Souvenirs de guerre de Pierre
Capucin
par
Paul Chanoine
· 1. Royan
· 2. Angleterre (1940)
· 3. Dakar (1940)
· 4. Érythrée (1941)
A |
près l’Érythrée - on était alors en juin
1941 -, on a rembarqué à Massaouah, le port affreux à la chaleur torride.
On est reparti. Quoique monsieur de Gaulle ait
dit qu’il ne voulait pas que les Français se battent entre eux, on a quand même
été obligé de se battre en Syrie contre les Français de Vichy [1]. C’est à ce moment-là qu’on a commencé de dire les gaullistes, les vichystes… C’est à ce moment que j’ai
découvert qu’on nous appelait les gaullistes :
on nous traitait de sales gaullistes, de vendus
aux Anglais, de traîtres à la patrie, de renégats (toutes les expressions y
sont passées)… Nous, on s’appelait entre nous les français, c’est tout.
C’était la même opposition de noms que
lorsqu’on rentrait dans une ville et que selon le camp on était appelé les
libérateurs ou les occupants… Cela rappelle quand Napoléon est rentré de l’Île d’Elbe et qu’au fur
et à mesure de sa progression triomphale, on l’a appelé successivement Bonaparte, puis Napoléon, puis Sa Majesté
l’Empereur… Cette façon de faire a été de tous les
temps. Nous, on les appelaient les vichystes, les
gars de Vichy, mais pas les pétainistes. Ils nous appelaient les gaullistes, mais
cela nous laissait froid, et on ne reprenait pas ce terme.
Cette campagne a donc été pour nous un
problème terrible. On est d’abord allé en Palestine, au camp de Quastina [2] où de Gaulle est d’ailleurs venu [3] - il était aussi venu une fois en Érythrée -. Les troupes ont
débarqué légalement, avec la complicité des autorités vichystes. Mais c’était
dangereux car la Palestine était alors sous l’autorité de l’Égypte.
Quastina
(Palestine)
Premier
passage au Liban (juin 1941)
Beyrouth
monts
du Liban
Troupes
bédouines vichystes (Plateau de Palmyre, juin 1941)
Frontière
syrienne (juin 1941)
Et ensuite il y eut la bagarre de Syrie [4]. Là, cela n’a pas été joyeux parce que se battre contre les Italiens,
encore ça va, mais contre les Français… Être mitraillé par les avions français
alors que sur nos drapeaux on avait enlevé la croix de Lorraine, pour éviter
les divisions ! D’ailleurs officiellement, on n’a jamais eu la croix de
Lorraine sur nos drapeaux. On avait le drapeau bleu-blanc-rouge et une petite
flamme rouge sur laquelle il y avait la croix de Lorraine. On nous a accusé
d’avoir sali le drapeau français en y mettant la croix de Lorraine. En fait
cette croix est celle de Jeanne d’Arc. Ce n’est pas de Gaulle qui l’a
inventée ; c’est l’amiral Muselier [5] (qui avait rallié mais qui, ne s’entendant pas du tout avec de Gaulle,
a quitté plus tard le Comité de la France Libre).
Catroux, après avoir été gouverneur
d’Indochine, était devenu gouverneur de ce qu’on appelait le Levant [6]. C’était alors le seul général à cinq étoiles qui ait consenti à
rallier de Gaulle. De Gaulle a pensé qu’en envoyant Catroux là-bas, cela allait
faire jouer des sympathies qui permettraient de rallier des forces. De Gaulle a
bien raconté dans ses Mémoires qu’il avait été
écœuré par le comportement des forces de Vichy alors que notre intervention là-bas
avait des raisons stratégiques : il s’agissait d’empêcher les Allemands de
passer.
Homs
(Syrie, juin 1941)
Pont
suspendu sur l’Oronte (Syrie, juin 1941)
Alep
(Syrie, juin 1941)
Cette campagne a été pour nous une des plus
dures, non seulement du point de vue des pertes [7] - c’est là qu’on en a eues le plus, en dehors de Bir Hakeim - mais
surtout moralement : les Anglais nous ont plus ou moins laissé tomber et
on combattait d’autres Français, ceux de Vichy qui étaient commandés par
l’ancien gouverneur de Paris nommé Dentz, celui-là même qui en juin 1940 avait
demandé que les jeunes quittent Paris en déclarant alors que des camps étaient
organisés à cet effet, ce qui était faux : il l’avait peut-être alors
décidé, mais c’est tout ! Et le résultat c’est que je me suis retrouvé à
Royan comme raconté précédemment. J’ai donc retrouvé ce Dentz, deux ans plus
tard, - entre temps il avait été nommé général - mais il était cette
fois dans le camp d’en face…
Devant Damas [8], c’est là que cela a été très dur. On a d’abord pensé qu’ils allaient
faire un simple baroud d’honneur. Mais non. Il y avait des officiers de
Saint-Cyr des deux côtés, qui se battaient les uns contre les autres…
Syrie
(juillet 1941)
Dépôt de munitions devant Damas
Entrée de Damas
Damas : avenue de la Victoire
Damas : Faculté de droit
Damas : hippodrome
Damas : Mission franciscaine
Damas
Damas : Orient Palace
Après cette bagarre en Syrie, qu’on a
conquise, ou ralliée - ça dépend du nom - suite à quoi [9] certains ont accepté de rejoindre la France Libre, les autres étant
rapatriés en France [10]. En Syrie d’ailleurs Monclar a refusé de combattre. Mais de Gaulle ne
lui a rien dit. Il faut dire qu’en Syrie, les Anglais ont toujours joué double
jeu ; ils voulaient aussi s’en emparer. Et en plus les Allemands
arrivaient. Monclar avait donc plusieurs raisons - politiques,
militaires… - pour ne pas vouloir en Syrie se battre contre des Français.
En Syrie, je m’occupais toujours du
ravitaillement. On était cependant équipé désormais de mitrailleuses
antiaériennes. On avait aussi récupéré du matériel auprès des Italiens :
on avait des Brenda 13.2 qu’on a utilisées tant
qu’on avait les bonnes munitions.
Quand on montait la garde dans les villages
arabes, c’était dangereux : on nous conseillait de ne jamais nous appuyer
contre un mur quand on était fatigué parce que les maisons étaient là-bas très
différentes des nôtres, avec des tas de couloirs, des accès inconnus, et on
pouvait être facilement surpris.
Damas : Défilé du 11 novembre 1941
Tout cela m’a donc permis de faire un beau
séjour à Damas, puis au Liban qui était un pays magnifique, et en Égypte aussi.
Selon les radios, c’était toujours “les troupes rebelles de l’ex-Général de
Gaulle” ou “les troupes libératrices”… Et puis ce sont les Allemands qui sont
arrivés. On a fait connaissance de la flotte d’Alexandrie qui n’a jamais bougé.
Il y avait pas mal de navires de guerre mais l’amiral Godefroy n’a jamais voulu
rallier la France Libre.
Second
passage au Liban (décembre 1941)
monts
du Liban sous la neige
*
·
6. Lybie (1941-1943)
·
7. Tunisie (1943)
·
8. Italie
(1943-1944)
·
9. France
(1944-1945)
·
10. Et ensuite…
[1] La Syrie, comme le Liban, était sous mandat français depuis 1920.
L’indépendance de la Syrie avait bien été proclamée en 1941 par la France Libre
mais Vichy y maintenait ses troupes (45 000 hommes environ).
[2] Fin avril 1941 (cf. “La France et son empire…” p.108). C’est là
que se constitue la 1° Division Légère de la France Libre (D.L.F.L.) ou 1°
Brigade Française Libre.
[3] Le 26 mai 1941
[4] À partir de juin 1941.
[5] Né en 1882. Voir “Les Français à Londres” p.96… pour son
histoire, puis p.239… pour “l’affaire Muselier”.
[6] Liban et Syrie
[7] La 1° D.L.F.L. aura 164 morts et 650 blessés.
[8] Juin-juillet 1941.
[9] La reddition des forces de Vichy a lieu le 13 juillet.
[10] Quelques milliers d’hommes seulement choisiront de rallier la
France Libre : 1 000 Français, 1 000 légionnaires et 2 000
tirailleurs. Les autres, plus de 30 000 soldats, refuseront de rester et
seront rapatriés vers la France.