François BOHY

Catalogue 

 Bibliographie

Matériaux, catégories, geste compositionnel et esthétique dans les quatuors à cordes de Helmut Lachenmann

Chapitre IV: Une esthétique de la résistance

L'écoute désarmée

Les modalités et le contenu des choix esthétiques de Helmut Lachenmann sont le reflet de ses préoccupations concernant l'écoute et ses modalités. Celle-ci n'est pas, pour lui, une donnée en soi, autonome, mais bien le reflet d'une pratique sociale. Elle prend donc des formes qui sont le reflet du jeu des forces à l'oeuvre dans la société, et, de même, elle évolue selon des modalités similaires. Cela signifie, en particulier, que l'écoute est sans cesse banalisée, canalisée dans des habitudes et des conventions qui en font un instrument docile de reconnaissance de ce qui est déjà connu. Ce faisant elle se détourne de sa fonction de stimulant de la pensée, et contrecarre la genèse d'un sentiment esthétique, ou plutôt, elle donne à ce qui est ressenti une apparence trompeuse.

La résistance

L'écoute doit ainsi toujours être revivifiée car "finalement, l'écoute est autre chose qu'une attention sensible à la signification, elle veut dire: entendre autrement, découvrir en soi de nouveaux sens, de nouvelles antennes, de nouvelles sensibilités; partant se rendre compte de notre propre faculté de changement et opposer celle-ci comme une résistance à l'esclavage ainsi apparu; écouter signifie: se découvrir soi-même de nouveau, et changer".

Nous percevons, à travers cette définition, comment le concept de résistance est central dans la pensée de Helmut Lachenmann. Face à une réalité qui reproduit, par essence, les conditions d'un nouvel esclavage, au sens d'une dépendance à des perceptions dont les déterminismes nous échappent car ils sont enfouis dans les méandres de la convention et des habitudes, il faut que le compositeur permette à l'auditeur de "rafraîchir" sa mémoire en recréant à chaque instant les conditions de son écoute. Voilà le "prix" que s'impose Helmut Lachenmann dans son projet esthétique.

Du beau comme construction et non comme déduction

L'expérience esthétique, dans ce contexte, ne peut en aucun cas être le fruit d'une déduction en référence à des critères pré-établis car "..en Europe, la musique s'est échappée de la fonction magique qui s'est maintenue dans d'autres cultures, afin de devenir objet d'attention, de recherche, de développements et par là miroir du perpétuel devenir des possibilités perceptives et sensitives de l'homme". L'expérience de l'écoute telle qu'elle est définie, n'est pas une possibilité parmi d'autres, mais bien la seule "nécessité" compte tenu du monde dans lequel nous vivons, et cette adéquation au monde de manière non pas dépendante, mais projective (prospective), est à rapprocher de la définition que donne Helmut Lachenmann de la beauté comme "refus de l'habitude". L'idée de beauté n'apparaît plus comme une donnée révélée ou l'objet d'une vocation, mais bien comme une élaboration à l'oeuvre dans la musique même. "Et il s'agit ainsi non d'une musique qui déplore le cours du monde par quelques grattements, ni qui se réfugie dans un exotisme sonore, mais d'une musique qui, au fond, rend notre perception sensible, et sensible à elle-même, à sa propre structuration. Elle tente de surcroît d'aiguiser notre esprit pour ces structures en nous et autour de nous qui font réagir la musique. Une musique, partant, qui ose l'aventure de définir encore une fois, et dans les conditions nouvelles d'une absence de langage, l'idée de beauté - avec l'espoir beethovénien que ce qui vient du coeur, le langage fît-il défaut, y retourne".

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