F. Nicolas et J.-L. Saget, membres du Collectif anti-crack de Stalingrad
Lettre du 27 mars 2002 adressée à
Monsieur Reda Sadki
Migrants contre le sida - 45, rue d'Aubervilliers - 75019.Paris
Monsieur,
Vous écrivez: "Nous avons appris que François Nicolas, un porte-parole de la campagne "Sida en Afrique : la France doit fournir les traitements", milite par ailleurs pour la répression de la drogue dans le 10e arrondissement de Paris. Il était en effet partie prenante du « Collectif anti-crack » qui a participé, l'année dernière, à l'hystérie sécuritaire et à l'appel à la répression policière contre les usagers de drogue du quartier. Migrants contre le sida demande à la Campagne de clarifier ses liens avec la mouvance sécuritaire «anti-drogue» et à affirmer son engagement en faveur de la défense des droits des usagers de drogues et de la réduction des risques" et vous parlez, dans votre intervention orale mardi 25 mars, de "contradiction manifeste" entre lutte contre le sida de la Campagne et lutte contre la drogue du Collectif.
Ceci appelle, de notre part, les réactions suivantes:
1) Le Collectif anti-crack qui est contre la drogue n'est pas
pour autant contre les drogués (cf. nos diverses prises
de position dans ce sens: "Petite enquête auprès des toxicomanes
du quartier", première
et seconde
chroniques des tournées-rue contre la drogue des pères
de famille du quartier Stalingrad, etc.). Le Collectif anti-crack
est contre les dealers, mais dealers et drogués font deux.
Ainsi, de même qu'être contre le sida ne veut pas
dire être contre les séropositifs, de même
être contre la drogue ne veut pas dire être contre
les drogués.
2) Le Collectif anti-crack ne participe pas d'une hystérie
sécuritaire. Il demande, entre autres, que la police fasse
son travail ordinaire de répression des dealers, considérant
que les habitants n'ont pas à monter une milice privée
pour remplacer la police dans sa lutte contre les truands et les
criminels.
À notre sens, il n'y a aucune complaisance à entretenir
avec les truands, et les mouvements populaires de l'histoire se
sont toujours clairement prononcés sur ce point -
lisez, si cela vous intéresse, le livre de Varlam Chalamov : "Essais sur le monde du
crime" (Gallimard, Arcades).
L'équation {peuple = monde des truands} est profondément
"réactionnaire" et nullement "progressiste".
Les dealers sont des truands et des criminels, non de petits délinquants
(ou des "voyous", dans la terminologie de Chalamov).
3) Nous pensons qu'il faut se battre sur deux fronts à
la fois: contre le sida et contre la drogue et non pas subordonner
un combat à l'autre. Il n'y a à nos yeux aucune
contradiction à mener simultanément ces deux luttes.
Ce ne serait d'ailleurs pas servir la lutte contre le sida que
de la déclarer incompatible avec la lutte contre la drogue.
Nous nous battons, dans le Collectif anti-crack, pour déqualifier
l'équation {squats + sans papiers = deal + drogue} (voir
notre seconde
chronique) ; ce serait un mauvais coup porté à
la lutte contre le sida que de tenter d'imposer l'équation
infâme {séropositifs=dealers}.
4) Le Collectif anti-crack n'est pas contre les mesures de réduction des méfaits qui combattent le sida et autres maladies opportunistes liées à la toxicomanie : il n'est donc pas contre l'échange des seringues pas plus qu'il n'est contre les produits de substitution mais il rappelle que ces nécessaires mesures anti-sida ne sauraient tenir lieu de combat véritable contre la drogue. Le Collectif soutient que, du point du nécessaire combat contre la drogue qui est le sien, ces mesures de réduction des méfaits relèvent de la tactique (contact et proximité avec les toxicomanes pour assurer leur protection) mais ne sauraient constituer par elles-mêmes l'orientation stratégique du combat contre la drogue. Ces mesures ne devraient être qu'un maillon d'une chaîne thérapeutique dont l'objectif soit les soins (en particulier psychiatriques) donnés aux toxicomanes pour les aider à sortir de la drogue.
5) Soutenant que lutte contre le sida et lutte contre la drogue
sont compatibles mais différentes (et non pas équivalentes
ou substituables l'une à l'autre), nous ne demandons nullement
que toute personne engagée dans l'une s'engage ipso facto
dans l'autre ni que toute association pour l'une prenne publiquement
position pour l'autre. Nous n'exigeons donc nullement de vous
(ni d'ailleurs de la campagne "Sida en Afrique") un
accord sur notre combat contre le crack, pas plus que nous n'exigeons
des gens mobilisés contre le crack qu'ils s'engagent également
contre le sida (d'ailleurs, en son nom propre, le Collectif anti-crack
n'est pas partie prenante de la Campagne "Sida en Afrique: la France doit
fournir les traitements").
La compatibilité entre les deux luttes est matérialisée
par le fait que deux des membres du Collectif anti-crack (François
Nicolas et Jean-Luc Saget) sont signataires de la pétition
(pour que la France fournisse à l'Afrique les traitements
antiviraux dont elle a besoin) et participent à la Campagne
qui en procède.
6) Si vous souhaitez engager un débat entre le Collectif anti-crack et vous-même, il ne saurait donc porter à nos yeux sur "pour ou contre les drogués?" mais sur "pour ou contre la drogue?" et plus précisément sans doute sur "pour ou contre le crack?", ce qui est un tout autre débat que celui portant sur le sida. Cet éventuel débat entre vous et nous n'a, à notre sens, aucune raison d'interférer dans le front commun constitué contre le sida entre la Campagne "Sida en Afrique" et l'association "Survivre au sida", front qui n'intéresse ni de près ni de loin le Collectif anti-crack en tant que tel.