Lire en musicien
la dialectique négative d’Adorno ?
Une
« constellation de moments »
Moment 1 (motif
I) : Intellectualité musicale et philosophie
Moment 2 (motif
II) : Trois manières pour la philosophie de se rapporter à la musique
Moment 3 (texte
A) : Le projet de sororiser musique et philosophie (Dialectique
négative, 1966)
Moment 4 (motif
III) : Le philosophe-musicien Theodor W. Adorno
Moment
5 (motif IV) : Le désir d’Adorno : une double école entre
musique et philosophie
Moment 6 (texte
B) : D’un embarras du philosophe-musicien (Théorie esthétique, 1967…)
Moment
7 (motif V) : Cinq manières de
formaliser « l’affinité » entre musique et philosophie
Moment
9 (motif VI) : La dialectique
musicale : trois dimensions
Moment
10 (motif VII) : Questions intraphilosophiques
Une philosophie
qui se mette à l’école de la musique…
·
Une philosophie soucieuse du « moment de
l’expression »
·
Une philosophie qui vise à « exprimer
l’inexprimable »
·
Une philosophie qui compose
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Une philosophie qu’on lise comme on écoute la musique
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Un texte philosophique dont la forme
« parataxique » s’accorde à celle de la musique
·
Un texte philosophique en « forme d’essai »
qui s’apparente ainsi à la musique
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Une philosophie qui joue de « l’équivoque »
de ses termes comme la musique joue de l’ambivalence de ses objets
·
Une philosophie qui déploie « une constellation de
moments »
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Philosophie |
Musique |
Une philosophie
soucieuse du moment de l’expression |
Là où la philosophie renonce au moment de l’expression et au devoir de l’exposition, elle est assimilée
à la science. (Dialectique négative 29) La dialectique serait la tentative de sauver le moment
rhétorique. (Dialectique négative
75) |
« Une musique guidée par l’expression pure et sans fioriture développe une susceptibilité
irritée contre tout ce qui pourrait porter atteinte à cette pureté, contre
toute familiarité à l’égard de l’auditeur ou de l’auditeur à son égard,
contre l’identification et l’empathie. La logique du principe d’expression
implique le moment de sa négation, cette forme négative de la vérité qui
change l’amour en force de protestation inflexible. » (Prismes, 137) « Pour la première fois, la chaleur schoenbergienne
se change en l’extrême froideur dont l’expression tient à l’inexpressif. » (Prismes, 137) |
Une philosophie
qui vise à exprimer l’inexprimable |
Expression de l’inexprimable (Dialectique négative 136) L’impulsion philosophique d’exprimer l’inexprimable (Dialectique négative 137) Ce que la philosophie a de flottant n’est rien d’autre que
l’expression de l’inexprimable qu’elle comporte en elle-même. En ceci, elle
est vraiment [devenue] sœur de la musique. (Dialectique négative 138) |
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Une philosophie
qui compose |
« En philosophie se confirme une expérience que
Schönberg nota à propos de la théorie traditionnelle de la musique : on
n’y apprend vraiment que la façon dont un mouvement commence et se termine,
rien sur lui-même, sur son développement. De manière analogue, il faudrait
que la philosophie ne se ramène pas à des catégories mais en un certain sens
qu’elle se mette à composer. Elle doit au cours de sa progression se
renouveler constamment de par sa propre force aussi bien qu’en se frottant à
ce à quoi elle se mesure ». (Dialectique négative 47-48) |
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Une philosophie
qu’on lise comme on
écoute la musique |
Comment lire ? :
« deux maximes en apparence incompatibles : celle d’une immersion
minutieuse et celle de la distance libre » (Hegel, 10) « Le lecteur doit se laisser porter par le flux. […]
Il lui faut cependant, d’un autre côté, développer une sorte de ralenti
intellectuel, retenir le tempo sur les passages nébuleux, de manière qu’il ne
s’évaporent pas, mais se laissent découvrir dans leur mouvement même. »
(Hegel,11) |
« La musique de Schoenberg réclame dès l’abord une
participation active et concentrée ; une attention aiguë à la diversité
des événements simultanés ; une renonciation aux béquilles habituelles
d’une écoute qui sait toujours d’avance ce qui va se passer ; une
perception intense de l’événement singulier, spécifique, et la capacité de
saisir avec précision les éléments qui changent souvent à l’intérieur d’un
champ infime, et leur histoire unique. » (Prismes, 127-128) [La musique de Schoenberg] « demande à l’auditeur de
participer spontanément au mouvement interne de la composition ; au lieu
d’une contemplation pure et simple, elle sollicite en quelque sorte une
attitude pratique. » (Prismes,
132) |
Un texte philosophique
dont la forme parataxique
s’accorde à celle de la musique |
[Cf. une écriture non linéaire, de la dissonance :
hiatus et césure, dissociation, juxtaposition d’éléments non liés, décrochages
syntaxiques, dénivellations de construction, sens lacunaire, rapprochements
non construits qui opèrent par leur seul choc. Dispositif par association
(couplage), à l’opposé d’un dispositif par argumentation (relevant de la
pensée du système)… |
Chez Schoenberg, « le contraste, supplanté au XIX°
siècle par la transition, devient un élément formateur imposé par une sensibilité
polarisée dans ses extrêmes. » (Prismes, 132) « À juger d’après le texte du fragment, Moïse et
Aaron aurait échoué en tant qu’opéra
achevé; inachevé, il compte parmi les grandes œuvres fragmentaires de la
musique. » (Prismes, 149) « Elles s’approchent du fragment dont l’ombre
accompagna l’art de Schönberg pendant toute sa vie. » (Prismes, 150) |
Un texte philosophique
dont la forme d’essai
l’apparente à celle de la musique |
L’essai comme
forme (florilège) [Notes sur la
littérature] L’essai tire la pleine conséquence de la critique du
système. Sa disposition propre nie le système. Son accent sur le partiel face à la totalité, son
caractère fragmentaire L’essayiste ne vise pas une construction close, inductive
ou déductive. Sa faiblesse témoigne précisément de la non-identité,
qu’il a pour tâche d’exprimer. Il se libère de la contrainte de l’identité.
La conscience de la non-identité de la présentation et de la chose le
contraint à un effort sans limites. L’essai abolit le concept traditionnel de méthode. La
forme de l’essai part du plus complexe et non du plus simple [comme chez
Descartes]. L’essai oblige à penser dès le premier pas la chose dans sa vraie
complexité. L’essai se débarrasse de l’illusion d’un monde simple. La loi formelle
la plus profonde de l’essai est l’hérésie, la désobéissance aux règles orthodoxes
de la pensée. Il cherche les contenus de vérité, qui sont eux-mêmes des
contenus historiques. La conception romantique selon laquelle le fragment est
une œuvre qui, au lieu d’être intégralement achevée, avance vers l’infini en
se réfléchissant elle-même. L’essai doit être agencé de telle manière qu’il puisse à
tout moment s’interrompre. La discontinuité est essentielle à l’essai. L’essai ne conclut pas. D’où le sentiment qu’on pourrait
continuer ainsi indéfiniment selon son caprice. L’essai se révolte contre l’idée d’œuvre majeure. Sa
totalité, l’unité d’une forme entièrement construite en elle-même, est celle
de ce qui n’est pas total. L’essai est à la fois plus ouvert et plus fermé qu’il ne
plaît à la pensée traditionnelle. L’essai absorbe les théories. Comme dans la musique autonome… L’essai touche à la
logique musicale, l’art rigoureux et pourtant non conceptuel du passage. |
Voir Musique
informelle |
Une philosophie
qui joue de l’équivoque
de ses termes comme la musique joue de l’ambivalence de ses objets |
« L’essai utilise l’équivoque pour obtenir que chaque
fois qu’un même mot recouvre des choses différentes elles ne soient pas tout
à fait différentes, mais que l’unité du mot renvoie à une unité inhérente à
la chose, si cachée soit-elle. » (L’essai comme forme, 27) « À celui qui lui reprocherait de vouloir séduire
dans le champ philosophique, sociologique et esthétique, sans distinguer les
catégories selon leur provenance et sans les traiter autant que possible
séparément, à celui-là l’auteur pourrait répondre que cette exigence est
projetée sur les objets à partir du besoin d’ordre propre à la science
classificatoire, laquelle, inversement, proclame que ce sont ces objets qui
l’érigent. » (L’essai comme forme, 37) |
Cf. « ce qui donne le vertige », « le
vertige comme indice de vérité » (Dialectique négative 45-47) |
Une philosophie
qui déploie une constellation de
moments |
Dialectiser un concept, le « désensorceller » (Dialectique
négative 23), c’est le concevoir comme
moment : « Le concept est un moment comme un autre dans une
logique dialectique. » (Dialectique négative 22) et non pas comme étiquette positiviste : « Le positivisme pour lequel les concepts ne sont que
des jetons interchangeables, contingents, […] a extirpé la vérité. » (Dialectique
négative 110) « La résistance de la philosophie nécessite le
déploiement. Même la musique, et certainement tout art, ne trouve pas
l’impulsion qui anime la première mesure réalisée aussitôt mais seulement
dans le développement articulé. Bien qu’elle soit apparence en tant que totalité,
elle critique l’apparence par la totalité, apparence de la présence du
contenu ici et maintenant. Une telle médiation ne convient pas moins à la
philosophie. » (Dialectique négative
27-28) |
Cf. Moment-Form de
Stockhausen Voir les liens entre moments, fragmentation et musique
informelle Voir le moment du déploiement par l’œuvre de sa
vérité : « La tâche d’une interprétation philosophique des œuvres
d’art ne peut pas être de produire leur identité au moyen du concept, de les
absorber en lui ; l’œuvre se déploie à travers l’interprétation dans sa
vérité. » (Dialectique négative
24) |
Une musique qui
contredise la prévision hégélienne de « la mort de l’art »
La « nouvelle musique » contredit le diagnostic
d’une musique n’intéressant plus l’Esprit : « Schoenberg s’engage
passionnément pour une musique dont l’esprit n’aurait pas à rougir et qui
par là même fait rougir l’esprit dominant. » (Prismes [1])
De la « nouvelle musique » (École de Vienne) à la
« musique informelle »… (Quasi una fantasia : 1960-1961)
Une musique qui
résiste au concept philosophique
Le moment du non-identique comme moment de ce qui ne se réduit
pas à son concept, et la musique comme lieu éminent du non-identique…
Cependant une
musique qui a esthétiquement besoin de la philosophie
Les œuvres d’art « font surgir des formes de l’esprit
par lesquelles [leur] devenir s’accomplit, comme par exemple le commentaire et
la critique. Mais ces formes demeurent défaillantes tant qu’elles n’atteignent
pas le contenu de vérité des œuvres. Elles n’en sont capables qu’en s’affinant
jusqu’à devenir esthétiques. Le contenu de vérité d’une œuvre a besoin de la
philosophie. » (Théorie esthétique)