François BOHY | Bibliographie |
"Signus Tactus Simplicis est semicirculus, vel cum lineola vel absque
lineola: qui in hoc tardior, in illo vero celerior esse potest" (Christophorus
Thomas Walliser, Musicæ figuralis præcepta brevia, Strasbourg,
1611, chap. 7). Pour Walliser, qui redoutait ouvertement de devoir attribuer
une norme fixe à une pratique fluctuante, le fait, en 1611, de battre
un tactus ralenti dans le tempus imperfectum non
diminutumet un tactus accéléré dans
le tempus imperfectum diminutum
représentait
une possibilité qui tombait sous le sens, mais n'était en
aucun cas une nécessité contraignante. Et lorsque Michael
Praetorius remarque: "Quelques-uns mélangent l'un avec l'autre
/ tantôt pour certains le
, et pour d'autres le
,
et cependant on ne peut trouver entre eux aucune différence / ni
dans les notes ni dans le chant ", il décrit ainsi une situation
qui dure depuis 1500 environ, dans laquelle il n'était pas rare d'avoir
la même phrase qui, présentée alternativement sous des
signes de mesure
ou
, demeurait inchangée.
Il est indéniable que l'égalitéou la proportion
,
fondant la relation simultanée de ces mesures, pouvait aussi être
appliquée ( et le fut ) à la succession du tempus
non diminutum et du tempus diminutum. À
côté de cela, demeurait toujours la possibilité d'associer
une vague accélération irrationnelle de l'unité de
temps au signe de diminution, qui signifiait alors non plus "deux fois
plus vite" mais "un peu plus rapide". Eucharius Hoffmann,
témoin naïf et sans opinion, distinguait en 1572 trois avis
à propos du tactus: d'après le premier, on battait
le tempus non diminutum
en tactus alla
semibreve et le tempus diminutum
en tactus
alla breve; d'après le deuxième, on battait
aussi le tempus diminutum
en tactus alla
semibreve, mais plus rapidement; et d'après le troisième,
le tempus non diminutum était battu en tactus
maior et le tempus diminutum en tactus minor
(Musicae practicae praecepta, Wittenberg, 1572, chap. 10). Les première
et troisième conceptions attestent de relations strictement proportionnelles
entre les mesures: le tactus
alla breve
est identique au tactus
alla semibreve (
)
et le tactus
alla semibreve est deux fois plus rapide
(tactus minor) que le tactus alla semibreve
(tactus maior). En revanche, la deuxième conception
établit un état intermédiaire entre les deux extrêmes
rationnels (les proportions 1:1 et 2:1) et stipule sans le moindre doute
que le tactus
alla semibreve doit être "un
peu plus rapide" que le tactus
alla semibreve.
"Quidam vero docent manere eundem valorem, sed tactu saltem in signis
diminutis utendeum esse velociore." L'alternative entre le tactus
maior et le tactus minor d'une part, la différence
entre le tactus tardior du
et le tactus celerior
du
d'autre part, pour peu que l'on souhaite exprimer ces relations
irrationnelles en termes d'indications métronomiques conduisent à
rien moins que quatre valeurs de tempo:
Selon Glarean, si la possibilité offerte d'interpréter
la diminution du tempus comme un tactus "un peu plus
rapide" visait à stimuler l'attention, les différentes
façons de battre le tactus tardior et le tactus
celerior se référaient alors, selon Michael Praetorius
(1619), à l'opposition tacite existant entre le motet et le madrigal.
Praetorius distingue un "Tactus aequalis Tardior , quo signantur
Madrigalia" et un "Tactus aequalis celerior
, quo signantur
Motetae" (p. 49). Le tactus tardior était utilisé
alors que le mouvement s'accélérait et que les valeurs de
notes étaient écourtées, tandis que le tactus
celerior correspondait à un mouvement ralenti et à
des valeurs de notes allongées. "Qui Madrigalia & aliæ
Cantiones, quæ sub signo
, Semiminimis & Fusis abundant,
celeriori progrediuntur motu; Motectae autem, quæ sub signo
Brevibus
et Semibrevibus abundant, tardiori: Ideo hic celeriori, illic tardiori opus
est Tactu" (p; 50). Le tactus tardior du madrigal est
un tactus
alla semibreve, le tactus celerior
du motet est un tactus
alla semibreve.
L'opposition implicite existant entre motet et madrigal était
fondamentale à la fin du XVIème siècle; et Monteverdi,
alors même qu'il représentait ce que Rore ou Marenzio appelaient
la "Seconda pratica" des compositeurs de madrigaux, rattachait
la "nouvelle musique" du XVIIème siècle à
la "modernité" du XVIème, qui se manifestait dans
le madrigal. Voilà pourquoi Praetorius, en révélant
que les différences de tempo entre madrigal et motet étaient
l'un des signes constitutifs de l'opposition sous jacente, désignait
sans aucun doute un phénomène musical évident; s'il
est exclu que les relations entre tactus tardior et
tactus celerior
fussent de l'ordre de 2:1, une diminution
des notes dans le madrigal serait abolie par une augmentation du tactus,
et le contraste implicite dont parle Praetorius ne serait alors rien de
plus qu'une différence d'écriture, disparaissant dans la perception
de la réalité musicale. Il s'agit donc de ce que Eucharius
Hoffmann a mentionné comme étant le tactus "un
peu plus rapide".
Ce n'est pas parce que Praetorius assimilait les motus celerior
du madrigal à un tactus tardior et inversement le motus
tardior du motet à un tactus celerior que "l'allure"
du madrigal, malgré ses notes plus courtes, était plus lente
que celle du motet. Le tempo que décrivait Praetorius n'était
pas le tempo d'un comptage du temps, représenté par le tactus,
mais reposait sur la mesure de temps d'un système de durée
de notes à plusieurs valeurs, dans lequel le tactus - tactus
maior ou minor - pouvait être inscrit différemment.
Une échelle de valeurs de temps était à la base du
système proportionnel, dont les qualités rythmiques (très
longues, longues, courtes et les divisions intermédiaires) était
représentées par la terminologie proportionnelle des notes
héritées du XIIIème siècle: maxime, longue,
brève, et semi-brève. Dans les motets de la fin du XVIème
siècle, le système à quatre valeurs était réalisé
à l'aide de brèves, semi-brèves, minimes et semi-minimes,
alors qu'au contraire, dans les "Madrigali a note negre" ou "alla
misura breve", ainsi qu'on les désignait depuis les années
1540 dans les ouvrages italiens, le système utilisait la semi-brève,
la minime, la semi-minime et la fusée. De Martin Agricola jusqu'à
Michael Praetorius, le tactus maior valait, en un tactus
alla breve, en
un tactus alla semibreve,
et le tactus minor valait, en
un tactus alla
semibreve et en
un tactus alla minima. Dans les
deux modalités d'écriture, le tactus maior
regoupait
deux durées en une seule durée étendue (
et
), et le tactus
minor regroupait deux durées raccourcies en une durée
normale (et
). Si Praetorius choisit un tactus maior
alla semibreve pour le madrigal, et, à l'inverse,
un tactus minor
alla semibreve pour
le motet, il fat le comprendre exclusivement pour des motifs techniques
car cela montre simplement qu'il cherchait ainsi à éviter
les extrêmes. Du tactus maior alla breve,
il dit qu'il est possible de l'utiliser "en cas de nécessité"
["zur Noth"], mais "très ralenti " ["gar
langsam"] (p. 49), quant à l'autre limite, à savoir le
tactus minor
alla minima, Praetorius
a du le percevoir comme trop précipité.
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