François BOHY | Bibliographie |
Progressivement remplacé, au 17ème siècle, par les conventions modernes de mesure et d'indication de tempo, le système d'indication de la mesure, des proportions et des lois du tactus (de la battue) élaboré aux 15ème et 16ème siècles semble si simple que l'on peut penser qu'il suffit de quelque phrases pour le décrire, et l'on ne comprend pas pourquoi aussi bien les compositeurs et théoriciens de la Renaissance que les historiens des 19ème et 20ème siècles se sont empêtrés dans des difficultés et des contradictions franchement labyrinthiques.
(1) Le fait qu'une brève ou une semi-brève puisse être
divisée aussi bien en trois parties qu'en deux, donnant ainsi la
mesure fondamentale du tempus perfectum cum prolatione maiori (),
du tempus perfectum cum prolatione minori (
), du tempus
imperfectum cum prolatione maiori (
) et du tempus imperfectum
cum prolatione minori
() , n'est en aucune façon confus et devient même à
proprement parler évident lorsque l'habitude moderne de décomposer
une note ternaire en note binaire à l'aide d'un signe ajouté
fait apparaître celle-ci comme un variante de celle-là.
(2) Les proportions obéissent à la règle simple
qui veut que le chiffre supérieur (il était difficile de l'appeler
numérateur car il ne s'agit pas, ici, de fractions, mais d'équations)
désigne la valeur des notes qui, dans la proportion, doivent prendre
la même place que celle occupée, dans la mesure précédente,
par les notes désignées par le chiffre inférieur. (Si
un tempus de comprend deux semi-brèves, alors la proportion
indique
que trois semi-brèves doivent occuper une durée identique
à celle occupée précédemment par deux.)
(3) L'utilisation partielle de la prolatio maior (ou prolation
parfaite) comme signe d'augmentation, autrement dit l'égalité
d'une minime de la prolatio maiorou
avec une semi-brève
de la prolatio minor
ou
, n'était presque jamais
source de confusion, tant que l'on s'en tenait à la règle
qui voulait qu'une augmentation fût considérée exclusivement
comme la combinaison simultanée des prolatio maior et minor
(et non pas par une prolatio maior à toutes les voix). De
même, la définition de la diminution - la réduction
d'une brève à l'équivalent d'une semi-brève
- à l'aide d'un trait vertical,
ou
ne pouvait prêter
à confusion.
(4) Même les règles du tactus - en tant que durée
de la battue descendante et ascendante (positio et elevatio)
de la main du chef ainsi que la répartition de ces battues sur des
genres de notes changeant en fonction des différentes mesures - semblaient
ne pas poser de problème si l'on admettait que le tactus alla
semibreve en ou
représentait la norme: un tactus
dont les positio et elevatio comprenaient chacune une minime
(
) et dont les battues descendantes et ascendantes prises ensemble
correspondaient à la durée d'une pulsation (pour une valeur
métronomique comprise entre 60 et 80 ) et qui s'appliquait à
toutes les mesures.
Le véritable problème, qui irrita les contemporains autant
que les historiens, n'a pas trait aux ramifications du système, mais
bien à ses racines, dont la simplicité se révéla
sous des apparences trompeuses. La controverse porta tout d'abord, aux XVème
et XVIème siècles, sur le choix des notes qui devaient avoir
des valeurs identiques dans les mesures fondamentales: la minime (),
la semi-brève (
) ou la brève (
)? En second lieu, le chiffre
3 pouvait signifier aussi bien
que
et, de plus, ce n'était
pas sans équivoque qu'on l'associait à un type de note: la
proportion
pouvait concerner une relation entre semi-brèves
aussi bien qu'entre minimes. En troisième lieu, concernant la règle
de la diminution qui veut que le signe
indique une réduction
de moitié, il est vrai que son utilisation, successive comme simultanée,
fût pratiquement impossible dans le cas où l'on voulait jouer
le Kyrie en
suivi d'un Christe en
en conservant
la même échelle de valeurs, mais aussi en évitant de
déformer le Kyrie en adagissimo ou le Christe
en furioso (la méfiance légitime des historiens envers
le "sentiment musical" ne devrait pas permettre de tolérer
de telles absurdités). Quatrièmement le tactus n'était
pas toujours réparti à l'identique dans différents
types de mesure (
), mais, à l'inverse, une même mesure pouvait
être battue selon des tactus différents (tactus
majeur =
ou tactus mineur =
); en outre, la proportion
exigeait sans nul doute un tactus plus rapide (
=
)
que ne l'exigeait la prolation parfaite (
=
).
Les difficultés que nous avons entrevues, telles que le choix variable d'une durée commune de mesure, l'incertitude quant à l'unité des proportions, l'accord fluctuant des relations de tempo entre mesures diminuées et non-diminuées ou la possibilité de choisir entre plusieurs modes de battue sont toutes très comparables, et l'étude théorique entraîne toujours des difficultés d'interprétation parfois insurmontables lorsque certains points du texte proposent également des versions alternatives.
D'autre part, ce serait une erreur que d'écarter les difficultés inhérentes à ces principes de tactus et de proportions sous prétexte qu'il ne s'agirait là que d'une "pure abstraction", laquelle ne concernerait pas la pratique. Cela tient en grande partie à des faits qui, bien que leur signification musicale pratique soit indubitable, ne sont pas "écrits dans les notes" ou tout du moins pas de manière suffisamment claire, ce qui fait que la réflexion théorique, si contradictoire qu'elle puisse paraître souvent, demeure indispensable pour une clarification. Ainsi la valeur du tempo est presque toujours implicite dans les signes de mesure ou proportion de la musique proportionnelle, lesquels, de cette façon, diffèrent considérablement du signe de mesure employé du XVIIème siècle jusqu'à nos jours. De ce fait, une transcription de musique proportionnelle est philologiquement défectueuse car l'absence de prescription de tempo limite la possibilité de traduire la notation proportionnelle en signes de mesure, et réduit la notation à un moment essentiel car l'estimation de la mesure de cette façon ne peut pas rendre compte de la durée communément admise pours celle-ci. Ceci nous montre seulement que la théorisation, qui ne peut se faire en transcrivant les signes de proportions et mesure en termes de valeurs de tempo, doit opérer directement "sur la chose elle-même".
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