Souvenirs de guerre de Pierre Capucin
par Paul Chanoine
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’ai été élevé à la frontière belge, dans le
petit village de Saint Michel, par mes grands-parents maternels. Mes parents
s’étaient séparés quand j’étais petit et mon père était mort quand j’avais 10-12
ans (en 1932, je crois). Ma mère tenait un café mais j’étais toujours avec mes
grands-parents qui habitaient juste à côté. Mon grand père travaillait à
l’usine mais il avait aussi une vache à la maison. Mes grands-parents avaient
vécu l’occupation allemande pendant la guerre 1914-1918 et c’est eux qui
m’avaient inculqué la haine de l’allemand, du boche. En effet ils n’avaient pas
gardé de bons souvenirs de cette période ; certes ce n’était pas à cette
époque les nazis mais c’était quand même l’ennemi, et cela n’avait pas été
tellement rigolo. Dans mon enfance, chaque fois que mon grand-père buvait un
verre, il commentait son geste en ajoutant : “Encore un que les boches
n’auront pas !” C’était une expression idiote. J’ai connu ensuite quelqu’un
dans le quartier du XI° dont le père utilisait la même expression ; c’est
dire qu’elle était alors répandue. Et quand dans mon enfance on jouait à la
guerre, personne ne voulait être le boche !
C’est pour cela que ma mère m’a dit en
1938 : “Je ne veux pas que tu restes à la frontière”. Et c’est comme ça
qu’on est partis, elle et moi, pour venir à Paris.
En 1940, il y a eu l’appel du Gouverneur de
Paris pour conseiller aux habitants de quitter la capitale en annonçant que des
camps étaient organisés pour les recevoir. C’était la version officielle ;
en fait rien n’était organisé, il n’y avait que la pagaille d’organisée, ça
c’est sûr ! Alors j’ai eu l’idée de partir pour Royan. Pourquoi ai-je
pensé à Royan ? Je ne sais pas. Il y avait des années que je n’avais pas eu
de nouvelles d’amis qui habitaient dans mon pays natal - les Campora (lui,
italien d’origine, était le voisin de mes grands-parents ; il travaillait comme
gardien d’usine) - et dont je savais qu’ils allaient tous les ans à Royan.
Je me suis dis : “Tiens, il y a peut-être les Campora à Royan”. Et je suis
alors parti sur les routes de France et de Navarre vers cette ville. C’était le
13 juin 1940, et c’est ainsi, à la porte d’Orléans, que j’ai quitté ma mère.
Comment ai-je vécu en cours de route ? Je
ne sais pas. J’ai toujours été incapable - et pourtant j’ai eu le temps
d’y penser - de reconstituer mon voyage, au milieu des réfugiés. Je me
souviens simplement qu’à proximité d’un cimetière il y avait eu un bombardement
; c’était la première fois de ma vie que je voyais un bombardement. Et c’est là
que j’ai connu mon premier camarade de la future France Libre, Maurice Antoine,
qui partait aussi - je ne sais pas d’où il venait exactement - et qui
disait comme moi : “Je ne veux pas voir les Allemands”. Arrivés à Saintes,
près de Royan, on a été accueillis par une famille.
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Je vais ensuite dans les rues de Royan à la
recherche de Campora, mais, dans la tourmente générale, autant chercher une
aiguille dans une botte de foin ! Il y avait plein de réfugiés ;
c’était une vraie cohue. En repartant de Royan, je heurte alors quelqu’un par
hasard, près d’un tabac. Et qui était-ce ? Justement la personne que je
cherchais, que je n’avais pas vue depuis 1938 et dont je n’avais eu aucune
nouvelle depuis ! C’était le destin. 49 ans plus tard, je revois
d’ailleurs encore sa tête ! C’était le 17 ou le 18 juin, je ne sais plus
exactement. Il me dit : “Mais qu’est-ce que tu fais là ? ” Je lui
dis : “Mais je viens vous voir !” Après je lui ai tout raconté ;
mais sur le coup, il était absolument sidéré. De Paris j’avais emmené une
valise de vêtements que j’ai traînée ensuite jusqu’en Angleterre… Il me
dit : “Bon, et bien tu viens à la maison ; il n’y a pas de
problèmes.” Il y avait là sa femme, sa fille - Jeannine - qui était à
peu près de mon âge, la grand-mère et puis la famille chez qui ils logeaient.
Je suis resté chez eux, et c’est comme ça que ma mère a su ensuite que j’avais
été jusqu’à Royan et que j’étais encore vivant à cette date.
Mais ce n’était pas là le tout car les Allemands
arrivaient - je les ai si bien fuis qu’au bout du compte, je ne les ai
jamais rencontrés de toute la guerre ! -. Alors je vais sur la plage
avec Jeannine. Il y avait là des soldats polonais et on leur a demandé ce
qu’ils faisaient en cet endroit. Ils nous ont répondu : “On attend le
bateau ; nous partons ce soir pour le Canada.” Je rentre et je dis à la
famille : “Moi je m’en vais ; je vais rejoindre les Polonais.”
Pourquoi ? Je n’en savais rien. Alors je pars avec ma valise - elle
n’était pas légère - et les Polonais me disent : “On embarque cette
nuit.”
Cette nuit, il y eut un orage magnifique. On a
été à la Pointe de Grave, où il y avait le rassemblement. Théoriquement on
n’avait pas le droit, car on était civil, mais il régnait une pagaille magistrale,
avec déjà à cette époque beaucoup de Juifs qui fuyaient l’envahisseur. Alors
les Polonais embarquent, et nous, défense d’embarquer : le capitaine du
navire ne voulait prendre que des militaires. Alors je dis : “C’est pas
tout. On veut quand même partir.” Et bien malgré tout, on a réussi à embarquer.
Comment ? Je n’en sais plus rien. Le bateau s’appelait le Dailius (je l’ai revu, deux ans plus tard, à Port-Soudan) ; il était
anglais et était là, je crois, pour rembarquer les militaires, comme à Dunkerque.
On était donc à bord, mais ce n’était pas
tout. On était serré là-dedans ! Il y avait quelques Français et deux
saint-cyriens. Je me rappelle toujours d’une espèce de cabine ; il
pleuvait à torrents. On n’avait rien à manger. Je ne me souviens pas depuis
combien de temps je n’avais plus mangé (en fait depuis que j’avais quitté la
famille). J’ai dit aux Polonais : “D’accord, mais il faut manger.” Alors
ils ont été chercher du ravitaillement. Le bateau a pris la mer, je ne sais
comment, mystère. On ne savait pas ce qui se passait.
Sur ce bateau, il y avait peut-être une
dizaine de jeunes. C’est tout. Sinon il y avait beaucoup de Juifs, et des
soldats. Il y a eu ainsi pas mal de jeunes qui sont venus en Angleterre, sur
des barques, dans des conditions invraisemblables. Pour chaque gars, c’était un
destin différent. Les Bretons étaient nombreux.
*
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2. Angleterre
(1940)
·
3. Dakar (1940)
·
4. Érythrée
(1941)
·
5. Syrie (1941)
·
6. Lybie (1941-1943)
·
7. Tunisie (1943)
·
8. Italie
(1943-1944)
·
9. France
(1944-1945)
·
10. Et ensuite…