François BOHY

Catalogue 

 Bibliographie

La théorie du tactus et des proportions dans la musique du XVème au XVIIème siècles.

9 . Tactus et battue de la mesure

Le tactus de la musique proportionnelle a été décrit comme un mouvement régulier, depuis qu'Adam von Fulda en a donné une définition qui a servi de modèle au XVIème siècle: "continua motio praecentoris mano". L'expression stipule que le tactus doit être battu régulièrement, sans accelerando ni ritardando, mais aussi que le mouvement de la main doit être continu et sans à-coups. Le tactus articulait le temps sans établir d'accents emphatiques.

À l'opposé du flux continu de la musique proportionnelle, la "mesure accentuée" ("Akzentstufentakt"), telle que Heinrich Besseler la nommait, repose sur la réunion de temps de poids inégal et indépendants les uns des autres. Le premier et le troisième temps sont plus lourds ou plus accentués que le deuxième et le quatrième, et la barre de mesure, caractérisant l'accent principal, donne au premier temps un poids encore plus grand que celui du troisième. L'exemple de cette "mesure accentuée" se trouve, d'après Besseler, dans les "Balletti di cantare, sonare e ballare" de Giovanni Giacomo Gastoldi (1591), dont on peut affirmer sans exagération qu'ils ont profondément modifié le sentiment du rythme à leur époque.

La différenciation des temps et leurs accents prononcés rendaient la "mesure accentuée" pratiquement inconciliable avec le tactus traditionnel, où le "continua motio" était l'expression du flux régulier de la musique. Et, de ce fait, il tombait sous le sens qu'à un changement du caractère rythmique de la musique correspondait un changement de la battue de la mesure, comme cela fut décrit par Francesco Piovesana dans les Misure harmoniche regolate. "La Compositione di poi della battuta è di due parti, la prima delle quali è il battere, e la seconda l'elevar della mano: di più in cadauna di queste parti sono duoi Tempi, di modo che in tutto quattro: et questi si distribuiscono in questo modo: cioè, nell' istesso tempo dell' abbassat' uno, e nel fermar la mano à basso, un altro vien distribuito: nell' elevar poi similmente si applica il terzo, e nel fermar la mano in alto, il quarto: il qual modo di distribuir questi tempi è il vero, e reale" (Venise 1627, p. 60). (La mesure se compose de deux parties, dont la première est le temps fort et la deuxième la levée. De plus, chaque partie comprend deux temps, ce qui porte à quatre le nombre total, répartis de la manière suivante: le premier représente la battue descendante de la main, le second l'arrêt en bas, le troisième est analogue à la levée et le quatrième est l'arrêt en haut. C'est ainsi qu'il convient véritablement de battre les temps.) La différence entre la battue décrite par Piovesana et le tactus du XVIème siècle paraît de prime abord faible: on peut penser en effet que les arrêts en haut et en bas, que Piovesana compte comme des temps indépendants, ne modifient pas la technique de battue, mais indiquent simplement qu'au début du XVIIème siècle, on considérait la mesure comme étant à quatre parties, bien qu'elle fût battue à deux. Une analyse plus exacte montre toutefois que lorsque Piovesana parle de "fermar à basso" et "in alto", il décrit une battue interrompue par des discontinuités, ce qui la différencie radicalement du "continua motio" du XVIème siècle. Le geste du chef, qui s'arrête en bas et en haut, n'est pas simplement une mesure du temps mais un geste accentué, un geste qu'un demi-siècle plus tard Lorenzo Penna décrira encore plus rigoureusement, bien que sur les mêmes bases : "Ha la Battuta quattro parti, la prima è battere, è la seconda è fermare in giù, la terza è alzare, e la quarta è fermare in sù. Nelle Note nere spiccano benissimo queste quattro parti di Battuta, perche la prima è nel percuotere, la seconda è nel levare un poco ondeggiando la mano, la terza è nell' alzata, e la quarta è nel fermare in sù" (Li primi albori musicali, Bologne 1679, p. 32). Penna décrit la mesure à quatre parties de deux manières: en premier lieu comme battue descendante, arrêt en bas, levée et arrêt en haut, puis comme battue descendante, rebond de la main ("levare un poco ondeggiando la mano"), levée et arrêt en haut. Et ce rebond n'est autre que la conséquence d'une battue prononcée, caractéristique de la "mesure accentuée". La différence entre les temps est marquée tout autant par le mouvement que par l'emphase de l'accent principal au début de la mesure.
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