Souvenirs de guerre de Pierre Capucin

par Paul Chanoine

 

·       1. Royan

2. Angleterre (1940)

 

L

e résultat du voyage : on s’est d’abord retrouvé à Plymouth ou à Portsmouth. Là, il y avait les bateaux qui arrivaient et on les renvoyait vers Liverpool où je suis arrivé gentiment, le 26 juin 1940. Alors là, la coïncidence a continué ; on a eu une chance ! On débarquait bien sûr ; mais se trouvait à ce moment-là au même endroit une partie [1] de l’armée de Norvège qui revenait de Narvik [2] avec le fameux colonel Magrin-Vernerey dit Monclar - cette armée était commandée par le général Béthouard (condisciple de de Gaulle à Saint Cyr) lequel n’a pas voulu rallier la France Libre -.

On tombe sur un officier de cette armée qui nous demande : “Vous êtes Français ?” On dit “Oui !”. Alors il dit : “On vous prend en charge.” Je lui dis : “Mais on n’est pas militaire !” Il dit : “Même si vous n’êtes pas militaire, on vous prend quand même en charge.” Bon, alors je dis : “Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?” “Vous restez là !”. On était habillé à moitié en militaire - je me rappelle : les Polonais nous avaient donné une casquette carrée avec l’aigle -. Bon, alors on attend les événements. On nous envoie au camp d’Arrow Park, et c’est là que je rencontre Miss Davenport qui deviendra ma marraine de guerre.

Pendant ce temps il y a eu le monsieur “qui vous savez” [3] qui avait lancé l’appel le 18 juin. Le 27 juin [4] s’amène au camp un monsieur, avec deux étoiles [5]. Il dit : “Je suis de Gaulle” - il nous était inconnu ; cela aurait pu être Pétain ou Weygand, pour nous c’était pareil -. Il dit : “Je suis le Général de Gaulle. Je suis la France. Je continue la lutte.” Qu’est-ce qu’il n’avait pas dit là ! Avec le mot France, il ralliait qui il voulait. Il dit : “Messieurs, ceux qui veulent suivre, venez avec moi. Ceux qui ne veulent pas, les Anglais les rapatrieront sur la France.” Et effectivement, ils ont été rapatriés, sauf un bateau qui a été coulé, mais passons… Alors on nous a demandé : “Est-ce que vous voulez rester pour combattre du côté des Anglais ?” On a dit : “Oui, pas d’histoires ; allons-y pour la France !” On voulait bien, pour parler comme Jeanne d’Arc, bouter non plus l’Anglais mais l’Allemand hors de France. On nous a dit : “Vous êtes considérés comme étant volontaires ; on vous embarque.” Le 28 juin, on est parti pour Londres où l’on a rencontré d’autres Français à l’Olympia Empire Hall [6]. C’est là, le 1 juillet, qu’a eu lieu l’engagement officiel ; on a signé pour toute la durée de la guerre, c’est-à-dire “jusqu’à ce que la guerre soit terminée”. On ne savait pas, bien sûr, le nombre d’années !

On a été ensuite emmené le 2 juillet au camp militaire d’Aldershot [7] pour nous entraîner [8]. On a été mis dans des casernes et les Anglais nous ont équipés ; on avait la tenue anglaise, impeccable. On n’avait pas la Croix de Lorraine mais simplement un insigne “France”. On était 2° classe et on avait un officier qui venait de Norvège. On appartenait à la demi-brigade d’Orient (la raison de ce nom ? Je ne l’ai jamais sue). Elle était en fait commandée par Monclar, au titre de la Légion étrangère. De juillet à août, l’entraînement a été intensif mais on a aussi un peu visité l’Angleterre. L’accueil de la population était très sympathique : quand nous allions dans les pubs, nous n’avons jamais eu à payer une seule consommation ; nous étions pour eux les Free French.

 

On a fait quelques excursions : on a visité le Château de Windsor (le plus vieux et le plus grand château du monde) où nous avons aperçu de loin le Roi, la Reine et leur fille Élisabeth. Un autre jour, on a visité l’abbaye d’Eton et un collège où l’on a bu du thé. Au début, on le buvait en vitesse, et puis après on s’y est habitué : on ne buvait plus que cela… Une autre fois, on a visité les tombeaux de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie qui reposaient dans une abbaye. Quelle ironie du destin pour le grand empereur que d’être enterré chez “l’ennemi héréditaire” !

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Le 14 juillet, on a défilé à Londres, mais on n’était pas nombreux [9]. Avant de partir on avait touché la tenue coloniale anglaise (battle dress), avec des shorts immenses, à double battant, prévus pour les Indes contre les moustiques ! Le défilé était pour nous très émouvant mais le cœur restait triste. L’accueil de la population était chaleureux ; on a vu Mme Churchill.

14 juillet 1940

 

Ensuite on est retourné au camp. On sera bombardé deux fois de suite parce que le camp était situé le long de la ligne de chemin de fer très importante de Southampton. On passait toutes les nuits dans des espèces d’abris car c’était l’époque du Blitz [10]. C’est à cette époque qu’on a rencontré des Canadiens français. Quelle joie ! Tragiquement pour eux, leur camp a été une nuit bombardé par les Allemands qui en réalité nous visaient.

Permission, le 5 août 1940, pour le 2° classe Chanoine (camp d’Aldershot)

 

Un jour [11] on a appris qu’on annonçait en France que les rebelles de l’ex-Général de Gaulle avaient été anéantis la nuit dernière. Manque de pot pour nous !

Ensuite le roi Georges est venu fin août nous rendre visite [12]. C’était un événement ! A 5 heures du matin, on était tous debout pour tout briquer si bien que lors de sa visite, vers 15 heures, nos chaussures brillaient comme des miroirs !

Quand je me suis engagé et que j’ai signé, je n’avais pas encore 18 ans mais on ne m’a rien demandé. Il y avait des plus jeunes encore. Il y a eu alors un camp de formation des jeunes pour ceux qui avaient 14-15 ans. Car il y avait des familles entières qui débarquaient. Par exemple dans l’île de Sein, tous les gars valides se sont embarqués.

Dans les Forces Françaises Libres, on était alors 7 000 personnes en tout [13]. Sur 40 millions de français, ce n’était pas beaucoup ! Peu de généraux ont rallié ; ils ne voulaient pas se mettre au garde-à-vous devant un deux étoiles. Seul Catroux [14] l’a fait. Mais Catroux avait connu de Gaulle comme prisonnier en 1914. Weygand par exemple, que de Gaulle avait bien connu, n’a jamais voulu rallier. Était-ce par fidélité au Maréchal ?

août 1940, Aldershot

 

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·       3. Dakar (1940)

·       4. Érythrée (1941)

·       5. Syrie (1941)

·       6. Lybie (1941-1943)

·       7. Tunisie (1943)

·       8. Italie (1943-1944)

·       9. France (1944-1945)

·       10. Et ensuite…

 



[1] Essentiellement la 13° demi-brigade de la Légion étrangère.

[2] Un corps expéditionnaire allié (25 000 hommes) fut dépêché en avril 1940 sur ce territoire ami avec pour objectif de couper “la route du fer”. Le Corps se retira en bon ordre le 7 juin pour arriver en Angleterre le 21 juin.

[3] Le général de Gaulle.

[4] L’armistice a été signée par Pétain le 22 juin. Le 23 juin, le gouvernement britannique déclare : “Le gouvernement de Sa Majesté ne peut plus considérer le gouvernement de Bordeaux comme celui d’un pays indépendant.”

[5] De Gaulle faisait alors de nombreuses tournées de recrutement dans les camps réservés aux soldats français. Il semble que ces tournées aient eu des résultats plutôt décevants (cf. “Les Français à Londres” - voir bibliographie - p.102).

[6] Vaste bâtiment d’exposition, situé dans la banlieue de Londres, que les Anglais ont mis à la disposi­tion de de Gaulle (voir “Les Français à Londres” p. 133…).

[7] Camp de Camberley, à proximité d’Aldershot.

[8] Le 8 juillet 1940, vingt jours après l’appel du 18 juin, la France libre ne rassemble encore que 98 officiers, 133 sous-officiers et 713 hommes de troupe, soit 947 volontaires en uniforme, toutes armes confondues, auxquels il convient d’ajouter 200 jeunes, âgés de moins de 18 ans, des “cadets”, habillés en scouts (cf. “Les Français à Londres” p.128).

[9] De Gaulle a apparemment choisi ce jour-là un défilé très limité, misant sur l’emblème et le contraste plutôt que sur une impossible démons­tration de force (cf. “Les Français à Londres” p.132).

[10] des grands bombardements allemands…

[11] Le 31 juillet, les journaux anglais publient la nouvelle suivante, venue de France : “Tous les militaires déclarés rebelles, qui ont rejoint une armée étrangère pour continuer à combattre, seront condamnés à mort s’ils ne sont pas ren­trés en France le 15 août.” Ces militaires avaient été déchus de la nationalité française huit jours plus tôt.

[12] Le 24 août, Georges VI (1895-1952) vient à Aldershot passer en revue la petite armée de la France Libre.

[13] Les F.F.L. sont officiellement crées le 7 Août 1940 à la suite d’un accord signé entre de Gaulle et Churchill (cf. “Les Français à Londres” p.141…).

La 1° Brigade, constituée fin août et commandée par Monclar, atteint 2 330 hommes. C’est là le noyau de la future 1° D.F.L.

[14] Sorti de Saint-Cyr en 1898, il fut fait prisonnier durant la guerre 1914. Nommé gouverneur général de l’Indochine avant-guerre, il sera révoqué par Vichy et rejoindra de Gaulle en septembre 1940. “Soldat et politique”, il prendra en mains les pouvoirs de la France au Levant en 1941 et presque aussitôt proclamera, au titre de la France Libre, l’indépendance de la Syrie et du Liban.