Huitième chronique des tournées-rue contre la drogue des pères de famille

Quartier Stalingrad, mardi 30 avril 2002

 

 

 

 

Nous étions dix pères ce mardi, dont l’un amicalement venu du quartier Marx-Dormoy (association Olive 18) pour nous accompagner. Notre parcours fut semblable à celui de notre troisième tournée-rue : avenue de Flandre, rue Riquet, rue de Tanger, rue du Maroc et rue d’Aubervilliers.

Soirée extrêmement vivante (nous l’avons terminée exceptionnellement tard : à plus de 23 heures) qui fut surtout marquée par les nombreux et passionnants échanges avec les jeunes du quartier.

I. Avec les habitants

L’accueil de notre initiative est, comme depuis le début, très chaleureux : « Ce que vous faites-là, c’est super bien ! C’est bien de se mobiliser, surtout contre la drogue. Il y a trop de gens qui subissent, il y a trop de gens passifs. » D’autres pères annoncent leur intention de se joindre à nous les prochains mardis : « Pour des causes justes, on est toujours là ! », « Se battre contre la drogue, c’est très important ! ». Toutes ces paroles contrepointent la traditionnelle basse fondamentale composée de « Bon courage ! ». La confiance bien installée avec les habitants du quartier conduit de nombreuses personnes à nous laisser adresses et numéros de téléphone en sorte d’être prévenues de nos prochaines initiatives.

Une pincée de berbère dans notre papier…

Remontant l’avenue de Flandre, nous rencontrons plusieurs personnes qui proposent de compléter notre tract multilingue d’une traduction en berbère. Nous prenons rendez-vous avec eux pour ce faire.

Quelques mères

Nos conversations avec des mères soucieuses d’apporter leur contribution au combat du quartier contre la drogue se renouvellent. L’utilité d’un local pouvant accueillir des rencontres entre les mères et les jeunes du quartier se confirmant, nous décidons d’orienter désormais les mères intéressées par ce projet vers Espace 19 (rue Riquet), structure existante sur le quartier et plus apte que la nôtre à matérialiser ce projet.

Une belle soirée !

Le ciel, ce soir-là, est clément. Nous sommes dix pères, contents de nous retrouver ensemble ; nous nous situons à mi-parcours de notre projet (seize tournées-rue sont prévues jusqu’aux grandes vacances et nous entamons ce soir la huitième) et nous sommes toujours dispos, heureux de voir que notre action perdure et rencontre l’adhésion du quartier ; nous sommes convaincus d’être dans le vrai. La situation nous porte. Bref, la vie est belle !

II. Avec les jeunes

Ce qui a conféré sa tonalité propre à cette huitième tournée-rue est indéniablement la quantité et la qualité de nos rencontres avec les jeunes du quartier.

Pourquoi particulièrement ce soir-là ? Allongement des jours, l’été venant ? Effets des mobilisations anti-Le Pen sur la jeunesse ? Pourtant presqu’aucune discussion n’aborde explicitement cette question de Le Pen et du lepénisme. Nous avons toujours dans notre poche le tract que nous avons rédigé la semaine dernière (voir notre septième chronique) pour exposer de quelle manière le travail du Collectif fait face à Le Pen et au lepénisme. Nous le tenons à la disposition de qui voudrait aborder avec nous cette question mais finalement nous n’en distribuons que très peu, tant cette question de l’anti-lepénisme semble à chacun aller de soi et ne pas même mériter qu’on s’y arrête entre nous.

Le hip-hop dans nos rues

Nous croisons quelques jeunes revenant d’une démonstration de hip-hop impromptue dans les rues. On retrouve ainsi cette jeunesse des quartiers populaires qui sait d’elle-même se tenir à l’écart de la drogue, convaincue qu’il y a mieux à faire, en l’occurrence qu’il est plus intéressant de faire de la danse acrobatique, de s’entraîner, d’astreindre son corps à une discipline sportive, de se retrouver pour partager une passion plutôt que de se défoncer. Bref voilà des jeunes dont les projets et volontés coupent l’herbe sous le pied des dealers et propagandistes de la came.

Ces jeunes se disent prêts à écrire leur point de vue contre la drogue. Nous nous donnons rendez-vous les jours prochains dans une tour des orgues de Flandre pour commencer de le faire. Nous découvrons à cette occasion l’existence de tout un réseau-jeunes structuré positivement autour de la danse, du rap, de la musique, du sport, réseau qui nous est présenté comme leur création propre et qui fait obstacle à la drogue non plus sous une forme violente (celle que nous allons retrouver plus tard ce soir-là des bandes « anti-cames ») mais par des propositions alternatives, des volontés tournées vers d’autres objectifs que l’autodestruction.

Quelques-uns parlant pour beaucoup

Ceci nous confirme dans notre diagnostic : la jeunesse de ce quartier n’est pas massivement pourrie par la drogue. Là encore, ce qui manque surtout, c’est des individus qui se lèvent pour dire publiquement « Non ! » car, lorsque ceci est fait par quelques-uns, on se rend ensuite compte que ces individus expriment le point de vue de beaucoup. Ce rôle, que nous remplissons actuellement dans le quartier pour les parents, des jeunes peuvent aussi le tenir dans les prochains mois. L’enjeu dans le quartier est que quelques jeunes se lèvent et énoncent, à leur manière propre, leur refus de la drogue, au nom de ce qui pour eux vaut vraiment la peine, de ce qui est vraiment en état d’intensifier l’existence d’un jeune de ce pays.

L’intensité de l’existence pour les jeunes, et les risques

Un jeune a raison de chercher une intensité de l’existence. Un jeune ne saurait être convaincu par la perspective d’une vie qui minimise les risques, qui prépare la retraite, qui planifie les congés, qui programme une carrière, qui range et arrange les années à vivre jusqu’à la décrépitude physique. Il lui faut du risque, de l’intensité, de la volonté, des projets, des paris, des aventures, des enthousiasmes : « Je veux une vie intense, pleine et multiple » (Walt Whitman). Combattre la drogue, c’est, pour un jeune plus que pour tout autre, être convaincu qu’il y a mieux à vouloir que vouloir le rien, la mort, l’autodestruction, la drogue, la servitude. La jeunesse est la plaque sensible du combat contre le nihilisme de notre époque, singulièrement contre le nihilisme de la drogue. À ce titre, notre effort va porter en priorité dans les prochaines semaines en direction des jeunes pour faire exister le point de vue de ceux et celles qui, dans le quartier, savent se tenir contre la drogue. Et des jeunes comme cela, nous en avons croisé un bon nombre ce mardi soir.

Un groupe de jeunes déclamant notre papier

De l’autre côté de l’avenue, un groupe de jeunes nous apostrophe. Nous traversons la rue à leur rencontre et engageons la conversation. La présence de la caméra de nos amis documentaristes contribue bien sûr à les hystériser : chacun veut se mettre en avant (« M’sieur, c’est pour quelle chaîne ? ») et brocarde le copain devant la télé. Difficile de calmer le jeu, sympathique et drôle mais guère propice à la réflexion.

Ahmid, astucieusement, propose au plus déluré d’entre eux de lire à voix haute notre papier : le jeune accepte et se livre à l’exercice, sous l’œil railleur de ses copains ; au moins notre message se trouve ainsi énoncé, et de l’être par la bouche de ce jeune lui confère alors quelque poids singulier auprès des autres. Certains commentent : « La drogue, c’est de la mort ! », « La drogue, c’est simplement l’argent ! ».

Deux lycéennes

Nous croisons plus tard Yasmine et Nadia, deux jeunes lycéennes. Quand nous leur expliquons que nous sommes contre la drogue, elles nous répondent : « Contre la came ? Alors là, pas de problème ! ». Yasmine, qui des deux parle le plus facilement, nous explique que « le cannabis, c’est autre chose. Mais la came, ça, par contre, il faut faire quelque chose. Je suis tout à fait d’accord avec vous ». Pour elle, ce qui nomme clairement ce contre quoi il faut être en matière de drogues, c’est « la came » (soit, plus ou moins, les drogues dites dures). Elle dit : « Pour la came, Stalingrad, c’est trop. La rue d’Aubervilliers, ça fait peur. C’est dangereux. » On objecte quand même que le cannabis n’est pas forcément inoffensif, surtout pour les plus jeunes. Elle confirme : « le cannabis, si tu en prends à treize ans, c’est foutu. »

Écrire « le blâme de la came »…

On lui explique notre projet de papier des jeunes contre la drogue, euh, « contre la came ». Elle approuve en reformulant : « Il faudrait écrire le blâme de la came »

On lui demande ce qu’il faudrait faire pour encourager les jeunes à ne pas y toucher. Elle propose : « Il faudrait montrer la dégradation physique que cela entraîne. » Nous lui objectons qu’il paraît difficile de faire campagne en exhibant la gueule ravagée et le corps déglingué de drogués, euh, de « camés ». Elle propose : « Il faut dire que tous ceux qui y rentrent n’en sortent plus qu’en dégradation totale. Et puis qu’on peut s’amuser de façon différente, et que pour devenir cool, il y a d’autres façons que de prendre un pétard. »

Trois raisons pour entrer dans la came

On poursuit : « À ton avis, pourquoi des jeunes y rentrent ? » Yasmine, du tac au tac : « C’est l’engrenage, par des copains. Ou alors c’est l’envie : l’idée “je veux voir ce que ça fait”. Ou alors c’est qu’ils ont des problèmes psychologiques et ils pensent que la came, ça soulage. » En quelques mots, jetés comme cela, sans préparation, Yasmine nous a aligné trois raisons : comme on le voit, pour les jeunes du quartier, pas besoin de « formation » et d’« information » sur la « toxicomanie » et les « dépendances » par des « professionnels » et « experts » de la chose ; ils ont seulement besoin de rencontrer des adultes qui s’intéressent à ce qu’ils pensent et ont à dire contre la drogue, euh, contre la came.

Yasmine pense également qu’il n’y a pas assez de discussions des jeunes avec leurs parents, et que cela nuit à la situation des jeunes. Nous lui répondons que l’intervention d’autres adultes (à condition qu’ils soient convaincus et ne viennent pas là pour faire copain avec les jeunes, pour se les amadouer mais sachent tenir leur position d’adulte) peut y pallier car pour un adolescent, il est souvent plus facile de parler à d’autres adultes bienveillants qu’à ses propres parents. C’est aussi pour cela qu’on vient dans la rue parler avec les jeunes.

On se quitte sur le projet d’une réunion dans le lycée de ces deux jeunes filles pour écrire un papier. Nous ne doutons pas que si Yasmine, à l’intelligence vive, s’empare de ce projet, ses mots sauront toucher d’autres jeunes.

Beaucoup d’enfants dans les rues

Plus tard encore dans la nuit — il est près de 22 heures 30… —, notre groupe de pères croise quatre petits (entre cinq et dix ans) qui jouent dans la rue au ballon. Sekou s’avance vers eux, l’air sévère, et leur demande ce qu’ils font encore dans la rue à cette heure-ci. Les petits répondent : « Maman reçoit des invités et elle nous a dit de sortir jouer dehors. » Sekou est outré : « Comment leur dire de rentrer chez eux dans ces conditions ? C’est comme cela que l’enfant s’habitue à la rue, et va se trouver confronté à ses dangers… »

Nous croisons ce soir-là un nombre inhabituellement important d’enfants. Chacun s’en désole sans pouvoir y remédier. Pourquoi n’y a-t-il jamais eu autant d’enfants le soir dans les rues du quartier ? Est-ce parce que demain, 1er mai, il n’y a pas de classes ? Comment toucher les parents de ces enfants pour leur expliquer les dangers de leur conduite ? Notre groupe se sent ici un peu désemparé et dépassé…

Un père démonté

Plus loin, devant la Mosquée de la rue de Tanger, une discussion avec un jeune père arabe nous livre peut-être un élément d’analyse : ce père se déclare révolté par le fait qu’on ne laisse pas les parents étrangers éduquer leurs enfants comme ils le sentent, qu’on ne cesse en France d’inculquer à l’enfant l’idée qu’il a des droits, ce qui conduit l’enfant, même fainéant, à menacer d’aller voir la police si ses parents veulent le contraindre à une discipline, que les assistantes sociales se précipitent pour « protéger » l’enfant là où il y aurait surtout à le protéger de sa paresse ! Ce père pense qu’il y a en France trop de lois, et trop de droits, que les enfants en profitent, et que c’est pour cela qu’ils deviennent délinquants, puis drogués.

Difficile pour nous d’inscrire notre travail dans ce flot de paroles : ne connaissant pas l’homme en question, nous avons du mal sur le coup à évaluer son discours. Mais nous y reconnaissons ce point que nous connaissons bien : les parents immigrés ont été et sont encore constamment dévalorisés comme parents. Socialement déconsidérés par la société française, on les a tenus et les tient encore souvent pour quantité négligeable, les mettant sans phrases à l’écart de la vie collective et publique. Comment maintenant s’étonner que leurs enfants soient devenus des sauvages puisqu’on a retiré à beaucoup de parents les moyens de les élever ?

Pour le combat contre la drogue, il est clair que la priorité réside dans une mobilisation des parents. C’est bien à ce titre que notre groupe de pères de famille intervient dans le quartier.

Un ancien « anti-came » soucieux des plus jeunes

Rue d’Aubervilliers, au cœur du lieu de trafic, s’engage une longue discussion avec Kalif, un jeune arabe qui va nous raconter sa longue histoire.

Kalif

« Je suis à 100 % avec vous, je vais vous dire pourquoi. J’ai 24 ans ; j’habite la rue d’Aubervilliers depuis l’âge de quatre ans. Avant les années 90, c’était une rue sympa. Tout le monde se connaissait. Pas d’embrouilles. On jouait entre jeunes. Puis le crack est arrivé. On s’est organisé entre jeunes pour chasser le trafic. On envoyait quelqu’un pour faire comme s’il voulait acheter du crack et quand on savait qui était le dealer, on le cognait méchamment. Ensuite la police passait et, ramassant les gens par terre, pouvait facilement arrêter les dealers. Ensuite, ça s’est gâté avec la justice. J’ai été arrêté en 1992 pour avoir cogné trop fort un dealer ; j’ai fait de la tôle et j’ai été condamné à près de 200 heures de travaux d’intérêt général. Maintenant, les “anti-came”, c’est fini. Mais le quartier est tout pourri. Le crack, ça me fout la rage. Avant le quartier était bien. Maintenant on ne croise plus que des croque-morts ou des poubelles ambulantes. Les toxs, c’est des malades. Mais ceux qui vendent le crack, ils n’ont pas de cœur car ils vendent la mort : quand vous prenez le crack, votre vie, vous ne la voyez pas partir ! »

Un consommateur de hasch, contre sa légalisation

Kalif nous explique qu’il est contre la légalisation du cannabis, même s’il en fume de temps en temps, parce que cela va faire que les petits vont encore plus vite fumer du crack : les dealers de shit, pour survivre, devront se mettre au crack et les jeunes, pour s’affirmer, passeront encore plus vite au crack.

Il nous explique qu’il essaye de tenir les enfants et les plus jeunes en dehors du crack mais qu’il a l’impression de ne rien pouvoir contrôler, que tout part en miettes (chacun remplacera « miettes » par le mot réellement prononcé par Kalif…). Il dit : « Quand tu parles maintenant aux plus jeunes, ça rentre d’un côté en vélo et ça sort de l’autre en Concorde » soulignant ses propos d’un geste rapide entre les deux oreilles.

Révolte légitime face à l’abandon du quartier et de ses jeunes

Kalif est surtout en colère contre l’inaction des pouvoirs publics vis-à-vis des jeunes. Il dit : « Il y a trois ans, il y a eu un projet de film avec les jeunes. Cela nous a beaucoup intéressés. Et depuis, plus rien ! Aucune activité dans le quartier. On demande pas grand-chose pourtant : pouvoir faire un petit match de foot par ci, un petit peu de sport par là. Pour jouer au foot, on est obligé de s’organiser pour aller à La Courneuve ! Pourtant il y a ici des terrains vagues qui ne servent à rien depuis longtemps : pourquoi la mairie n’organise pas sur place des petits tournois de foot avec les jeunes ? C’est quand même pas grand-chose ! » Nous acquiesçons. Il renouvelle sa révolte contre l’inaction générale et l’abandon des jeunes du quartier qui les livre à la tentation de la came : « Le diable, toujours il danse dans nos têtes ».

C’était un long monologue, plutôt qu’un échange, mais il était très instructif. Nous avons en face de nous un ancien « anti-came » : non plus cette figure d’une bande mafieuse rivale de celle du crack (comme nous l’avons souvent rencontrée dans nos précédentes tournées-rue) mais une position de jeune adulte se souciant des plus jeunes, révolté non pour lui mais pour ce qui menace ceux qui le suivent.

Traiter chacun comme nôtre

Il nous exhorte à considérer chaque jeune du quartier comme s’il était notre fils, et nous lui confirmons que tel est bien notre état d’esprit depuis le début : ce n’était pas « nos » enfants qui sont restés enfermés dans la bibliothèque Hergé pendant tout l’été 2001 face au trafic mafieux et son cortège spectaculaire de brutes et d’épaves, mais bien les enfants africains du quartier ; mais nous tenons ces enfants comme étant aussi « les nôtres » puisqu’étant du quartier.

Nous quittons Kalif sur l’idée que si nous, pères de famille, ne pouvons matérialiser le projet qu’il réclame, nous pouvons tout au moins le rendre public et tenter de contraindre la municipalité à faire son travail auprès des jeunes, travail qu’à l’évidence elle ne fait pas, ou peu, ou plus, ou très mal.

D’où les décisions que nous prendrons entre nous, plus tard dans la soirée, quand nous nous retrouverons pour dîner après notre ballade (voir l’annexe de cette chronique)

III. Avec les toxicomanes

Nous achevons cette tournée, il est plus de 23 heures. Nous n’avons plus le temps de partir à la rencontre des toxicomanes qui semblent d’ailleurs avoir reflué ailleurs (fin de mois difficile ? repli des dealers devant notre groupe ?). Nous remettons à d’autres soirées cette rencontre.

Nous nous étions dotés d’exemplaires de nos différentes chroniques en sorte de pouvoir mettre en œuvre notre nouveau plan vis-à-vis des toxicomanes (voir la septième chronique) : discuter avec eux de ce qu’ils nous ont déjà dit, tel que nous le rapportons dans nos chroniques, leur présenter ce que nous réfléchissons pour notre propre compte à partir de nos échanges avec eux…

La prolongation du face à face est donc reportée aux prochains mardis ; nous avons du temps devant nous : nous achevons seulement la moitié de notre plan de travail.

Annexe : Rendez-vous le mardi 25 juin 2002 au soir pour exposer le travail nécessaire des pouvoirs publics contre la drogue

À mi-parcours de nos tournées-rue, nous récapitulons ce qui s’y est dit en vue de fixer aux pouvoirs publics les tâches qui sont les leurs. À l’automne dernier, nous manifestions autour de quatre mots d’ordre principaux :

  1. « La rue est aux habitants, pas aux dealers ! »
  2. « La police doit faire son travail ! »
  3. « Les municipalités doivent faire leur travail ! »
  4. « Le gouvernement doit faire son travail ! »

Où en sommes-nous de ces mots d’ordre ?

Le travail des habitants et des pères

Le premier mot d’ordre circonscrit notre responsabilité propre d’habitants : nous réapproprier l’espace public en organisant le quartier contre la drogue. Ce travail, nous le faisons depuis septembre dernier et, sous forme de tournées-rue des pères de famille, depuis mars. Nous allons le continuer jusqu’au 25 juin prochain, avec sérieux et ténacité.

Il nous faut sur cette base réactiver les trois autres mots d’ordre, en spécifiant cas par cas quel est ce travail exigible des uns et des autres.

Le travail de la police

D’abord, la police : il faut en urgence que la police ferme les trois repères du crack qui se sont installés dans le quartier. Leur localisation est bien connue de tous : il s’agit, dans l’ordre d’importance, du 13 rue d’Aubervilliers, du 9 rue d’Aubervilliers, du 13 rue Bellot.

Fermer les trois repères du crack dans le quartier

Ces repères (sortes de « crackhouses » ou « maisons du crack » bien connues à New York : voir le livre Crackhouse — Quatre ans d’enquête au bout de la nuit de l’ethnologue Terry Williams, éditions Dagorno, 1994 dont on trouvera sur notre site des notes de lecture) constituent les espaces privés de repli des dealers. Ce ne sont pas à proprement parler des squats pour familles mal-logées (il y a plusieurs squats dans le quartier qui ne sont nullement des repères de la drogue et qui luttent avec nous contre le trafic) mais purement et simplement des repères pour le trafic de crack. Ces trois repères doivent être fermés au plus vite par la police. Nous allons prendre contact dans ce sens avec les commissaires de police du quartier avant d’envisager des actions publiques poussant dans ce sens.

Le travail des municipalités et des Maires

Ensuite, les municipalités. Deux tâches essentielles leur incombent.

Rénovation urbaine

D’abord la rénovation urbaine, qui doit être accélérée. Nous en avons déjà parlé aux maires. Il nous faut les ressaisir de l’urgence de ces tâches, en rappelant qu’il s’agit de rénover le quartier tout en préservant sa diversité, en respectant son caractère populaire, sans chasser donc ceux qui d’ores et déjà y vivent.

Les jeunes

Ensuite les jeunes : ce n’est pas à nous, habitants du quartier, de trouver les terrains de jeux ou locaux demandés par les jeunes et les mères que nous rencontrons. Ce n’est pas à nous, pères de famille, d’organiser les tournois de foot, rencontres culturelles, animations sportives sur le quartier.

La municipalité du 19° devrait de toute urgence tirer profit des terrains vagues du quartier pour les aménager provisoirement en lieux collectifs d’animation pour les jeunes du quartier. Nous allons saisir Roger Madec de cette question.

Le travail des ministères et du gouvernement

Enfin le gouvernement et les ministères, dont la responsabilité propre touche au combat général du pays contre la drogue.

Une politique de soins

Il faut en France en finir avec la désastreuse « politique de réduction des risques » qui combat le sida sans plus se battre contre la drogue, qui s’accommode de la croissance du nombre de toxicomanes pour leur proposer simplement une gestion « citoyenne » et médicalisée de leur esclavage. Il faut mettre en place en France une politique de soins qui donne à l’échange des seringues et aux traitements de substitution le statut de moyens en vue d’une abstinence et non pas de fins en soi ; il faut une politique qui se batte à la fois sur deux fronts : contre le sida et contre la drogue.

Des places de post-cures

Pour cela le Collectif va saisir les responsables gouvernementaux (ou candidats à le devenir) de la nécessité d’augmenter en France le nombre de places de post-cures et non plus de les réduire comme le fait, depuis plusieurs années la « politique de réduction des risques » pilotée par la MILDT : l’enjeu est d’aider les toxicomanes à sortir de la drogue et non plus de les enfermer dans une toxicomanie chronique, à vie, au moyen de drogues de substitution.

Des éducateurs-rue la nuit

Nous comptons également saisir ces mêmes responsables de la nécessité de mettre en place des éducateurs-rue allant la nuit à la rencontre des toxicomanes non plus seulement pour leur conseiller d’échanger leurs seringues mais surtout pour les aider à sortir de la drogue, pour leur rappeler que ce qu’ils mettent dans les seringues prétendues « propres », c’est en fait du poison et qu’il serait aberrant qu’ils se croient protégés avec une seringue certes désinfectée mais remplie de produit toxique !

Pour le moment, les seuls qui dans le quartier fassent ce travail auprès des toxicomanes, c’est nous !, et nous n’allons pas continuer cela indéfiniment : tel n’est pas notre travail ! Il faut donc des éducateurs pour prendre notre relais. Ce ne sont pas les « professionnels » de Coordination Toxicomanies 18 qui peuvent faire ce travail : ce n’est pas seulement que ces « professionnels » s’arrêtent de travailler la nuit tombée, au moment même où arrivent les toxicomanes (!) ; c’est surtout que ces gens sont des militants de la « politique de réduction des risques » donc des avocats du « se shooter propre », des gens persuadés qu’il n’est plus possible de se battre contre la drogue et qu’il faut simplement faire avec elle en gérant ses dégâts. Comment ces gens-là pourraient-ils soutenir le face à face avec les toxicomanes pour les encourager à quitter la drogue ? Il faut des éducateurs-rue qui bien sûr circulent la nuit mais surtout qui soient convaincus du fait qu’on peut aider les toxicomanes à sortir de la drogue, qu’on peut les soigner de la drogue (et pas seulement les prévenir du sida), et qu’on doit le faire aujourd’hui en France.

Rendez-vous le mardi 25 juin 2002

Nous allons constituer un dossier récapitulant tout ce que nous avons appris au cours de notre travail. Nous irons le présenter à la police, aux municipalités concernées et aux responsables nationaux (ou candidats à l’être) en demandant à chacun de répondre aux questions précises que nous formulerons.

Nous comptons clore notre année de travail par une conférence de presse le mardi 25 juin 2002 à l’occasion de notre seizième et dernière tournée-rue. Nous y rendrons compte publiquement de ce que nous avons fait, des exigences que notre travail nous autorise à formuler en direction des pouvoirs publics et des réponses obtenues par les uns et par les autres. Nous inviterons à cette conférence de presse tous les médias qui ont eu l’amabilité de répercuter nos initiatives, les habitants du quartier qui souhaiteraient prendre directement connaissance des résultats notre action, et enfin les différents responsables publics en charge, à un titre ou à un autre, du combat contre la drogue dans ce quartier, dans cette ville, dans ce pays.

Pour donner à cette conférence de presse du mardi 25 juin 2002 la portée qu’elle nous semble mériter, nous la convoquerons sur les lieux mêmes du trafic, dans cet espace public que nous nous efforçons avec constance et ténacité de nous réapproprier depuis près d’un an : au coin de la rue du Département et de la rue d’Aubervilliers, à l’endroit même où le groupe des pères de famille a lu, le 12 mars dernier, sa déclaration publique lors de la première tournée-rue contre la drogue.

En attendant, voici le programme des huit dernières tournées-rue :

 

 

Neuvième tournée-rue contre la drogue

Mardi 7 mai 2002

 

Départ à 20 h 30 au coin de la rue du Fg-St-Martin et du bd de la Villette

Permanence exceptionnellement au salon de thé du 265, rue du Fg-St-Martin à partir de 19 heures

 

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Le Collectif anti-crack de Stalingrad

Tél. : 06 76 58 18 27              Fax : 01 46 07 27 58

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