Séminaire Entretemps
(dir. Antoine
Bonnet, Geoffroy Drouin, François Nicolas)
Séminaire traitant de questions musicales contemporaines d’un
point de vue compositionnel
En raison de la nomination de Geoffroy Drouin à la
Villa Médicis,
le séminaire Entretemps est suspendu pendant l’année 2010-2011.
Calendrier
2009-2010 :
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24 octobre 2009 :
Frédérick Martin
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19 décembre 2010 :
Jean-Pascal Chaigne
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30 janvier 2010 :
Jacopo Baboni Schilingi
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27 mars 2010 :
Giuliano d’Angiolini
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17 avril 2010 :
David Hudry
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29 mai 2010 :
Grégoire Letouvet
Calendrier
2008-2009 :
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25 octobre 2008 - Ouverture
—
Geoffroy Drouin :
« Pourquoi,
pour un compositeur, joindre le mot à la note ? »
—
Antoine Bonnet
—
François Nicolas : « Pourquoi,
pour un compositeur, joindre le mot à la note ? »
·
29 novembre 2008 -
François Nicolas : Quelle
musique est à l’œuvre dans mon quintette Instress ? [1]
·
13 décembre 2008 -
Geoffroy Drouin : La note, l’oreille et le mot : une
histoire d’émergence [2]
·
31 janvier 2009 -
Jean-Marc Chouvel : Traversée du vent et de la lumière - Six remarques
pour une phénoménologie de la création musicale [a]
·
14 février 2009 -
Philippe Manoury
·
21 mars 2009 -
Antoine Bonnet
·
25 avril 2009 - Denis
Cohen
·
16 mai 2009 - Hacène
Larbi
Entrée libre dans la mesure des places
disponibles
Pour tout renseignement :
·
antoine-bonnet [at]
wanadoo.fr
·
geoffroydrouin [at]
yahoo.fr
·
fnicolas [at] ircam.fr
––––
[a] Partant d’un
commentaire sur les données tangibles d’une partition — ici celle d’une pièce
pour mezzo et ensemble de chambre intitulée Traversée du vent et de la
lumière — c’est l’ensemble du processus de
création d’une œuvre musicale que l’on voudrait éclairer, et en particulier ce
qui fait d’un objet de son un objet de sens.
Le moment historique matérialiste-structuraliste
dont émerge la culture compositionnelle actuelle a spécifié l’écriture dans un
effort de formalisme et dans une autonomie spéculative. Le résultat a été un
isolement conceptuel et social (la bouteille à la mer) ou un abandon des
exigences fondatrices de la modernité musicale (le laisser-aller). Cette phase
avait pourtant été un élément reconstructeur dans le contexte des diverses
faillites de la culture philosophique et politique au vingtième siècle,
engendrant une crise majeure des valeurs. Elle accordait un primat à la
nouveauté de l’objet. Cette nouveauté n’était toutefois convoquée que dans la
perspective d’un renouvellement de l’écoute elle-même. Le retour, dans la
théorie musicale de la fin du vingtième siècle, des problématiques de la
perception marque cet intérêt pour le phénomène de l’écoute. Mais ce n’est sans
doute qu’une étape vers une refondation de la théorie et de la pratique
musicale sur une pensée du sujet. Cette pensée du sujet constitue la racine la
plus fondamentale de la modernité artistique, bien au-delà d’un bouleversement
superficiel de l’aspect des objets
d’art. D’une certaine manière, l’avènement de la phénoménologie ne serait pas
par hasard contemporain de celui de l’art « moderne ». Après avoir
largement contribué à montrer quels pouvaient être les apports de la
phénoménologie sur le plan de l’analyse de la musique, j’aimerais aborder ici
les aspects plus spécifiques de cette philosophie sur le plan esthétique et
compositionnel.
De même que les romains donnaient pour causes de
l’amour (AMORE) les déclinaisons du mot en MORE (les mœurs), ORE (le visage),
RE (les biens), nous envisagerons celles de la création à partir d’une
semblable déclinaison, en prenant pour point de départ le mot (DÉCRIRE).
DÉCRIRE, la relation au monde, entre observation et appropriation, ECRIRE,
l’accès à l’univers symbolique, CRIER, la vocation expressionniste de l’art,
RIRE, la nécessité d’une distance, IRE, la colère, la révolte contre le monde,
RE, la répétition, mais aussi la chose même, seront les six étapes d’une
méditation sur la composition d’une œuvre singulière, mais aussi sur les
multiples dimensions de pensée qui irriguent toute création, et en particulier
ce qui fait urgence dans le moment critique de civilisation que nous vivons
aujourd’hui.
[1] J’ai déjà eu
l’occasion d’exposer les fins et motifs musicaux de mon quintette Instress (flûte, violon, alto, violoncelle et piano ;
20’) lors de sa création le 7 juin 2008 par l’ensemble Calliopée sous la
direction d’Hacène Larbi.
Sans répéter cet exposé, je voudrais, dans le cadre
d’un séminaire qui se veut compositionnel, aborder une nouvelle dimension de
mon travail pour composer Instress, une
dimension plus en amont que je propose d’appeler celle de ses mobiles. J’emprunte ce faisant au Jean-Paul Sartre de L’Être
et le Néant – spécifiquement à son fameux
développement sur la délibération - la trilogie mobiles-motifs-fins et proposerai donc d’examiner, dans l’après-coup, de
quelle mobilisation musicienne a
procédé la motivation musicale à
l’œuvre dans Instress.
Remonter des motifs et fins constatés aux mobiles
constituants, Sartre appelle cela une « délibération », l’enjeu d’une
telle « délibération » rétrospective étant de prendre exacte mesure
des conséquences auxquelles nos décisions déjà prises subconsciemment vont nous
mener.
Dans le cas particulier de la musique, une telle
délibération concerne le musicien plutôt que l’œuvre, non parce qu’une telle
délibération mettrait au travail une conscience mais parce qu’elle convoque
spécifiquement l’instance du langage (que l’œuvre musicale ignore).
Je renommerai « enquête musicienne » un tel
type de délibération sur une œuvre déjà
là par qui l’a composée - en la distinguant soigneusement de toute approche
« poïétique » ou « génétique » de l’œuvre en question - et
je poserai qu’il s’agit là, pour le compositeur, de dégager une Idée proprement
musicienne de la musique à l’œuvre (ici dans Instress) en sorte d’en tirer toute conséquence pour la suite
de son projet compositionnel.
On commencera la séance en présentant l’objet même de
cette enquête : on fera pour cela écouter un enregistrement d’Instress (20’) accompagné de la projection d’une vidéo
analysant graphiquement la partition.
On poursuivra l’enquête sur les mobiles de cette
composition (« pourquoi mobiliser ainsi le trio de Schoenberg, des poèmes
de Hopkins et deux de mes opus antérieurs ? ») de la manière
suivante :
· on
projettera le début du film Muriel (1963)
qui noue (de manière borroméenne) les images de Resnais, les paroles de Cayrol
et la musique d’Henze ;
· on
présentera la composition architecturale des parcours dans la Casa da musica (Porto) à laquelle Rem Koolhaas a procédé ;
· on
donnera de petits exemples mathématiques très simples de ce que nouer sans
lier ni coller peut vouloir dire.
[2] Si lors d’un
précédent séminaire, on a pu répondre à la question du « pourquoi, pour un
compositeur, joindre le mot à la note », on abordera ici, à travers un
répertoire d’œuvres personnelles,
la question du « comment ».
Le projet de composer sera envisagé sous l’angle d’une
activité convoquant trois logiques : celle de la note, celle de l’oreille
et celle du mot. Nous verrons sous quel rapport ces trois logiques se
mobilisent réciproquement, et de quel nouage particulier elles sont
constitutives.
La figure de l’émergence pourra nous apparaître comme un
opérateur commun dans ce rapport à trois et nous en déclinerons les aspects
musicaux. L’émergence nous semblera alors relever d’une logique dialectique,
dont nous montrerons le déploiement dans l’écriture. Nous terminerons par
montrer en quoi cette vision personnelle admet la complexité comme cadre
général, et convoque ainsi une figure singulière de l’unité, ainsi qu’un
rapport au temps bien particulier.