Comment Aristoxne de Tarente se rapporte ˆ la philosophie dÕAristote

(Ens, 19 octobre 2004)

 

Franois Nicolas

 

RŽsumŽ

Enjeux

On prŽsentera dÕabord les enjeux de cette seconde annŽe : constituer moins une thŽorie de lÕintellectualitŽ musicale (comme il y eut lÕannŽe dernire une thŽorie de lՎcoute musicale) quÕune comprŽhension des diffŽrentes voies de lÕintellectualitŽ musicale.

On partira pour ce faire dÕune premire caractŽrisation de lÕintellectualitŽ musicale comme projection de la pensŽe musicale dans la langue du musicien, projection nŽcessairement associŽe ˆ une clarification proprement musicienne de ce quÕest le monde de la musique — on distinguera ˆ cet effet lÕintellectualitŽ musicale de la musicologie et de la thŽorie musicale — pour prŽsenter le double rapport quÕon privilŽgiera cette annŽe : celui de lÕintellectualitŽ musicale aux Ïuvres musicales (second semestre) et celui de lÕintellectualitŽ musicale ˆ la philosophie (premier semestre).

On justifiera cette proposition en dŽployant une premire vision gŽnŽalogique des diffŽrentes intellectualitŽs musicales quÕon examinera cette annŽe.

 

Le Ç moment grec È

On attaquera ensuite notre parcours annuel par lÕexamen du moment nouant, dans la Grce des VI¡-V¡ sicles, thŽorie musicale, mathŽmatiques et philosophie.

Ë ce titre, on sÕattardera un instant, texte ˆ lÕappui (fragment VIII du Pome de ParmŽnide), sur la plus ancienne dŽmonstration par lÕabsurde de lÕhistoireÉ

 

Aristoxne

Ceci permettra de contextualiser la nouveautŽ apportŽe par Aristoxne de Tarente (IV¡ sicle) — dŽploiement pour la premire fois dÕune thŽorie proprement musicienne (et non plus mathŽmatique, physique ou philosophique) de la musique, thŽorie qui ˆ proprement parler nÕest pas caractŽrisable comme intellectualitŽ musicale mais plut™t comme constitution dÕune de ses conditions de possibilitŽÉ — et de mieux comprendre le r™le que joue en cette affaire lÕappui explicite pris par Aristoxne dans la philosophie dÕAristote.

Aprs examen dÕextraits de son TraitŽ dÕharmonique, on proposera de caractŽriser cet appui selon trois axes :

transfert-mutation de concepts philosophiques en catŽgories musicales ;

conditionnement par la philosophie en vue de dŽgager une nouvelle Ç mŽthode È, cÕest-ˆ-dire une logique proprement discursive (nŽcessaire ˆ qui prŽtend Žtablir un nouveau rŽgime de discours sur la musique : Ç thŽoriser la musique È implique de clarifier ce que Ç thŽoriser È veut direÉ) ;

— adossement ˆ la manire dont la philosophie ressaisit les notions scientifiques de son temps en sorte ˆ la fois de prŽserver un espace de pertinence de ces notions dans le champ proprement musical et dՎmanciper ce dernier de la tutelle thŽorique jusque-lˆ exercŽe par les dites sciences (arithmŽtique et gŽomŽtrie pour Aristoxne). O lՎmancipation passe par une diversification et une dŽlimitation des conditionnements assumŽs, non par leur dŽnŽgationÉ

 


Plan

 

Introduction gŽnŽrale sur cette seconde annŽe

LÕintellectualitŽ musicale ?

Ce que lÕintellectualitŽ musicale nÕest pas

Ce quÕelle est

Projeter la pensŽe musicale dans la langue du musicien ?

Penser le monde de la musique ?

Histoire de lÕintellectualitŽ musicale ?

GŽnŽalogie de lÕintellectualitŽ musicale ?

ArchŽologie de lÕintellectualitŽ musicale ?

HistoricitŽ de lÕintellectualitŽ musicale ?

Hypothse gŽnŽrale

MŽthode cette annŽe

Des moments de lÕintellectualitŽ musicale

Enjeux de lÕintellectualitŽ musicale ? Deux angles dÕattaque

Rapport aux Ïuvres

IntellectualitŽ musicale et musiciensÉ

IntellectualitŽ musicale et musicologie

IntellectualitŽ musicale et Ç intellectuels È

Rapport ˆ la philosophie

Pourquoi la philosophie ?

LÕantiphilosophie

Rapport mythologie de lÕintellectualitŽ musicale ˆ la philosophie

Quatre manires

Effets en retour

LÕanti-intellectualitŽ musicale des musiciens

Le moment grec (VI¡ sicle av. J.-C.)

Trois inventions considŽrables

Sur Arpad Szabo

Deux points essentiels

De la philosophie aux mathŽmatiques

ParmŽnide : Fragment VIII

Le plus ancien raisonnement par lÕabsurde de lÕhistoire

De la thŽorie musicale aux mathŽmatiques mais aussi ˆ la philosophie

NÏud des deux

Rappel dÕune petite dŽmonstration par lÕabsurde

De lÕanalogieÉ

Aristoxne de Tarente

NouveautŽ de ce traitŽ

Paradoxe

Nouvelle science ?

Ç Harmonique È

DŽjˆ question dՎcriture

Ç Rythmique È aussiÉ

Le rythmant et le rythmableÉ

La statique et le fluxÉ

Le perceptible et le sensibleÉ

Philosophie et antiphilosophie spontanŽes des musiciensÉ

Science ?

Science de quoi ?

Science de quel type ?

Science basŽe sur la sensation

Science autonome mais situŽe

Amont et aval

Science ?

Travail de catŽgorisation

Une terminologie

Une terminologie structurŽe

Remarque sur le r™le de la mŽtaphore et de la fiction

Une logique dŽmonstrative

Une nouvelle Harmonique

Qui se dŽmarque de son avalÉ

Rapport ˆ la philosophie dÕAristote

Ç Science È = ? (ou Ç thŽorie È = ?)

Remarque sur la musicologie

MŽthode

Transferts

Remarque : analogie

Rapport aux sciences contemporaines

Remarque

Conclusion

Trois manires de se rapporter ˆ la philosophie dÕAristote

Une thŽorie musicale qui nÕest pas une intellectualitŽ musicale

La question de lÕantiphilosophie reste ˆ venir

 

Introduction gŽnŽrale sur cette seconde annŽe

Les voies de lÕintellectualitŽ musicale ?

Cours sur 3 ans.

á       ƒcoute : 2003-2004. PolycopiŽ. Site web

á       LÕannŽe prochaine : thŽorie de lՎcriture musicale

á       Cette annŽe : lÕintellectualitŽ musicale.

Comment dire la musique ?

LÕintellectualitŽ musicale ?

Ce que lÕintellectualitŽ musicale nÕest pas

Non pas parler de musique (causer !)

Non pas ˆ proprement parler thŽoriser la musique (lÕintellectualitŽ musicale est diagonale ˆ la polaritŽ thŽorie/pratique)

Moins encore parler du musicien qui fait de la musiqueÉ

Ce quÕelle est

Elle dŽsigne un type de rapport proprement musicien ˆ la pensŽe musicale.

Elle suppose donc quÕexiste une pensŽe musicale, celle que jÕappelle ˆ lÕÏuvre. Ce sont les Ïuvres qui pensent la musique.

Le musicien se rapporte principalement ˆ la pensŽe musicale en jouant, en composant, en Žcoutant, bref en faisant de la musique.

Rappels :

¯     Le musicien est fait par la musique plut™t quÕil ne la fait.

¯     Les gŽnŽalogies musicales sont entre les Ïuvres, non entre les musiciens (Žventuelles gŽnŽalogies musiciennes) : la gense dÕune Ïuvre relve dÕautres Ïuvres, non dÕun dividu. La rŽception dÕune Ïuvre concerne dÕautres Ïuvres, non les sociŽtŽs musiciennes, moins encore telle ou telle sociŽtŽ humaineÉ

LÕintellectualitŽ musicale dŽsigne un autre rapport ˆ la pensŽe musicale que celle du Ç faire de la musique È. Ce rapport consiste essentiellement en deux dimensions :

o      projeter la pensŽe musicale dans la langue du musicien ;

o      penser le monde de la musique.

Projeter la pensŽe musicale dans la langue du musicien ?

Cf. la pensŽe musicale est sans mots, hors-mots. La musique nÕest pas un langage.

Cette projection se fait, en premier abord, sous deux modalitŽs :

¯     catŽgorisation ; ex. : mon propre travail.

¯     crŽation dÕune langue propre ˆ capter les flux, Žnergies, dynamiques musicales ; ex. Pierre-Jean Jouve comme dÕautres ŽcrivainsÉ

Penser le monde de la musique ?

LÕÏuvre ne le fait pas, car elle est interne ˆ ce monde. Principe : on ne peut penser un monde de lÕintŽrieur de lui-mme.

Le musicien, lui, est ˆ cheval sur ce monde, Žventuellement dÕautres, et le chaosmos. Il passe son temps ˆ y entrer et en sortir (cf. le moment crucial – pour le musicien - dont parle Theodor Reik o la musique sÕarrteÉ).

En premire approche, penser ce monde de la musique dessine deux t‰ches :

¯     Penser sa consistance interne (place de lՎcriture musicale comme Ç transcendantal ÈÉ), son Žvolution dynamique, la place et le r™le quÕy jouent les Ïuvres, ˆ la diffŽrence des morceaux, des pices et dÕautres formes musicales dՐtre : les instruments de musique, les partitions, les exŽcutions, les concertsÉ

¯     Penser son articulation aux autres mondes et au chaosmos.

Dans le vocabulaire du sŽminaire Ç musique et histoire È, on dira : penser

á       la gŽnŽalogie et lÕarchŽologie (internes au monde de la musique),

á       lÕhistoricitŽ et lÕhistorialitŽ (rapports externes)

du monde de la musique.

 

Tout ceci vise seulement ˆ fixer les idŽes, en dŽbut dÕannŽe.

Histoire de lÕintellectualitŽ musicale ?

Premires questions sur lÕintellectualitŽ musicale ainsi conue : son histoire, en un sens diversifiŽ et articulŽ.

á       sa gŽnŽalogie ?

á       son archŽologie ?

á       son historicitŽ ?

Noter : la question de lÕhistorialitŽ ne se pose pas pour une figure proprement subjective.

GŽnŽalogie de lÕintellectualitŽ musicale ?

Acte de naissance. PŽriodisationÉ

Thse : naissance avec Rameau.

PŽriodisation : cf. moment romantique de lÕintellectualitŽ musicale, moment sŽrielÉ

ArchŽologie de lÕintellectualitŽ musicale ?

Son ancrage dans lÕhistoire propre du monde de la musique.

Thse essentielle : il fallut quÕun monde de la musique se constitue comme tel pour que lÕintellectualitŽ musicale se constitue elle-mme. On verra tout cela avec RameauÉ

HistoricitŽ de lÕintellectualitŽ musicale ?

Cf. son articulation ˆ dÕautres intellectualitŽs, ˆ dÕautres pensŽes que musicales.

On va dŽtailler cela aujourdÕhui, ˆ propos dÕAristoxne : r™les de la philosophie et de la mathŽmatique dans la constitution, prŽalable ˆ lÕintellectualitŽ musicale proprement dite, dÕune thŽorie musicale.

Hypothse gŽnŽrale

La philosophie joue un r™le particulier dans lÕhistoricitŽ de lÕintellectualitŽ musicale.

MŽthode cette annŽe

Des moments de lÕintellectualitŽ musicale

Explorer des moments cruciaux de lÕintellectualitŽ musicale.

Non pas histoire systŽmatique, encyclopŽdique mais toujours une lecture symptomale, la mieux appropriŽe ˆ la pensŽe.

Les moments charnires, les figures singulires.

DÕo le plan de cette annŽe

1.     PrŽhistoire : Aristoxne (cf. constitution dÕune thŽorie musicale autonome comme condition de possibilitŽ pour quÕexiste — plus tard ! — une intellectualitŽ musicale)

2.     Naissance : Rameau

3.     Moment romantique : Wagner

4.     Le moment contemporainÉ

Remarquer : je ne traiterai pas dÕun Žventuel moment Ç classique È, Ç dodŽcaphonique ÈÉ

Enjeux de lÕintellectualitŽ musicale ? Deux angles dÕattaque

Je tenterai de saisir lÕintellectualitŽ musicale de ces moments selon deux angles dÕattaque privilŽgiŽ :

á       leur rapport aux Ïuvres musicales proprement dites (second semestre : volet analyse musicale de ce cours) ;

á       leur rapport ˆ la philosophie, cÕest-ˆ-dire ˆ telle ou telle philosophie concrte (premier semestre : volet analyse de textes de ce cours).

Cf. articulation au cours de Gilles Dulong qui inverse lÕordre de ces deux volets.

Rapport aux Ïuvres

Ce rapport dŽcoule de la thŽmatisation faite des enjeux de lÕintellectualitŽ musicale : projeter la pensŽe musicale ˆ lÕÏuvre dans la langue du musicien.

Comment cela se fait-il, dans certains moments cruciaux du dŽploiement de lÕintellectualitŽ musicale ?

On Žtudiera

á       Wagner se rapportant ˆ Beethoven,

á       Stockhausen se rapportant ˆ Mozart,

á       BarraquŽ se rapportant ˆ Debussy,

á       Pousseur se rapportant ˆ Webern,

á       Boucourechliev se rapportant ˆ Stravinsky.

On examinera, dans chaque cas, le rapport singulier dÕun compositeur ˆ ses propres Ïuvres. Notons : cÕest un rapport qui ne va nullement de soi. : le compositeur ne dit nullement la vŽritŽ de ses Ïuvres. Il y a, entre le compositeur et ses Ïuvres, un rapport Ç tordu È, intransitifÉ

IntellectualitŽ musicale et musiciensÉ

Remarque : tous les moments dÕintellectualitŽ musicale ŽtudiŽs cette annŽe sont ceux de compositeurs, ˆ lÕexception notable dÕAristoxne (mais on verra que cette exception renvoie moins ˆ la diffŽrence compositeur/non compositeur quՈ celle entre thŽorie musicale et intellectualitŽ musicale proprement dite) et pour partie ˆ celle de Pierre Schaeffer.

Cela ne veut pas dire que les compositeurs ont lÕexclusivitŽ de lÕintellectualitŽ musicale : celle-ci est lÕaffaire potentielle de tout musicien, et mme de tout Ç Žcouteur È vŽritable de la musique, ce qui nÕest pas tout ˆ fait dire de tout auditeurÉ

Il y a une intellectualitŽ musicale produite par des interprtes : songeons par exemple au travail de Charles Rosen, mais aussi pour partie ˆ celui dÕAlfred BrendelÉ

Il y a des tentatives dÕintellectualitŽ musicale venant dՎcouteurs non musiciens : rŽcemment par exemple celle dՃric Rohmer, de Christian Doumet (voir Samedi dÕEntretemps).

Il y en a aussi venant de Ç musicologues È : Peter Szendy

IntellectualitŽ musicale et musicologie

Mais lÕintellectualitŽ musicale nÕest pas la musicologie, et vice-versa.

La musicologie est un discours savant sur la musique. Il est sous la norme du savoir. Celui de lÕintellectualitŽ musicale est sous celle de la vŽritŽÉ

La musicologie est en extŽrioritŽ au faire musicien de la musique : la musique y est un objet dՎtude. La musicologie ne renvoie pas intrinsquement ˆ une subjectivitŽ musicienne. LÕintellectualitŽ musicale, par contre, est essentiellement affaire de subjectivitŽ musicienne (la subjectivitŽ proprement musicale Žtant, elle, lÕaffaire des Ïuvres).

IntellectualitŽ musicale et Ç intellectuels È

Dernire prŽcision : parler dÕintellectualitŽ musicale ne veut nullement dire que serait ici en jeu un statut supposŽ dÕÇ intellectuel È. La catŽgorie sociologique dÕintellectuel ne concerne nullement ce dont il est ici question sous le nom dÕintellectualitŽ musicale : celle-ci peut tre lÕÏuvre de personnes aux statuts fort divers qui nÕont ici aucune place.

Rapport ˆ la philosophie

Pourquoi la philosophie ?

Deuxime volet de cette annŽe : le rapport de lÕintellectualitŽ musicale ˆ la philosophie ou plut™t — tout est situŽ — ˆ telle ou telle philosophie.

Cf. je nÕai pas inclus dans les intellectualitŽs musicales les discours proprement philosophiques sur la musique, les discours esthŽtiques, etc. Ils ont des enjeux proprement philosophiques, ou alors ils nÕexistent pas comme textes. Cf. le sŽminaire de cette annŽe visant ˆ dŽmler tout cela ˆ propos dÕAdornoÉ

Ë proprement parler, lÕintellectualitŽ musicale nÕest donc pas une esthŽtique du musicien, moins encore sa Ç philosophie È.

La singularitŽ ici de la musique, comme ˆ dire vrai de tout autre art, est que la musique est non seulement une pensŽe (la pensŽe que jÕappelle musicale) mais aussi pensŽe de cette pensŽe. : la pensŽe de la pensŽe musicale est elle aussi ˆ lÕÏuvre. Elle relve de la manire dont les Ïuvres pensent elles-mmes leur gŽnŽalogie, thŽmatisent les inflexions quÕelles matŽrialisent par rapport ˆ leurs devancires.

Au passage, ceci est un attribut formel non seulement commun aux diffŽrents arts mais Žgalement ˆ la pensŽe politique. DÕo une parentŽ particulire entre arts et politiques, et singulirement entre musique et politique, parentŽ que je propose de caractŽriser comme une dualitŽÉ Voir le r™le particulier que joue ici la Ç dualitŽ È de lÕespace et du tempsÉ

Si lÕon retient la catŽgorisation par Badiou des procŽdures de vŽritŽ en quatre domaines : lÕart, la politique, la science et lÕamour (la philosophie nՎtant pas elle-mme productrice de vŽritŽs), alors des quatre pensŽes, seuls arts et politique (dՎmancipation !, pas de gestion Žtatique) sont pensŽe de leur pensŽe alors que sciences et amour nÕont pas pour propriŽtŽ intrinsque de penser leur propre pensŽe. On peut en dŽduire quÕil y a place pour une ŽpistŽmologie, moins comme philosophie des sciences que comme ressaisie de la pensŽe scientifique ˆ ses frontires, et Žgalement que la psychanalyse opre sur cette mme frontire de la pensŽe amoureuse. Ë lÕinverse, il faut tenir que ce qui se prŽsente comme Ç philosophie politique È nÕest soit purement et simplement quÕune pensŽe politique (en gŽnŽral une conception parlementaire de la politique se dŽguisant sous la figure dÕune abstraction universelle), soit quÕune philosophie acadŽmique. Et de mme pour lÕesthŽtique.

Ë ce titre, le dŽbat entre inesthŽtique dÕAlain Badiou (Petit manuel dÕinesthŽtique, Le Seuil, 1998) et esthŽtique revendiquŽe contre lui par Jacques Rancire (Malaise dans lÕesthŽtique, GalilŽe, 2004) est intŽressant ˆ suivreÉ

LÕantiphilosophie

LÕintellectualitŽ musicale doit donc se situer par rapport ˆ la philosophie : se dŽlimiter par rapport ˆ elle. Son enjeu essentiel : dŽfendre une subjectivitŽ musicienne et non pas philosophique en cette affaire, une intŽrioritŽ subjective ˆ la musique. DÕo, comme on le verra, un r™le singulier jouŽ dans lÕintellectualitŽ musicale par lÕantiphilosophie. On verra que lÕacte de naissance de lÕintellectualitŽ musicale, chez Rameau est Žtroitement associŽ ˆ un tel geste, en lÕoccurrence un retournement anticartŽsien. Ce moment de 1750, ˆ mon sens, nÕest pas (seulement) une Ç folie È dÕun Jean-Baptiste vieillissant et devenant mŽgalomane : il a une logique propre, qui sera celle qui nous intŽressera bien sžr puisquÕelle concerne moins le dividu que la pensŽe dont il est porteur.

La pulsion antiphilosophique de lÕintellectualitŽ musicale ne se rŽduit pas ˆ Rameau. On en verra dÕautres moments ˆ travers le dŽmlŽ constant des diffŽrentes intellectualitŽs musicales avec la philosophie.

Un enjeu de ce premier semestre est prŽcisŽment de dŽgager diffŽrentes figures subjectives de ce rapport de lÕintellectualitŽ musicale ˆ la philosophie.

Rapport mythologie de lÕintellectualitŽ musicale ˆ la philosophie

Une hypothse qui sera suivie, ˆ propos en particulier de Wagner mais Žgalement — dans un autre cadre : celui du sŽminaire Ç musique et philosophie È — dÕAdorno, sera celle de la mythologie : lÕintellectualitŽ musicale thŽmatise parfois mytho-logiquement (en insistant sur la dimension logique et donc de pensŽe vŽritable du mythe) son rapport ˆ la philosophie.

JÕessayerai de dŽtailler cela de manire trs prŽcise, en convoquant pour ce faire la formule canonique du mythe de Claude LŽvi-StraussÉ

Quatre manires

En premier inventaire, on posera quÕil y a quatre manires pour lÕintellectualitŽ musicale de se rapporter ˆ la philosophie :

1.     antiphilosophique,

2.     mythologique,

3.     analogique (transfert brut de concepts philosophiques en catŽgories musicalesÉ),

4.     conditionnement en historicitŽ (je thŽmatiserai cette figure dans le dernier cours de ce semestre ˆ propos de la philosophie dÕAlain Badiou).

Effets en retour

Les rapports de lÕintellectualitŽ musicale ˆ la philosophie sont particulirement compliquŽs et donc subjectivement intŽressants car il y a un double conditionnement ˆ lÕÏuvre : ˆ la fois de la philosophie par ce qui se passe en musique (cf. exemples Žminents — un par sicle — de Descartes, Rousseau, Nietzsche, Adorno) et de lÕintellectualitŽ musicale (plut™t que de la pensŽe musicale) par la philosophie (cf. effet en retour de Descartes sur Rameau, de Rousseau philosophe sur Rousseau musicien, de Nietzsche sur BarraquŽ, celui dÕAdorno sur un musicien restant ˆ mon sens suspendu ˆ lՎvaluation toujours ineffective de la proposition adornienne de musique informelle).


 

Cas particulier de Descartes au dŽbut du XVII¡ sicle


LÕanti-intellectualitŽ musicale des musiciens

Je ne saurais terminer ce cadrage gŽnŽral de notre annŽe sans Žvoquer lÕexistence dÕune subjectivitŽ trs fortement ancrŽe chez les musiciens que jÕappellerai un anti-intellectualitŽ musicale.

Pas avant Rameau. LÕempirisme dÕAristoxne sÕoppose ˆ un certain type de thŽorie musicale, adossŽ ˆ un certain type de philosophie, non ˆ une intellectualitŽ musicale proprement dite, inexistante ˆ son Žpoque (ˆ une Žpoque o, en un sens prŽcis, un monde de la musique nÕexistait pas encore comme tel, faute dՎcriture proprement musicale).

Trois reprŽsentants Žminents, tous compositeurs de premier ordre :

á       Chopin

á       Debussy

á       Berio

On pourrait discuter de ce point de vue du cas Ligeti, mais peut-tre aussi de celui de VarseÉ

JÕexclus bien sžr de mon champ dÕinvestigation les pures et simples positions journalistiquesÉ

Le moment grec (VI¡ sicle av. J.-C.)

VI¡ sicle av. J.-C., moment o se nouent trois Ç disciplines È : thŽorie musicale, philosophie et mathŽmatiques.

Je suivrai ici les travaux dÕArpad Szabo : Les dŽbuts des mathŽmatiques grecques et LÕaube des mathŽmatiques grecques (Vrin, 1977 et 2000).

 

Si ˆ proprement parler la thŽorie musicale ne na”t pas au VI¡ sicle (quÕest-ce qui existe avant ? Le moment important pour nous musiciens est ultŽrieur : voir Aristoxne), par contre la philosophie na”t ˆ ce moment, avec ParmŽnide et, plus remarquable encore, les mathŽmatiques.

Cf. les mathŽmatiques avant Žtaient purement calculatoires (mathŽmatiques babyloniennes, ŽgyptiennesÉ). Ë partir de ce moment, elles dŽploient une rationalitŽ propre qui englobe le calcul sans sÕy rŽduire : Ç Les mathŽmatiques fondŽes sur les dŽmonstrations euclidiennes nÕont plus rien ˆ voir avec cette trs ancienne science expŽrimentale qui amassait des connaissances pour satisfaire les diffŽrents besoins de la vie quotidienne. È (Szabo [1])

La forme de cette nouvelle rationalitŽ est la dŽmonstration. Les mathŽmatiques sont seules ˆ dŽmontrer : les sciences de la nature prouvent par lÕexpŽrience ; les mythes convainquent par le rŽcit.

Le noyau de la dŽmonstration est inventŽ par une forme trs singulire dÕencha”nement : le raisonnement apagogique ou Ç par lÕabsurde È. CÕest lˆ une invention considŽrable de lÕhistoire de la pensŽe !

Trois inventions considŽrables

On peut mettre cette invention en correspondance avec deux autres inventions non moins capitales pour nous :

á       lÕinvention de lՎcriture, bien avant (du c™tŽ de SumerÉ),

á       lÕinvention de lՎcriture musicale, bien aprs.

Au total, trois inventions capitales que les dŽconstructions ne sauraient dissoudreÉ Trois ruptures, basculements, discontinuitŽs lˆ o la sophistique nihiliste prŽtend tout lisser, tout dissoudre dans un continuum sans aspŽritŽs : Ç ne pas penser, ne pas vouloirÉ È

Sur Arpad Szabo

Son premier livre prend position sur un certain nombre de questions, aux forts enjeux philosophiques [2].

¯     Il sÕagit dÕabord de savoir sÕil y a une discontinuitŽ des mathŽmatiques grecques par rapport aux mathŽmatiques babylono-Žgyptiennes. La rŽponse de Szabo est oui. LÕenjeu est ici le critre retenu pour la mathŽmaticitŽ : calcul ou raison ?

¯     Il sÕagit ensuite de savoir ˆ quand remonte cette coupure : ˆ Platon ou avant ? La rŽponse de Szabo est : avant ; cÕest ParmŽnide et non Platon. LÕenjeu est ici heideggŽrien : synchroniser mathŽmatiques grecques et platonisme facilite la caractŽrisation de la science comme oubli de lՐtre, perte de lÕorigine, mŽtaphysique. Faire remonter au contraire lÕinventivitŽ grecque de la mathŽmatique aux prŽsocratiques (50 ˆ 100 ans plus t™t), lui donner qui plus est une filiation ŽlŽate, une gŽnŽalogie parmŽnido-pythagoricienne (et non pas pythagoricienne contre les ƒlŽates : il sÕagit de diffŽrence des deux Žcoles plut™t que de rivalitŽ [3]), cÕest dŽqualifier la reprŽsentation de la science comme figure de lÕoubli.

¯     Il sÕagit enfin de savoir sÕil y a ou sÕil nÕy a pas de connexion originaire entre mathŽmatiques et philosophie. Contre la thse traditionnelle dÕune dŽconnexion originaire et dÕune connexion plus tardive (ˆ lՎpoque de Platon), la rŽponse de Szabo est : il y a connexion ˆ lÕorigine [4]. Et il en dŽlivre le chiffre : le raisonnement apagogique qui, ˆ lÕinverse du raisonnement constructif, ne convainc pas en montrant. La connexion se fait donc sur le schme de la dŽmonstrativitŽ. LÕenjeu est ici de montrer que le cÏur de la mathŽmaticitŽ relve dÕune dŽmonstrativitŽ non constructive, dÕun pari subjectif sur la consistance ontologique globale. Conjointement cette disposition rŽintroduit la discontinuitŽ dans le concept de nombre : loin dՐtre un Ç objet È mathŽmatique universel, le concept mathŽmatique de nombre sՎdifie sous condition philosophique (doctrine parmŽnidienne de lÕUn) et ˆ lՎcart de lÕempiricitŽ (raisonnement par lÕabsurde)É

¯     Dernier point : la mathŽmatique est sous condition non seulement de la philosophie mais aussi de la musique. Il y a donc ˆ lÕorigine un appareillage ˆ trois termes.

Bref Szabo substitue ˆ la conception traditionnelle (compatible avec Heidegger) de la gŽnŽalogie philosophique :

celle-ci :

Deux points essentiels

Dans ce dŽbat philosophique, deux points sont pour nous musiciens plus importants :

¯     celui du raisonnement par lÕabsurde,

¯     celui du r™le jouŽ en cette affaire par les catŽgories musicales.

DŽtaillons-les.

De la philosophie aux mathŽmatiques

La question du raisonnement apagogique nous intŽresse, non pas que la logique musicale soit ici isomorphe de la logique mathŽmatique et quÕelle utilise donc le mme type de raisonnement mais plut™t que le raisonnement apagogique ouvre ˆ une disjonction radicale de lÕempirique et du dŽmonstratif, disjonction qui aura quelque rŽsonance avec Aristoxne, en particulier dans la distinction qui mÕest chre entre sensuel ou sensitif et sensible, projection intramusicale de la distinction scientifique entre empirique et dŽmontrŽ.

Szabo montre donc que le raisonnement apagogique est apportŽ aux mathŽmatiques par la philosophie, ce qui est tout ˆ fait inattendu.

Cf. r™le ici de ParmŽnide. La philosophie na”t ici aussi en un sens, car elle invente un mode dŽductif pour se tenir ˆ hauteur de la vŽritŽ explicitement visŽe. En effet cette logique sÕoppose ˆ la vieille logique du rŽcit mythique, qui continue par ailleurs dÕalimenter trs fortement le pome mme de ParmŽnide.

PrŽsentons cette premire dŽmonstration par lÕabsurde de toute lÕhistoire de lÕhumanitŽ : ce nÕest lˆ pas rien !

ParmŽnide : Fragment VIII

(Le pome, trad. Jean Beaufret – Puf, 1955)

 

 

Il ne reste donc plus quÕune seule voie dont on puisse parler, ˆ savoir quÕil [lՐtre] est ; et sur cette voie, il y a des signes en grand nombre indiquant quÕinengendrŽ, il est aussi impŽrissable ; il est en effet de membrure intacte, inŽbranlable et sans fin ; jamais il nՎtait ni ne sera, puisquÕil est maintenant, tout entier ˆ la fois, un, dÕun seul tenant ; [5] quelle gŽnŽration peut-on rechercher pour lui ? Comment, dÕo serait-il venu ˆ cro”tre ?É Je ne te permettrai ni de dire, ni de penser que cÕest ˆ partir de ce qui nÕest pas ; car il nÕest pas possible de dire ni de penser une faon pour lui de nՐtre pas. Quelle nŽcessitŽ en effet lÕaurait amenŽ ˆ lՐtre ou plus tard ou plus t™t, sÕil venait du rien ? Ainsi donc il est nŽcessaire quÕil soit absolument ou pas du tout. [6]

Jamais non plus la fermetŽ de la conviction ne concŽdera que de ce qui est en quelque faon vienne quelque chose ˆ c™tŽ de lui ; cÕest pourquoi la justice nÕa permis, par aucun rel‰chement de ses liens, ni quÕil naisse ni quÕil pŽrisse, mais maintient ; [la dŽcision ˆ cet Žgard porte sur cette alternative :] [7] ou bien il est, ou bien il nÕest pas. Il est donc dŽcidŽ, de toute nŽcessitŽ, quÕil faut abandonner la premire voie, impossible ˆ penser et ˆ nommer [8]car elle nÕest pas la route de la vŽritŽ –, cÕest lÕautre au contraire qui est prŽsence et vŽritŽ. Comment ce qui est pourrait-il bien devoir tre ? Comment pourrait-il tre nŽ ? Car sÕil est nŽ, il nÕest pas, et il nÕest pas non plus sÕil doit un jour venir ˆ tre. Ainsi la gense est Žteinte et hors dÕenqute le pŽrissement.

Il nÕest pas non plus divisible, puisquÕil est tout entier identique. Et aucun plus ici ne peut advenir, ce qui empcherait sa cohŽsion, ni aucun moins, mais tout entier il est plein dՐtre. Aussi est-il tout entier dÕun seul tenant ; car lՐtre est contigu ˆ lՐtre.

Et dÕautre part il est immobile dans les limites de liens puissants, sans commencement et sans cesse, puisque naissance et destruction ont ŽtŽ ŽcartŽes tout au loin o les a repoussŽes la foi qui se fonde en vŽritŽ. Restant le mme et dans le mme Žtat, il est lˆ, en lui-mme, et demeure ainsi immuablement fixŽ au mme endroit ; car la contraignante NŽcessitŽ le maintient dans les liens dÕune limite qui lÕenserre de toutes parts. CÕest pourquoi la loi est que ce qui est ne soit pas sans terme ; car il est sans manque ; mais nՎtant pas, il manquerait de tout.

Or cÕest le mme, penser et ce ˆ dessein de quoi il y a pensŽe. Car jamais sans lՐtre o il est devenu parole, tu ne trouveras le penser [9]; car rien dÕautre nՎtait, nÕest ni ne sera ˆ c™tŽ et en dehors de lՐtre, puisque le Destin lÕa encha”nŽ de faon quÕil soit dÕun seul tenant et immobile ; en consŽquence de quoi sera nom tout ce que les mortels ont bien pu assigner, persuadŽs que cÕest la vŽritŽ : na”tre aussi bien que pŽrir, tre et aussi bien nՐtre pas, changer de lieu et varier dՎclat en surface.

En outre, puisque la limite est dernire, alors il est terminŽ de toutes parts, semblable ˆ la courbure dÕune sphre bien arrondie ; ˆ partir du centre, en tous sens, Žgalement rayonnante ; car ni plus grand, ni moindre il ne saurait tre ici ou lˆ ; il nÕest, en effet, rien de nul qui pourrait lÕempcher dÕaboutir : ˆ lÕhomogŽnŽitŽ, et ce qui est nÕest point tel quÕil puisse avoir ici plus dՐtre et ailleurs moins, puisquÕil est, tout entier, inspoliŽ. Ë lui-mme, en effet, de toutes parts Žgal, il se trouve semblablement dans ses limites.

Ici je mets fin ˆ mon discours digne de foi et ˆ ma considŽration qui cerne la vŽritŽ ; apprends donc, ˆ partir dÕici, ce quÕont en vue les mortels, en Žcoutant lÕordre trompeur de mes dires. Ils ont, en effet, accordŽ leurs suffrages ˆ la nomination de deux figures, dont il ne faut pas nommer lÕune seulement – en quoi ils vont vagabondant -. CÕest dans une opposition quÕils en ont sŽparŽ les structures et quÕils leur ont attribuŽ des signes qui les mettent ˆ part lÕune de lÕautre. DÕun c™tŽ le feu ŽthŽrŽ de la flamme, le feu favorable, trs lŽger, semblable ˆ lui-mme de toutes parts, mais non semblable ˆ lÕautre ; et ˆ lÕopposŽ cette autre quÕils ont prise en elle-mme, la nuit sans clartŽ, lourde et Žpaisse de structure. Le dŽploiement de ce qui para”t, en tant quÕil se produit comme il se doit, voilˆ ce que je vais te rŽvŽler en entier, afin que le sens des mortels jamais ne te dŽpasse.

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Le plus ancien raisonnement par lÕabsurde de lÕhistoire

Ç Toi, tu avances dans tes pomes que tout est un et tu en apportes de belles et bonnes preuves. È

Socrate sÕadressant ˆ ParmŽnide (Platon, ParmŽnide, 128 a)

 

Il sÕagit de dŽmontrer que lՐtre est inengendrŽ (que Ç lՐtre est sans na”tre È : άγένητον έόν [10]).

Supposons pour cela ˆ lÕinverse [moment de la fiction [11], du Ç comme si È] quÕil ait ŽtŽ engendrŽ.

Alors, deux possibilitŽs et deux seulement [logique bivalente classique] : il lÕa ŽtŽ ou bien par le non-tre, ou bien par lՐtre.

á       Or ce ne peut pas tre par ce qui nÕest pas : Ç Quelle nŽcessitŽ lÕaurait amenŽ ˆ lՐtre sÕil venait du rien ? È

á       Mais cela ne peut tre Žgalement par lՐtre cÕest-ˆ-dire ˆ partir de lui-mme : Ç Comment ce qui est pourrait-il tre nŽ ? Car sÕil est nŽ, il nÕest pas. È

Donc il nÕest pas possible quÕil ait ŽtŽ engendrŽ..

Or, il nÕy a lˆ encore que deux possibilitŽs : tre ou nՐtre pas (engendrŽ) : Ç il est nŽcessaire quÕil soit absolument ou pas du tout È.

Donc (Ç ainsi donc il est nŽcessaire queÉ È, Ç il est donc dŽcidŽ, de toute nŽcessitŽ, queÉ È) il est inengendrŽ [la dŽduction encha”ne].

 

Noter que la propriŽtŽ ˆ dŽmontrer est nŽgative (lՐtre est inengendrŽ) ; cÕest lˆ une caractŽristique gŽnŽrale du raisonnement par lÕabsurde.

 

Noter que la logique de dŽmonstration (voir toutes les articulations dŽductives du discours : Ç or È, Ç car È, Ç donc È, Ç en effet ÈÉ) sÕexplicite comme telle : Ç ainsi faut-il admettre queÉ È, Ç il est notifiŽ, de par nŽcessitŽ, queÉ È.

 

Noter que Ç la vŽritŽ È est explicitement constituŽe en cible du propos : il en va ici de la vŽritŽ et cÕest parce quÕil en va de la vŽritŽ quÕil convient de dŽmontrer (plut™t que de simplement Ç montrer È).

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GŽnŽalogie

 

 

Eudme : premier historien des mathŽmatiques

Euclide : a composŽ ses ƒlŽments ˆ partir de propositions remontant bien avant lui.

 

Premier raisonnement apagogique (ParmŽnide) : VI¡ sicle

Plus ancien mathme dŽductif (thŽorie du pair et de lÕimpair ˆ propos des incommensurables) : premire moitiŽ du V¡ sicle


De la thŽorie musicale aux mathŽmatiques mais aussi ˆ la philosophie

MathŽmatiques comme philosophie sont alors directement alimentŽes par la thŽorie musicale : cÕest elle qui est source — elle ne deviendra cible que plus tard (voir Aristoxne) —.

Ainsi la musique, source pour la philosophie et les mathŽmatiques, cÕest bien lˆ une rŽalitŽ originaire, au principe mme de ces deux disciplines inventŽes par les Grecs.

En un sens, comme on va le voir, la philosophie na”t en ressaisissant ce qui sÕest passŽ dans la musique (voir la thŽorie musicale) sous un nouveau mode de pensŽe. Il y a donc bien une appŽtence originelle de la philosophie pour les catŽgories musicales.

Ceci, une fois la philosophie constituŽe et le monde de la musique dŽployŽ, donnera plut™t un intŽrt de la philosophie pour ce qui se passe du c™tŽ des Ïuvres (de la pensŽe musicale proprement dite, laquelle nÕest pas ˆ proprement parler explicitement et directement catŽgorisŽe) que du c™tŽ des catŽgories.

Mais une certaine philosophie continue cependant de sÕintŽresser en prioritŽ ˆ ce qui se passe dans la catŽgorisation musicienne plut™t que dans la pensŽe musicale (voir lՎtude philosophique des textes musiciens plut™t que des textes musicaux). Cette philosophie (cf. glose philosophique sur la sŽrie, le spectreÉ) est ˆ mon sens moins intŽressante que lÕautre, mais cependant elle existe. Voir par exemple lÕentreprise philosophique rŽcente de Bernard Sve dՎlever la catŽgorie musicale dÕaltŽration au rang de concept philosophique.

La musique est source — ou plus exactement la thŽorie musicale — de catŽgories, de deux essentiellement qui concernent les proportions :

á       diastema (rapport ou distance [12]), qui vient de lÕexpŽrience musicale du monocorde ;

á       logos (relation), qui vient de lÕexpŽrience musicale du canon.

Ces deux catŽgories vont nourrir lÕarithmŽtique et la gŽomŽtrie : la thŽorie des proportions musicales a prŽcŽdŽ et nourri la thŽorie mathŽmatique des proportions (gŽomŽtriques).

La diastema a suscitŽ lÕalgorithme dÕEuclide. La musique a aussi contribuŽ (avec son problme de la partition dÕune octave en deux parties Žgales) ˆ constituer le problme des incommensurables (qui trouvait aussi une origine gŽomŽtrique dans le problme de la duplication du carrŽ).

Tant dans la terminologie euclidienne que dans le pythagorisme, on trouve donc trace de cette influence de questions et catŽgories musicales.

Noter pour nous : ce nÕest pas seulement la musique qui pose un problme ˆ une science. CÕest la musique qui fournit ˆ la science des opŽrateurs de travail (ici des catŽgories, un Ç cadre terminologique et conceptuel È pour des dŽveloppements en arithmŽtique et gŽomŽtrie o ces concepts subissent alors une altŽration).

NÏud des deux

Or le problme de lÕincommensurabilitŽ est nouŽ au raisonnement par lÕabsurde car on ne dŽmontre lÕincommensurabilitŽ que par un raisonnement apagogique. Cette dŽmonstration remonte ˆ

Rappel dÕune petite dŽmonstration par lÕabsurde

Il sÕagit de dŽmontrer que Ã2 nÕest pas rationnel cÕest-ˆ-dire ne peut sՎcrire comme rapport de deux nombres entiers m/n.

Supposons pour cela quÕexistent m et n tels que Ã2 = m/n.

1. On peut sÕassurer (par rŽduction de la fraction) que de ces deux nombres, lÕun au moins est impair (rappel : 2 = 2/1, et 1 est impairÉ).

2. Si n est impair, comme 2 = m2/n2 m2/2 = n2. Or n2 est impair et, m Žtant pair, m2/2 est pair, ce qui nÕest pas possible.

3. De mme si m est impair, alors 2n2 = m2. Or 2n2 est pair quand m2 est ici impair, ce qui est ˆ nouveau impossible.

Donc Ã2 ne saurait Žgaler le rapport de deux nombres entiers et dŽsigne donc une grandeur incommensurable (on dira aujourdÕhui Ç irrationnelle È).

Noter au passage que les Grecs admettaient lÕexistence de grandeurs qui nՎtaient pas des nombresÉ

Szabo nous rend donc attentif au fait que dans les mathŽmatiques grecques le moyen de dŽmontrer lÕexistence nՎtait pas uniquement la construction (comme dans la gŽomŽtrie) mais aussi le raisonnement par lÕabsurde, cette fois dans lÕarithmŽtique [13], laquelle arithmŽtique prŽvalait dans lÕAntiquitŽ sur la gŽomŽtrie [14].

La vŽnŽration des Pythagoriciens pour les nombres a elle-mme son origine dans la pratique des Ç nombres musicaux È [15].

De lÕanalogieÉ

Szabo montre [16] que le terme dÕanalogie vient des mathŽmatiques du VI¡ sicle pour ensuite devenir philosophique en perdant la trace de cette origine. Or ce terme va plus tard caractŽriser le rapport mme entre une discipline et une autre (transposition Ç analogique È dÕune catŽgorie musicale en un concept philosophique, par exemple ; ou lÕinverse bien sžrÉ).

Ramassons ces quelques transfert de catŽgories dans le schŽma ci-joint qui restitue la part motrice originelle de la thŽorie musicale et ne dispose pas seulement la musique en point dÕapplication des sciences constituŽes par ailleurs :

 

 

Aristoxne de Tarente

Mon livre de rŽfŽrence sera ici celui dÕAnnie BŽlis :

Aristoxne de Tarente et Aristote : Le TraitŽ dÕHarmonique, Klincksieck (1986)

 

NouveautŽ de ce traitŽ

Ce traitŽ de musique est en un sens (quÕon va prŽciser) le premier.

Il se prŽsente lui-mme comme tel, il se rŽflŽchit comme fondant une science musicienne de la musique, ce qui se dit, pour des raisons quÕon va voir : TraitŽ dÕHarmonique.

Ë ce titre dÕouvrage fondateur, ses ascendants sont tous considŽrŽs comme nŽgatifs par Aristoxne, lequel critique tout ce qui sÕest fait jusque-lˆ (on va voir comment). La seule rŽfŽrence ascendante positive relve de la philosophie et concerne Aristote (Platon, lui, est critiquŽ).

Paradoxe

SÕil est en effet fondateur, le premier dans sa voie, il nÕaura cependant pas de descendance immŽdiate : il faudra attendre plus de quatre sicles pour lui trouver un successeur dans cette veine musicographique.

Nouvelle science ?

Ç Harmonique È

Cette nouvelle discipline, quÕAristoxne considre comme une Ç science È, il la nomme Ç Harmonique È. CÕest lˆ un ancien nom mais dotŽ ici dÕun nouveau sens.

CÕest lˆ une opŽration rŽcurrente chez tout thŽoricien : donner Ç un sens nouveau aux mots de la tribu È (MallarmŽ). LÕopŽration complŽmentaire est de forger de nouveaux noms, soit de part en part (nŽologismes), soit ˆ partir de mots dŽjˆ existants mais jusque-lˆ inopŽrants dans le champ considŽrŽ, ici le champ musical (dÕo, par exemple, le r™le de la mŽtaphore – on va y revenir).

Le nom harmonique Žtait dŽjˆ attachŽ aux Harmoniciens — voir plus loin — et sÕattachait ˆ une musicographie plus pratique et empirique que celle des Pythagoriciens. Disons que ce nom met lÕaccent sur la face pratique de la musique plut™t que sur son versant abstrait.

DŽjˆ question dՎcriture

Remarquons au passage que ce partage est ds lՎpoque chevillŽ ˆ la question de la notation musicale puisquÕAristoxne est un fervent adversaire de la notation musicale ˆ laquelle il reproche son abstraction spatialisante et son souci de lÕÏil plut™t que de lÕoreille.

Noter [pour notre cours de lÕannŽe prochaine consacrŽ ˆ la thŽorie de lՎcriture musicale] que Laos dÕHermion fut avant lui le premier ˆ Žcrire sur la musique. Il aurait sŽparŽ la technique et la pratique ds lÕaube du V¡ sicle. (171)

Ç Rythmique È aussiÉ

Ç Harmonique È ne nomme quÕune partie de cette nouvelle science : il y a aussi la Ç Rythmique È qui fera ensuite lÕobjet dÕun autre traitŽ du mme Aristoxne : ƒlŽments rythmiques.

Pour cet autre volet de la thŽorie dÕAristoxne, la rŽfŽrence bibliographique est le livre de Pierre Sauvanet : Le rythme grec, dÕHŽraclite ˆ Aristote (Puf, 1999) [17].

Le rythmant et le rythmableÉ

En deux mots, Aristoxne est Žgalement le premier ˆ fonder une vŽritable thŽorie du rythme [18], en donnant ˆ ce mot son sens musical autonome (Ç sŽrie de durŽes È, silences inclus ce qui est remarquableÉ), sens musical dŽtachŽ des diffŽrentes fonctions sociales (Žthiques, politiquesÉ) attachŽes au rythme (voir PlatonÉ), sens o la forme musicale est alors diffŽrenciŽe de son substrat sonore Ç rythmable È (son, parole ou geste), de cette matŽrialitŽ quÕAristoxne nommera dÕun nŽologisme : rhuthmizomenon. On a donc ici la premire distinction quant au rythme entre ce que jÕappellerai la matire musicale (rhuthmos) et le matŽriau sonore (rhuthmizomenon[19] en sorte que, comme lՎcrit Pierre Sauvanet [20], Ç il peut toujours y avoir plusieurs rhuthmoi pour un mme rhuthmizomenon È, et rŽciproquement. Comme on le verra tout ˆ lÕheure pour dÕautres opŽrations conceptuelles concernant cette fois lÕharmonique, le principe de  cette distinction sÕinscrit lui-mme dans une tradition aristotŽlicienne.

La statique et le fluxÉ

Mais Aristoxne distingue Žgalement, sur cette base Ç matŽrielle È, la forme rythmique statique (je dirai la matire rythmique en tant que sŽrie inscriptible de durŽes) et son rŽsultat sonore qui a, lui, un caractre dynamique de flux dont le mode propre dÕexistence passe cette fois par le sensible, en lÕoccurrence par lÕaudible. Somme toute le rythme musical nÕexiste pour Aristoxne que dans cette tension entre une matire statique faite de durŽes quantitatives et un flux dynamique fait dÕapparitions-disparitions sonores.

Le perceptible et le sensibleÉ

Point remarquable : pour Aristoxne, le rythme musical, ainsi constituŽ par lՎnergie qui fait passer dÕune durŽe-moment ˆ lÕautre (on pourrait dire : portŽ par la dŽrivŽe de la  fonction-durŽe, soit le rythme musical comme intension dÕun inspect temporel), est moins perceptible que purement sensible ; en forant lŽgrement lÕinterprŽtation, on pourrait dire quÕAristoxne suggre lˆ quÕon Žcoute le rythme par-delˆ la perception des durŽes, au-delˆ de la distinction des moments-durŽes successifs.

Philosophie et antiphilosophie spontanŽes des musiciensÉ

Ceci consonne sans doute avec ce point, que je lguerai aujourdÕhui sans plus de commentaires : nÕest-il pas vrai que lÕaristotŽlisme est, avec la phŽnomŽnologie, la philosophie spontanŽe du musicien, lequel tend alors ˆ donner ˆ son antiphilosophie spontanŽe la forme spŽcifique dÕun anti-platonisme ?

Science ?

Science de quoi ?

Science du systme musical, des lois musicales : non de la pratique (ce nÕest pas une science du Ç faire de la musique È) mais de la musique comme langage dirions-nous : ses gammes, ses modes, ses intervalles, ses mŽlopŽes, etc.

Science de quel type ?

Science musicienne.

Son point de dŽpart est la distinction entre ce qui est musical et ce qui ne lÕest pas (118, 235). Ce partage est essentiellement musicien : cÕest le musicien qui lՎtablit. Le musicien est ici dŽfini comme celui qui se rapporte ˆ la musique par la sensation.

Science basŽe sur la sensation

La perception et, plus gŽnŽralement, la sensation servent de base ˆ cette Ç science È :

Ç Les uns tiennent des propos extravagants, rŽcusant la sensation auditive sous prŽtexte quÕelle manque de prŽcision ; ils vont imaginer des Ç causes intelligibles È et affirment quÕil existe certains Ç rapports numŽriques È et des Ç vitesses relatives È dont dŽpend la production de lÕaigu et du grave ; ils formulent lˆ les thŽories les plus extravagantes qui soient et les plus contraires aux phŽnomnes. È [É] Ç Pour notre part, nous nous efforons de recueillir des principes qui soient tous Žvidents ˆ ceux qui connaissent la musique, et de donner des dŽmonstrations des consŽquences qui en dŽcoulent. [É] Car pour le musicien, lÕexactitude de la sensation joue un r™le primordial. È (101)

Ç Pour le musicien, lÕexactitude de la perception a presque valeur de principe, tant il est vrai quÕil est impossible, quand on nÕa pas lÕoreille juste, de bien parler de ce que lÕon ne peroit pas du tout. È (194, 205) Ç Pour notre part, nous nous efforons de ne prendre pour principes que des principes Žvidents ˆ ceux qui ont quelque expŽrience en musique. È (195)

La sensation joue un r™le central dans cette science (ou thŽorie), pas seulement ˆ son principe mais ˆ tout moment de son dŽploiement : au dŽpart (pour lՎtablissement de ses Ç faits È), ensuite pour lÕorientation dans la construction de la thŽorie, enfin pour la vŽrification terminale.

Science autonome mais situŽe

Cette science autonome est cependant inscrite dans le dispositif plus vaste des sciences.

Elle est une physique (161) au sens o elle est conditionnŽe par la nature acoustique du son, ce dont sÕoccupe la physique proprement dite (232-233). Ainsi lÕharmonique est la science du mouvement naturel de la voix (soit le mouvement de la voix en tant quÕil est ancrŽ dans la physique).

Amont et aval

Cette science a donc un amont : la physique (comme science plus ŽlevŽe : 121), mais Žgalement la mathŽmatique (qui sÕoccupe des grandeurs : 150).`

Elle a aussi un aval : la poŽtique concrte (171), la thŽorie de la mŽlopŽe (172).

Ë ces titres, cette Harmonique nÕest ni physique, ni mathŽmatique (gŽomŽtrique ou arithmŽtique), ni morale (on dirait aujourdÕhui : Ç sociale È au sens des fonctions sociales et culturelles qui sont associŽes ˆ la musique : voir le Platon de la RŽpublique). (235)

Science ?

En quel sens cette discipline est-elle dite une science ?

1. Il sÕagit dÕabord en cette affaire explicitement de pensŽe :

LÕharmonique Ç se ramne ˆ deux facultŽs : lÕou•e et la pensŽe ; en effet, par lÕou•e, nous discernons la grandeur des intervalles ; par la pensŽe, nous nous rendons compte de leur valeur. È. (205, 209)

2. Il sÕagit ensuite de pensŽe prenant la forme dŽterminante de savoirs.

3. Ces savoirs sont ici thŽoriques, basŽs certes sur la pratique du sensible mais non transitifs aux pratiques artisanales des musiciens.

4. Enfin il sÕagit de savoirs thŽoriques organisŽs, systŽmatiques (on va voir plus loin comment).

Travail de catŽgorisation

Une science, une thŽorie travaille en catŽgorisant.

Une terminologie

La terminologie dÕAristoxne a trois sources (185) :

— la philosophie (Aristote) ;

— les Harmoniciens cÕest-ˆ-dire ses Ç prŽdŽcesseurs È (physiciens teintŽs de gŽomtres) ;

— les Pythagoriciens cÕest-ˆ-dire les reprŽsentants des mathŽmatiquesÉ

Une terminologie structurŽe

La terminologie ne se rŽduit pas ˆ un bric-ˆ-brac de catŽgories : elle est organisŽe, rendue consistante.

Ici le thme de lÕespace, du topos joue un r™le important pour donner consistance ˆ lÕensemble de la terminologie convoquŽe. Cf. lÕimportance de la mŽtaphore spatiale chez Aristoxne, relevŽe dŽjˆ par Arpad Szabo : pour Szabo, Aristoxne Ç est le premier ˆ avoir pris lÕintervalle musical dans le sens mŽtaphorique, dÕune faon apparemment dŽlibŽrŽe È. (137)

Ceci nÕindique nullement un ralliement dÕAristoxne au point de vue gŽomŽtrique. Il a des mots explicites pour se dŽmarquer dÕeux :

Ç Il faut sÕaccoutumer ˆ juger de chaque chose avec prŽcision ; en effet on ne peut pas dire, comme cÕest lÕusage ˆ propos de figures gŽomŽtriques : Ç soit cette ligne une droite È ; non, il faut se dŽpartir de cette habitude lorsque lÕon parle dÕintervalles. Le gŽomtre en effet ne se sert pas de sa facultŽ sensible, car il nÕexerce pas sa vue ˆ juger correctement ou pas du droit, du circulaire ou de tout autre de ces notions ; cÕest plut™t lÕaffaire du charpentier, du tourneur, ou des artisans de cette sorte de sÕy exercer. È (205)

Remarque sur le r™le de la mŽtaphore et de la fiction

Le r™le de la mŽtaphore peut tre retrouvŽ dans toute intellectualitŽ musicale — quoiquÕil ne sÕagisse pas ici, ˆ proprement parler dÕintellectualitŽ musicale, mais seulement de thŽorie musicienne de la musique —.

Je lՎtendrai ˆ la fiction (qui est un Ç comme si È lˆ o la mŽtaphore est un simple Ç comme È). Nous avons dŽjˆ rencontrŽ la fiction lors du raisonnement apagogique, en ce moment o lÕon suppose lÕinverse de ce ˆ quoi lÕon croitÉ De mme, dans le travail thŽorique, la consistance nÕest ŽprouvŽe que par fiction : par ce que lÕon Žcarte, rejette, par le travail nŽgatif de refus (ex. ici le non-musical). Comme on sait depuis Gšdel, la consistance dÕun discours ne peut tre prouvŽe de lÕintŽrieur de ce discours. Elle est seulement ici Žprouvable nŽgativement, en Žcartant les effets de dŽcomposition inhŽrents ˆ la supposition (fictive) que le non-musical soit indistinguŽ du musicalÉ

Une logique dŽmonstrative

Une science, cÕest aussi une logique dŽmonstrative, logique ˆ laquelle Aristoxne accorde une grande importance et quÕil tirer de la philosophie dÕAristote (voir plus loin).

Une nouvelle Harmonique

Cette harmonique se dŽmarque de celle de ses Ç prŽdŽcesseurs È :

— dÕune harmonique pythagoricienne (arithmŽtique). Pour celle-ci cÕest le nombre qui nomme, ou le rapport entre nombre (qui nomme lÕintervalle). Pour celle-ci la sensation, trop empirique, est impuissante ˆ fonder un bien penser. Il nÕy sÕagit dÕailleurs pas de penser le sensible — cf. citation donnŽe plus haut (101) — mais de penser la structuration ontologique de ce quÕil y a ˆ sentir.

— dÕune harmonique harmonicienne (acoustique). Les Harmoniciens sont plus physiciens que philosophes, plus musiciens que physiciens, plus empiristes que thŽoriciens (77).

Qui se dŽmarque de son avalÉ

Aristoxne rŽcuse le travail des musiciens empiristes, je dirais simple artisans (il parle Ç dÕaultes È et de Ç joueurs de lyre È). Il critique ainsi les Žcoles qui confondent pratique musicale et thŽorie harmonique, les joueurs de lyre qui Ç ramnent ˆ leur instrument È les lois de lÕharmonique. (172)

Sa thŽorie musicale nÕest pas mise en systme des savoirs artisanaux et pratiques. En un sens, cÕest une thŽorie du musical plus que de la musique (au sens de ce qui nÕexisterait que dans un faire concret).

Rapport ˆ la philosophie dÕAristote

Au total, cette entreprise a besoin de la philosophie sur un triple plan.

Ç Science È = ? (ou Ç thŽorie È = ?)

La philosophie intervient dÕabord pour dŽterminer ce quÕil en est dÕune science, ou dÕune thŽorie.

ƒtablir une nouvelle science de la musique suppose, au prŽalable, que soit clarifiŽ ce quÕil en est dÕune science, ce qui distingue une science dÕune pratique, ce qui distingue un discours thŽorique dÕun discours ordinaire.

De mme pour la manire dont une intellectualitŽ musicale se rapporte ˆ une philosophie de son temps : sÕil sÕagit bien, dans lÕintellectualitŽ musicale, de Ç dire la musique È, encore faut-il que ce que signifie ici le mot Ç dire È soit prŽcisŽ. Que signifie Ç science È, ou Ç thŽorie È, ou Ç dire È de manire contemporaine ? CÕest en ce premier point que la philosophie intervient pour lÕintellectualitŽ musicale.

Plus encore : la philosophie contemporaine (en un certain sens, bien sžr, du contemporain cÕest-ˆ-dire dÕun temps pour la pensŽe) est nŽcessaire ˆ un discours se prŽsentant comme Ç nouvelle thŽorie de la musique È ou Ç nouvelle science musicale È, ou Ç nouvelle intellectualitŽ musicale È sÕil est vrai quÕun tel discours ne saurait faire lՎconomie de se prŽsenter comme figure contemporaine de thŽorie, de science ou de dire, de se prŽsenter comme contemporain dÕune figure de la thŽorie, de la science, du dire.

Une nouvelle thŽorie de la musique ne saurait emporter lÕadhŽsion si elle revendique une conception dŽpassŽe de ce quÕest une thŽorie.

Remarque sur la musicologie

CÕest lˆ bien sžr lÕobstacle indŽpassable de cette supposŽe Ç science È musicologique qui en reste aujourdÕhui ˆ une conception prŽgalilŽenne de ce quÕest une science, prŽcisŽment dÕailleurs ˆ une conception aristotŽlicienne.

On verra cette annŽe, et ds la fois prochaine, que la naissance avec Rameau dÕune intellectualitŽ musicale proprement dite, naissance au demeurant conditionnŽe par la mutation prŽalable de la science (correspondant ˆ sa mathŽmatisation), mutation dont la philosophie va sÕefforcer de prendre mesure (voir Descartes et Pascal et bien dÕautresÉ), impose un dŽplacement aux thŽories musiciennes de la musique et donc ˆ ce quÕune certaine musicologie peut et doit tre.

*

Pour en revenir ˆ notre propos du jour, sÕil sÕagit bien pour lÕintellectualitŽ musicale de dire la musique, encore faut-il clarifier ce que Ç dire È veut iciÉ dire. CÕest dŽjˆ en ce point que le musicien trouve ˆ se rŽfŽrer ˆ la philosophie. De quelle manire chez Aristoxne ?

MŽthode

Aristoxne va emprunter ˆ Aristote sa Ç mŽthode È (on retrouvera une telle logique dÕemprunt de Rameau ˆ Descartes).

MŽthode dŽsigne ici une logique de discours, une logique discursive, une logique du discours considŽrŽ sur la musique, logique qui est bien sžr diffŽrente de la logique proprement musicale (laquelle est logique de la musique). Bref, il convient lˆ aussi de distinguer logique musicienne et logique musicale : logique du discours musicien tenu sur la musique et logique du discours musical proprement dit (celui qui sÕexpose non en mots mais en sons).

Quelle est en lÕoccurrence cette mŽthode empruntŽe ˆ la philosophie dÕAristote ?

Premier extrait :

Ç La meilleure des mŽthodes consiste peut-tre ˆ exposer ˆ lÕavance le plan et lÕobjet de notre Žtude, afin que, connaissant ˆ lÕavance la route que nous devrons suivre, nous y avancions plus facilement, en sachant toujours en quel endroit de cette route nous nous trouvons, et que, sÕil nous arrive de nous faire une idŽe fausse de notre sujet, cela ne nous Žchappe point. È (45)

Ceci concerne la mŽthode dÕexposition du discours.

Voyons maintenant la mŽthode de constitution de ce mme discours :

Ç Avant dÕentreprendre lՎtude des ƒlŽments, nous devons nous tre pŽnŽtrŽs auparavant de ceci, quÕil nÕest pas possible de les mener ˆ bien ˆ moins dÕavoir satisfait aux trois conditions suivantes : avoir dÕabord bien saisi les donnŽes de lÕexpŽrience, ensuite, avoir correctement discernŽ, parmi ces donnŽes, celles qui sont antŽrieures et celles qui sont postŽrieures ; en troisime lieu, avoir une vue globale de ce qui se produit et de ce qui est reconnu comme un fait, de la manire qui convient. È (193)

La mŽthode de travail et de recherche suppose trois principes :

— dŽtermination des faits : ici saisie des phŽnomnes qui sÕoprent par lÕoreille, ˆ partir de la sensation ;

— ordonnancement de ces faits ;

— gŽnŽralisation par induction.

Je ne mՎtends pas sur le caractre Žvidemment aristotŽlicien de ces prŽceptes o lÕinduction ˆ partir de faits sÕoppose ˆ la dŽduction ˆ partir dÕaxiomes.

Transferts

Le rapport ˆ la philosophie va comporter un second volet : celui dÕun transfert de mots. La terminologie musicienne va en effet se nourrir de transferts ˆ partir de la philosophie : des concepts philosophiques vont tre transformŽs en catŽgories musicales.

Remarque : analogie

Il faut parler ici dÕanalogie plut™t que de mŽtaphore : lՎquivalence quÕopre le transfert vaut ici moins terme ˆ terme (la catŽgorie musicienne vaudrait Ç comme È vaut le concept philosophique : K≡C) que dans le rapport : cÕest le rapport entre deux catŽgories musicales qui est posŽ comme Žquivalent au rapport entre deux concepts philosophiques : K1/K2≡C1/C2

Comme on le verra en dŽtail avec Wagner (mais ceci vaudrait Žgalement avec Adorno), le rapport-transfert avec la philosophie pourra se thŽmatiser, cette fois dans lÕintellectualitŽ musicale, comme mythologie plut™t que comme analogie, selon une formule prŽcise dont on trouvera le chiffre chez Claude LŽvi-Strauss.

Rapport aux sciences contemporaines

Se rapporter ˆ la philosophie est enfin nŽcessaire ˆ la nouvelle science dÕAristoxne pour caractŽriser le rapport que cette thŽorie peut et doit entretenir aux autres sciences. Il ne sÕagit plus, comme dans le premier de nos trois points, de caractŽriser les critres immanents de ce qui mŽrite alors le nom de science (ou de thŽorie, ou de dire, cÕest-ˆ-dire de discours consistant) ; il sÕagit de penser le rapport de cette nouvelle science aux sciences antŽrieures.

Pour Aristoxne, il sÕagit concrtement de penser le rapport de son Harmonique nouvelle non seulement ˆ lÕarithmŽtique et ˆ la gŽomŽtrie (cÕest-ˆ-dire ˆ la mathŽmatique de son temps) mais Žgalement ˆ la physique. Aristoxne dŽqualifie la mathŽmatique comme apte ˆ thŽoriser la musique mais il ne la dŽqualifie pas comme science propre, et antŽrieure ˆ lÕharmonique. Et de mme pour la physique.

La compatibilitŽ Žtablie par Aristoxne entre son harmonique et ces sciences se fera lˆ encore sous un schme aristotŽlicien.

En langage plus actuel, je dirai quÕAristoxne, pour comptatibiliser sa thŽorie musicale avec les sciences de son temps, a besoin de la philosophie pour caractŽriser ce que peut et doit alors tre ce Ç avec È.

Remarque

Je remarquerai au passage quÕAristoxne Žtablit lÕautonomie de sa nouvelle Ç science È non en rŽcusant son conditionnement par les sciences fondamentales plus anciennes mais en diversifiant ce conditionnement : lˆ o pour les Pythagoriciens tout passait par lÕarithmŽtique, lˆ o les gŽomtres opposaient ˆ la tutelle de lÕarithmŽtique celle de la gŽomŽtrie et les Harmoniciens celle de la physique, Aristoxne, somme toute, plut™t que de les rŽcuser, les adopte simultanŽment et par lˆ les relativise. O lÕon retrouve que lÕautonomie nÕest pas lÕautarcie, et que la libertŽ nÕest pas lÕabsence de liens et de dŽpendances mais plut™t leur tri et, comme dit Rousseau, la dŽcision dÕen assumer certains, prŽcisŽment choisis.

Conclusion

Trois manires de se rapporter ˆ la philosophie dÕAristote

Au total Aristoxne se rapporte ˆ la philosophie dÕAristote en crŽateur dÕune nouvelle thŽorie de la musique de trois manires :

— pour assurer que la thŽorie quÕil propose est bien ˆ hauteur des exigences de son temps en matire de thŽorie ;

— pour nourrir analogiquement son rŽseau musicien de catŽgories avec le rŽseau aristotŽlicien de concepts philosophiques ;

— pour Žtablir un rŽgime contemporain de compatibilitŽ entre cette nouvelle science et les sciences antŽrieurement constituŽes.

Une thŽorie musicale qui nÕest pas une intellectualitŽ musicale

Cette premire thŽorie musicienne du musical nÕest pas une intellectualitŽ musicale car explicitement elle nÕest pas articulŽe au faire musicien de la musique. Cette thŽorie, on lÕa vu, est thŽorie de la musique comme systme — nous dirions aujourdÕhui thŽorie du langage musical —, non-travail musicien sur les Ïuvres — sur les Ç mŽlopŽes È de lՎpoque — pour projeter dans la langue du musicien la pensŽe musicale ˆ lÕÏuvre.

En un certain sens, la constitution dÕune telle thŽorie musicienne de la musique peut tre vue comme condition de possibilitŽ pour quÕune vŽritable intellectualitŽ musicale puisse appara”tre.

La question de lÕantiphilosophie reste ˆ venir

Ë lÕinverse, on verra ce quՈ partir de Rameau une vŽritable intellectualitŽ musicale ajoute non seulement ˆ la thŽorie musicale proprement dite (ce quÕelle dŽplace, reconfigure en la dŽlimitant) mais aussi ce quÕelle transforme du rapport musicien ˆ la philosophie.

On verra en particulier quÕune intellectualitŽ musicale pose une nouvelle question dans le rapport musicien ˆ la philosophie : celle dÕune possible rivalitŽ. Ceci nous conduira ˆ faire lÕhypothse suivante sur laquelle je terminerai ce premier cours : une intellectualitŽ musicale se confronte nŽcessairement ˆ la question de lÕantiphilosophie, question dont une thŽorie musicale, par contre, peut faire lՎconomie.

Autant dire que, sous cette hypothse — ˆ suivre tout au long de notre semestre —, le rapport de lÕintellectualitŽ musicale ˆ la philosophie joue pour celle-lˆ un r™le central.

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[1] II.233

[2] Je mÕappuie ici sur deux cours dÕAlain Badiou consacrŽs ˆ cet ouvrage, les 21 janvier et 4 fŽvrier 1986.

[3] ceci dŽqualifie la reprŽsentation traditionnelle de cette sŽquence qui pose une mathŽmaticitŽ naissante dŽliŽe de ParmŽnide et assignŽe au pythagorisme prŽsentŽ alors comme doctrine du multiple dressŽe contre la doctrine parmŽnidienne de lÕUnÉ Szabo montre bien que lÕontologie parmŽnidienne a rendu possible le concept de nombre dans la modalitŽ du concept dÕunitŽ et donc que le pythagorisme est un parmŽnidisme prolifŽrant et non pas dŽtruit : cÕest parce que la gense du concept de nombre remonte donc ˆ ParmŽnide quÕil y a nŽcessitŽ de deux dŽmonstrations : lÕune pour tout nombre supŽrieur ˆ 1, et lÕautre pour 1 (qui est alors considŽrŽ comme nՎtant pas un nombre).

[4] Badiou thŽmatise ici un biconditionnement, ou une inauguration conjointe plut™t quÕune antŽrioritŽstrcite de la philosophie.

[5] Autre traduction, via Heidegger (Gilbert Kahn) : Introduction ˆ la mŽtaphysique (Tel, Gallimard, 1967 ; p. 105)

Mais seule reste encore la lŽgende du chemin (sur lequel sÕouvre) ce quÕil en est dՐtre ; sur ce (chemin), le montrant, il y a quantitŽ de choses ; comment tre est sans na”tre et sans pŽrir, se tenant seul lˆ tout entier aussi bien que sans tremblement en soi et nÕayant jamais eu besoin dՐtre terminŽ ; il nՎtait pas non plus autrefois, ni ne sera quelque jour, car, Žtant le prŽsent, il est tout ˆ la fois ; unique, unissant, uni, se rassemblant en soi ˆ partir de soi (tenant ensemble plein de prŽsence).

[6] Autres traductions — noter lÕimprŽcision de la traduction de Yves Battisti (Trois prŽsocratiques, IdŽes nrf, Gallimard, 1968) — :

 

Jean-Paul Dumont, Les Žcoles prŽsocratiques, Gallimard, 1988

Mais il ne reste plus ˆ prŽsent quÕune voie

Dont on puise parler : cÕest celle du Ç il est È.

Sur cette voie il est de fort nombreux repres,

Indiquant quՎchappant ˆ la gŽnŽration,

Il est en mme temps exempt de destruction :

Car il est justement formŽ tout dÕune pice,

Exempt de tremblement et dŽpourvu de fin.

Et jamais il ne fut, et jamais il ne sera,

Puisque au prŽsent il est, tout entier ˆ la fois,

Un et un continu. Car comment pourrait-on

Origine quelconque assigner au Ç il est È ?

Comment sÕaccro”trait-il et dÕo sÕaccro”trait-il ?

Je tÕinterdis de dire ou mme de penser

Que le Ç il est È pourrait provenir du non-tre,

Car on ne peut pas dire ou penser quÕil nÕest pas.

Quelle nŽcessitŽ lÕaurait poussŽ ˆ tre

Ou plus tard ou plus t™t, si cՎtait le nŽant

QuÕil avait pour principe ? Aussi faut-il admettre

QuÕil est absolument, ou quÕil nÕest pas du tout.

 

       Barbara Cassin, ParmŽnide Sur la nature ou sur lՎtant, Seuil, Points 368, 1998

Seul reste donc le rŽcit de la voie

Ç est È. Sur elle, les marques sont

trs nombreuses : en Žtant sans naissance et sans trŽpas il est,

entier, seul de sa race, sans tremblement et non dŽpourvu de fin,

jamais il nՎtait ni ne sera, car il est au prŽsent, tout ensemble,

un, continu. En effet, quelle famille lui chercheras-tu ?

Vers o et ˆ partir dÕo accru ? Ë partir dÕun non Žtant, je ne te laisserai

pas le formuler ni le penser ; car on ne peut ni formuler ni penser

que nÕest pas soit ; de plus, quel besoin lÕaurait alors pressŽ

plus tard ou avant de pousser ˆ partir du rien ?

Ds lors, il est besoin quÕil existe ou totalement ou pas du tout.

[7] Cf. vers qui pourrait nՐtre quÕune glose, ajoutŽe par Simplicius.

[8] J.-P. Dumont :

Il est donc notifiŽ, de par nŽcessitŽ,

QuÕil faut abandonner la voie de lÕimpensŽ,

Que lÕon ne peut nommer (car celle-ci nÕest pas

La voix qui conduirait jusquՈ la vŽritŽ),

Et tenir lÕautre voie pour la voie authentique,

RŽelle et existante.

[9] J.-P. Dumont :

Or le penser est identique ˆ ce en vue

De quoi une pensŽe singulire se forme.

On chercherait en vain le penser sans son tre,

En qui il est un tre ˆ lՎtat profŽrŽ.

[10] ÒagŽneton ŽonÓ

[11] Lacan : la vŽritŽ se donne dans une structure de fiction.

[12] qui prendra le sens dÕÇ intervalle musical È (II.122)

[13] I.354

[14] I.337

[15] II.106

[16] I.160

[17] Voir le chapitre Les ƒlŽments rythmiques dÕAristoxne de Tarente, pp. 112-121

[18] Pour les Pythagoriciens, la tutelle des nombres est avant tout dÕordre harmonique.

[19] Je prŽfre renommer ainsi ce que lÕon nomme plus souvent comme rapport entre forme et matire (voir Pierre Sauvanet, op. cit., p.115É)

[20] p. 116