Souvenirs de guerre de Pierre Capucin

par Paul Chanoine

·       1. Royan

·       2. Angleterre (1940)

·       3. Dakar (1940)

·       4. Érythrée (1941)

·       5. Syrie (1941)

6. Lybie (1941-1943)

 

E

nsuite on a dit : “il faut que la France soit présente en Libye” parce qu’avait commencé la bagarre entre les Anglais et les Italiens - il n’y avait pas encore les Allemands -. Il y a eu alors la première campagne de Libye. On nous a équipés d’antichars, de canons de 25 qu’on avait piqués aux Français de Vichy. Vous voyez la diversité de notre armement : anglais, italien, français… C’est là que sera créée [1] la 1° D.F.L. (la 1° Division de la France Libre ; il n’y en avait qu’une, il n’y avait pas le choix !).

On a constitué une unité antichars et j’y ai été affecté, au hasard. Nos canons de 25 [2] nécessitaient de tirer à vue sur les chars visés. Mais on n’a jamais eu l’occasion de voir les Allemands. Ce qui fait qu’on n’a jamais tiré. La seule fois où l’on a tiré, on l’a fait par erreur contre des Australiens qui étaient avec nous : on a cru que leur drapeau était celui des Allemands ! Heureusement on ne les a pas touchés ; on s’est très vite rendu compte de notre erreur. C’est authentique ! Il y avait dans cette première campagne des néo-zélandais, des australiens, des hindous…

On partait en Jock-colonnes [3] pour patrouiller. Mais un jour, il y a eu un vent de sable. Un vent de sable, dans le désert, c’est magnifique. C’est plus haut qu’une la maison, et on ne voit plus rien. Le sable s’infiltre partout, même dans les tableaux de bord. Et quand le vent de sable s’est levé, qu’a-t-on vu ? Une patrouille allemande à un kilomètre ! Notre réaction a été magnifique : on est parti chacun de notre côté, les Allemands dans un sens, et nous dans l’autre !

On a bien vu cette fois les Allemands, mais heureusement pas de près ! Les autres fois, on a bien vu des canonnades ; on s’est même fait canonner, mais toujours de loin.

 

Passage en Égypte (décembre 1941)

Ismaïlia (Canal de Suez)

Halfaya (frontière égyptienne)

 

Sollum (port, frontière égyptienne)

 

Pyramide (Mena Cump)

 

Décoration du général Cunning de la Croix de la Libération en présence du Général de Gaulle

 

Durant cette campagne, on s’est bien amusé, jusqu’à Bir Hakeim… On s’est tellement bien amusé, qu’un jour on s’est trouvé dans un champ de mines et qu’on ne le savait même pas. Théoriquement on avait des fanions de reconnaissance et des cartes ; mais elles étaient loin d’être à jour. Un jour on était chez les Anglais, un autre jour ailleurs ; alors, à force de se déplacer, on se perdait, et on ne savait plus à qui appartenait le champ de mines…

Ce qui manquait, c’est qu’on n’avait pas beaucoup à boire ; un peu d’eau, pas de vin bien sûr. Un jour on était à El Adem, un terrain d’aviation pas loin de Tobrouk ; on avait touché le ravitaillement en boissons, la cantine. On avait du whisky. On était enterré dans des trous. On était tellement bien que quand le terrain a été bombardé la nuit, on ne l’a même pas entendu ! Le lendemain matin, on s’est réveillé ; on s’est dit : “Ouille aille aille”. On a été très heureux d’avoir été enfouis !

 

El Babu (Lybie, janvier 1942)

 

À ce moment les occasions d’être bombardé et mitraillé, on ne les comptait plus. Le plus angoissant, ce n’était pas les mitraillettes ; cela faisait “tac-tiiiii”. Le plus angoissant, c’est quand on voyait les bombes descendre des avions. On se demandait où cela allait tomber. On avait plus peur des bombes que des mitraillades. Et pourtant le résultat était le même…

Les 25 et leurs équipages

 

Lybie, février 1942

Cimétière allemand

 

Hal-Jafa

 

Rouge impériale

 

 

El Hadem (Lybie, mars 1942)

 

Corvée repas (Paul Chanoine est à droite)

 

Chenillettes anglaises

 

Équipe de foot du 101ème

 

El Hadem (Lybie, avril 1942)

 

 

El Hadem après les pluies…

 

Vent de sable à El Hadem

 

L’équipe de l’atelier (Sidi Mohamed, avril 1941)

 

Lessive (Sidi Mohamed, avril 1941)

 

Lybie, mai 1942

Patrouille

 

Corvée repas (El Babu) – Paul est à droite

 

Ravitaillement au sud de Bir-Hakeim

 

Après cette première campagne de Libye, on est retourné en Syrie, histoire de prendre l’air un peu et de reformer des troupes.

 

Après on est reparti en Égypte par le Caire car, suite à la 1° campagne de Libye, les Allemands et Rommel s’étaient approchés très près de la frontière égyptienne. Dans le fond, c’est grâce à Rommel si on s’est ainsi promené ! On l’appelait “le renard du désert”. C’était vraiment un grand soldat. Il était général allemand ; sans doute était-il pour Hitler, mais ce n’était pas un nazi - cela lui a coûté cher plus tard : on l’a fait mourir -. J’ai lu son livre “La guerre sans haine” ; il a été réalisé à partir des carnets qu’il écrivait tous les jours pendant la guerre et que son fils a rassemblés plus tard pour les publier.

Comme soldat, il a été impeccable : à Bir Hakeim, quand on était fait prisonnier, légalement on n’était pas des soldats ; on était des déserteurs, des rebelles. Donc on n’était pas protégé par les lois de l’armée. Et Rommel pouvait très bien nous faire exécuter. Comme à l’époque les Français Libres étaient considérés légalement comme rebelles, Adolf avait dit : “Tout Français pris les armes à la main sera, conformément aux lois de la guerre, exécuté.” On ne pouvait rien dire. Mais Charles de Gaulle a prévenu - je l’ai appris plus tard en lisant ses Mémoires - que si on fusillait des Français Libres, il fusillerait en représailles des Allemands (on avait quand même fait à l’époque quelques prisonniers de guerre allemands). Je ne sais pas si de Gaulle aurait été jusque là, mais enfin Rommel a dit : “J’ordonne que les Français prisonniers soient traités comme les autres.” Et de fait, on a récupéré quelques années plus tard, en Italie, deux de nos camarades qui avaient été faits prisonniers et qui n’avaient pas été trop mal traités.

Rommel avait entendu parler de de Gaulle par son livre sur “L’armée de métier” et on raconte que c’est de ce livre qu’il s’était inspiré pour mettre l’accent sur les blindés dans son armée. Alors que nous, en France, on n’a rien pris de ses idées : la seule division blindée qu’on ait eue, c’était celle avec laquelle de Gaulle a essayé en 1940 de reprendre Abbeville. De Gaulle avait écrit plusieurs livres avant la guerre : Au fil de l’épée, L’armée de métier… Mais certains généraux français ne voulaient pas non plus de l’armée de métier…

 

Après on a donc fait la seconde campagne de Libye. Depuis la première, les Italiens avaient été remplacés par l’Afrikakorps commandée par Rommel (voir “La guerre sans haine” où il donne toutes les descriptions des batailles de Libye ; on y retrouve exactement les mêmes noms mais la description se fait à l’inverse, de l’autre côté : “les Français ont été repoussés, les Anglais ont été battus…”). On a réussi à reconduire les Allemands jusqu’à la frontière. Durant cette campagne, on a bien tiré quelques coups de canon, comme ça, au hasard, mais on n’a jamais vu les Allemands de près.

Dans la 1° D.F.L., il y avait le bataillon du Pacifique composé de gens qui venaient de Nouvelle-Calédonie, de Martinique et qui venaient combattre en Libye. C’était la France ; même s’ils avaient la peau mate, ce n’était pas grave.

Du point de vue du ravitaillement, on avait du corned-beef et des biscuits de guerre. Ce n’était pas très marrant. En Érythrée on avait de la chance : on avait réussi à tuer des antilope-cheval. Ce n’était pas excellent, mais c’était quand même mieux que le corned-beef.

 

Lybie, septembre 1942

Alerte en plein désert

 

Repos à Aïm Sofur

 

Je ne me souviens plus bien des épisodes militaires successifs et du rôle joué par mon unité dans les différentes batailles. En gros, on suivait la masse et on foutait le camp quand les autres arrivaient ; et vice versa… Que vouliez-vous d’ailleurs faire d’autre ? Ou on était fait prisonnier, ou on se taillait. Au début les Anglais ne voulaient pas des Free French, d’une armée française, et de Gaulle s’est bagarré à ce propos avec Churchill. De Gaulle avait même envisagé un moment de nous envoyer en Russie [4] ; je ne sais pas ce qu’on aurait été faire en Russie ! Comme quoi le destin… Et puis finalement un général anglais a accepté de prendre des Français avec lui.

Lors de la bataille de Bir Hakeim, au début de l’encerclement de nos troupes, on a dû escorter un convoi avec un canon de 25. On est sorti de nos lignes, mais quand on a voulu rentrer, on n’a pas pu le faire : il y avait entre Bir Hakeim et nous la 90° Panzer ou je ne sais plus quoi. On a essayé plusieurs fois de rentrer mais on n’a pas pu. Il y a bien eu une brigade anglaise qui a essayé de percer les lignes allemandes, mais ils n’ont jamais réussi. J’ai donc fait la première partie de la bataille de Bir Hakeim mais pas la suite. Vous savez : on pouvait facilement disparaître durant cette bataille. On a ainsi retrouvé dans le désert, je crois que c’est 18 ans après, un avion de guerre anglais, avec l’équipage au complet devenu des squelettes, mais sans traces de mitraillage sur le fuselage. Est-ce que l’avion avait atterri par manque d’essence ? Vous vous imaginez la mort des gars, sans eau dans le désert…

La bataille de Bir Hakeim, qui devait durer 3 jours et qui en a duré 10 [5], a drôlement embêté Rommel et les Allemands : cela a permis aux Anglais - à la 8° armée - de se replier et de préparer El Alamein [6]. S’il n’y avait pas eu la résistance de Bir Hakeim, les Allemands arrivaient certainement avant nous à Alexandrie. Bien sûr, j’ai appris tout cela plus tard en lisant des livres.

Grâce à Bir Hakeim, qui bloquait Rommel et immobilisait deux divisions, l’une italienne, l’autre allemande, les Anglais ont pu se reconstituer. Il y a eu ensuite la bataille d’El Himeimat où est mort Amilakvari [7]. Puis El Alamein

 

Bir Hakeim (octobre 1942)

 

Cuisine du désert

 

La roulante…

 

Vestiges de l’Africa Korps

 

Durant la 2° campagne de Libye, on a été deux fois encerclé. Les Allemands avaient coupé le ravitaillement. Le plus dur, c’était la boisson. Encore sans manger, vous pouvez tenir. Mais sans boire ! On a été comme ça coupé de tout pendant deux à trois jours.

Une autre fois, un soir, vers minuit, il y a eu 2 000 canons de notre camp (anglais, néo-zélandais, australiens…) qui ont tiré en même temps. Il faisait clair comme en plein jour ; le sol tremblait. Les Allemands étaient écrasés sur place, et leur ravitaillement n’arrivait plus. Une autre fois encore, on s’est fait bombarder par erreur par les Anglais, mais c’était avant, à Bir Hakeim.

Au total, pour le transport de matériel on a fait au moins trois fois le désert de Sinaï entre Beyrouth, Le Caire…

J’ai passé mes 20 ans en Syrie [8]. On était alors à Ain Sofar, un petit village à la frontière du Liban et de la Syrie. On était au repos. Ce jour-là il y a eu le Général Catroux, gouverneur de Syrie et du Liban, qui est passé en grand uniforme, accompagné de Mme Catroux. On lui a dit : “Mon général, je vais vous présenter quelques jeunes français.” Il m’a demandé : “De quelle région êtes-vous ?” Je ne sais plus ce que je lui ai raconté, et puis j’ai ajouté : “Mon général, j’ai 20 ans aujourd’hui.” Je l’ai dit comme ça, dans la conversation. Il m’a répondu : “C’est très bien, mon ami.” Et Mme Catroux m’a donné un pull-over que j’ai gardé et que Maria, plus tard, a détricôté pour en faire un pull-over pour Alain. Je me demande encore comment et par quel mystère j’ai pu garder tout ce bardas-là !

 

Lybie, octobre 1942

Sidi Badullah

 

Ruines de Sidi Benamin

 

 

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·       7. Tunisie (1943)

·       8. Italie (1943-1944)

·       9. France (1944-1945)

·       10. Et ensuite…



[1] Le 1° février 1943. La 2° D.F.L. prendra vite le nom de 2° D.B.

[2] Cf. “La France et son empire…” p.117 : il y avait à Bir Hakeim du côté français 3 300 hommes et seulement 18 canons de 25 (sur un total de 100 pièces antichars).

[3] Colonnes militaires volantes très mobiles (cf. “La France et son empire…” p.116).

[4] Cf. “La 1° D.F.L.” p. 206

[5] Exactement du 26 Mai au 12 Juin 1942. La position des Français devra finalement être abandonnée, mais cette “non-victoire” deviendra un fait d’armes retentissant.

[6] Bataille fameuse (fin octobre - début no­vembre 1942) gagnée par les Anglais contre l’Afrikakorps.

[7] Colonel commandant la Légion étrangère, rallié à de Gaulle avec les troupes venues de Narvik.

[8] Le 21 octobre 1942