Souvenirs de guerre de Pierre Capucin

par Paul Chanoine

·       1. Royan

·       2. Angleterre (1940)

·       3. Dakar (1940)

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4. Érythrée (1941)

« pris du train en allant de Port-Soudan à Luatkin (Soudan anglo-égyptien) »

 

O

n a débarqué ensuite [1] à Port-Soudan [2] - c’est là que j’ai retrouvé le bateau qui m’avait emmené en Angleterre - et alors là on est allé faire une petite promenade en Érythrée [3]. C’était contre nos “amis” italiens. C’était une promenade. On n’a pas vraiment eu de coups durs. Il fallait occuper ce coin pour empêcher que les Allemands viennent à la place des Italiens (les Allemands étaient beaucoup plus dangereux, et ils n’avaient pas beaucoup confiance dans les Italiens).

On était à cette époque formé en une compagnie de transport et de ravitaillement (la 1° D.F.L. n’existait pas encore, et la colonne Leclerc était au Tchad) qui était encadrée par les Anglais. On était dans des camions Benford (anglais) et on faisait le ravitaillement pour les Anglais. Comme Armée française véritable, il n’y avait à ce moment-là que la Légion. Presque toute la Légion avait rallié ; et d’ailleurs, où vouliez-vous qu’ils aillent ? Ils n’allaient pas venir en France…

On a fait notre petite campagne d’Érythrée jusqu’à la frontière éthiopienne. Les Italiens n’avaient pas du tout envie de se battre. D’ailleurs il y avait à ce moment-là un des fils du roi Victor-Emmanuel, le duc d’Aoste ; et s’ils avaient voulu résister en Érythrée, cela leur aurait été facile : c’était des montagnes. Les Italiens n’étaient peut-être pas des guerriers - ils n’avaient pas l’esprit bagarreur des Allemands - mais c’étaient de bons constructeurs, de bons maçons. Ils avaient fait des routes magnifiques, en pleine montagne.

On a été à Asmara, qui était à 2 000 mètres, puis au port de Massaouah sur la Mer Rouge où régnait une chaleur épouvantable. En plein midi, il faisait au moins 40° et notre eau était bouillante. Là, les Italiens se sont rendus [4] alors qu’ils auraient pu facilement faire une sortie. On n’était qu’une poignée (2 000 ou 2 500) et eux étaient 10 000 [5], avec la Marine et tout ! On n’avait que des fusils (des fusils 36 français) et peut-être deux ou trois canons ; pas grand chose !

Il y avait une ville en pleine montagne qui s’appelait Cub Cub [6]. On raconte que ce nom venait de ce que des tirailleurs Sénégalais [7] avaient attaqué avec des coupe-coupes. Était-ce vrai, était-ce une légende inventée par les Italiens ?

C’était alors Monclar qui commandait. Je me souviens d’une petite histoire drôle. À Port-Soudan ou à Souakim - on a débarqué à Souakim, à côté de Port-Soudan - je montais un jour la garde tout bêtement devant une citerne. Arrive Monclar qui avait fait la Norvège et qui en était sorti plus ou moins blessé et déhanché. Avec lui, il ne fallait pas broncher ! Il me demande : “Qu’est-ce que vous gardez là ?” Je ne pouvais pas répondre (on n’a pas le droit de répondre au garde-à-vous). Il me dit : “Repos !” Je lui dis : “Mon colonel, je ne sais pas trop ce que je fais là !” Alors il me dit : “Ouvrez moi la cuve !” Mais je n’avais pas le droit de me séparer de mon fusil (je ne sais même pas s’il y avait des balles dedans, et Monclar était tellement vache…). Il m’a alors commandé de poser mon fusil. On a ouvert la citerne et il n’y avait rien dedans ! Il y a eu ensuite un gars qui s’est fait engueuler pour avoir fait garder une citerne vide…

Autre anecdote : l’histoire de Fournier de la Barre - il a été un des très rares 2° classes à être devenu compagnon de la Libération (il a sauvé des ambulances à Bir Hakeim…) -. Un jour il voit le fameux Monclar arriver. Qu’est-ce qui lui a pris ? On ne sait pas. Il a crié : “Silence aux morts !” Cela n’a pas plu à Monclar qui l’a condamné à deux jours de consigne “sans augmentation de la part de son supérieur” (une condamnation pouvait normalement être aggravée par le capitaine, puis par le commandant et ainsi de suite) au motif suivant : «A crié, sur le passage d’un officier supérieur déjà malade, d’une voix de soprano de la Chapelle Sixtine, Silence aux morts ! anticipant par là la mort prochaine de cet officier». C’était le style de Monclar : il pouvait piquer des colères terribles mais ses gars l’aimaient beaucoup. Avec de Gaulle il ne s’entendait pas tellement.

 

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·       5. Syrie (1941)

·       6. Lybie (1941-1943)

·       7. Tunisie (1943)

·       8. Italie (1943-1944)

·       9. France (1944-1945)

·       10. Et ensuite…

 



[1] Le 15 février 1941

[2] Au Soudan, colonie britannique.

[3] Colonie italienne qui menaçait le Moyen-Orient et la “route des Indes”. Le gouvernement britannique avait décidé de s’en emparer.

[4] Mi-avril

[5] “1 000 Français Libres ont fait 14 000 pri­sonniers italiens” selon “La France et son empire…” (p. 106).

[6] Prononcer “Coube-coube”

[7] Le terme Sénégalais désignait globalement les Africains servant sous les armes françaises, qu’ils viennent du Sénégal ou d’un autre pays.