LA MUSIQUE DES POÈTES

(France-Musique)

par

François NICOLAS


II.3. : L'intension (28 février1999)

Gerard Manley Hopkins, ce poète anglais qui nous attache depuis quelques soirées, relève ce que chaque chose a d'unique.

Chaque chose est unique par sa forme propre, par cette sorte de design - qu'il nomme inspect - et dont je vous ai parlé dimanche dernier.

Mais chaque chose est aussi unique par son potentiel d'énergie, par la dynamique intérieure qui la charpente comme telle. Hopkins appelle cela l'instress (néologisme anglais qu'on peut traduire par intension, en entendant en ce néologisme français l'inverse d'une extension).

Toute chose a une dynamique singulière qui la soutend de l'intérieur et dans le même temps la fait rayonner vers d'autres choses.

Hopkins parle ainsi de la tension intérieure qu'il décèle dans la musique de Purcell et qui permet à l'écoute d'entrer dans la danse, de vibrer à l'unisson. Je vous ai déjà fait entendre du Purcell et je voudrais aujourd'hui relever une tout autre intension musicale.

Dans une oeuvre contemporaine, La chute d'Icare de Brian Ferneyhough, à la fin de cette oeuvre - très exactement à la fin de la cadence de la clarinette que l'on va maintenant entendre -, il y a un moment intense où la petite flûte, puis le violon et le violoncelle viennent inscrire une pulsation, incongrue en ce contexte d'obédience sérielle, qui propulse la suite du discours musical.

Hopkins nous rend attentif à ce qui configure les choses selon une tension intérieure, venant entraver leur possible dispersion, leur tendance innée à l'émiettement. Cette énergie de cohésion scelle les choses en même temps qu'elle part à la rencontre d'autres choses, dans l'espérance d'une résonance sympathique.

Une propulsion musicale, cela pourrait être ceci :

Ce choeur est extrait de l'oratorio Paulus de Mendelssohn - la spiritualité du jésuite Hopkins est en effet d'inspiration paulinienne -.

La tension, Hopkins connaissait cela fort bien, à un degré souvent extrême, comme en témoigne ces sonnets " terribles " qu'il écrivit à la fin de sa vie et dont je vous extrais un florilège :

Écoutons, en écho à cette sombre angoisse, l'ouverture saisissante du concerto pour la main gauche de Ravel, remarquablement servi par Krystian Zimerman au piano et l'orchestre symphonique de Londres dirigé par Pierre Boulez.

Bonsoir !