Lire en musicien
la dialectique négative d’Adorno ?
Une
« constellation de moments »
Moment 1 (motif
I) : Intellectualité musicale et philosophie
Moment 2 (motif
II) : Trois manières pour la philosophie de se rapporter à la musique
Moment 3 (texte
A) : Le projet de sororiser musique et philosophie (Dialectique
négative, 1966)
Moment 4 (motif
III) : Le philosophe-musicien Theodor W. Adorno
Moment 5 (motif
IV) : Le désir d’Adorno : une double école entre musique et
philosophie
Moment 6 (texte
B) : D’un embarras du philosophe-musicien (Théorie esthétique, 1967…)
Moment
7 (motif V) : Cinq manières de formaliser « l’affinité »
entre musique et philosophie
Moment
9 (motif VI) : La dialectique
musicale : trois dimensions
Moment
10 (motif VII) : Questions intraphilosophiques
Je voudrais compléter mon approche en présentant rapidement 5 manières formelles pour le musicien de rapporter musique et philosophie. J’essaierai, dans chaque cas, d’indiquer comment Adorno s’inscrit dans ces manières, dans ce qu’il appelle « l’affinité » (« L’affinité de la philosophie avec l’art » Dialectique négative 25) et qui n’est pas une imitation (« Ce que l’art et la philosophie ont en commun, ils ne l’ont pas dans la forme ou la démarche de leur mise en forme, mais dans un comportement qui leur interdit la pseudomorphose. À travers leur opposition tous deux restent fidèles à leur propre contenu ; l’art en résistant à ses interprétations ; la philosophie en ne se cramponnant à aucun immédiat. » Dialectique négative 26), ce qui au passage indique qu’Adorno ne vise pas exactement à suturer la philosophie à l’art.
Cinq manières de rapporter deux domaines x et y (philosophie
et musique)
Logique du « comme » entre deux termes. Elle
consiste à poser très simplement KºC, ici
ax º by
Quasi une fantasia !
Dialectique négative
p. 27 :
déploiement philosophie º
développement musique
« Comme dans la grande musique » (Dialectique négative 139)
« “Elle est comme une nécessité.” (Hegel) : le “comme”, indication de la nature seulement métaphorique d’une telle nécessité » (Dialectique négative 396)
« Le lecteur doit se laisser porter par le flux. […] Il
lui faut cependant, d’un autre côté, développer une sorte de ralenti
intellectuel, retenir le tempo sur les passages nébuleux, de manière qu’il ne
s’évaporent pas, mais se laissent découvrir dans leur mouvement même. » (Jargon, 11)
Le risque me semble ici celui du philosophème, c’est-à-dire
de l’énoncé musicien qui se déguise en énoncé philosophique (ou
l’inverse !). Le risque me semble ici maximal lorsque ce discours musicien
use de mots qui sont exemplairement ceux de la philosophie, qui sont des
concepts sans usage véritable comme catégories musicales. Pour en donner deux
exemples, qui attesteront d’ailleurs d’une imprudence significative de ma part
dans leur maniement, je citerai les mots de « sujet » et de
« vérité » qui sont des concepts philosophiques centraux, sans usage
autonome possible de l’intérieur de l’intellectualité musicale.
Adorno fait jouer un rôle positif à ce risque dans
l’essai : « L’essai utilise l’équivoque pour obtenir que chaque fois
qu’un même mot recouvre des choses différentes elles ne soient pas tout à fait
différentes, mais que l’unité du mot renvoie à une unité inhérente à la chose,
si cachée soit-elle. » [1]
Le « comme » porte ici sur deux rapports. La
comparaison porte cette fois sur un rapport entre deux termes (ou plus), non
sur un seul d’entre eux. L’analogie posera ainsi
K1 |
º |
C1 |
K2 |
C2 |
ou
ax |
º |
ay |
bx |
by |
Dialectique négative
p. 27 :
apparence philosophie |
º |
apparence musique |
totalité philosophie |
totalité musique |
Logique du « comme si » et non plus simplement du
« comme » de la métaphore ou de l’analogie.
ax |
º |
cx |
[ º{a ® b} ] |
by |
dy |
avec x=formalisation et y=i-1 (interprétation
inversée) : ax=cx=a et by=dy=b
• Les trois affects philosophiques de base chez Spinoza
et la triade musicale du chromatique, du majeur et du mineur…
• Les trois conceptions mathématiques de l’intégration
et les trois types d’audition musicale…
?
Cf. renversement, inversion…
Cf. forme et fond pour
Nietzsche : est fond pour l’artiste e ce qui est forme pour le reste du
monde, et inversement…
?
« Tout mythe (considéré comme l’ensemble de ses variantes) est réductible à une relation canonique du type :
Fx(a) : Fy(b) @ Fx(b) : Fa-1(y)
dans laquelle, deux termes a et b étant donnés simultanément ainsi que deux fonctions x et y, on pose qu’une relation d’équivalence existe entre deux situations, définies respectivement par une inversion des termes et des relations, sous deux conditions :
1° qu’un des termes soit remplacé par son contraire (dans l’expression ci-dessus a et a-1) ;
2° qu’une inversion corrélative se produise entre la valeur de fonction et la valeur de terme de deux éléments (ci-dessus y et a). » [2]
Je réécrirai la formule ainsi :
ax |
º |
bx |
by |
ya-1 |
On lira ainsi cette formule :
le problème que a
en tant que valant X pose à b (qui porte la valeur Y) se résout mytho-logiquement par le
mouvement où
b
va assumer la valeur problématique X
en sorte que
Y (objectivé en y)
puisse matérialiser une nouvelle valeur A-1
qui neutralise le terme problématique
initial a.
Noter alors deux choses :
· les
deux composantes positives (b et Y) bougent et deviennent « agents » quand
les deux négatives (a et X) deviennent « valeurs » ;
· concernant
ces deux composantes « négatives », X reste immobile quand a
supporte la plus importante des modifications de tous les termes ; en
vérité il subit trois modifications : l’une de place, l’autre de position
logique (d’objet, il devient valeur), de sens (il est contrarié en a-1).
Dans cette formule canonique du mythe, on retrouve métaphore
(entre a et b), analogie (entre deux rapports, ou même entre deux rapports de
deux rapports si l’on interprète ax comme étant lui-même un rapport
entre a et x) et dualité (entre a et y) mais nouées selon une frappe
singulière.
Deux interprétations mythologiques du « et » dans
le syntagme « musique et
philosophie » :
philosophie Pensée |
º |
musique Pensée |
musique Art |
art Antiphilosophie |
La contradiction qu’apporte la philosophie comme pensée à la
musique comme art est (mytho-logiquement) résolue par le musicien via
l’affirmation d’une musique comme pensée et d’un art porteur d’une valeur
anti-philosophique.
Noter la dissymétrie du traitement mythologique d’un problème.
Si l’on considère le même « problème » par son
autre versant inverse, on aura une tout autre « résolution » mythologique :
musique Art |
º |
philosophie Art |
philosophie Pensée |
pensée Musique-1 |
Pour le philosophe, le problème que la musique comme art
apporte à la philosophie conçue comme pensée se résout (mytho-logiquement) par
une philosophie soucieuse de valeur artistique (voir son propre style poétique…) en même temps que faisant preuve d’une pensée
déprise de la « logique » musicale (voir ici le style démonstratif de
la même philosophie, prenant modèle cette fois sur la science).
ax |
º |
bx |
by |
ya-1 |
Interprétation mytho-logique de la proposition de
« musique informelle »…
Cf. Texte C…