Séminaire Musique et philosophie
Prochain
rendez-vous : Samedi 14 mai 2005
(Ens,
salle Dussane)
Journée Wagner, avec Alain Badiou
La dialectique négative d'Adorno dir. Alain Badiou et François Nicolas |
Premier
semestre 2004-2005
Les samedis après-midi
(14h30 à 17h), 45 rue
d’Ulm (Paris 5°)
Si Adorno est
bien un philosophe (plutôt qu’un musicologue ou qu’un sociologue), se référer à
ses écrits sur la musique implique de les lire avant tout comme des textes
philosophiques.
Pour ce faire,
on avancera la double hypothèse suivante :
1) La
philosophie d’Adorno a pour projet central de saisir la teneur de vérité [Wahrheitsgehalt] que la seconde École de Vienne aurait
constituée en musique.
2) Pour ce
faire, le concept philosophique central créé par Adorno est celui de dialectique
négative, qui va
configurer son projet de musique informelle.
Comprendre ce qu’Adorno dit philosophiquement de la musique
passe donc par une lecture qui remonte de son esthétique (Théorie esthétique) vers sa dialectique (Dialectique négative).
Avec l’appui des
philosophes, on examinera ce dernier ouvrage, jusqu’à présent peu pris en
compte, en sorte de mettre ces hypothèses à l’épreuve d’une lecture minutieuse.
Calendrier
samedi 6 novembre 2004 - François
Nicolas : Lire en musicien la dialectique négative
d’Adorno ? Enjeux et méthode
Une « constellation de moments »
Moment 1 (motif I) : Intellectualité musicale et
philosophie
Moment 2 (motif II) : Trois manières pour la
philosophie de se rapporter à la musique
Moment 3 (texte A) : Le
projet de sororiser musique et philosophie
(Dialectique négative, 1966)
Moment 4 (motif III) : Le philosophe-musicien
Theodor W. Adorno
Moment 5 (motif IV) : Le désir d’Adorno : une
double école entre musique et philosophie
Moment 6 (texte B) : D’un
embarras du philosophe-musicien (Théorie esthétique, 1967…)
Moment 7 (motif V) : Cinq manières de formaliser
« l’affinité » entre musique et philosophie
Moment 8 (texte C) : La
« musique informelle » comme résolution mytho-logique (Quasi
una fantasia, 1963)
Moment 9 (motif VI) : La dialectique
musicale : trois dimensions
Moment 10 (motif VII) : Questions intraphilosophiques
samedi 4 décembre 2004 - François
Nicolas : Ce que la
musique de Beethoven, telle que philosophiquement interprétée par Adorno, nous
apprend du négatif à l’œuvre dans la « dialectique négative »
Résumé
Notre question de départ sera celle-ci : l’interprétation
philosophique de la musique de
Beethoven à laquelle se livre Adorno tout au long de sa vie, sans jamais
aboutir au livre qu’il avait projeté d’écrire dès 1938, peut-elle nous
apprendre sur sa conception du négatif et par là nous éclairer sur la singularité de sa dialectique négative ?
On examinera pour cela les différents fragments
disponibles sur ce point : dans Quasi una fantasia, dans son Mahler et surtout dans ses notes de travail, destinées à son propre usage et
publiées après sa mort (Beethoven, la philosophie de la musique).
On examinera d’abord
1) comment Adorno est passé d’un premier
rapprochement Beethoven-Kant (qui
lui valut en 1926 cette adresse de Berg : « Un jour, vous aurez à
choisir entre Kant et Beethoven »)
à un second Beethoven-Hegel ;
2) comment, à l’intérieur de ce second
rapprochement Beethoven-Hegel, Adorno est passé d’une simple analogie
(Beethoven/musique ≡ Hegel/philosophie) à une connexion plus essentielle
(« La musique de Beethoven est philosophie hégélienne ; mais en même
temps elle est plus vraie que cette philosophie », 1939) qui lui valut cette objection
d’Horkheimer : « la philosophie n’est pas supposée être une
symphonie ».
On écoutera ensuite Beethoven écouté par Adorno pour y
entendre ce qu’Adorno appelle :
- un refus de la décision au profit d’une « ratification
après-coup » ;
- une neutralisation du détail (« l’insignifiance
du particulier ») au profit d’une
dynamique globale du système tonal ;
- un évitement des éléments de transition en sorte que
la médiation entre les thèmes soit directement assurée par le système
tonal ;
- des obstructions, interruptions, discontinuités
faisant « négation » de la logique déductive beethovénienne ;
- des réexpositions problématiques (la dynamique du développement
débouchant sur le statisme d’un « retour à l’identique ») ;
etc., autant de moments qu’il interprète philosophiquement au regard du travail dialectique (au choix assumé-soutenu/évité-détourné…)
d’une négation.
Évitant alors de nous demander de quel Beethoven il
s’agit exactement là, on suggérera que tout ceci nous apprend avant tout sur la
philosophie d’Adorno, ce qui constitue notre cible propre.
On soutiendra à partir de là qu’il faut entendre la
dialectique chez Adorno comme un travail moins du négatif (il n’y a pas de négatif en soi chez Adorno) que de la
négation : comme une opération
de scission, envers de l’opération d’identification faisant choir du
non-identique (non pas une « chose » différente en soi mais une part
mobile soustraite à la chose en proie à l’identification). La négation
adornienne nous apparaîtra ainsi comme une division incessante, une scission
sans point d’arrêt, et non pas comme la négation frontale d’une positivité.
Ceci suggérera que la dialectique adornienne s’écarte
tant de la dialectique kierkegardienne, objet de sa première thèse (en ce
qu’elle récuse un point d’alternative « ou bien… ou bien… » où une décision serait requise – on y
reconnaîtra au passage l’incapacité légendaire de Theodor A. à trancher
politiquement) que de la dialectique hégélienne (en ce qu’elle récuse
l’existence d’une négation de la négation : pour Adorno, il n’y aurait pas
de second degré… de la négation).
Ceci nous conduira à formuler quelques hypothèses sur
d’éventuels enjeux philosophiques de cet examen.
samedi 18 décembre 2004 - François
Nicolas : Musique
informelle / Dialectique négative : le mythe esthétique des deux sœurs
Résumé
On interrogera la proposition de musique informelle faite par Adorno à Darmstadt en 1961 (et donc
strictement contemporaine de celles que Boulez consignera dans Penser la
musique aujourd’hui) en supposant
qu’elle peut éclairer celle de dialectique négative.
Pour dépasser une simple analogie entre les deux
concepts (informel/musique≡négatif/dialectique),
on interprétera cette proposition de musique informelle comme répondant à un problème posé dans un texte immédiatement
antérieur : Musique et
nouvelle musique (1960).
On en déduira la dynamique de pensée suivante :
— Adorno part d’une « antinomie » entre ordre sériel (prolongeant le dodécaphonisme) et
temps musical (de la « nouvelle musique ») qui dissout « l’écoute traditionnelle ».
— Adorno va chercher la résolution de ce hiatus en
remontant à la musique atonale s’épanouissant
autour de 1910 — musique à laquelle le dodécaphonisme aurait fait « violence
et brutalité » — non pour y faire
« retour » mais pour y déceler
le principe réactivable d’un athématisme radical.
— Pour sortir de la nouvelle musique vers l’avant, Adorno propose alors de dépasser la
musique électronique à laquelle la nouvelle musique aboutit (et dont Stockhausen, pour Adorno, est le héraut
véritable), en s’orientant « vers une musique informelle ».
Qu’est-ce alors que cette « musique informelle » ?
On examinera d’abord les interprétations proprement
musicales qu’en proposent deux compositeurs :
— Boulez (L’informulé,
1985) renomme l’antinomie adornienne
(« divorce entre intention et perception ») et considère qu’il s’agit essentiellement pour
Adorno d’« éviter des écueils ». D’où une sorte de négation de la
négation qui n’est pas assez
affirmative pour que Boulez la reprenne à son compte : on rappellera que,
pour sa part, Boulez entreprendra de prolonger la musique sérielle par réactivation
du thématisme.
— Ferneyhough (La musique
informelle, 1998) renomme également
l’antinomie adornienne (« pseudo-dichotomie entre automatique et
informel ») en sorte, cette fois,
de l’assumer pour la résoudre selon une dynamique d’unité des contraires (sa « nouvelle musique informelle » — 1994 — où les pôles extrêmes convergent
dans « l’objet »
musical) : on rappellera comment cette perspective consonne avec sa
dialectique compositionnelle du geste
et de la figure…
Concluant pour notre part qu’il reste bien difficile de
s’extraire musicalement du « labyrinthe
Adorno » (Boulez, 1992), on suggérera
de comprendre sa « musique informelle » plutôt comme un philosophème tentant de fixer en catégorie musicale le concept
philosophique de « négation déterminée ».
On avancera alors qu’avec sa musique informelle Adorno prône moins une résolution dialectique de son antinomie de départ qu’une conciliation
mythologique, opération dont on ira
chercher le chiffre chez Claude Lévi-Strauss (voir sa « formule
canonique du mythe » explicitée
dans Anthropologie structurale,
1955) en sorte que la proposition adornienne nous apparaîtra finalement relever
du mythème plus encore que du philosophème.
En conclusion, on suggérera que la conception
adornienne de l’esthétique pourrait
s’inscrire tout entière sous le signe d’une semblable raison mythique — hypothèse
il est vrai paradoxale à l’égard d’un philosophe qui toute sa vie a récusé le
mythe (tout en relevant sa part de rationalité) — : son esthétique
critique ressortirait ainsi de ce qu’on proposera d’appeler « le mythe
des deux sœurs » (« La
philosophie est vraiment devenue la sœur de la musique », Dialectique négative), ou la tentative sans fin de concilier une musique à
l’œuvre et une philosophie au labeur du concept.
Qu’on puisse y reconnaître cette indécision entre composition
musicale et philosophie critique qui rongera Theodor W. Adorno toute sa
vie — ce que Boulez, en 1969,
appelait « les discrépances
d’une individualité qui voit ses dons diverger » — ne sera pas pour nous détourner de cette hypothèse
globale.
* Les textes de Boulez (En marge de
la, d’une disparition, 1969 - L'informulé, 1985) et Ferneyhough (La musique
informelle,
1998) sont disponibles aux adresses suivantes :
http://www.entretemps.asso.fr/Adorno/Informel/Boulez.htm
http://www.entretemps.asso.fr/Adorno/Informel/Boulez2.htm
http://www.entretemps.asso.fr/Adorno/Informel/Ferneyhough.htm
samedi 8 janvier 2005 - Alain
Badiou :
De la dialectique négative
dans sa connexion à un certain bilan de Wagner (1° partie)
samedi 22 janvier 2005 - Alain
Badiou :
De la
dialectique négative dans sa connexion à un certain bilan de Wagner (2° partie)
Les interventions d’Alain Badiou sont
directement télédéchargeables (fichier format pdf) :
samedi 5 février 2005 :
·
Michael
Schmidt
·
François
Nicolas : Le
cas Adorno
Résumé
Quand Adorno écrit, en 1948, en
introduction à ses études sur Schoenberg et Stravinsky : « Une
philosophie de la musique aujourd’hui ne peut être qu’une philosophie de la
musique nouvelle » (Philosophie de la nouvelle musique), il semble qu’il projette de déployer une philosophie
sous conditions de la « nouvelle musique » (celle composée par
l’École de Vienne et ses vis-à-vis).
Sa Dialectique négative comme ses autres écrits philosophiques des années 60 (Vers
une musique informelle…) s’avère
inscrire une autre disposition : une philosophie configurant la place
requise pour une musique (à venir, plutôt que déjà là) qui puisse être
contemporaine de ce temps de la pensée qu’Adorno conceptualise désormais comme
celui de l’« après-Auschwitz ».
Des années 30 et 40 (exil) aux
années 50 et 60 (RFA), on est ainsi passé d’un projet philosophique conditionné par un événement musical constitué, au déploiement d’une philosophie, politiquement
(plutôt que musicalement) conditionnée, entreprenant de configurer un art musical à venir…
Si Alain Badiou a examiné les
tâches proprement philosophiques que cette disposition adornienne suggère aujourd’hui,
il nous faut — nous musiciens — en prendre musicalement mesure pour notre
propre compte.
On proposera de le faire, une
nouvelle fois, sous un schème mytho-logique qui s’impose chaque fois qu’un musicien croit pouvoir
attendre de la philosophie un traitement de questions proprement musicales.
On en déduira comment
s’orienter dans une lecture musicienne des textes philosophiques d’Adorno portant sur la musique.
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Pour tout
contact : François Nicolas : 45, rue d’Ulm – 75005 (Paris)
fnicolas [at] ens.fr