François BOHY | Bibliographie |
Aux XVème et XVIème siècles, les prescriptions de
tempo étaient toujours comprises dans l'indication de mesure, de
même que les règles concernant la métrique binaire ou
ternaire des mesures de notes. Indépendamment de cela, il était
toujours assuré qu'une quantité de temps était désignée
par le signe, comme le voulait l'interprétation de la relation entre
tempus non diminutum et tempus diminutum
. Une transcription en notation moderne qui ne ferait que changer
les semi-brèves en noires et les signes mensuralistes en signes de
mesure sans tenir compte des relations de tempo serait philologiquement
insuffisante car elle ôte une dimension au sens de la notation originale.
En prenant la théorie à la lettre, les signes de mesure
et
n'expriment rien d'autre qu'une battue à 2/2
ou à 4/4, sans qu'un tempo soit fixé par le type de mesure.
(Il est assurément dans la règle qu'une mesure de temps plus
rapide soit associée à la battue à 2/2, et, indépendamment
des indications de tempo, il est généralement conforme à
la tradition que la blanche du
soit plus rapide que celle du
,
tout en étant plus lente que la noire du
; un
adagio n'est toutefois pas exclus.)
Entre des extrêmes où, d'une part, le signe proportionnel
impliquait le tempo et, d'autre part, le signe de mesure ne le précisait
pas, se fit jour aux XVIIème et XVIIIème siècles, l'idée
d'un "Tempo ordinario": une véritable mesure de temps usuelle,
à laquelle était associée, en quelque sorte naturellement,
un type de mesure, ce qui fait que des indications de tempo comme adagio
ou presto devinrent nécessaires afin de caractériser
un écart par rapport à ce tempo naturel (une tradition comme
celle-ci, dans laquelle une blanche en était un peu plus
rapide mais pas deux fois plus rapide qu'en
, fut ressentie comme
puisant ses racines dans la "nature des choses").
C'est pourquoi l'objet des premières indications de tempo au XVIIème siècle et au début du XVIIIème siècle ne fait aucun doute, qu'elles aient été accidentelles ou voulues. Supposer qu'un tempo musical, en 1600 comme en 1800, correspondît à la durée d'une mesure de temps serait grossièrement anachronique.
Dire que l'unité réelle de temps - l'unité de référence de l'indication de tempo - n'a pas besoin de coïncider ni avec le numérateur de l'indication de mesure, ni avec la battue que le chef choisit pour des raisons techniques, est un lieu commun de la théorie moderne du rythme (dans une mesure à 6/8, la noire pointée est l'unité réelle de temps, mais le chef peut toutefois battre la croche pour plus de précision). D'autre part, depuis le XVIIIème siècle, il revient à l'éducation musicale fondamentale de faire dépendre l'impression du tempo, qui se dégage d'une phrase, de l'unité réelle de temps et non pas de la durée moyenne des notes, qui peuvent être plus courtes dans une phrase plus lente sans pour autant supprimer le caractère d'adagio. L'existence d'une unité réelle de temps et d'un tempo qui lui soit associé, indépendamment du signe de mesure, de la battue qui se justifie techniquement et de la durée moyenne des notes, est cependant rien moins qu'évidente et ne doit pas être supposée acquise à priori au XVIIème siècle.
Lorsque Michæl Praetorius applique alternativement au "motus
tardior" du motet ( en relation avec le "motus celerior"
du madrigal ) un "tactus celerior" alla semibreve
(p. 50) et un "tactus tardior"
alla breve
(p. 53), il s'agit là d'une différenciation de technique de
battue, qui ne précise presque rien de la mesure réelle du
temps musical. L'impression du tempo dépend exclusivement du "motus"
et non du "tactus" et ne se mesure certainement pas par une unité
de temps indépendante tout aussi bien du "motus" que du
"tactus". Certes, Praetorius fait la différence entre la
battue déterminée par des motifs techniques (tactus)
et la durée moyenne des notes (motus); mais l'idée
d'une mesure de temps abstraite de ces deux points de vue, telle qu'elle
est représentée par les tenants du tempo, était à
l'évidence étrangère au début du XVIIème
siècle. Dans le madrigal et le motet, le tempo décrivait de
manière égale la durée moyenne des notes et comment
le tactus devait être battu, mais rien de plus (à l'inverse,
la chansonnette du type gastoldien reposait sur un "pouls" rythmique
qui représentait une unité de temps au sens moderne).
L'idée d'utiliser des indications de tempo comme adagio
ou presto apparut dans les proportions ou signes de mesures ternaires
- et non à partir des types de danses qui avaient chacune leur tempo
ordinario bien établi - du fait de l'incertitude concernant
les chiffres (désignaient-ils une égalité ou une fraction?
En d'autres termes, fallait-il chanter en 3/4 deux fois plus rapidement
ou à la même vitesse qu'en 3/2?), et dans les mesures binaires,
du fait de l'imprécision des relations entre le tempus non
diminutum et le tempus diminutum
. "De plus,
un inventaire serait bien nécessaire car parfois . . . le vocabulaire
des valses adagio, presto, tardè, velociter, est noté et souligné
dans les voix / ce qui, avec le changement si fréquent des signes
et
/ produit tant de confusions et d'empêchements
qui peuvent devenir irritants." Le "changement", que Praetorius
ressentait comme déconcertant, avait pour origine, d'une part, la
notation négligente de beaucoup de compositeurs, qui se souciaient
peu de différencier les signes (p. 51), et d'autre part, la dualité
permettant que le tempus diminutum fût battu soit en
tactus (maior) alla breve (plus lent), soit
en tactus (minor) alla semibreve - en relation
avec le tactus alla semibreve.
Exprimé
autrement,
pouvait être le signe d'un tactus tardior
(alla breve) mais aussi celui d'un tactus celerior
(alla semibreve). Si les dénominations adagio
et presto se rapportaient cependant aux tactus tardior
et celerior ( et Praetorius laisse cette éventualité
tout à fait ouverte ), alors elles ne régulaient que
le tempo, sans apporter la moindre modification au motus (à
la durée moyenne des notes). Comme nous l'avons dit, le sentiment
du tempo tenait exclusivement au motus et non pas au tactus,
ce qui fait que le vocabulaire usuel ( tel qu'il apparaît chez
Praetorius ) n'utilisait jamais, à proprement parler, des mots
décrivant le tempo ( et encore moins le caractère implicitement
décrit par ces mots ) mais seulement de simples chiffres pour
la durée des battues. (Dans "Organo Suonario", une "battaglia"
d'Adriano Banchieris datant de 1611 et l'une des premières oeuvres
portant des indications de tempo, l'indication "allegro" placée
vis à vis de "adagio", joués en
, ne signifie
en aucun cas une accélération mais au contraire un ralentissement
des valeurs de notes, en relation toutefois avec un changement de la durée
des battues qui passent d'un tactus maior alla semibreve
à un tactus minor alla minime.)
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