Souvenirs de guerre de Pierre Capucin

par Paul Chanoine

 

·       1. Royan

·       2. Angleterre (1940)

3. Dakar (1940)

 

Paul Chanoine (septembre 1940, sur le Westerland)

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C

ourant août, les bruits courent d’un prochain départ pour l’Afrique.

Et puis un jour on apprend que nous quittons Aldershot pour une destination inconnue. Mystère ! On va à Liverpool ! C’était marrant ; je me suis dit : “On ne va quand même pas repartir pour la France !” Ainsi j’avais débarqué à Liverpool, et j’ai rembarqué à Liverpool. Le bateau qui nous a emmené d’Angleterre [1] s’appelait Westernland ce qui veut dire “Terre de l’Ouest”. La nuit, on a été bombardé sur le bateau. On est parti quand même, mais on ne savait pas pour où. On n’était pas le seul bateau. On était en convoi [2], bien organisé.

Paul Chanoine à gauche

Paul Chanoine complètement à gauche sur les deux photos

 

Trajet du Westerland

 

On est arrivé à Freetown [3]. C’était la première fois qu’on a vu l’Afrique. On a débarqué. On n’est pas resté longtemps. De Freetown s’est formé le convoi pour Dakar. Il y avait le Westernland et le Pennland ; c’était deux navires réquisitionnés par l’Angleterre mais équipés par des Hollandais qui étaient plutôt germanophiles et ne pouvaient pas voir les Français en peinture. Le résultat, c’était qu’on bouffait très mal jusqu’au jour où Magrin [4] s’est foutu en pétard et a dit : “C’est la Légion qui fera la tambouille” (autrement dit la cuisine). Après ça, on a mieux mangé.

Petite anecdote : sur le Westernland, on avait des ballons et des filets pour se protéger des avions. Un jour il y a un ballon qui fout le camp. Un camarade arabe, dont j’ai oublié le nom, dit alors à notre sergent d’origine italienne nommé Plisson : “Sergent Plissonne, chouffe [5] le ballonne !” Dans sa bouche, avec sa prononciation, cela rimait très bien !

Autre souvenir : sur le bateau en allant vers Dakar, il y avait eu un camarade qui était mort. On l’avait immergé à la mode de la marine à voile. C’était émouvant. On l’a mis dans un sac ; on a mis le sac sur une planche, et on l’a gentiment balancé à la mer. Cela faisait quand même tout drôle !

 

L’histoire de Dakar [6] a échoué : on a essayé de débarquer. C’est là que l’amiral Thierry d’Argenlieu [7], très révérend Carme, et le petit-fils du Maréchal Foch [8] ont été avec un drapeau blanc comme plénipotentiaires pour obtenir le ralliement de Dakar [9]. Mais cela n’a pas marché. J’ai su après : le gouverneur Boisson, qui était pourtant un ancien de la guerre de 1914, n’avait pas voulu se rallier. Beaucoup n’ont pas voulu rallier de Gaulle, d’abord parce qu’il était pratiquement inconnu, et ensuite parce qu’ils avaient quatre ou cinq étoiles : alors se mettre, à titre temporaire, aux ordres d’un général à deux étoiles… C’est pour cela que cela n’a pas marché. Mais il faut ajouter que les Anglais, avant, n’avaient pas été non plus très fair-play parce qu’ils avaient, à Gibraltar, laissé passer la marine de Toulon - il y avait là le fameux Richelieu [10]. Ensuite, devant Dakar, les Anglais lui ont tiré dessus. Parmi nous, il y avait beaucoup de bretons (peut-être 60%) et ils avaient des frères ou des cousins sur les navires en face ; cela a été extrêmement pénible.

Passage de l’équateur sur le Westernland (septembre 1940)

 

Quand il a vu cela, de Gaulle a dit : “Pas de bagarre. Je ne veux pas que les Français se battent entre eux” [11]. Entre-temps il y a eu le ralliement du Cameroun [12] - pas de problèmes - puis celui du Gabon [13] - il y a eu un peu de bagarre -. Ensuite on est revenu à Freetown.

Rade de Free Town (Sierra Leone) en septembre 1940

 

De là on a pris un autre bateau [le Neuralia] pour atteindre le Cameroun qui avait été rallié par Leclerc [14] - lequel était pratiquement inconnu à ce moment-là -, par Hettier de Boislambert [15] et par Pléven [16] - des gens que je ne connaissais alors pas -.

Trajet du Neuralia

 

Devant Victoria (Cameroun), octobre 1940

Arrivée à Douala (Cameroun), sur le port (octobre 1940)

 

L’accueil a été extrêmement sympathique. Mais où nous loger ? On l’a fait à quelques kilomètres de Douala, au camp de Bassa (j’en ai parlé plus tard avec des collègues de travail camerounais qui venaient justement de là-bas). Un camp affreux, qui était même interdit aux Noirs ! On a vécu là pas tellement longtemps.

Au camp de Bassa (octobre 1940) [Paul Chanoine est d’abord à gauche, puis au centre, puis à droite]

 

C’est là que j’ai eu mes 18 ans - on était en 1940 [17] -. J’avais un camarade, Mottet, qui a eu ses 18 ans le même jour que moi.

Les 18 ans de Paul Chanoine en octobre 1940 à Douala (Cameroun) [à droite, sur la photo de droite]

 

Marché de Douala (Paul Chanoine est au centre) – octobre 1940

 

[ Autres photos de Douala ]

 

Camp de Bassa, 14 décembre 1940

 

Le Train-Sport : journal de la 1° compagnie du Train

 

Après monsieur de Gaulle a dit : “C’est pas le tout. Le Cameroun, c’est bien, mais il faut aller ailleurs.” C’est là que Leclerc a formé, avec une poignée de gars, sa fameuse colonne qui a remonté vers le Tchad alors que nous, on a rembarqué. Il fallait en effet que la France Libre soit représentée partout.

On est retourné à Freetown pour la 3° fois. On a pris un bateau qui s’appelait le Neuralia [18] et on a fait une petite promenade jusqu’au Cap.

Du 24 décembre 1940 au 15 février 1941 : sur le Neuralia

de Freetown (Sierra Leone) à Port-Soudan (Soudan) via Le Cap

 

Au Cap on a fait escale mais on n’a pas eu le droit de descendre. Pourquoi ? Je n’en sais rien.

Janvier 1941 : sur le Neuralia en rade de Captown (Afrique du Sud)

 

Après on est remonté et on est allé à Durbane. On a fait ainsi soixante-deux jours de mer sans voir la terre.

 

*

·       4. Érythrée (1941)

·       5. Syrie (1941)

·       6. Lybie (1941-1943)

·       7. Tunisie (1943)

·       8. Italie (1943-1944)

·       9. France (1944-1945)

·       10. Et ensuite…

 



[1] Avec 2 000 hommes environ le 30 août 1940 (cf. “La France et son empire dans la guerre” p.84 ; “Les Français à Londres” p.188…). La troupe est commandée directement par de Gaulle qui embarque lui-même sur le Westernland.

[2] 2 bateaux transports de troupe française - le Pennland et le Westernland -, divers navires marchands, escortés par 4 bâtiments des F.F.L. et une flotte de guerre anglaise (dont un porte-avions) transportant un corps de débarquement anglais de 4 500 hommes.

[3] Capitale de la Sierra Leone, colonie britannique.

[4] dit Monclar

[5] En arabe, chouf = regarder

[6] Tentative de rallier l’Afrique Occidentale Française par une opération militaire conjointe des Français Libres et des Anglais.

[7] Né en 1889, officier de marine, il démis­sionne en 1919 pour entrer chez les Carmes. Mobilisé en 1939, il est fait prisonnier en juin 1940, s’évade aussitôt, gagne l’Angleterre et se rallie à de Gaulle.

[8] Le capitaine Becourt-Foch

[9] Le 23 septembre 1940

[10] Après le bombardement de la flotte française par les Anglais à Mers-el-Kébir (près d’Oran) le 3 juillet 1940, le reste de cette flotte avait quitté la Méditerranée, les Anglais la laissant paradoxalement franchir le détroit de Gibraltar. Le cuirassé Richelieu, qui avait échappé à une tentative de torpillage anglaise à Mers-el-Kébir, s’est ainsi retrouvé ensuite à Dakar, face à la flotte franco-anglaise…

[11] Fin de l’expédition le 25 septembre.

[12] Cf. “Les 4 glorieuses” : ralliement sans combats à la France Libre de la plus grande partie de l’Afrique Équatoriale Française, soit le Tchad (le 26 août), le Cameroun (le 27 août), le Congo (le 28 août) et l’Oubangui-Chari (le 29 août). Suite à quoi ne manquait que le Gabon.

[13] Le Gabon est rallié début octobre à la France Libre après 10 jours de combats.

[14] Pseudonyme pour Philippe de Hauteclocque, né en 1902.

[15] Premier officier à rejoindre de Gaulle, le 19 juin 1940.

[16] Homme politique, également rallié de la première heure à de Gaulle.

[17] 21 octobre 1940

[18] Le 24 décembre 1940. La troupe constitue le complément du Bataillon de Marche n°3 dans la Brigade d’Orient. Elle comprenait la 13° demi-brigade de Légion étrangère, la 101° compagnie auto, les chars, une ambulance chirurgicale, l’intendance (cf. “La France et son empire…” p.103)