François BOHY

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 Bibliographie
Matériaux, catégories, geste compositionnel et esthétique dans les quatuors à cordes de Helmut Lachenmann

Chapitre II: Les catégories

L'élaboration du discours musical, chez Helmut Lachenmann va de pair avec la construction de catégories regroupant des sonorités (des "actions") choisies par lui.

Cette organisation du matériau en catégories semble destinée à fixer les limites du champ musical, qui, bien que n'étant plus données a priori, doivent néanmoins être fixées le temps d'une oeuvre.

Même si la plupart des sonorités décrites dans les notices se retrouvent d'un quatuor à l'autre, leurs variations, ainsi que l'absence de certaines, sont liées à l'organisation des catégories dans chacun de ces quatuors.

1 - Organiser des catégories:

C'est en opérant des regroupements de sonorités ayant des traits communs que Helmut Lachenmann crée des catégories. Pour ce faire, il les associe selon différentes modalités:

C'est le cas le plus courant qui consiste à relier tous les sons produits par un même geste, et dont on fait varier l'un des paramètres. Les sons joués à l'archet en sont un bon exemple, qui permettent de regrouper dans une même catégorie un son bruiteux aérien, joué flautando avec très peu de pression de l'archet, un son ordinaire, et un son écrasé ("perforé").

La catégorie, dans notre exemple, s'est organisée autour de la simple variation de la pression de l'archet. Elle aurait pu tout aussi bien le faire autour de la variation de la prise de la main gauche, en sons ordinaires, sons demi-harmoniques ou sons harmoniques, l'archet demeurant flautando par exemple. Enfin, il est clair qu'une troisième catégorie peut se déduire des deux premières en croisant les variations des deux paramètres.

Ce type de regroupement peut être très simple, comme par exemple le côté ponctuel d'un son, qui permet de regrouper dans une même catégorie des sons pizzicato, col-legno battuto ou joué avec l'écrou. Il peut être toutefois plus complexe, lorsqu'il s'agit par exemple d'une catégorie regroupant les différentes formes musicales d'un trille, depuis l'objet lui-même, joué ordinario, jusqu'au balayage d'harmoniques jouées flautando de bas en haut d'une corde.

2 - Les catégories comme outil compositionnel:

Regrouper des sonorités en catégories, c'est déjà les comparer, les ordonner, organiser les modalités de leur mise en jeu. C'est en ce sens que cette catégorisation constitue à proprement parler la genèse d'un outil compositionnel.

Dépassant la simple collection, où les sonorités sont assemblées selon des modalités spontanées, liées la plupart du temps à des déterminismes n'ayant pas obligatoirement de conséquence musicale, la catégorie témoigne d'un projet, son contenu en est déjà le reflet.

Il serait erroné de penser que l'utilisation de catégories sonores, dans les quatuors, n'est là que pour baliser un espace de timbres paraissant infini. Le regroupement qui s'opère n'a pas pour but de limiter l'espace des possibles (même s'il le réalise en fait), mais constitue le premier élément de réponse à la question du beau dans cette musique.

S'il était besoin de le démontrer, la seule écoute rapide de n'importe quel passage de l'un des quatuors suffirait à prouver qu'il n'y a pas, dans cette musique, l'usage de "belles" sonorités. A la fois parce que toute référence y est gommée (ou tout au moins n'apparaît-elle qu'à un niveau différent), mais surtout parce que le langage musical à l'oeuvre ici ne se fonde pas sur la mise en espace de sons conçus comme entités indépendantes.

Si les critères qui, ailleurs, peuvent permettre de désigner un "beau son" n'ont pas cours dans ce cas, la préoccupation esthétique n'est pourtant pas absente et son premier objet est la catégorie, telle que nous l'avons définie. Les critères du regroupement en catégories sont aussi ceux d'une esthétique dans le sens où ils proposent une mise en jeu possible, une vision de la musique présente en germe dans ces catégories.

Regrouper des sonorités en valorisant certains de leurs caractères, c'est déjà proposer un mode de relation entre les sonorités présentes dans cette catégorie, c'est aussi établir les bases d'un contrepoint entre elles, permettant de les opposer, de les réunir. Nous découvrons en cela que l'organisation des sonorités choisies, par le biais des catégories, est la condition de l'élaboration d'un langage.

3 - Composer avec des catégories:

Organisant les éléments de la syntaxe du langage musical, l'élaboration des catégories permet à celles-ci de devenir le support de la composition.

Cela est particulièrement clair dans la première partie de "Gran Torso" où sont exposées successivement sept grandes catégories de sonorités, avec toutefois une densification en sous-catégories croissantes de l'une à l'autre.

C'est principalement par la mise en relation des catégories que se fait la composition, mais certains mouvements entiers, nous le verrons, ne font intervenir qu'une seule catégorie, et la composition s'appuie alors sur des éléments uniques, chaque sonorité jouant le rôle dévolu précédemment à une catégorie.

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