. […] Je ne
pourrais mieux faire que citer à ce propos ces phrases de Louis Rougier sur la méthode axiomatique,
elles peuvent servir d’épigraphe à notre série d’études : « La
méthode axiomatique permet de construire des théories purement formelles
qui sont des réseaux de relations, des barèmes de déductions toutes faites. Dès
lors, une même forme peut s’appliquer à diverses matières, à des
ensembles d’objets de nature différente, à la seule condition que ces objets
respectent entre eux les mêmes relations que celles énoncées entre les symboles
non définis de la théorie. » Il me semble qu’un tel énoncé est fondamental
pour la pensée musicale actuelle ; notons particulièrement la première
incidente. Ainsi se trouve posée la question fondamentale : fonder
des systèmes musicaux sur des critères exclusivement musicaux — et non
passer, par exemple, de symboles numériques, graphiques ou
psycho-physiologiques à une codification musicale (sorte de transcription)
sans qu’il y ait de l’une aux autres la moindre notion commune. Le
géomètre Pasch
écrit par exemple : « Si la géométrie veut devenir une science déductive,
il faut que ses procédés de raisonnement soient indépendants de la
signification des notions géométriques, comme ils sont indépendants des
figures ; seules les relations imposées à ces notions par les postulats et
les définitions doivent intervenir dans la déduction ». — Il importe de choisir un certain nombre de
notions primitives en relation directe avec le phénomène sonore — et avec lui
seul —, d’énoncer ensuite, des postulats « qui doivent
apparaître comme de simples relations logiques entre ces notions, et cela indépendamment
de la signification qu’on leur attribue ». — […] « Ainsi, poursuit-il [Rougier], un raisonnement
doit toujours être indépendant des objets sur lesquels on raisonne ». Le péril est clairement énoncé, qui nous
menace : en se fondant presque uniquement sur le « sens
concret, empirique ou intuitif des notions choisies comme premières », on est entraîné à des erreurs de conception
fondamentales. […] Il était utile, avant de commencer en détail l’étude de la
pensée musicale actuelle, de rappeler quels principes logiques on doit respecter.
[…] Le mot-clé de structure nous invite à une conclusion — toujours d’après Rougier — qui peut aussi bien s’appliquer à la
musique : « Ce que nous pouvons connaître du monde, c’est sa
structure, non son essence. Nous le pensons en termes de relations, de
fonctions, non de substances et d’accidents. » Ainsi devrions-nous faire : ne partons
point des « substances et des accidents » de la musique, mais
pensons-la « en termes de relations, de fonctions ». (PMA, 27-31)
Reprenons.
1. Théoriser (c’est-à-dire bâtir
« un système cohérent », arriver à la « cohésion d’une synthèse
générale ») suppose une méthode pour cela, une méthode pour théoriser, des
« procédés de raisonnement », bref une logique (« des principes
logiques à respecter »).
2. Détermination négative : cette
logique ne saurait être empirique, « intuitive » (Rougier). Les
musiciens ont donc du retard par rapport au mode de penser scientifique.
Implicitement il y a aussi l’idée de quitter la logique inductive (implicitement
prônée page 14 !) pour adopter une logique déductive (voir Pasch page 29).
3. Double détermination positive :
axiomatique et formalisation (« théories purement formelles »).
4. Noter incidemment
— le jeu alors du formel (« une
même forme »), source de confusion entre formalisation et formalisme
(celui à quoi le structuralisme de Claude Lévi-Strauss dit s’opposer) ;
— les idées (contraires au principe
même de la formalisation) qu’il s’agirait par là de « fonder » un
système musical, et ce « sur des critères exclusivement musicaux » :
la formalisation n’est pas une fondation (et ne saurait l’être) ; de plus,
elle est précisément la construction d’une rationalité extrinsèque par dérivation…
La sémantique d’un système formel est bien une codification-transcription sans « notion commune » !
— le jeu sur le mot
« structure » (source de confusion avec le structuralisme
lévi-straussien).
Penser la musique aujourd’hui
(1960…)
118.
Quand nous avons commencé de généraliser la série, nous nous
sommes jetés à corps perdu dans les chiffres ; la théorie des permutations
que la musique sérielle utilise n’est pas une matière scientifique très
complexe ; nos calculs et systèmes se résument à de bien modestes
spéculations — leur ambition est limitée à un objet précis. (PMA, 22)
119.
On aurait pu appeler la démarche d’alors un transfert sur les
nombres. La réaction fut alors de ne plus demander aux nombres que ce qu’ils
peuvent nous donner — c’est-à-dire pas grand-chose. (PMA, 23)
S’inspirer de la
mathématique pour sa logique (ses méthodes) mais pas pour son ontologie (ses
« objets » : nombres & figures…)
L’esthétique et
les fétiches (1961)
121.
De nos jours, par le principe sériel, on acquiert la capacité
de créer des structures sonores en constante évolution, tout en renonçant à
cette faculté de généralisation immédiate, caractéristiques des fonctions
tonales. Notons, entre parenthèses, que, dans le domaine scientifique, la
pensée a évolué d’une façon identique : les écrits des savants
contemporains témoignent de conceptions radicalement différentes de celles de
leurs devanciers en ce qui concerne les « lois de la nature », par
exemple, et même sur des sujets aussi « abstraits » que les mathématiques
pures. Il nous faut donc assumer nos responsabilités en pleine connaissance de
cause : nous sommes les maillons d’une évolution qui se prolongera à
travers nous. (1961, PR I 498)
Transformer la conception musicienne de la Nature et des
lois « naturelles » à l’école de la pensée scientifique…
122.
La théorie musicale varie directement en relation avec la
science acoustique, et les hypothèses, dans ce domaine, ont largement évolué
entre le XVIII° et le XX° siècle. (1961, PR I 503)
Nécessité d’une orientation esthétique (1963)
123.
À supposer une parfaite rectitude dans l’emploi des concepts
et des termes, il n’y a que stérile plagiat d’une démarche à l’autre ; on
affaiblit la pensée scientifique et l’on n’enrichit pas la pensée musicale. […]
Tous ces parallélismes avec la pensée scientifique demeurent désespérément
superficiels, et s’avèrent inutilisables parce que ne relevant pas de la pensée
musicale. (1963, PR I 540-1)
Distance prise avec le « modèle »
mathématico-scientifique : on est en 1963 (retour à l’esthétique…)
124.
La collaboration entre scientifiques et musiciens […] est une
nécessité qui, vue de l’extérieur, n’apparaît pas inéluctable. […] Ne
comprenant pas exactement ce que les musiciens réclament d’eux, ne voyant pas
quel serait le possible terrain d’efforts communs, bien des scientifiques se
récusent à l’avance, ne considérant que l’absurde de la situation : en
somme, un mage étant réduit à quémander les services d’un plombier ! Si,
de surcroît, le mage estime que lui suffisent les services du plombier, la
confusion est totale. […] La rencontre du parapluie et de la machine à coudre
ne saurait à elle seule créer l’évènement, il y faut la table de dissection. (Leçons
1976, 62)
Collaboration nécessaire et délicate : on est à
l’époque de l’Ircam…
125.
La conception du mètre régulier de base — entraînant la
périodicité des pieds ou même leur unicité — en tant que plus grand commun
dénominateur du rythme, doit laisser la place, vu la plus grande complexité
de l’écriture, à cette notion féconde du plus petit commun multiple,
généralisation rationnelle des découvertes de Stravinsky. (1949, RA 256)
Notions arithmétiques d’école primaire (Boulez dixit – Ens, mars 2005)
126.
Les schémas formels d’aujourd’hui n’étant plus préconçus, mais
se forgeant au fur et à mesure dans une sorte de temps tressé, on ne peut avoir
conscience de la forme qu’une fois celle-ci décrite ; tant que l’exécution
dure, on passe au travers de l’œuvre, suivant une sorte de fibrage (pouvant se
rapprocher de l’espace fibré de la théorie des ensembles). (1960, PR
I 363)
Difficile d’imaginer que Boulez maîtrise ce dont il s’agit…
L’esthétique et les fétiches
(1961)
127.
La partition est un diagramme qu’il est impérieux de
réaliser. (1961, PR I 493)
128.
J’ai horreur de traiter verbalement ce qu’on nomme avec complaisance
le problème esthétique. Aussi ne prolongerai-je pas davantage cet article ;
je préfère retourner à mon papier réglé. (1948, RA 74)
Refus initial de l’esthétique, qu’il rappellera
rétroactivement en 1963…
Penser la musique aujourd’hui
(1960…)
129.
Les musiciens ont toujours eu, dans leur province, quelque
retard sur les révolutions d’autrui. (PMA,
21)
L’esthétique comme rapport au « contemporain » de
la pensée…
130.
Le goût peut être envisagé comme simple catégorie esthétique.
(1961, PR I 514518)
L’esthétique a ses catégories propres tel le goût…
Nécessité d’une orientation
esthétique (1963)
131.
Qui, dans notre génération, n’a pas suspecté des pires tares
les mots : esthétique et poétique ? […] Qu’est-ce qui pouvait nous
avoir sensibilisés à ce point dans la défiance, quelle cause pouvait nous amener
à rejeter toute spéculation esthétique comme dangereuse et vaine, et, par le
fait, à nous restreindre (non moins dangereusement) au seul projet : la
technique, le « faire » ? […] Était-ce embarras à s’exprimer sur
un terrain aussi fuyant, alors que la technique du langage nous semblait
davantage appropriée à notre capacité de formuler ? (1963, PR I 529)
La nécessité d’une esthétique est maintenant posée, et en
articulation aux problèmes du langage, déjà traités s d’un point de vue à la
fois critique et théorique…
132.
Réfléchir sur le bien-fondé de tout projet esthétique, et
cela, comme malgré nous, et de manière négative… (1963, PR I 531)
Il en arrive à cette nécessité contre son gré : il ne
peut plus en faire l’économie…
133.
Que ce soit le langage proprement dit — découvertes
morphologiques, recherches syntaxiques, explorations formelles — ou le
projet esthétique — de la recherche musicale pure à la jonction avec
d’autres moyens d’expression —, tout sera soumis à une investigation
radicale. (1963, PR I 557)
L’esthétique pointe son nez quand le langage musical
s’occupe de sa jonction avec « d’autres moyens d’expression », avec
l’extérieur de la musique donc…
134.
Chaque œuvre crée sa forme. […] Ainsi nous étions ramenés à
vérifier les concepts esthétiques sur la forme, l’expression, à repenser
la signification du problème musical en soi. (1963, PR I 571)
La nécessité de l’esthétique s’attache aussi aux concepts de
forme et d’expression qui ne peuvent se théoriser dans le seul champ de la musique…
135.
Le but de notre recherche était : comment fonder son
projet esthétique. […] J’ai insisté sur l’omniprésence du projet
esthétique. […] Le projet esthétique est seul capable d’unifier le langage,
ainsi que le doute avait été l’unique moyen d’arriver à une synthèse originale.
(1963, PR I 579)
L’esthétique comme projet, dont la cible propre est
l’unification du langage (ce que la théorie ne saurait faire).
136.
Il n’est pas juste de laisser la musique improviser son
évolution, loin derrière les autres moyens d’expression ; il faut lui
donner la chance de s’intégrer aussi totalement que possible dans la conscience
actuelle, dans l’effort global d’aujourd’hui. (Leçons 1975, 55)
L’esthétique comme intégration de la musique dans le concert
des autres pensées…
137.
les harmoniques d’une époque (1954, RA 187)
Le thème de l’époque est musicalement métaphorisé.
Probabilités critiques du
compositeur (1954)
138.
Que ce phénomène double de réalisation et de réflexion dépende
non seulement de la personnalité des créateurs, mais aussi de l’époque
où ils se situent, rien de moins contestable. (1954, PR I 27-28)
139.
Proposons donc, face à notre époque, une création liée
d’indissoluble manière à une critique constructive. (1954, PR I 33)
Construire implique de savoir se tenir face à son époque…
L’esthétique et les fétiches
(1961)
140.
Nous faisons partie d’une génération qui ne parle pas volontiers
sur les problèmes esthétiques. (1961, PR I 491)
141.
Les variations du goût pourront clairement s’établir à partir
des changements fonctionnels que subit la musique dans une société. […]
Le goût du musicien reste tributaire de l’époque où il se situe. Autrement
dit, il n’existe pas de goût absolu,
mais des fonctions qui déterminent le goût. (1961, PR I 514-515)
Le goût, catégorie esthétique car reliant la musique à
l’époque. L’esthétique vient relever l’idée de fonction, non plus les fonctions
intrinsèques à la musique mais ses fonctions extrinsèques. Où l’idée de
fonction va tenir lieu de sémantique…
142.
Ce qui a touché de plus près à l’époque est souvent ce
que nous goûtons le moins aujourd’hui. (1961, PR I 517)
Nécessité d’une orientation
esthétique (1963)
143.
Nous sommes ramenés, avec une force irrépressible, aux déterminations
esthétiques aboutissant à l’emploi d’un réseau technique donné. Que l’on
ne dise pas : simple question d’individu ! La collectivité n’agit pas
autrement, dans ses choix comme dans ses refus. Chaque époque possède
ses propres résonances harmoniques collectives. (1963, PR I 540)
À nouveau la logique esthétique quant à l’époque est
métaphorisée musicalement …
144.
Le compositeur dépend de l’époque qui le conditionne. (1963,
PR I 547)
145.
Je crois que ma propre démarche et le reflet d’une génération,
et qu’elle n’est pas mon fait particulier. (1963, PR I 561)
Le musicien appartient à son époque par la médiation de sa
génération…
146.
Il est impossible de ne pas constater que les exigences de la
musique actuelle vont de pair avec certains courants de la mathématique ou
de la philosophie contemporaines. […] Il semble que l’on puisse, sans crainte
de gratuité, songer à la théorie des ensembles, à la relativité, à la théorie
“quantique”, dès que l’on prend contact avec un univers sonore défini par le
principe sériel ; les recours à la Gestalttheorie, à la phénoménologie ne nous paraissent pas non plus
dépourvus de sens, bien au contraire. Nous ne nous faisons pas d’illusion sur
la réalité des correspondances que l’on pourrait établit, presque trop
facilement, entre musique, mathématiques et philosophie ; nous sommes
plutôt prêt à constater que ces trois activités observent une similitude dans
l’extension de leur domaine. Quant au rapprochement entre les “arts”, autrement
dit musique et poésie, musique et peinture, la faillite de l’art total, du Gesammtkunstwerk, avait rendu tout le monde très circonspect. (1954,
RA 185-6)
« Correspondances musique,
mathématiques et philosophie » comme il y a des correspondances baudelairiennes
entre les arts…
Nécessité d’une
orientation esthétique (1963)
147.
Si l’on peut constater un abus du langage scientifique,
on connaît également de nombreuses caricatures du langage philosophique ;
dans les deux cas, on n’éprouve guère de satisfaction, car le ridicule de
l’incompétence montre le bout de l’oreille avec insistance. La manie mathématique,
ou appelée telle, disons plutôt para-scientifique (1963, PR I 540)
148.
J’ai mis en garde contre les obsessions du nombre, le
fétichisme de la comptabilité, les périls du catalogue prenant la place de
l’imagination. J’ai relevé également les dangers d’une certaine
« philosophie » tenant lieu d’expérience réellement musicale, ou les
risques encours à vouloir laisser l’esthétique résoudre les problèmes de
langage. (572) Je ne « crois » plus aux nombres, […] je garde une
irrépressible méfiance vis-à-vis de positions philosophiques se réclamant
précisément d’un état originel de vide. (1963, PR I 573)
–––––––––––
[1] C’est
essentiellement celle de notre volume Regards sur autrui.
[2] Voir notre
volume Leçons de musique.
[3] Il part du travail rythmique de Stravinsky pour dégager le sien : Sonatine, Deuxième sonate pour piano, Visage nuptial, Symphonie.
[4] Voir l’entretien du 5 mars 2005 à l’Ens
[5] Hypothèse envisageable : le livre est de vulgarisation (sans démonstration ni écriture mathématique). Poincaré y distingue espace géométrique et espace représentatif, et, à propos de ce dernier, espace visuel, espace tactile et espace moteur. Peut-être que l’espace sonore (figurant en couverture de Penser la musique aujourd’hui) a pu être inspiré par ces considérations très simples de Poincaré…
[6] Voir par exemple Roger Martin, p. 53 et 193
[7] op.cit. p. 171…
[8] op. cit. p. 46
[9] Voir usage du mot comme adjectif…
[10] Attention aux sens très disparates du mot…
[11] Je laisse bien sûr ici à l’écart les simples qualifications polémiques par des adjectifs (« viril »…).
[12] Noter le titre : la musique étend son « pays fertile » en musicalisant de nouveaux territoires sonores fournis par l’époque, ici par l’électroacoustique.
[13] Le constructivisme de l’intellectualité musicale boulézienne ne se réduit bien sûr pas à ce symptôme de la construction ascendante des ensembles : elle s’arrime plus essentiellement à sa thématisation de l’écoute musicale comme perception…
[14] Musikdenken heute 1 (Schott, 1963), Musikdenken heute 2 (Schott, 1985)
[15] Penser la musique aujourd’hui, 36
[16] Penser la musique aujourd’hui, 19
[17] Logique contemporaine et formalisation (Paris, P.U.F, 1964)
[18] Nattiez : « Déduction – c’est peut-être le mot qui revient le plus souvent dans Jalons »
[19] p. 58
[20] Dans l’article, Claude Lévi-Strauss précise à plusieurs reprises sa position d’ethnologue… Boulez n’aurait-il pas lu l’article mais aurait-il repris la citation de Claude Lévi-Strauss de quelque autre lecture (comme pour Pasch, prélevé en fait chez Rougier ?)
[21] Le thématisme conjoint en effet forme donnée aux objets (aux « thèmes », aux mots donc) et au discours (au « développement et déduction thématique », aux phrases donc) et sens musical (orienté vers la perception)…
[22] Penser la musique aujourd’hui, p. 36 (voir la citation n°100 du florilège)
[23] Transcription par Nancy Mentelin
[24] Anthropologie
structurale deux2 (p. 158) : L’analyse
morphologique des contes russes (mars
1960) [voir
le travail de Vladimir Propp] :
« On nous permettra d’insister sur ce point, qui
résume toute la différence entre formalisme et structuralisme. Pour le premier,
les deux domaines doivent être absolument séparés, car la forme seule est
intelligible, et le contenu n’est qu’un résidu dépourvu de valeurs signifiante.
Pour le structuralisme, cette opposition n’existe pas : il n’y a pas d’un
côté de l’abstrait, de l’autre du concret. Forme et contenu sont de même
nature, justiciables de la même analyse. Le contenu tire sa réalité de sa structure,
et ce qu’on appelle forme est la “mise en structure” des structures locales, en quoi consiste le
contenu. » sont de même nature, justiciables de la même
analyse. Le contenu tire sa réalité de sa structure et ce qu’on
appelle forme est la “mise en structure” de structures locales, en quoi
consiste le contenu. »
C’est ici Propp qui est registré au formalisme.
[25] Penser la musique aujourd’hui, page 31