François NICOLAS

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TRAVERSEE DU SERIALISME

 


Sommaire

1. Moment présent du sérialisme

2. Les trois étapes du sérialisme

3. Le mode de pensée sériel

4. Schoenberg, Webern

5. Le thème tonal

6. Dispersion des fonctions thématiques

7. L'objet musical; Schaeffer

8. Les catégories de Boulez: L'objet, l'espace,

9. L'enveloppe, le signal,

10. L'ambiguïté, le renversement,

11. L'aura.

12. Quelques questions

13. Les triangles duaux de la temporalité musicale

14. Quatre modalités dialectiques de l'unité musicale

15. Ferneyhough

16. Les achèvements déjà prononcés

17. Cinq propositions pour un non-thèmatisme

18. La situation et l'Idée; le développement

19. Adresse terminale



Je dédie cette conférence à Henri Nicolas, mon père.






1.


Pour Héraclite, trente ans définissaient le cycle d'une génération car c'était, disait-il, "le temps dans lequel celui qui a engendré voit celui qui a été engendré par lui engendrer à son tour"; soit: "en trente ans il est possible que l'homme devienne grand-père".

Le sérialisme, né au début des années cinquante, a déjà excédé cette durée d'existence, mais il faut bien admettre qu'il n'a su pratiquer l'art d'être grand-père. Aucun compositeur de la jeune génération ne se déclare plus sériel même si de l'extérieur quelque critique musical peut encore _affubler tel ou tel de ce qualificatif pour l'entacher ainsi aux yeux du public de désuétude; quant aux compositeurs plus âgés qui furent un temps élevés au rang d'héritier, ils firent si peu de cas de leur droit d'ainesse qu'ils le cédèrent dans les années soixante-dix pour une poignée de happenings ou pour quelque exotisme si bien que les seuls compositeurs à maintenir vivante et active la pensée sérielle restent, de nos jours, ses fondateurs. Ce défaut de filiation et de généalogie, qui laisse un trou béant dans l'histoire de la musique contemporaine ne saurait être traité à la légère.

C'est devenu un lieu commun que de parler de la fin du sérialisme. Il est vrai que beaucoup d'abandons dissimulent leur lâcheté sous couvert de la fin d'une époque, mais une fin ne saurait être prononcée que du point d'une nouvelle proposition. Rien de tel, à mon sens, dans la musique contemporaire et je préciserai tout à l'heure pourquoi ni la problématique de la musique du Timbre (Ligeti), ni la conception électro-acoustique ne sauraient à mes yeux tenir lieu de proposition recevable.

Au cours de l'histoire de la musique occidentale dans laquelle je m'inscris, il n'est pas de compositeur attentif qui n'ait eu le souci de mettre sa pensée à jour des questions musicales de l'heure et, s'il est vrai qu'il n'y a transmission effective d'héritage que pour autant qu'il y a quelqu'un pour l'accepter, tout compositeur un tant soit peu ambitieux décide d'hériter de la situation musicale en cours, de la prendre en charge pour mieux y inscrire son oeuvre.

Je ne songe pas à prononcer ici la fin du sérialisme. Il convient de supposer que le sérialisme a encore de beaux jours devant lui et, comme nous le verrons, son histoire n'a d'ailleurs cessé depuis plus de trente ans de se développer. Il y aurait donc, selon la formule de Wagner, quelque "hideuse présomption de l'avenir" à décréter son achèvement et mon hypothèse consistera plutôt à le délimiter pour tenter de frayer ainsi la voie à la constitution d'une autre problématique musicale.

Disons le simplement: si l'on est un tant soit peu conscient des enjeux de la musique et soucieux de son état présent, on ne peut qu'être saisi d'une sourde angoisse au moment de franchir ce que Joseph Conrad appelait "la ligne d'ombre d'une génération": "L'on marche -écrivait-il- et le temps marche aussi, jusqu'au jour où l'on découvre devant soi une ligne d'ombre qui nous avertit qu'il va falloir, à son tour, laisser derrière soi la contrée de sa prime jeunesse".

La prime jeunesse d'un compositeur peut se prolonger longtemps: Beethoven dut attendre d'avoir écrit l'Héroïque (son 55ème opus) pour déclarer: "Maintenant je sais composer!", mais ce qui est plutôt ici en jeu est la prime jeunesse de la musique contemporaine elle-même: il ne faudrait pas sous-estimer la dimension de nouveauté absolue qu'elle comporte et l'étendue des tâches de pensée qu'elle prescrit. On ne saurait donc s'en prendre avec légèreté au sérialisme et il est d'autant plus grave de se prononcer aujourd'hui à son propos que l'on pourrait en dire ce que Beethoven disait en 1818 en pleine gestation de l'opus 106: "La musique est là de nouveau!". En effet, avec "Répons" de Boulez, la musique sérielle est là de nouveau, apte à produire des chefs d'oeuvres comme elle en avait su en produire dans les années 50-60.

Pour qui sait combien de nos jours la musique peut être rare, pour qui pense qu'il ne saurait exister de monde sans musique, pour qui se trouve tel Schumann saisi d'angoisse quand il envisage que la musique puisse se retirer et qu'il faut donc composer d'arrache-pied, "tant qu'il fait encore jour", pour celui-là, penser le sérialisme du point de son franchissement n'est pas une tâche anodine, et c'est un travail qu'il ne peut envisager -pour reprendre les termes de Wagner- de communiquer qu'à ses amis car seuls ceux-ci ont désir et volonté de comprendre ce qui, ici, se joue.

Pour des gens peu au courant de la situation compositionnelle, ce préambule paraîtra quelque peu emphatique; cela tient peut-être au fait que la grandeur et l'isolement actuels de la pensée sérielle sont inaperçus. Ce qu'Adorno disait de Schoenberg -il avait inventé le dodécaphonisme pour faire barrage à une "barbarie montante"-, pourrait se dire également du sérialisme qui, dans des conditions d'extrême encerclement, a, seul, fait obstacle au nihilisme musical. Cette position semblera sans doute extrême mais s'il est vrai qu'une vision de la musique en pensée et non en sentiments ne saurait s'établir que sur le parti-pris d'une écriture, il faut bien admettre que le sérialisme, seul, a su renouveler les catégories modernes de l'écriture musicale et par là maintenir -en la redéployant- une pensée musicale effective. Si bien qu'il est rétrospectivement clair que ce que Boulez disait de ses prédécesseurs -"tout musicien qui n'a pas ressenti la nécessité du langage dodécaphonique est inutile"(_)- vaut tout autant aujourd'hui pour ceux qui nous ont précédés: tout compositeur qui dans les années cinquante n'a pas ressenti la nécessité du sérialisme s'est rendu inutile. Qu'il suffise de mentionner deux noms de compositeurs (Cage et Xenakis) qui ont cru pouvoir faire l'économie de l'exigence sérielle pour attester la pertinence de cette proposition. Tous les grands musiciens, qu'ils aient ou non changé ensuite d'orientation, Ligeti, Carter, Berio, même Stravinsky et Messiaen ont eu à faire de l'intérieur à la pensée sérielle.

Il faut convenir que beaucoup d'entre eux se sont ensuite récusés. Les deux plus grands, Boulez et Stockhausen, ne l'ont pas fait. Je ne dis pas que leur grandeur provienne d'une inflexibilité -nous verrons comment le sérialisme fut pour eux un cadre de pensée souple, en perpétuel ajustement alors que d'autres compositeurs, plus raides, ont sombré au contraire dans une mécanique combinatoire insignifiante- mais d'une capacité à traiter, en fidélité, leurs décisions premières, ces choix sériels qu'ils avaient posés et qui, à leurs propres yeux, constituaient leur identité de compositeur.

Neanmoins, ni Boulez ni Stockhausen n'aiment plus à se caractériser comme sériel, prenant ainsi acte de l'aspect devenu problématique de ce qualificatif, si bien qu'à ma connaissance il n'y ait plus qu'Henri Pousseur pour envisager un tel intitulé: "Pensée sérielle, pensée actuelle". Cette raréfaction du label sériel indique à mon sens non pas le franchissement du sérialisme par ses propres fondateurs mais plutôt son accomplissement: ce que désigne en effet ce déplacement des dénominations est le processus par lequel le sérialisme dépasse sa première vision en système pour s'édifier comme mode singulier de pensée prenant en charge non seulement un déploiement de l'écriture mais également la composition d'une perception.

Le sérialisme, agent de maintenance de l'écriture, sut également affirmer un requisit musical adéquat aux conditions intellectuelles de l'après-guerre. J'entends par là bien autre chose que la contemporanéité évidente qu'il y avait entre les idées du sérialisme, du structuralisme (Boulez se réclamait du "mot-clé de structure"(_)) et en politique du marxisme-léninisme (Boulez aimait à se déclarer "marxiste-léniniste à 300%"(_)). J'entends surtout que les sériels, par leurs oeuvres et par leurs discours, ont su dans les années cinquante imposer l'idée que la pensée musicale devait compter, à l'égal d'autres champs de la pensée: philosophiques, scientifiques ou politiques. Plus essentiellement encore à mes yeux, ils ont su convoquer l'auditeur, amateur de musique, en sorte que celui-ci se sente requis d'écouter l'oeuvre musicale contemporaine comme une idée qui lui est adressée: "L'oeuvre est une proposition"(_) disait très justement Boulez.

Cette qualité d'écoute est aujourd'hui perdue. On ne peut que s'en désoler. Le sérialisme lui-même en est pour partie responsable car il n'a pas toujours su répondre à l'attention auditive que lui-même suscitait. Mais ce sont surtout les expériences musicales, toutes plus inconsistantes les unes que les autres, qui ont sévi plus tard hors du cadre sériel, et à dire vrai hors de tout cadre musical que ce soit, qui ont épuisé en pure perte l'auditeur inventé par le sérialisme. L'irresponsabilité d'une certaine musique contemporaine et les dégats qu'elle a provoqués chez les amoureux de la musique sont ici effrayants.

Je ne pense pas que la pédagogie de la perception à laquelle Boulez et l'IRCAM se livrent depuis quelques années soit sur ce plan suffisante -nous y reviendrons- mais je vois dans cette ancienne capacité du sérialisme à solliciter l'auditeur, à le prédisposer subjectivement en sorte qu'il vienne au concert tendu par l'appréhension d'une singularité, une autre grandeur du sérialisme tant dénigrée par les contempteurs de l'oeuvre musicale et de l'écoute inventive que je ne saurais la relativiser qu'avec d'extrêmes précautions.



2.


Je poserai, pour résumer simplement la trajectoire du sérialisme, qu'il connut successivement trois manières.


1) Le sérialisme, né à partir de 1949 de la célèbre 2ème pièce des "Etudes de rythme" de Messiaen, fut dans sa première manière une simple généralisation de la technique dodécaphonique -mise en oeuvre pour les hauteurs- aux trois autres dimensions classiquement distinguées du phénomène sonore: les durées, les intensités et les timbres instrumentaux. Ceci pour rappeler que la série (dodécaphonique) a précédé les sériels.

Deux choix techniques caractérisaient cette première manière sérielle; d'une part les séries numériques comportaient douze éléments, comme les douze hauteurs du total chromatique; d'autre part une seule série s'appliquait indifféremment aux quatre composantes du son. Ce dernier parti-pris était sous-tendu par un postulat caractéristique: l'unicité de la série devait garantir la cohérence de l'oeuvre et, par là, son unité. Bien vite les sériels ont critiqué et dépassé cette pseudo-assurance par l'unicité, relevant ce qu'elle comportait de mécaniquement non-musical, la musique étant ici sous garantie d'opérations combinatoires externes.

Second postulat de ce sérialisme: l'écoute musicale n'est envisagée qu'en tant que perception des structures écrites et cette possibilité est purement et simplement décrétée: "L'oreille va suivre, doit suivre"(_), telle est à cette époque la seule idée, injonction absurde il faut bien le reconnaître. Là encore les sériels dépasseront bien vite un tel schématisme dont l'exemple le plus célèbre est le début du Premier Livre des "Structures" pour deux pianos de Boulez.

Remarquons que ces deux postulats -unicité comme garantie d'unité, normalisation de la perception sur l'ordre de l'écriture- ne seront ceux du sérialisme que pour une très brève période (au début des années cinquante) et qu'il serait tout à fait inexact si ce n'est mensonger de prendre cette première manière pour paradigme du sérialisme. Il est vrai que ces deux postulats connaîtront ultérieurement de nouvelles résurgences chez des compositeurs moins expérimentés de sorte qu'on pourra dire qu'ils constituent la manière d'une véritable "maladie infantile" du sérialisme. Pour quelles raisons un compositeur d'extrême envergure musicale tel Stockhausen a pu continuer de revendiquer jusqu'à aujourd'hui l'unicité? Je ne traiterai pas ici cette question; qu'il suffise de relever le prix désormais payé par sa musique à ce tribut de l'unicité pour indiquer que son exemple n'infirme pas mon propos.


2) Le sérialisme deuxième manière va prendre acte d'une diversification des composantes sonores au regard de leur perception auditive. L'exemple canonique, introduit par Stockhausen, est celui des durées: une très longue durée n'est pas comptée par l'oreille de la même manière qu'une très brève alors que deux hauteurs, même de fréquences très disparates, le sont. Ici d'ailleurs bifurquent les chemins: Stockhausen, pour préserver l'unicité d'échelles, va recourir aux tempi et non plus aux durées quand Boulez va prendre plus radicalement acte d'une diversité perceptive irréductible.

Dans le même temps apparaît qu'il n'y a plus de raison de fétichiser le nombre 12, hérité de l'organisation chromatique des hauteurs, en sorte que les séries vont désormais pouvoir s'émanciper et se déployer selon des échelles diversifiées. Enfin la soumission de principe de l'ordre perceptif à l'ordre écrit va être révoquée. L'écriture garde certes des privilèges -c'est elle qui fonde et organise la composition- mais elle n'est plus un dictateur absolu: elle régente la perception sans plus la soumettre en esclavage.

Le sérialisme deuxième manière restera cependant au bord d'une caractérisation déployée de la perception. Si l'on prend pour exemple éminent du discours sériel de cette époque le livre de Boulez paru en 1963: "Penser la musique aujourd'hui", on voit que l'autonomie du champ perceptif est constamment agissante en même temps qu'y manquent encore les catégories permettant au compositeur de la diriger du point de la partition et plus spécifiquement du point de l'écriture musicale.

Ces modifications influent bien évidemment sur la conception même de la série: elle n'est plus une garantie de cohérence -l'exigence de cohérence est certes maintenue mais elle n'est plus garantie par une existence infra-musicale-, la série est devenue selon les termes de Boulez "le germe d'une hiérarchisation"(_) "fondée (non plus) sur le principe d'identité par transposition, mais au contraire sur des déductions localisées et variables"(_). Le rejet du principe d'identité désigne ici le refus de considérer la série comme un objet reconnaissable, en vérité comme un thème -j'y reviendrai-, et sa mise en avant comme proto-structure d'avant la création musicale effective, comme foyer diffractant en structures locales.


3) Il reviendra à ce que j'appelle le sérialisme troisième manière de compléter -mais aussi de refondre- le dispositif de pensée antérieur en sorte de donner désormais place à l'ordre perceptif. D'où de nouvelles catégories et le déploiement complet de la dialectique compositionnelle sérielle qui comporte, en son centre, la dualité écriture/perception.

Si le sérialisme deuxième manière commence au milieu des années cinquante (indiquons pour simplifier 1954 et "Le Marteau sans maître") pour culminer au début des années soixante (retenons chez Boulez "Pli selon pli" et son ouvrage "Penser la musique aujourd'hui"), il faut attendre à mon sens les années quatre-vingt pour assister à l'accomplissement d'une troisième manière qui fasse synthèse de quinze années de recherche.

Deux repères sont ici décisifs. En tout premier lieu "Répons", dernier en date des chefs d'oeuvre de Boulez à propos duquel il conviendrait de se demander si ce n'est pas son "Art de la fugue" plutôt que son "Tristan", c'est-à-dire s'il ne clôt pas une séquence en une récapitulation magistrale plutôt qu'il n'inaugure un temps. L'admirateur éperdu de J.S Bach que je suis a toujours accordé plus d'intérêt à ses fugues de jeunesse ou de maturité qu'à celles, plus savantes mais moins émouvantes, d'un art terminal qui s'est avéré être "un crépuscule plutôt qu'une aurore". La création enfin intégrale de "Répons" cet été nous permettra peut-être de nous faire une opinion plus affirmée sur ce point. Second repère: les récents écrits de Boulez et en particulier son dernier article "Le système et l'idée"(_) dans lequel on trouve, pour la première fois, son propre bilan déployé du sérialisme.

On aura compris que j'ai choisi Boulez comme principal vecteur de cette conférence. Il est à peine besoin de justifier ce choix; seul Stockhausen pourrait lui disputer la place mais sa trajectoire, apparemment plus cahotique encore qu'à mon sens profondément cohérente, son parcours certainement plus diversifié constitueraient des repères moins immédiatement découpés pour notre propos. Pour mieux indiquer que si je n'en parle plus ce soir c'est par commodité d'exposition et non par désintérêt pour son oeuvre, j'ai choisi d'inscrire ma propre traversée du sérialisme en 19 points, en référence aux 19 champs temporels de son Klavierstück XI.



3.


Quelle est l'essence du sérialisme?

J'ai déjà indiqué que le sérialisme n'était pas pour l'essentiel une technique: ni technique de composition, ni technique d'engendrement du matériau. J'entends ici par technique l'existence d'une ou plusieurs règles qui soient purement instrumentales, c'est-à-dire qui soient des préceptes dont la raison d'être s'épuise dans leurs effets. Il y a certes des opérations sérielles tout à fait caractéristiques -par exemple le travail combinatoire sur des dimensions disjointes du phénomène sonore- mais c'est une façon de travailler le matériau plutôt que des prescriptions réglementées.

Le sérialisme n'est pas non plus corrélé par essence à l'affirmation d'une loi, non plus cette fois des règles destinées à tel usage spécifié et que l'on modifie lorsque l'on change de but, mais ce qui serait véritablement un impératif inconditionné. Cette dimension peut exister chez tel ou tel compositeur sériel, dans telle ou telle oeuvre sérielle -que l'on songe par exemple à certaines pratiques renouvelées du Cantus Firmus où ce dernier, comme dans la musique tonale, fonctionne comme énoncé d'une Loi- mais cette dimension est contingente dans le sérialisme car celui-ci ne prétend pas fonder sa cohérence sur le respect d'un impératif ou l'abandon à un commandement.

Le sérialisme n'est pas non plus un système musical au sens où l'on emploie ce mot pour désigner le système tonal. Il y manque presque tout: la fonctionnalité, l'universalité, le dynamisme d'un système musical. Peut-on alors toujours parler du sérialisme ou serait-il préférable de le traiter diversement, d'évoquer les sérialismes tels que différenciés selon leurs règles, leurs rapports à l'impératif, leurs dispositions en système?

Je tiens, pour ma part, qu'il y a unité profonde du sérialisme et, reprenant une formulation de Boulez: "la série est devenue un mode de pensée polyvalent et non plus seulement une technique de vocabulaire"(_), je dirai que le sérialisme trouve son unité comme mode de pensée.

La pensée sérielle s'est éminemment déployée sur deux plans concomittants: le plan des oeuvres et le plan des discours. Depuis Schumann, donc depuis le romantisme, les compositeurs ont eu besoin pour édifier leur pensée musicale de pratiquer simultanément les oeuvres et les discours. A l'évidence le plan des oeuvres reste principal, ne serait-ce que parce que c'est lui qui tranche, mais les compositeurs ont dû également devenir des intellectuels. Il suffit ainsi de circuler de Schumann à Wagner et de Schoenberg à Boulez et Stockhausen pour mettre en évidence le rôle croissant de la pensée discursive.

Je serai obligé pour cette conférence de faire plus volontiers référence à la présentation discursive de la pensée sérielle qui est le plus facilement exposable dans ce cadre oral. Je ne pense pas qu'il y ait là l'origine d'un travers significatif car il y a somme toute, et particulièrement chez Boulez, une assez bonne adéquation entre les différents plans de la pensée. Bien sûr si l'on s'intéresse à quelques détails techniques, on décèlera certaines dissimulations, certaines fausses pistes, certains discords entre oeuvres et discours -Boulez est trop attaché aux jeux de cache-cache pour ne pas s'y livrer en diverses circonstances- mais il n' y a rien là, à mon sens, qui puisse opposer oeuvres et discours quant aux grandes catégories de pensée et c'est bien sûr à ce niveau de généralité que nous nous tiendrons ce soir.

Si le sérialisme est un mode de pensée, comment caractériser sa spécificité? On le fait couramment en parlant d'une pensée paramétrique, c'est-à-dire d'une pensée qui disloque à priori le phénomène sonore en différentes composantes puis les travaille séparément selon un art combinatoire pour les réapparier ensuite et ainsi engendrer un matériau sonore dépris des habitudes tonales.

Il y a là un geste original du sérialisme qui renvoie d'un côté à l'a priori de toute écriture, de l'autre à sa vision particulière de la composition conçue comme construction progressive.

Le compositeur sériel ne connaît pas l'angoisse de la page blanche. Sa feuille est préalablement rayée de lignes noires regroupées en portées, son papier est réglé. Le compositeur sériel assume ainsi une structuration absolument originaire du matériau sonore qui consiste, a minima, non seulement à le fragmenter en hauteurs et durées mais de plus à faire ce travail selon un ordre non empiriquement perceptible puisque les symboles de hauteurs comme ceux de durées resteront entièrement abstraits tant que ne seront pas posés les opérateurs de médiation (entre signes de l'écriture et réalités sonores) que sont le diapason, le tempérament et le tempo. Il y a ainsi, derrière toute pratique d'écriture musicale, une décision d'abstraction que la pensée sérielle ne fait qu'exemplifier. Cet écart par rapport à l'empiricité sonore n'est-il pas ce qui justifie cette expression populaire qualifiant un processus parfaitement contrôlé d'avoir été "réglé comme sur du papier à musique"?

Ce geste inaugural de l'écriture musicale, fondant ses signes et concepts en rupture d'avec l'empiricité perceptive du matériau, il me sied de rappeler qu'il remonte à l'ère grecque, à Pythagore précisément, non qu'il ait fondé notre écriture musicale ou une écriture semblable -il faudra pour cela attendre la Renaissance- mais qu'il fût le premier à élaborer un traitement conceptuel du son. Depuis ce temps grec, la perspective de pouvoir renouer théorie musicale, philosophie et mathématique n'a d'ailleurs pas cessé de hanter la pensée musicale, si ce n'est la pensée mathématique ou philosophique.

Le compositeur sériel, assumant donc l'a priori d'une structuration primitive, va déployer sa pensée selon la modalité d'une construction stratifiée: construction d'abord de complexes écrits -la note- aptes à s'interpréter en phénomène sonore effectif, puis construction hiérarchisée d'ensembles, et nous verrons que l'optique constructive du sérialisme s'étend même, au delà de l'écriture, à sa conception de la perception. Remarquons que dans cette conception de l'écriture la note ne "représente" pas un son. Elle est un assemblage de lettres, un mot si l'on veut, qui désigne moins un phénomène sonore qu'il ne met en circulation une pensée musicale. La note est un signifiant qui, loin de représenter un signifié sonore, représente plutôt la musique pour une autre note.

Si le mode de pensée sériel se définit bien comme mode de pensée paramétrique, cela ne suffit pas à en saisir l'aspect moteur. Mon hypothèse sera qu'on peut caractériser le sérialisme par son rapport au thématisme et que ceci permet d'assigner une raison d'être, historiquement déterminée, à cette autre caractéristique essentielle du sérialisme que Boulez mettait en avant en 1963, l'inscrivant sur la couverture même de son ouvrage de référence: le mode de pensée sériel comme vision nouvelle de "l'objet sonore".

Pourquoi privilégier la question thématique?

Cela paraît de prime abord paradoxal: le thème semble bien une catégorie radicalement rejetée par la musique sérielle et de nombreux amateurs ne cessent de s'en plaindre, continuant de le chercher là où il n'a plus de raison d'être. Cet exemple nous indique l'origine de certaines difficultés d'écoute quant à la musique contemporaine qui tiennent moins au fait que l'auditeur ne serait pas assez connaisseur mais plutôt au fait qu'il l'est trop, c'est-à-dire qu'il l'est mal à propos, selon des catégories périmées qu'il croit immuables, en sorte que son oreille, au lieu d'être disponible, se trouve encombrée par un désir de mélodie, par une demande à laquelle l'oeuvre contemporaine ne saurait répondre si elle est bien avant tout, comme le définit Antoine Bonnet, une "offrande musicale".

Si le sérialisme conserve un rapport au thématisme, ce n'est certainement pas par mise en jeu de thèmes traditionnels. L'histoire du sérialisme s'est consciemment affrontée à cette question: dans sa première manière, le sérialisme a critiqué la vision Schoenbergienne de la série qui tendait a la constituer en thème. On peut dire que ce fut l'époque a-thématique du sérialisme au sens où la catégorie de thème était purement et simplement absente. Dans sa deuxième manière, le sérialisme s'est progressivement défini comme non-thématisme, la déclaration phare étant ici celle de Boulez: Le "déploiement des structures locales a supplanté le développement thématique"(_). J'entends par non-thématisme l'affirmation d'une capacité supplémentaire par rapport au seul a-thématisme qui n'est, quant à lui, qu'une définition soustractive, "privative" comme dit Pousseur. L'a-thématisme est caractérisé par une absence du thème, le non-thématisme par son dépassement. Le non-thématisme, s'il était effectivement tenu, impliquerait le dépassement des fonctions thématiques et la composition de fonctions alternatives. Tel n'a pas été le cas dans le sérialisme.

Alors que l'affaire du thématisme eût pu paraître définitivement réglée lors de cette deuxième manière, on la voit réapparaître publiquement au cours de la période récente à tel point que Boulez put intituler ses cours au Collège de France: "L'enjeu thématique". Il ne s'agit bien sûr pas là d'un retour archaïsant aux thèmes mais plutôt de la prise de conscience par les sériels de ce que leur position antérieure était incomplètement pensée et ne saurait, à elle seule, supplanter la totalité des fonctions précédemment assurées par le thème. Vu de l'extérieur, le parallèle est frappant entre cette évolution et celle des Viennois dans leur rapport à la tonalité puisque leur trajectoire a également connu différentes phases: a-tonale stricte (avant 1923), dodécaphonique non-tonale ensuite pour aboutir finalement à une problématique centrée sur l'élargissement de la tonalité plutôt que sur son éradication.

L'hypothèse que je soutiendrai est qu'il y a somme toute dans le sérialisme une logique d'élargissement du thématisme plutôt qu'une problématique de sa péremption. Bien sûr cela ne peut s'entendre que si l'on disjoint, comme je vais le détailler, fonctions thématiques et thème. Il n'y a finalement, en cette difficulté de la musique contemporaine à se défaire du thématisme, nulle aberration ou retard anomique; la dissolution d'un système musical comme celui de la tonalité -et le lien du thème et du ton faisait partie intégrante de ce système- dessine une alternative de pensée: faut-il conserver le principe général des fonctions assurées dans l'ancien système (en les redéployant tout autrement, en les déliant puis les renouant en de nouvelles configurations) ou faut-il plus radicalement abandonner ces anciennes fonctions et inventer un autre ordre de cohésion musicale? En vérité le problème concret ne se donne jamais en cette alternative du tout ou rien, en cette figure du commencement absolu mais revient plutôt à discriminer les fonctions à recomposer des fonctions à rejeter.

Ce qui fut amorcé par les Viennois quant aux fonctions tonales, il était nécessaire que les sériels le fassent avancer pour les fonctions thématiques.




4.


Comment Schoenberg a-t-il traité les fonctions thématiques?

Un texte de 1934 va nous mettre sur la voie; Schoenberg y déclare: "On ne pourra (...) accepter l'abandon de la tonalité qu'autant qu'on aura trouvé le moyen de la remplacer dans sa double fonction d'unification et d'articulation"(_). "La fonction d'unification assurée par la tonalité" est obtenue par rattachement de tous les éléments à un centre tonal unique qui leur confère ainsi "une signification unique"(_); la fonction d'articulation -qui consiste à individualiser les éléments en les considérant cette fois comme "isolés et disjoints"- s'obtient par leur disposition relativement au centre tonal et par leur mise en forme harmonique.

Dans quelles conditions peut-on alors, hors du cadre total, "assurer néanmoins l'unité et l'articulation de tous les éléments"? Telle est la question de Schoenberg qui désigne bien qu'il tente, pour son propre compte, de redisposer autrement deux fonctions capitales exercées par la tonalité et non de les déqualifier. C'est ici sa réponse qui va nous intéresser puisqu'il relève que dans le cadre tonal l'unité et l'articulation de l'oeuvre tenaient moins à son organisation harmonique qu'au travail motivique et thématique en sorte, qu'à son avis, il soit "moins dangereux de supprimer la logique et l'unité dans l'harmonie que dans le matériel thématique", "dans l'exposé thématique (des) idées"(_). Schoenberg corrèle ici très fortement le ton au thème et décèle dans le travail motivique la capacité de suppléer à la défaillance de la tonalité. Cela ne peut se concevoir que si ce travail est désormais poussé à son extrême puisqu'il doit effectuer seul ce qu'harmonie et thème effectuaient conjointement dans l'ancien cadre tonal. D'où que le thème sera ultra-thème ou ne sera rien; telle est bien la fonction dévolue à la série par Schoenberg en sorte qu'on peut légitimement définir son mode de pensée en disant qu'il tente de thématiser la série.

Qu'est-ce-à-dire? Deux choses à mon sens:

- D'abord que le thème étant une entité éminemment perceptible, thématiser la série revient à l'articuler en sorte qu'elle soit non seulement repérable par l'oreille comme entité distincte mais plus encore identifiable comme objet musical réitéré;

- Ensuite que le thème étant classiquement le germe d'un développement, thématiser la série revient à la concevoir comme objet posé a priori et soumis à développement.

Les sériels vont ici soulever deux objections rédhibitoires :

- Recourir au développement thématique traditionnel conduit Schoenberg à réutiliser les grandes formes canoniques du système tonal; Schoenberg en effet ne cesse de composer des Rondos, des Gigues, des Formes Sonates, des Fugues, Formes qui ont pourtant perdu leur fonctionnalité harmonique et qui vont désormais, en s'exposant, faire violence au matériau thématique. Comment revendiquer la cohérence musicale et simultanément conserver des Formes devenues hétéromorphes à leur germe? Si l'unité tonale entre thème et Forme est rompue, il n'y a pas sens à conserver l'une sans l'autre.

- Recourir au développement thématique traditionnel conduit Schoenberg au vieux schéma d'un partage du matériau musical entre harmonie et mélodie. Or, ce qui faisait dialectique dans le système tonal ne fait désormais plus qu'appariement hétéroclite sous la seule tutelle d'une complémentarité chromatique. Comment revendiquer l'unité quand il n'y a que juxtaposition indifférente?


Si l'on suit ces deux objections, on voit que la série ne saurait constituer le germe de gestes et de Formes tonales périmés. La série ainsi thématisée par Schoenberg n'est plus qu'un faire-valoir, qu'un bouche trou. L'unité présumée n'est plus car, n'étant plus un processus, elle n'est plus une unification.

Webern sera dédouané par les sériels de ces impérities. C'est, à dire vrai, un certain Webern qui se trouve ici exemplifié pour les besoins de la cause sérielle, le Webern qui tantôt fragmente ses séries en unités semblables, tantôt les concatène en entités plus vastes, en sorte qu'il ne figure plus d'ensembles strictement dodécaphoniques. L'importance que les sériels accorde à cette approche est qu'elle ouvre à une scission de la série en deux fonctions: d'un côté elle engendre des matériaux organisables en figures perceptibles et identifiables; de l'autre la série permet de contrôler la répartition de ces entités au cours de l'oeuvre et d'assurer une dialectique de la répétition et de la différence.

Ainsi conçue par les sériels, la série Webernienne traverse en oblique l'ancien repère tonal à deux dimensions (harmonique et mélodique), créant cette "dimension diagonale" dont parle Boulez qui assure "une répartition (...) des figures (...) dans l'espace sonore"(_). La série n'est plus alors un thème au sens où elle l'était pour Schoenberg, c'est-à-dire qu'elle n'est plus une entité perceptible, germe d'un développement discernable par l'oreille.

Si dans cette conception du sérialisme la série n'est pas un thème, y-a-t-il cependant place dans ce mode de pensée pour des thèmes qui soient autres que la série génératrice? Plus profondément, que deviennent les fonctions assumées par le thème dans l'ancien cadre tonal? Les fonctions thématiques antérieures sont-elles désormais périmées ou continuent-elles d'être assurées dans un tout autre cadre? Pour répondre à cette question, il nous faut une caractérisation plus rigoureuse des fonctions thématiques que nous allons prélever sur leur origine tonale.



5.


Le thème tonal a une double fonction: une fonction d'objet et une fonction-sujet.


1) Le thème exerce en premier lieu une fonction d'objet tonal et ce de deux façons: il est d'abord intérieurement structuré par la tonalité, ordonné selon la polarité tonique-dominante si bien que son ossature la plus générale est cadencielle. Il est ensuite doté de propriétés en situation: non seulement il se découpe très nettement sur le fond musical mais il dispose d'une plasticité suffisante pour épouser différentes situations tonales et les modifier en retour.

Ainsi le thème d'une fugue, toujours fortement cadenciel, sera à la fois ce qui affirme originellement le ton de la fugue et ce qui peut être soumis à déformations intérieures, à "mutations", lors de son exposition à la dominante comme réponse tonale.

Le thème n'est certes pas le seul objet tonal: il y a des motifs, des accords, des mélodies qui sont articulés, présentés comme objets et qui partagent avec le thème les caractéristiques précédentes. Ce qui va particulariser le thème comme objet tonal spécifique est alors sa seconde fonction.



2) Le thème est cet objet tonal singulier qui exerce une fonction-sujet et par là va être vecteur de la Forme musicale. J'appelle fonction-sujet, prélevant ainsi au thème de fugue son appellation traditionnelle de "Sujet", une double caractéristique du thème tonal.

a) Il est d'abord cet objet musical singulier auquel l'auditeur s'identifie. Non seulement la perception l'identifie, plus aisément que d'autres objets, c'est-à-dire qu'elle le discerne et surtout qu'elle le reconnait mais également l'oreille se complait en sa durée, en sa présence réitérée, anticipe sa réapparation quand il s'absente, jouit de son retour après l'attente. Le thème devient ainsi point d'identification pour l'auditeur, agent d'une temporalité singulière se tressant au fil de l'oeuvre. Le thème est cet objet, cause de désir, qui fonde le sujet musical.

Le thème cependant avère pleinement sa fonction-sujet lorsqu'il assure plus que cette fonction d'identification car, somme toute, même les thèmes académiques de Mendelsohn ont capacité d'identification.

b) Le second volet de cette fonction-sujet sera ce que j'appellerai sa puissance de devenir. Certes, comme tout objet tonal, le thème a un avenir car le système tonal est éminemment dynamique. Ainsi le ton fixe un avenir pour chaque motif, cellule ou mélodie qu'il articule, c'est-à-dire lui organise un espace futur de déploiement, de répétitions, de déplacements au gré des modulations et des fonctions harmoniques. Mais tout avenir n'est pas de soi-même un devenir. Le thème se caractérise par sa capacité supplémentaire de déformer les parcours structuraux, de tordre l'avenir codifié qui lui est prescrit par la tonalité en sorte d'imposer l'image d'un devenir en acte, d'une conscience de soi agissant dans le monde. Le thème avère sa puissance de devenir au gré d'évolutions impromptues, de détours hasardeux qui attestent sa singularité en déformant l'ordre tonal établi.

Ces avènements thématiques, qu'ils soient ponctuels ou de plus grande envergure, ne sont représentés que pour partie à l'audition. L'oreille peut alors percevoir qu'il se passe ici quelque chose, par exemple une modulation inattendue, sans qu'elle soit en mesure d'identifier le "quelque chose" et a fortiori sa cause thématique sous-jacente. C'est que le thème comporte toujours une part d'inconscient, si l'on convient de nommer ainsi, métaphoriquement, ce qui des opérations thématiques discernables dans l'écriture n'est pas articulé pour l'audition.

Cette face insconsciente du thème peut être plus ou moins étendue. En général importante dans la fugue baroque qui a pour essence de dissimuler les singularités, de représenter l'engendrement organique d'un monde sous la férule lissée de l'unicité, cette part se réduit dans l'ère classique au point que tout un versant du projet beethovenien paraît consacré à l'exaltation d'une conscience auditive de soi, à la célébration de la volonté comme réduction de l'inconscient. Avec le romantisme, ce devenir inconscient du thème tonal reprendra une grande importance et culminera incontestablement chez Wagner au point qu'André Boucourechliev a pu dire de sa musique qu'elle était "structurée comme un inconscient".


Pour récapituler, le thème tonal sera le noeud d'une fonction-objet et de deux fonctions-sujet qui sont toutes deux créatrices de temporalité musicale et par là vectrices de Forme. Le thème, selon cette matrice, serait alors cette construction singulière qui fait converger en un même point ces trois fonctions.


Il ressort de cette définition que la série ne saurait être un thème ou encore que l'ultra-thème de Schoenberg ne saurait exister, ne serait-ce que parce qu'une telle éventualité bute sur la fonction-objet: comment une dotation unique pourrait être à la fois sa propre structuration intérieure et sa mise en situation sur fond d'elle-même? Soit: une structure ne saurait se réfléchir intégralement comme objet. On n'échappe pas ici à la dotation originelle minimale d'un couple. Ce fut jadis celui du ton et du thème; le sérialisme en a-t-il posé d'autres?

Allons tout de suite aux conclusions: certes le sérialisme s'est donné les moyens de produire ses propres objets sans astreindre la série généralisée à en tenir lieu. Mais ceci ne concerne que la première fonction du thème. Mon hypothèse est que le sérialisme a déconstruit l'entité thématique, dispersant ainsi les fonctions thématiques qui s'y nouaient mais les prolongeant finalement selon de nouvelles modalités; ou encore: le thème a été disloqué mais les fonctions thématiques se sont maintenues, se voyant recomposées et autrement redisposées. C'est au travail de cette hypothèse que je vais maintenant m'employer.



6.


La dislocation du thème tonal, la dispersion des fonctions thématiques ouvre à trois questions:

1) Faut-il maintenir une problématique de l'objet musical, et si oui comment?

2) Faut-il recomposer une capacité d'identification du sujet qui perçoit, et si c'est le cas, par quelles opérations adéquates aux nouvelles modalités de l'objet musical?

3) Que devient la figure en conscience de soi de l'idée musicale? Que devient cet avènement en sujet de l'idée musicale par torsion de son espace de déploiement, par auto-affirmation de son devenir?



7.


Généralisant ce que j'ai dit du thème comme objet, je définirai d'abord l'objet musical. Je repartirai pour cela d'une distinction que propose Albert Lautman entre les propriétés intrinsèques et les propriétés extrinsèques d'un même être, soit entre ses propriétés structurales intérieures et ses propriétés d'insertion dans une situation. L'objet musical va se caractériser par une dialectique particulière de ces deux types de propriétés.


1) L'objet musical dispose de fortes propriétés structurales internes:

a. Il est fortement délimité, non tant par sa mise en situation -telles ces figures qui ne se détachent que sur certains fonds- qu'en lui-même, par les frontières qu'il déploie et qui le bornent.

b. Il est articulé intérieurement, c'est-à-dire différencié en sous-ensembles distincts qui pourront éventuellement donner lieu à fragmentation; il n'est donc pas une masse uniforme et sans arêtes internes mais plutôt une entité sécable.


2) L'objet musical n'est pas une monade, c'est-à-dire que ses propriétés extrinsèques ne se projettent pas en ses propriétés intrinsèques: les rapports qu'il entretient avec la situation dans laquelle il s'insère ne sont pas représentés en sa structure intérieure. La dialectique particulière qu'entretient l'objet musical avec la situation qui l'englobe tient alors à deux points:

a. L'objet musical est fonctionnel: c'est là ce qui désigne sa capacité d'agir sur la situation.

b. L'objet musical est plastique: c'est là ce qui désigne la capacité de la situation de le modeler.


Pour résumer, l'objet musical est cette entité singulière qui d'un côté est intérieurement articulée et délimitée et qui de l'autre dispose d'une fonctionnalité et d'une plasticité.

J'avancerai enfin qu'il faut, pour qu'il y ait objet spécifiquement musical et non pas objet visuel ou d'une autre nature, que la structuration des propriétés de l'objet se fasse du point de la perception auditive. Il faut que ces propriétés soient, en droit, audibles même si elles sont, en fait, dissimulées dans telle ou telle situation sonore concrète. Un leitmotiv enseveli et un temps inaperçu restera un objet mais les cercles figurés dans la partition de Wozzeck qui ne sont accessibles qu'à l'oeil n'en sont pas. J'avancerai donc qu'il n'y a d'objet musical que pour la perception (auditive).

On conviendra qu'un accord, un geste, un motif rythmique, mais aussi de plus vastes péripéties pourront être des objets musicaux alors que ne sauraient l'être un timbre, une texture, un formant ou d'autres flux.


Peut-on dans ce cas envisager une oeuvre musicale radicalement dépourvue de tels objets musicaux? La catégorie d'objet musical serait-elle devenue périmée à l'égal de la catégorie de thème? Si l'on a disloqué le thème, faut-il dissoudre l'objet musical?

Certains ont répondu positivement à ces questions et leur problématique continue d'être agissante. Le principal acteur de cette voie a été à mon sens Ligeti dont l'option se prolonge aujourd'hui chez les compositeurs français du groupe "L'Itinéraire". Il s'agit là d'une musique directement alimentée par le matériau sonore, plus précisément par les caractéristiques du son les plus retranchées de l'écriture, les plus imperméables à une saisie abstraite, soit cette dimension que l'on nomme, depuis Schoenberg, le timbre. Musique du seul timbre, musique du flux sonore diversement colorée mais fondamentalement inarticulée, musique de la plastique sonore sans algèbre délimitante, musique de la continuité spectrale où l'écriture s'est évaporée de la partition au profit des seules notations, musique -faut-il le préciser- du sentiment et de l'état d'âme plutôt que de la pensée et de l'idée musicales.

Cette impasse indique à mon sens qu'il ne s'agit pas de proclamer la péremption de l'objet musical. L'écoute musicale ne saurait se satisfaire d'un climat sonore. Pour structurer une pensée musicale du point de l'audition, on ne saurait se dispenser d'articuler le flux sonore, de le fragmenter en entités discernables, de le diversifier en figures, d'y délimiter des gestes.


Une autre voie contemporaine a tenté de contourner la problématique de l'objet musical: c'est celle de la musique électro-acoustique qui tourne autour de la catégorie d'objet sonore. Pierre Schaeffer délivre clairement la vection de cette position.

Il caractérise très justement le sérialisme comme une musique "a priori"(_) (c'est-à-dire en a priori du phénomène sonore puisqu'elle en est originellement séparée par son dispositif arbitraire d'écriture) et s'élève contre ce "parti-pris d'abstraction"(_) pour réclamer une pensée musicale qui soit intégralement construite du point de la perception auditive. C'est le sens véritable de sa déclaration, en apparence anodine: "toute musique est faite pour être entendue"(_) dont le véritable but s'éclaire quand Schaeffer, innocemment, la reformule ainsi: "les signes musicaux sont faits pour être entendus"(_).

Il faudrait ici déployer le sens précis que donne Schaeffer au verbe "entendre" -profitons en pour conseiller, à ceux qui se proposeraient de relire le livre de Boulez "Penser la musique aujourd'hui" en saisissant l'occasion de sa récente réédition, de relire en parallèle le "Traité des objets musicaux" de Schaeffer, ces deux ouvrages formant dyptique dans les conditions spécifiques du début des années soixante- mais il est clair que Schaeffer tend ici implicitement à déqualifier l'écriture; il y arrivera d'autant plus aisément qu'il l'a préalablement réduite à sa définition académique, c'est-à-dire au solfège.

Saisir la musique du point exclusif de la perception conduit Schaeffer à considérer le son non comme ce matériau informe que seule une pensée peut modeler musicalement mais comme une ressource d'objets, comme une puissance d'individualisation, bref comme un gisement latent d'objets sonores. L'objet sonore sera défini par Schaeffer du point de vue d'une perception psycho-acoustique et non pas musicale: il sera cet atôme de timbre qu'on peut isoler de toute situation musicale et que l'expérimentation psycho-acoustique permettrait de délimiter, d'identifier et de reconnaître. Schaeffer saisit donc le son -ou le timbre qui n'est que sa dénomination moderne- comme objet là où Ligeti et l'"Itinéraire" le saisissaient comme simple matériau.

Mais, comme dit Schaeffer péremptoirement: "les objets sont faits pour servir"(_). Il va tenter de passer de l'objet sonore à l'objet musical en construisant des relations entre les objets sonores qu'il avait bien pris soin de déprendre, grâce au magnétophone et à l'écoute "acousmatique", de tout contexte musical. Formulant sa question: "comment se fait-il que la notion d'objet (...) soit en musique si nouvelle ou si surprenante alors que le terme structure y fait rage?"(_), Schaeffer sait bien qu'il lui faut articuler objets et structures: "le passage de l'objet à la structure, le sens que la structure donne à l'objet est la véritable naissance du musical"(_).

Schaeffer va tenter de définir la structure musicale en l'extrayant directement de l'objet, en explorant "l'objet pris cette fois comme structure"(_). L'objet musical est alors l'objet sonore en tant qu'il aurait puissance de structuration musicale. Schaeffer s'arrêtant en vérité au seuil de cette tâche, on ne sait exactement comment il concevait de réussir, par miracle, à tout engendrer de l'un de l'objet sonore.

Mais sans attendre ces prodiges, Boulez, en dialecticien de la structure, lui porte le coup décisif: ces objets sont inaptes à la composition musicale déclare-t-il; d'un côté ils ne sont pas assez neutres, ils sont trop caractérisés en eux-mêmes pour mettre en valeur une structure musicale qui les relierait; de l'autre, ils sont musicalement trop pauvres car ils n'ont pas la capacité d'être finement variés selon les différentes mises en perspective qu'autorise une structure. Bref les objets sonores sont incapables "d'engendrer et de supporter une dialectique"(_) et l'on ne saurait produire de la musique en s'approvisionnant sur le "marché aux puces des sons"(_). Pour Boulez en vérité, s'il faut partir d'un point, c'est de la structure, non de l'objet, et a fortiori certainement pas de l'objet sonore. La structure peut construire les objets musicaux adéquats à son déploiement tant écrit que perceptif, l'inverse n'est pas concevable.



8.


Comment Boulez construit-il ses objets?

Ce souci de l'objet est chez lui constant, au point qu'il figure dès 1963 en couverture de son ouvrage "Penser la musique aujourd'hui". On peut remarquer à ce propos un curieux chassé-croisé des adjectifs: là où Schaeffer parlait d'objets musicaux en intitulé de son Traité alors qu'il opérait en vérité en procédant de l'objet sonore qui constitue pour lui la réalité première, Boulez désigne à l'inverse l'objet sonore comme sa visée, sans doute pour indiquer que circulant quant à lui à partir de l'écriture il n'entend pas pour autant que l'objet musical soit dépourvu d'une qualité perceptive. C'est d'ailleurs sa préhension possible par la perception qui ouvre à la spécificité de l'objet: certes l'objet va être produit par la structure (c'est-à-dire par la série) mais il va l'être selon un souci perceptif qui le singularise.

Boulez exprime tout cela très directement: il y a "une dialectique structure-matériau"(_) à partir de laquelle "la notion d'engendrement sériel (va s'appliquer) aussi bien à des champs (qu'à) des objets définis"(_). Concernant les objets, "la composition (s'accommodera) plus aisément d'un objet-neutre" car, "dès qu'on (aura façonné) des figures travaillées, agglomérées en un complexe formulé et qu'on les (utilisera) comme objets premiers de la composition, on ne saurait oublier (..) qu'il n'est pas simple de trouver le point précaire où la responsabilité des structures et la personnalité des objets s'équilibrent"(_). Le "croisement" des "complexes de complexes" sera alors à même d'engendrer "une variété inépuisable d'objets"(_).

Ces citations décrivent le mode de pensée sériel et sa logique en construction progressive. Il y a en premier lieu un travail de formalisation qui élabore un matériau écrit amorphe à partir de la structure sérielle donnée a priori. Puis, en second lieu, un travail de figuration va donner forme variable à ce matériau inerte, le parfaire, l'objectiver en le différenciant. Pour composer un objet musical, pour "façonner les figures"(_) et par là "rendre audible" le matériau formalisé, le sérialisme va devoir penser une différenciation de sa structure paramétrique.

Il va ainsi se développer, à l'intérieur du cadre sériel, toute une réflexion sur l'hétérogénéité des composantes du son telles que l'écriture les distingue. Par exemple les durées ne sont pas assimilables aux hauteurs même si, comme je l'ai rappelé, Stockhausen tentera de rétablir une homogénéité de plan en subsumant ces deux dimensions en la dimension unique du temps chronométrique. Boulez insistera surtout sur la différenciation entre durées-hauteurs d'un côté et intensités-timbres de l'autre. Mais ce n'est pas le lieu de s'étendre sur ces problèmes plus détaillés et plus techniques. Contentons-nous de relever que la visée de l'objet introduit à une reconsidération de la structure sérielle elle-même, en sorte qu'il s'agisse bien là d'une dialectique, non d'une application mécanique.

Boulez indique ce qui, pour lui, se joue en cette figuration: si l'on arrive à "considérer un objet défini comme le cas limite d'un champ, (alors) la pensée saura se mouvoir dans un univers qui évoluera des objets existants aux ensembles d'objets probables"(_). L'objet va être, pour Boulez, l'opérateur d'une présentation perceptible de la structure, ou, plus exactement, de sa représentation pour l'oreille. Le matériau formalisé, c'est-à-dire structuré, est en potentialité de figuration -il s'agit là bien sûr d'un matériau d'écriture, formé de lettres, de notes, non de sons-. L'objet, de virtuel, deviendra effectif lorsque le compositeur décidera de donner contour, articulation et allure à une partie du matériau.

On voit ici se dessiner une problématique de l'ambiguïté qui ne cessera de se développer dans ce type de pensée sérielle. L'objet musical sériel a en effet une double face: il est édifié comme produit d'une structure écrite mais il se perçoit selon la logique de son profil. Figuration et formalisation ne se recouvrent donc pas en sorte que le repérage perceptif de l'objet n'induit nul discernement analytique de la structure ainsi représentée. Le vrai travail compositionnel va commencer seulement à ce niveau, accentuant à volonté l'articulation de telle structure partielle ou au contraire choisissant de ne pas relever par un contour trop découpé telle autre structure locale. En ce sens la composition sérielle nait véritablement avec la composition de l'objet.

D'où ces deux questions: pourquoi objectiver, ici, cette structure partielle et ne pas le faire, là, pour cette autre? De quelle fonctionnalité peuvent être dotés de tels objets?

Avant d'examiner les réponses de Boulez, remarquons ceci: la série fonctionne chez lui -mais ceci vaudrait a fortiori chez Stockhausen- comme un espace car elle équivaut à la propre définition de l'espace que donne Boulez: elle est "un indice de répartition de structures"(_). La véritable préoccupation sérielle est celle d'une structuration de l'espace, de sa diversification, de son occupation et de son parcours au gré des relations établies entre objets. Contre la problématique tonale d'un monde centré, gravitationnel et dynamique, le sérialisme se réclame explicitement d'un espace constellé, tantôt strié des occurences de l'objet, tantôt rendu amorphe et lisse. Il est ainsi frappant de voir à quel point tout le sérialisme a conçu en vérité le temps sous le paradigme des catégories spatiales, si bien que le sérialisme pourrait se représenter lui-même comme cette forteresse du Graal dont Gurnemanz disait à Parsifal: "Ici, le temps devient espace".



9.


Dans le sérialisme, et plus spécialement dans celui de Boulez qui nous sert ce soir de fil conducteur, comment jouent les fonctions d'identification du thème? Comment se différencient les objets sériels du point de la perception et en vue de la Forme? Si, comme le dit Boulez, "le déploiement des structures a remplacé le développement des thèmes", comment ce déploiement écrit est-il figuré en sorte qu'il soit, pour la perception, vecteur de Forme?

C'est là que la troisième manière du sérialisme complète son dispositif de pensée, proposant de nouvelles catégories qui faisaient défaut lors de l'étape antérieure centrée sur la caractérisation de l'espace et de l'objet sériels.

Les deux catégories maîtresses vont être celles d'enveloppe et de signal. Boulez distingue pour cela le statut local de la figure ou de l'objet du statut global de ces deux nouvelles catégories même si la seconde -celle de signal- n'aura qu'un caractère ponctuel.

L'enveloppe, qui n'avait dans "Penser la musique aujourd'hui" qu'une dimension locale, comme silhouette de l'objet, comme contour de la figure -c'est le sens habituel du terme en électro-acoustique, l'enveloppe dynamique d'un timbre désignant la courbe de sa variation d'intensité-, l'enveloppe acquiert "une caractéristique globale"(_), permettant d'"individualiser" un processus pour la perception en lui donnant "un profil particulier". L'enveloppe n'est pas un objet; non seulement elle n'en a pas le statut local, mais surtout elle n'est pas une entité délimitée, isolable du processus dont elle est la silhouette. Elle est un sillage, non un corps.

Le signal a une "nature ponctuelle"(_) bien que sa fonction étant d'"indiquer les points d'articulation où la forme change de trajectoire" soit également de statut global. Le signal vise explicitement à pallier aux défauts d'"identification": lorsque la perception analytique, active, et attentive risque de défaillir, le signal intervient qui relève la mémoire et mobilise alors, comme l'enveloppe, une perception plus sommaire et plus passive.

Ces deux catégories sont donc ce qui vient en défaut du thème puisque, très précisément, elles interviennent là où l'objet sériel (la figure musicale) échoue à retenir l'attention, à fixer le désir de l'auditeur, lorsque comme dit Boulez "la mémoire n'est (plus) assez puissante pour retenir la cohésion des objets (car) ils ne sont plus présents que par des traces"(_). Il est patent que ce que nouait le thème tonal est ici démembré et assuré séparément par différentes catégories en sorte que perdurent de manière désormais disjointe les fonctions d'objet et d'identification.

On accoste ici sur les rives d'un thématisme sans thème.



10.


Que devient enfin cette fonction thématique que j'ai nommée "puissance de devenir"?


Il faut bien avoir présent à l'esprit ce point: si l'objet sériel défaille à être à lui seul vecteur de forme, s'il lui advient de n'être pour la perception qu'une trace de la structure et non pas son déploiement analytique, ce n'est pas par pure inclinaison de Boulez pour une dialectique structurale de l'absence et du manque. C'est que se donnent là des conditions modernes de la pensée musicale; très exactement, c'est que la situation moderne est celle d'un désaccord irrémédiable de l'écriture et de la perception. Il y a là bien plus que cette disjonction originaire dont j'ai parlé précemment et qui fonde l'écriture en a priori de la perception. Il y a que l'accointance naturelle entre écriture et perception qu'autorisait la tonalité est perdue. Dans celle-ci, l'oreille pouvait, de droit, tout reconstituer de la partition -c'est même ce qui autorisait cette pratique scolaire de la dictée musicale- car tout élément musical présenté par écrit était de droit représentable à l'audition. Pour en donner un exemple élémentaire, un objet fonctionnel tel l'accord de dominante se compose par écrit comme agrégat de quatre éléments et la perception n'a aucun mal, si elle le veut, à décomposer l'objet qu'elle perçoit en ces quatre éléments. Cela ne lui est cependant pas demandé car il y a un impact auditif global de l'accord qui suffit à inscrire sa fonctionnalité, en l'occurence une fonction de tension, de polarisation et d'assise tonales.

Cette entente maximale entre écriture et perception, caractéristique de la propriété naturelle du système tonal, est rompue dans l'ère moderne et toutes les tentatives pour réinstaurer ce même type d'adéquation, tentatives prenant toutes leur appui dans de nouveaux modèles de la Nature, ont à mon sens échoué. Cela indique que le désaccord écriture/perception est désormais irrémédiable et constitue le nouveau cadre structural de la pensée musicale.

Le sérialisme, seul, a pris ce point au sérieux; d'où les impérities thématiques de ses objets, c'est-à-dire leur cassure selon leur double face: du côté de l'écriture l'objet présente une micro-structure en ses éléments constitutifs, du côté de la perception l'objet représente la micro-structure comme un ensemble relativement indécomposable, le cas extrême étant celui d'un objet-timbre où l'ensemble est perçu en fusion intégrale de ses éléments.

Cette donnée structurale de la musique contemporaine va de pair avec la dislocation de l'entité thématique. En effet, l'"inconscient" du thème tonal dont je parlais tout à l'heure était encore peu structuré de façon autonome puisqu'il restait -de droit- accessible à la conscience auditive. Ceci avait au moins pour effet de pouvoir rendre perceptibles les tensions en devenir du thème; je ne dis pas forcément que ces tensions étaient analytiquement décomposables, mais elles étaient au moins représentables, c'est-à-dire audibles comme torsions. Cette aptitude est résiliée de nos jours, d'où un problème supplémentaire pour qui compose dans l'horizon du thématisme.


La perte du thème, entérinée par tous les compositeurs contemporains, implique-t-elle alors une perte équivalente de la fonction "sujet en devenir"?

Le sérialisme, à mon sens, répond positivement à cette question. Autant continue-t-il de construire une perception sur la base d'objets et de fonctions identificatoires, quitte pour cela -prenant acte de la mort du thème- à diversifier ses opérations, autant le sérialisme ne se reconnaît plus en une problématique du sujet comme puissance de devenir. L'idée même que la structure puisse être tordue par une force thématique excédentaire et rongée de l'intérieur par un tel devenir en acte n'est pas une idée sérielle. Le mode de pensée sériel est ici fermement adossé à la thèse que, quoiqu'il advienne, "rien n'aura eu lieu que l'espace musical déployé". C'est donc du côté d'une dialectique structurale qu'il faut chercher les catégories sérielles; rappelons pour mémoire l'impact qu'a eu sur le sérialisme la publication en 1957 du "Livre" de Mallarmé.

C'est ainsi qu'il faut comprendre le traitement que fait Boulez du couple écriture-perception: il le conçoit comme champ structural d'une dialectique de la présence et de l'absence. L'absence conserve ici une fonction d'affirmation de l'être musical, car elle n'est pas une non-présence mais plutôt une a-présence, une soustraction qui maintient l'être absenté au régime d'un efficace latent. Boulez aime ainsi à manier ces couples d'objets réels ou virtuels(_), de symétries apparentes ou latentes(_), à jouer de la possibilité de "faire évanouir des structures"(_) en sorte que celles-ci, disparues, "impriment en creux"(_) leurs traces dans la situation résultante.

Le maître-mot du sérialisme est ici l'ambiguïté(_). "La musique est l'ambiguïté érigée en système" faisait dire Thomas Mann à son Docteur Faustus au moment où celui-ci procédait à l'éloge de l'enharmonie tonale. Il s'agissait pourtant là d'ambivalence, d'amphibologie plutôt que d'ambiguïté, moins d'un sens incertain et vague que d'un double sens si bien que l'ambiguïté triomphe moins dans le monde tonal que dans l'espace sériel. Boulez ne cesse de s'y référer, explorant ces zones frontalières où les dualités s'estompent en sorte qu'on puisse insensiblement y basculer d'une structure à l'autre(_).

Le renversement dialectique d'un terme en l'autre, tel est bien l'autre mot clé de la pensée sérielle. Mais l'on n'a, en cette opération de basculement, nulle torsion de la structure; seulement des "accidents" pour la perception, des surprises et des retournements dans un espace musical où les structures se trouvent diversement déployées et disposées. L'objet réel n'est pas le devenir le l'objet virtuel, il en est seulement l'a-venir pour l'oreille; finalement, rien n'a lieu qui ne soit, comme dit Boulez, incessante circulation dialectique entre "le formel et l'informel", entre "développement thématique" (de l'objet apparent) et "développement a-thématique" (de l'objet latent), entre "écriture obligée" et "écriture libre"(_).



11.


On a produit ces points:

Le sérialisme instaure un thématisme sans thème, en ce que:

* Il recompose sa propre problématique de l'objet musical.

* Il recompose une capacité d'identification du sujet qui perçoit.

* Cependant ces deux fonctions ne se disposent plus par nodosité en un même être musical, mais par disjonction articulée.

* Enfin, les catégories de torsion et de devenir commuttent en celles de renversement et de déploiement.


Cette dernière transformation, qui modifie le contenu même d'une des fonctions thématiques, ne suffit pas à mon sens à déqualifier le thématisme sériel. C'est seulement le prix à payer de la mort du thème, corrélative de la mort du ton. Pour le sérialisme, "l'enjeu thématique" dont parle Boulez est alors que le désir d'objet soit en capacité de laisser un sillage, de tracer son enveloppe. Le projet compositionnel sériel est pour cela de diriger ce désir d'objet, c'est-à-dire de construire une perception qui, dans le vacillement de l'objet, s'éprouve comme incise en éclipse de la structure.

Pour que le dispositif des catégories sérielles soit complet et rende compte de cette incise subjective de l'auditeur dans l'oeuvre, il faut achever notre examen par ce que, somme toute, Boulez retient du phénomène sonore comme tel, non comme matériau analysable mais comme phénomène sensible irréductible. Il faut, là encore, attendre sa troisième manière pour trouver trace conceptuelle d'une telle problématique; cela se fera dans la catégorie d'"aura".

L'aura d'un son est sa capacité de rayonnement, d'enrichissement adjacent. Non sa capacité de développement -l'aura est une effluve du son qui ne saurait "en modifier la structure"(_)- mais sa capacité de se nourrir d'éventualités "acoustiques"(_). L'aura est ainsi ce tremblé du son que Boulez doit bien introduire dans son champ conceptuel s'il ne veut pas refermer sur elle-même sa problématique de l'écriture.

Michel Fano, dès 1963, ouvrait à cette nécessité: "Seul un enchevêtrement diagonal des structures, (...) en occasionnant les indispensables interférences qui réagiront sur l'ensemble des groupes, entrainera une torsion du concerté en fonction de l'instant, sans laquelle toute tentative formelle risque de demeurer stérile"(_). Quelques vingt ans plus tard, l'aura est pour Boulez sa vision propre de l'interférence: non pas la virtualité d'une torsion sous l'effet de l'instant sonore -cela pour Boulez serait déjà trop que de se livrer sans contrôle à un tel aléa- mais la maitrise minutieuse par l'écriture de ce qui sera ensuite construit par le geste instrumental. Une chose en effet est la prise en compte par l'écriture de sa future réalisation sonore -c'est-à-dire que l'écriture prenne en charge la perception auditive à venir (dit platement: que le compositeur écrive en entendant ce qu'il écrit)-, autre chose est la façon dont le phénomène sonore pourra perturber le jeu réglé de l'écriture, froisser la partition et faire ainsi retour sur ce qui l'a engendré. Boulez accorde crédit au premier point bien sûr mais se refuse au second.

Finalement l'aura n'est pas exactement l'ouverture -en incise- à une extériorité de l'écriture mais se voit réintroduite comme catégorie même de l'écriture, certes comme sa limite extrême mais cependant comme son bord intérieur. On peut ici discerner le recul horrifié de Boulez devant le potentiel de dérèglement porté par le son, devant l'autoaffirmation incontrôlée de l'instant. Comme il le déclare: "la loi que le compositeur invente pour y soumettre sa personnalité le protège du désordre de l'instant"(_).



12.


Si le sérialisme constitue ce soir mon objet, je ne saurai le saisir uniquement de l'intérieur de ses propres catégories. Je n'ai pas un gout immodéré pour la construction progressive des concepts, et si la méthode d'exposition que j'ai jusqu'à présent retenue a pour mérite de faire ressentir l'aridité singulière du mode de pensée sériel je ne pense pas qu'il faille s'y cantonner. Abordons maintenant notre objet de l'extérieur, du point de son insertion dans la situation musicale contemporaine, et tentons par là de caractériser sa fonctionnalité, d'éprouver sa plasticité pour mieux fixer le point où le franchir.

Pour cela, je poserai les questions suivantes au sérialisme:

1) S'il est vrai que la perception est cette faculté qui s'établit comme perception d'objets -certes elle peut être également perception d'enveloppes, de timbres, de processus... mais elle ne saurait se soustraire au couple objet/structures-, peut-on réfléchir l'écoute d'une oeuvre musicale sous cette seule catégorie? C'est-à-dire: l'activité proposée à l'auditeur est-elle pensable comme ordonnée à la perception auditive? Plus directement: l'écoute musicale est-elle réductible à une perception?

2) Si la partition ne se réduit pas à l'écriture mais inclut également des notations, est-il alors légitime de réfléchir la composition d'une oeuvre musicale sous cette seule catégorie de l'écriture? Quelles sont alors -en pensée- les fonctions des notations?

3) Une problématique qui dialectise non point la partition et l'écoute mais l'écriture et la perception n'enferme-t-elle pas l'interprétation dans l'horizon d'une représentation?

4) Si le thème est caduc, qu'advient-il de l'idée musicale? Celle-ci garde-t-elle son statut antérieur de donnée préalable et locale? Corollairement qu'advient-il du développement? Conserve-t-il son sens traditionnel, est-il toujours le développement d'une idée? La Forme conserve-t-elle ce faisant son statut de totalisation et par là reste-t-elle soumise au postulat de son unicité?

5) Le temps musical peut-il se concevoir comme un espacement diachronique qu'il s'agirait d'occuper? Telle est, en effet, la conception sérielle qu'il nous faut maintenant discuter.



13.


Ossip Mandelstam, dans son "Entretien sur Dante", indique ceci: "Si l'oeuvre se laisse mesurer à l'aune de sa paraphrase, c'est que les draps n'y sont pas froissés, c'est que la poésie est allée coucher ailleurs".

Prélevant mes images chez ce poète qui aime à converser avec le musicien, je poserai qu'il n'y a de temps musical que de temps froissé. Si le temps chronométrique n'a été qu'occupé, c'est que la musique est allée coucher ailleurs. Comment la musique froisse-t-elle le temps objectif du chronomètre?

Modifiant quelque peu une présentation d'Albert Lautman, je dirai que le temps, comme phénomène sensible, a trois propriétés:

1) il est orienté (du passé vers l'avenir), il est le temps fléché.

2) il est la dimension de persistance des choses, il est le temps qui dure.

3) il est ce qui paramètre les évolutions, ce point mobile qui passe et par où tout passe, il est le temps comme présent.

Ces trois propriétés forment un triangle en sorte que, se recoupant deux par deux, elles définissent trois sommets qui vont représenter les trois temporalités auxquelles la musique va avoir affaire:

1) La temporalité du flux musical, qui coule selon une orientation irréversible.

2) La temporalité du moment musical, qui fait durer le présent en une sorte d'extase.

3) La temporalité de l'instantané musical, de l'occurence sans épaisseur qui tranche, qui interrompt sans durer et partage sans recours entre passé et futur.

Ces deux triades du temps sont en position duale l'une de l'autre: chaque sommet croise deux propriétés. Le flux est ce temps qui dure et qui est orienté, le moment est cette durée (inorientée) du présent, l'instantané est ce point présent, irrépétable et sans durée qui a puissance d'orientation. A l'inverse, chaque propriété du temps se déploie selon une polarité spécifique: le présent est extatique (moment) ou instantané; la durée -comme nous le verrons- est durée de persistance (durée d'un moment) ou durée d'intervalle (durée de flux); enfin l'orientation du temps conjoint l'irréversibilité (du flux) et l'irrépétable (d'une interruption): la musique traite de ce double registre en distinguant l'opération de rétrogradation (renversement d'un flux) de celle de reprise (qui reparcourt un moment ou un flux).

Si ces triangles duaux valent au-delà de la musique, celle-ci va les éprouver d'une manière singulière. La musique, comme d'autres arts, s'expose dans le temps chronométrique: le temps des secondes et le temps empirique de l'ordre chronologique. Se plongeant dans le temps de l'expérience commune, la musique doit ainsi contrôler son ordre d'exposition. Ceci revient à contrôler deux dimensions: la dimension verticale de la synchronicité (il s'agit de différencier ce qui est simultané de ce qui ne l'est pas), la dimension horizontale de la diachronicité (il s'agit de différencier ce qui précède de ce qui suit). Rien là que de très banal, mis en jeu dans toute opération temporalisée, ne serait-ce que par exemple dans l'exposé ordonné auquel je procède présentement. La musique donc ne saurait échapper au temps chronologique ; pour autant le temps musical ne s'épuise pas en ce temps chronologique et va se caractériser par la production d'une durée singulière.

Ce qui concentre la spécificité du temps musical est sa composition des durées. Celles-ci ne se mesurent ni en secondes ni en minutes mais en blanches et en croches; certes les durées musicales restent délimitées et mesurées -ce ne sont pas de pures sensations de durées- mais elles ne le sont plus selon les catégories du temps chronométrique. Le propre de la musique est en effet de calculer ses durées selon une logique spécifique, à la fois disjointe des durées chronométriques (mais cependant lui restant reliée par la catégorie du tempo) et en diversité interne (durée de la mesure, durée de la pulsation, micro-durée par fragmentation et monnayage de la battue).

C'est sur l'axe des durées que la musique éprouve son temps de manière spécifique, par composition des flux et des moments beaucoup plus, à mon sens, que par une qualité spécifique de ses occurences instantanées. Il y a certes deux coupures posées de fait par toute oeuvre musicale: celle de son début et celle de sa fin. Il y a également des instants singuliers qui interrompent le flux musical et produisent par là une séparation entre "avant" et "après"; ce peut être un "climax" (sommet et point de basculement), une coupure dramatique ou -plus rarement en musique- une césure tragique. Il est cependant clair que ce type d'"évènements" ne saurait proliférer au cours d'une même oeuvre sauf à y perdre toute efficacité. Je tiendrai que la musique fonde sa puissance de temporalité non en cette logique mais en son travail des durées.

Si l'écriture de la durée concentre la composition du temps musical, l'écriture est nécessairment confrontée au problème de la dualité des durées: en effet il n'est pas équivalent, d'un point de vue sensible mais aussi du point de vue de la pensée, d'être une durée d'intervalle -par exemple d'être la durée qui conjoint deux impulsions ponctuelles- et d'être une durée de persistance -par exemple d'être la durée de déroulement d'un son ou d'un objet-.

Schaeffer avait pointé ce problème, distinguant ce qu'il nommait durées d'espacement (entre les objets) et durées internes (des objets) pour conclure par la remise en question du temps mesuré de l'écriture qui, inévitablement, fusionne ces deux durées naturellement hétérogènes. Sa critique vise les sériels qui, il est vrai, ont parfois traité bien à la légère cette dualité, comptant sans vergogne pour une même durée, par exemple pour une même blanche, ce qui était tantôt la durée d'un silence, tantôt celle d'une note tenue, tantôt la durée totale d'une figure intérieurement fragmentée. J'en concluerai pour ma part ce point de critique du sérialisme qui a, pour la composition, quelque importance: il ne convient pas de formaliser les durées élémentaires d'une partition comme on le fait pour les hauteurs c'est-à-dire en indépendance (relative) par rapport aux autres composantes du son. Les durées en effet jouent un rôle spécifique dans la synthèse rythmique ce qui interdit de les systématiser séparément.

Mais l'objection de Schaeffer vise en fait, par delà le mode de pensée sériel, les principes mêmes de l'écriture musicale. Il est vrai que celle-ci caractérise d'une même lettre des durées empiriquement distinctes; c'est là sa coupure fondatrice qui lui donne puissance. Il est par ailleurs inexact de dire que l'écriture ne discrimine pas durée de déroulement et durée d'espacement puisqu'elle inscrit de lettres spécifiques les durées de silence. Il reste vrai cependant que l'écriture ne suffit pas à cerner ctte dualité de la durée musicale et, qu'au point de cette défaillance, la notation intervient comme relève de la composition.

Un exemple très simple pour illustrer cela: la même écriture d'une série de noires va se diversifier selon que différentes notations vont l'affecter. Selon que l'on indique un détaché, un legato, un staccato, un louré pour une même figure de noires, on variera les durées effectivement tenues, modifiant le profil temporel de chaque durée élémentaire.

Il ressort de ceci le point suivant: la musique compose ses durées par dialectique d'inscriptions, par dialectique d'une écriture et de notations. L'écriture, c'est la mesure quantitative (dans l'ordre spécifiquement musical) des durées; les notations, c'est l'inscription dans l'espace de la partition de ce qui n'y peut s'écrire. En vérité, les notations musicales afférentes aux durées sont extrêmement diverses: ce sont celles des profils d'attaques, du caractère legato ou staccato des modes de jeux, mais ce sont aussi les notations de tempi qui fixent souplement les médiations entre durée chronométrique et durée musicale; ce sont également les notations expressives qui tentent de caractériser les rubati et de saisir le sens général d'une temporalité. Toutes ces notations sont l'inscription d'un nécessaire tremblé de l'écriture, de son inéluctable froissement par le phénomène sonore. En ce sens les notations sont les marques irremplaçables de composition d'une temporalité musicale.

Il est tout à fait remarquable que le mode de pensée sériel soit entièrement silencieux sur ce point. Les partitions sérielles ne sont certes pas dépourvues de notations -encore que certaines d'entre elles, prenant l'"Art de la Fugue" pour modèle d'une pure écriture, ne s'y attardent point- mais le discours sériel est ici muet. C'est peut-être en effet qu'on ne peut en parler, ou plutôt qu'on n'a su en parler jusqu'à présent que dans l'horizon d'un sentimentalisme désuet. J'y vois surtout, pour ce qui nous occupe ce soir, l'effet d'un parti-prix sériel qui aligne délibérément le temps sur l'espace.

Lorsque Boulez réfléchit le temps musical, il le distingue selon deux catégories -lisse et strié- qui lui viennent directement de son traitement de l'espace, et lorsqu'il prononce la différence entre temps lisse et temps strié il le fait du seul point d'une "occupation" du temps objectif, c'est-à-dire dans une métaphore spatiale du temps, d'un temps saisi comme simple paramètre.

Ce point de butée du mode de pensée sériel tient à mon sens à sa dimension fondamentalement constructive, car, très exactement, s'il faut composer le temps musical pour qu'il advienne, le temps musical ne saurait se construire.

La perte du thème fait ici sentir ses effets. En tant que point de convergence de différentes fonctions, le thème tendait à unifier les trois temporalités musicales: la temporalité tenant à la durée de son déroulement, la temporalité tenant au flux d'identification qu'il engendrait, la temporalité en incise de ses avènements en devenir. En quelque sorte le thème était ce qui nouait les temporalités de moment, de flux, de partages instantanés.

Le démembrement du thème, lié à la dissolution de la tonalité, a pour effet de disloquer les conditions antérieures d'unité du temps musical. D'où les difficultés bien connues que rencontre la musique contemporaine pour composer, c'est-à-dire pour poser ensemble, en un même temps, des moments, des flux et des instants. Il est courant de les traiter séparément et superficiellement: la musique du timbre exploite la stase sonore du moment présent, la musique de processus exploite le flux orienté et il ne manque pas de percussions pour créer quelques interruptions convenues. Rien là en quoi l'on puisse reconnaître une temporalité musicale: les effets sont grossiers et entièrement déliés les uns des autres.

Le mode de pensée sériel a eu la grandeur de refuser ces platitudes sans proposer cependant d'alternative car sa finesse de conception fut toute investie dans des catégories spatiales.




14


Les triangles de la temporalité dessinent immédiatement des couples de contraires: l'orienté face au statique, le durable face au transitoire, le règne sans partage du présent face au flux incessant du passé vers l'avenir. Il est patent que ces oppositions élémentaires traversent les projets compositionnels et permettraient d'en esquisser une typologie.

Est-ce alors parce que la musique a pour essence le temps (ou la temporalité -restons ici dans l'équivoque-) que la composition musicale semble avoir tant affaire au deux de la dualité, comme si la tension génératrice d'un projet compositionnel était presque toujours interprétable comme visée d'une temporalité unifiée à partir de la dotation d'un temps en parties doubles?

La Fugue, quoiqu'elle se représente comme éloge de l'Un, n'échappe pas à cette caractérisation; qu'il suffise pour cela de relever en son point de départ la dotation d'une double division: entre sujet et reponse, entre sujet et contre-sujet. Pour ce qui est du "Style classique", il est établi qu'il compose son unité temporelle dans la modalité d'une résolution. Quand à Wagner, il concevra son processus d'unification comme composition d'une transition. Il semblerait ainsi que les dualités temporelles se disjoignent progressivement dans l'histoire de la musique tonale, comme si la composition musicale avait de plus en plus de mal à conjoindre les failles du temps et devait pour cela recourir à des opérations de plus en plus complexes.

A rebours de cette trajectoire, les dualités sérielles, posées en a priori de l'oeuvre, n'ont plus en général de statut temporel avéré, n'opposent plus deux modalités constituées du devenir mais plutôt deux régimes de déploiement spatial. Sophie Leclerc a pu ainsi analyser un mouvement de la 3ème Sonate de Boulez par le jeu dialectique des catégories, spécifiquement spatiales, de symétrie et de dissymétrie. On pourrait dire que le mode de pensée sériel a inversé les termes du problème compositionnel: l'unité n'est plus ce qui tend à advenir comme c'est le cas lorsque l'origine est la dotation d'une dualité; au contraire, dans le sérialisme l'unité est au principe de l'oeuvre -comme unité de l'espace- en sorte que le problème devient plutôt: comment engendrer une différenciation, productrice de temporalité?

Adorno a très nettement relevé ce renversement :"La musique sérielle -dit-il- est née de la généralisation du thématisme" mais alors que dans la musique antérieure "l'unité se définit toujours comme quelque chose qui devient et par là même se révèle", "la composition sérielle" par contre "pense l'unité comme un fait, qui est immédiatement présent, même s'il demeure caché"(_). Je ne suis pas sûr qu'Adorno ait eu alors en tête une caractérisation de l'unité sérielle par adossement à l'unité -en droit- de l'espace. Peut-être songeait-il encore en 1961 à cette maladie infantile où l'unité est censée procéder de l'unicité? Qu'il me suffise ici de relever que cette idée sérielle d'une unité d'espace, différenciée par ses modalités d'occupation temporelle, inscrit au coeur de ce dispositif de pensée la catégorie de renversement, de basculement d'un terme de la différenciation en l'autre. En cette problématique structurale, l'unité (garantie a priori) s'éprouve en une puissance de renversement des places.




15


S'il y a un compositeur qui se distingue de l'intérieur même du sérialisme, c'est Brian Ferneyhough. Ceci se reflète dans les réticences de ce compositeur à s'inscrire ouvertement dans ce mode de pensée. Je le désignerai néanmoins sous ce qualificatif, non principalement en raison du caractère paramétrique de sa pensée mais parce qu'il me semble tenu, par un rapport tout à fait singulier, à l'objet musical sériel en sorte que son propos musical puisse être défini comme une tentative de produire l'objet musical comme obstacle, puis de le dissoudre.

Le geste, tel est le nom de l'objet musical pour Ferneyhough. Le geste n'entretient pas chez lui le même rapport à la structure que chez les sériels classiques. Certes le "geste" est en "surface" quand la "structure générative" est, selon ses termes, "sous-cutanée" mais le geste ne tend pas à représenter la structure, pas plus que la structure ne vise à engendrer le geste. "Pour moi -dit-il- les structures ne sont pas là pour produire du matériau; elles sont là afin de restreindre la situation à l'intérieur de laquelle je dois composer"(_). Ses structures sont à dire vrai d'une effroyable complexité, surdéterminées de contraintes enchevétrées en sorte que le matériau advient à la partition non pas articulation représentative des principales entités de la structure mais par sélection de certains de ces éléments. Le matériau est un reste, le reste déformé d'une traversée de ce champ surdéterminé. Ce matériau est chez Ferneyhough un flux incessant, extraordinairement polyphonique et sillonné d'énergies diversifiées.

L'objet -le geste- va apparaître comme concrétion singulière, point de coagulation des forces portées par le matériau. La constitution de l'objet se donne comme hétérogénéisation des durées puisque l'objet, par sa durée propre, va faire obstacle à la durée d'écoulement du matériau. L'objet accroche la perception, sollicitant le repérage de son occurence mais requérant également une identification de ses articulations internes, entravant ainsi, par la durée statique nécessitée pour ces opérations, la perception du flux sonore incessant. Cette contradiction est productrice d'expressivité s'il est vrai que l'expression musicale surgit toujours de dissensions des temporalités.

Cette production singulière de l'objet va le doter d'une instabilité, d'une énergie et, par là, d'un devenir possible que n'a pas l'objet sériel classique, hiérarchiquement construit. En effet ce qui intéresse Ferneyhough n'est pas qu'une même structure engendre une variété d'objets, mais plutôt qu'un même objet puisse être produit par une variété de structures car cela dote l'objet d'une énergie centrifuge: "Je suis plus intéressé par l'idée d'une variation des techniques employées que par celle d'une variation de l'objet"(_). Ceci va ouvrir à une nouvelle dialectique: celle du geste et de la figure.

Imaginons que nous plaçions un cadre sur une partition en sorte d'isoler une entité, d'extraire un geste de son contexte musical. Ce faisant nous le dépouillons de sa fonctionnalité en situation, nous le privons également de sa capacité à se délimiter par contraste avec le matériau qui l'enserre. Si nous l'examinons en cet état, nous pourrons discerner son énergie centrifuge latente, non comme énergie de développement ou de variation de l'objet mais comme énergie de transmutation du matériau qu'il recollecte. Cette potentialité de projection hors de soi, c'est ce que Ferneyhough nomme la figure, cette "aura propre de connotations"(_) que détient le geste.

Pour métaphoriser ce point, pensons à un photogramme de film, cette image arrétée qui dessinera toujours une orientation centrifuge là où une véritable photographie, ne serait-ce qu'une photographie faite pendant le tournage du même film, inclinerait à l'inverse à orienter les énergies de manière centripète.

Ecoutons encore Mandelstam: "Imaginez un avion qui, en plein vol, fabriquerait et lancerait un autre avion. Cet engin, quoique absorbé par son propre vol, réussirait à en fabriquer et à en larguer un troisième. J'ajouterai que la fabrication et le lancement de ces nouveaux appareils ne serait point une fonction annexe et incongrue de l'avion lancé en plein vol mais qu'ils en constitueraient une qualité essentielle, qu'ils seraient un élément du vol lui-même: voilà ce que je propose d'appeler la mutabilité de la matière poétique"; et Mandelstam d'ajouter: "Il faut vraiment se contraindre pour accepter de nommer développement cette série de projectiles qui se fabriquent en cours de route et s'élancent les uns des autres pour assurer la continuité du mouvement lui-même".

Pour Ferneyhough la figure sera définie, au contraire du geste, par sa "disposition dans un contexte" plutôt que par ce qu'il appelle "un pouvoir référentiel inné"(_). Ce qui importe est que la figure ne soit pas, à l'instar du geste, un objet mais plutôt "l'énergie d'explosion" du geste, la trace temporelle de sa "dissolution". Ferneyhough parle lui-même d'une "tornade de dissolution"(_) qui est la modalité de résorption de l'objet pris comme obstacle aux flux temporels.

On comprend comment l'objet, saisi ainsi en intervalle du matériau et de la figure, met en péril les fonctions thématiques non plus pour les démembrer et les assumer une par une en de nouvelles modalités mais pour les diluer; d'une part la caractérisation de l'objet est déjà rendue problématique pour la perception, c'est sa vérité expressive d'obstacle; d'autre part sa fonctionnalité et sa plasticité sont rendues équivoques, instables, à la mesure des distorsions opérées sur la possibilité de son identification. La fonction formelle des objets est en effet dissoute: non plus fonction de signal ou fonction génératrice d'enveloppe, mais capacité à la fois de résister aux énergies temporelles du matériau et, par là, de les diffracter en figures, fonction médiatrice où l'objet est ce que la perception traverse plutôt que ce qu'elle manipule.

Cette problématique nouvelle maintient cependant l'objet comme catégorie centrale, comme enjeu même du travail compositionnel. Certes, là ou le sérialisme classique convoque la perception à énoncer: "il y a cet objet", la musique de Ferneyhough ne fait que formuler: "ici, il y a un objet". Cependant, si cette apparition de l'objet fait obstacle au flux musical, si cette image de l'objet est destinée ensuite à la dissolution, c'est bien parce que la perception continue d'être convoquée à son identification. L'expressivité tient alors à cette contradiction entre le désir maintenu de capter l'objet et l'emport irrémissible de la perception dans le flux des figures fugitives.

Il est remarquable que cette problématique nouvelle de l'objet s'articule à d'autres caractéristiques du travail de Ferneyhough:

1) Les notations prolifèrent en sorte que s'instaure, ici, une nouvelle dialectique, interne à la partition, entre écriture et notations. Ferneyhough déclare: "le principal objet de ma musique a été (...) de s'insinuer dans les réels interstices (de ce qui est) formulable (par la langue)"(_). Il y a ainsi chez lui un parti-pris exactement opposé à celui de Boulez pour qui tout s'ordonne au formulable, au constructible. Ferneyhough, par contre, tel l'intellectuel selon François Regnault, pose que ce dont on ne peut parler il ne le taira pas.

2) La réalisation sonore ne peut plus alors être conçue comme représentation de la partition. Ferneyhough en est bien conscient: "l'exécutant ne fait pas que rendre la composition, dans un sens bien précis il en engendre réellement la manifestation finale"(_). Ceci débouche logiquement sur une conception active de l'écoute musicale, écoute qui n'est plus commandée par le compositeur mais qui se trouve requise d'être elle-même une faculté créatrice.



16


Je voudrais, dans les points terminaux de cette conférence, esquisser ce que pourrait être une problématique résolument différente de celle du sérialisme. Comment est-il possible, non d'oublier le sérialisme, mais de le franchir?

Quels sont d'abord les achèvements qui ont déjà été prononcés et sur lesquels il ne convient pas, à mon sens, de revenir?

1) Il y a d'abord la fin de la tonalité conçue comme dispositif de pensée musicale. Ce point fut véritablement prononcé par les sériels, non par les Viennois.

2) Il y a, corrolairement et toujours prononcée par le sérialisme(_), la fin de l'ancienne dialectique mélodie/harmonie. Ceci ne prescrit pas la fin de la catégorie générale d'harmonicité mais uniqument la péremption d'une modalité spécifique de dialectique entre l'horizontal (mélodique) et le vertical (des accords).

3) En conséquence des points précédents, il y a la fin des grandes Formes canoniques, sorte d'architectures préétablies aux fonctions codifiées, ordonnées chacune à l'effectuation de l'unité dialectique dans une modalité particulière. Ce point également fut prononcé par les sériels.

4) Plus structuralement, il y a fin de l'adéquation entre écriture et perception, adéquation qui était, dans le cadre tonal, de droit naturel pourrai-je dire et qui se trouve désormais défaite. Cette fin fut également, en un certain sens, prononcée par les sériels. Elle n'implique pas, comme le posent les réactifs, la fin de l'écriture mais plutôt son redéploiement.

5) Il y a en dernier lieu fin du thème comme objet nouant d'un seul geste les différentes fonctions thématiques; ou encore: le thème fut démembré, on n'y reviendra plus.

Ces points étant acquis, quel est aujourd'hui le pas à franchir? Je ne songe pas à prononcer ici ce "programme de l'athématisme"(_) qu'évoquait Adorno en 1961. Je n'envisage pas non plus exactement un manifeste au sens où Adorno indiquait qu'en imaginant l'expression française de "musique informelle" il avait "voulu marquer (sa) gratitude au pays dans lequel la tradition de l'avant-garde ne fait qu'un avec le courage du manifeste"(_). J'entendrai plutôt fixer le cadre d'une autre problématique compositionnelle, proposer quelques arêtes d'un autre mode de pensée musicale. J'ai trop conscience du fait qu'en musique, comme en tout art, c'est l'oeuvre qui décide, non le discours, et que l'oeuvre ne saurait être l'application concrète d'un programme abstrait, pour être tenté de me livrer à l'inconvenant d'une telle pratique. Gardons plutôt aux points que je vais énoncer le statut, plus mesuré, de propositions.




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Proposition 0: Les propositions suivantes s'inscrivent dans l'horizon d'une musique ayant dépassé le thématisme. Elles tendent à ouvrir au non-thématisme.


Proposition 1: L'écoute musicale -l'audition- ne s'ordonne pas à une perception.

Il ne s'agit pas d'en appeler d'une fin nécessaire de la catégorie d'objet musical. Corollairement, il ne s'agit pas de décréter la péremption du concept de perception (si je conviens d'appeler perception la faculté d'identification en tant qu'elle se fonde -sans s'y réduire- sur un rapport à l'objet).

Il ne s'agit donc pas de prôner la musique (sans objets) du flux sonore, ni celle, incontrôlée, de l'aléa généralisé où l'audition n'est plus qu'une rêverie inconsistante. Il s'agit de concevoir une audition non astreinte à ce que j'ai nommé les fonctions thématiques, en particulier une écoute qui ne soit pas requise de s'identifier aux objets qu'elle rencontre et perçoit.

Le mode de pensée sériel est, en ce sens, la prolongation d'une conception classique de l'écoute où celle-ci est dirigée par le compositeur. Il y a là l'équivalent de cette ambition du cinéma classique qu'Hitchkock formulait en parlant de "direction du spectateur". Le sérialisme, lorsqu'il se soucie de composer l'écoute et ne se contente pas de la livrer au diktat de l'écriture, la conçoit comme une direction d'auditeur. Direction est ici à prendre au sens fort du terme, au sens finalement où le mode d'écoute de l'oeuvre est prescrit, où le mode de pensée de l'audition est entièrement pré-structuré et pré-ordonné à des catégories univoques.

L'écoute musicale comporte en effet une part nécessaire de structuration du monde sonore extraordinairement foisonnant qui lui est offert et qu'il s'agit -a minima- de structurer par l'attention auditive. A mon sens, le mode de pensée sériel comme la pensée musicale antérieure prescrit unilatéralement un mode d'écoute, c'est-à-dire a minima un mode de structuration auditive du matériau sonore qui perçoive les objets comme tels, somme toute qui identifie ce qui est à identifier.

Le fait empirique que cette capacité perceptive est devenue aujourd'hui plus rare, plus problématique, soit en raison d'une mécompréhension de l'auditeur qui continue de plaquer ses anciens schémas de structuration, cherchant la mélodie ou le thème là où il n'y en a plus, soit que le compositeur sériel ait été en prise au regain de quelques maladies infantiles, ce fait donc que peu d'auditeurs sont en état d'opérer selon les catégories d'écoute prescrites par le mode de pensée sériel n'infirme pas que ce mode de pensée vise à la "direction d'auditeurs".

La solution, interne à ce mode de pensée, pour élargir le cercle de ses propres auditeurs consistera en deux choses: du côté du compositeur, à progresser en maîtrise et en savoir des opérations "qui marchent" et fonctionnent et, par là, mieux construire et contrôler, du point de la partition, une perception déployée; du côté de l'auditeur, à le doter, au moyen d'une pédagogie appropriée, d'une instruction convenable, pour le former comme "percepteur". D'où les notes de programme, les analyses où l'on désigne le "ce qu'il y a à entendre", les concerts-lecture où l'on instruit l'objet, l'identifiant par extraction de son contexte. Ce mode de pensée trouve là sa propre cohérence, son propre impact.Je ne songe pas à le déqualifier, seulement à le dépasser.

Une ultime image de Mandelstam pour introduire à cette autre modalité d'écoute que je tente de cerner: "La qualité de la poésie se définit par la rapidité et la vigueur avec lesquelles elle impose ses projets péremptoires à la nature inerte, purement quantitative du lexique. Il faut traverser à la course toute la largeur d'un fleuve encombré de jonques mobiles en tout sens: ainsi se constitue le sens du discours poétique. Ce n'est pas un itinéraire qu'on peut retracer en interrogeant les bateliers: ils ne vous diront ni comment ni pourquoi vous avez sauté de jonque en jonque".

L'écoute non-thématique serait la traversée d'une situation sonore, une traversée portée par le flux, rebondissant sur les objets, qui trace un itinéraire singulier dans l'oeuvre, qui produise une Forme de l'oeuvre en la recueillant, non en la totalisant, qui signe une trajectoire en inventant une vitesse spécifique pour parcourir l'oeuvre.

Dans ce mode d'écoute, l'audition se réfère certes aux objets mais ne s'établit pas dans leur identification, encore moins dans une identification à leur fonctionnalité. Il y a pour autant fonctionnalité de l'objet, sinon d'ailleurs il n'y aurait tout simplement pas d'objet mais seulement quelque "chose" d'incongru. Les objets ne sont pas des jonques à l'abandon, dérivant sans contrôle au gré d'une rêverie. Les objets sont disposés et leur fonctionnalité est ce qui compose la situation musicale, la tressant de lignes de force, lui donnant dynamisme, épaisseur et expressivité. La fonctionnalité en ce sens ordonne la perception. Ainsi l'écoute n'est pas l'ignorance d'une perception mais plutôt son travers.


Proposition 2: La partition inscrit une pensée en tant qu'elle est dialectique d'une écriture et de notations.

Il ne s'agit pas de revenir sur l'écriture comme structuration de la pensée compositionnelle et par là d'abandonner la partition aux seules notations. Il s'agit de penser la dialectique précédente comme ce qui inscrit la pensée musicale, tâche qui dépasse bien sûr le simple constat empirique de leur coexistence dans toute partition qui se respecte.

Il n'y a pas lieu à mon sens d'envisager une systématisation des notations comme il en existe une pour l'écriture. Ceci consisterait en vérité à applatir cette dialectique; tel est d'ailleurs le sens d'une certaine généralisation sérielle qui a voulu ordonner en séries les timbres instrumentaux, les attaques ou les intensités. Il n'y a donc pas lieu de poser une notation mais seulement des notations.

Cette dialectique d'une écriture et de notations inscrit la pensée musicale car elle inscrit, en scission, la durée musicale. Une notation, à bien y regarder, est le parti-pris d'inscrire une qualité particulière de temporalité sonore (un "timing" pourrait-on dire) qui ne peut s'écrire non par manque d'acuité de l'écriture -il suffirait alors de préciser celle-ci et l'ordinateur en donnerait aisément le moyen- mais parce qu'elle engage une capacité de synthèse, de continuité, qui ne peut qu'être désignée de l'extérieur par l'écriture. Il faut bien voir que tout son, tout timbre est producteur singulier de temporalité par la qualité propre de liaison qu'il introduit entre son profil d'attaque, le déroulement de sa résonance (éventuellement entretenue) et l'enveloppe de son extinction. En ce sens le déroulement temporel du timbre est un cycle dialectique complet où l'on identifie l'être particulier du son à sa modalité spécifique de devenir, de conversion de son être en son néant. Le timbre porte donc en soi cette qualité d'extase, cette durée de déroulement de l'être sonore, la durée d'un devenir singulier qui établit l'un du son.

Une notation est cette saisie (en bloc et de l'extérieur) qui n'autorise pas la construction d'un devenir mais se propose de l'inscrire comme tremblement de l'écriture. Jean-François Lyotard s'est fait le chantre de ces "nuances" que les notations se proposent d'inscrire. Il y voit les conditions d'une multiplication infinie des occurences, le plan de donation absolument dispersée de purs "il y a", où le timbre s'avèrerait cet "être qui ne se laisse compter", cette irréductible "présence sans présentation".

Je ne me tiendrai pas en cet éloge de la notation, de la nuance. La démarcation d'avec Lyotard devrait s'engager, selon moi, sur le statut de cette notation: je poserai que la notation, même si elle inscrit une diversité éminemment locale, peut avoir un statut global dans l'oeuvre. L'enjeu de la notation ainsi ne saurait se réduire à la nuance locale qu'elle inscrit mais s'établit plutôt dans la conception globale du temps musical qu'elle convoque. Cependant, à la différence de l'écriture, la notation acquerra sa portée d'ensemble non par la constitution d'un système qui totaliserait ses occurences mais seulement par une pensée qui compose ses interventions.

Je n'en appelle pas à une forme dispersée, aléatoire, indéterminée, où l'audition serait livrée à l'inconsistance même, comme dans ces expériences dérisoires de Cage. Si l'auditeur doit intervenir comme pensée active, cela ne peut avoir de sens que si l'oeuvre est elle-même organisée en proposition de pensée. Ce que j'appelle dialectique écriture-notations désigne alors que le cadre de pensée pour inscrire les notations, toutes locales et dispersées, ne peut être qu'un cadre global.


Proposition 3: Les rapports entre audition et partition ne se limitent pas à des rapports de représentation.

J'ai parlé à différentes reprises des rapports entre écriture et perception en indiquant que l'une représentait ce que l'autre présentait. On peut en effet inscrire le chiasme de deux rapports croisés: dans le premier, l'écriture représente le monde sonore ouvert à la perception, la structure, la découpe en parties qu'il va compter, par des lettres appropriées, comme ses propres unités. Qu'est-ce ainsi que les signes conjoints d'une noire et d'un "la" si ce n'est le compte délimité de 440 sinusoïdes en une seconde? Dans le second rapport, la perception opère non pas sur des éléments de l'écriture mais plutôt sur des figures (au sens banal du terme), c'est-à-dire sur des sous-ensembles. C'est en ce sens que j'ai pu dire que la figuration représentait l'écriture pour la perception.

Les rapports entre audition et partition ne peuvent plus se laisser penser entièrement dans ces catégories. S'il y a encore une logique de la représentation qui vaille, c'est plutôt en chaque terme séparément, à l'intérieur même de la partition d'un côté, à l'intérieur des opérations de l'audition de l'autre, mais non pas entre les deux termes. Ni l'audition n'est réductible à une représentation de la partition, ni la partition n'est concevable comme la représentation d'un résultat sonore. Ceci ouvre à la proposition suivante.


Proposition 4: L'interprétation n'a plus pour essence d'être la partition d'une partition.

J'emploie ici le mot partition en un double sens : la partition comme texte musical mais aussi la partition comme partage d'un ensemble en différentes parties. Seule la logique représentative définit l'interprétation comme partition d'une partition puisqu'il s'agit alors de partitionner le texte -c'est-à-dire de l'articuler- pour organiser une perception (et l'on sait que tout l'art interprétatif classique est nourri de ces problèmes d'articulation).

Ma thèse est qu'il faut dépasser cette ancienne conception pour dessiner le champ, encore problématique, d'une nouvelle interprétation. Thèse paradoxale: la musique contemporaine serait la chance de l'interprétation. Paradoxale car on sait bien que cette question: la musique contemporaine est-elle interprétable ou seulement exécutable? ne cesse de se poser. Sur ce point, le sérialisme, en tant qu'il est inscrit dans une problématique de la représentation, a prolongé l'ancienne logique de l'interprétation. Si ce fut sa grandeur, je pose cependant qu'il y a, là encore, une ligne à dépasser.

La difficulté de pensée est qu'il ne s'agit pas de céder sur la nécessité de l'interprétation et d'en revenir, comme le font les tenants de la musique spectrale, au seul exécutant. On remarquera d'abord que la question -en pensée- de l'interprétation excède celle, plus sociologique, des interprètes. Il y a ensuite cette difficulté qui tient à ce que l'interprétation, sauf à se renier, ne saurait abandonner ses anciennes contraintes: de totalisation (il faut tout jouer), de cohérence (il faut assurer une rigueur des parti-pris de l'exécutant), de répétition (une véritable interprétation suppose l'aptitude à la répéter), de torsion (il faut assumer une déformation entre partition et audition).

On peut nommer exécution le triple rapport au tout, à la répétition et à la cohérence. Dans ce cas, l'interprétation véritable nait avec la quatrième fonction: l'aptitude à la torsion lorsque, a minima, le résultat sonore présente des parties non délimitées au préalable dans la partition et, à l'inverse, ne distingue plus ce qui pouvait être, à l'oeil, clairement partitionné: la torsion est bien alors une partition de la partition. Si ces points n'ont, à mon sens, pas de raison d'être déqualifiés, la difficulté est de définir la qualité excédentaire permettant de les outrepasser. Si je ne sais encore ce que pourrait être ce nouvel art de l'interprétation, je tiens cependant qu'il y a en cette question une clé de l'avenir. Je poserai alors la proposition suivante:


Proposition 5: L'audition est une interprétation.

J'ai décrit précédemment l'activité de l'audition comme effectuation d'une contraction de l'oeuvre, d'une recollection partielle -non totalisante donc- mais cependant globale. Si je la désigne ici comme interprétation, c'est d'abord pour indiquer qu'elle ne saurait faire l'économie d'un rapport à la partition, au texte musical.

J'ai conscience de toucher là un point sensible, le point où l'auditeur se sent exclu car le plus souvent "il ne sait pas lire la musique". Il est vrai que cette société a cette tare particulière de répandre l'horreur du texte musical comme elle aime à le faire pour le texte mathématique. Je tiens qu'il n'y a pas sens à se soumettre à cette vision, ancrée dans la pratique étatique du solfège comme moyen de sélection des musiciens.

Soyons ici très clair: Je tiens qu'une oeuvre musicale s'adresse à tous, s'adressant à l'auditeur quelconque, et que son mode d'adresse est spécifiquement l'écoute. Je tiens donc qu'il y a sens à écouter une oeuvre et à seulement l'écouter, en toute innocence si j'ose dire. Je tiens enfin que la véritable audition ne se fait pas partition en mains mais en une attention toute tournée vers le phénomène sonore. Et cependant je tiens qu'il faut instaurer, pour l'auditeur même, un rapport au texte. C'est déjà celui, minimum, de la présence du texte sur les pupitres de la salle de concert qui indique bien à tout auditeur que texte il y a. J'avancerai qu'il faut plus que cela. Je ne dis pas qu'il faille que tout auditeur apprenne à lire et à écrire la musique, encore que cela ne soit pas si inconcevable qu'il n'y paraisse -ce fut d'ailleurs le cas en d'autres époques et cela est moins difficile qu'on ne le pense- mais qu'un auditeur devrait inventer son propre rapport au texte musical. Prendre connaissance d'une partition n'est pas une activité si inabordable qu'il n'y paraît; je ne dis pas: sa lecture détaillée, comme est amené à le faire un exécutant, mais une lecture qui vise à en relever les grandes catégories de pensée. Il y aurait là, j'en suis sûr, la source d'une qualité d'audition encore inconnue et cependant requise.

Présentons autrement ce point délicat. Il est un postulat absolu de l'art: l'oeuvre a capacité de saisir immédiatement n'importe qui et, dans le cas de la musique, de le faire par le seul médium de l'oreille; mais la question posée est celle-ci: dans quelles conditions ce moment de saisissement peut-il devenir un point de référence pour celui qui fût une fois saisi? La possibilité d'un accés au texte musical est requise dans l'après-coup de l'oeuvre, lorsque l'oeuvre a déjà été reçue et qu'il s'agit pour l'auditeur d'éprouver la mémoire qu'il en garde. Pour que ce temps de l'oeuvre puisse compter durablement, marquant l'auditeur au-delà du moment de sa présentation sonore, il n'y a pas d'autre voie que d'inscrire comme problème la disjonction entre un texte et le souvenir d'une incise saisissante et insaisissable, entre des lettres et un trou de mémoire. En ce point, le rapport à la partition est irremplaçable.

S'il doit y avoir pédagogie de l'audition, c'est à mon sens dans cette direction qu'il faudrait l'orienter: non plus une pédagogie tournée vers l'objet et la structure mais vers la partition et la situation musicale qu'elle propose. L'enjeu, comme je l'ai dit, est que l'audition devienne une interprétation. L'enjeu est que l'auditeur, venant écouter une oeuvre, se sente requis par la proposition d'une idée. Ceci implique, comme je l'ai déjà indiqué, que son mode d'écoute ne soit pas immédiatement prescrit, astreint par là à ressentir ce qui a été programmé sur la partition. On touche là aux conditions d'existence de l'idée musicale moderne.



18


L'idée musicale est un résultat. Ce n'est pas une donnée initiale de l'oeuvre, exposable comme tel. Ce n'est pas en particulier l'idée qui a guidé le projet compositionnel, qui l'a nourrie et à propos de laquelle Braque disait: "L'oeuvre est finie quand elle a effacé l'idée". L'idée que l'oeuvre propose n'est pas l'idée effacée de sa genèse qu'il faudrait désenfouir, conception ridicule de l'accès à l'idée conçu comme ésotérisme ou comme archéologie. L'idée sera plutôt ce qui tient l'oeuvre de l'intérieur et, s'il y a à sens à parler d'une oeuvre donnée, c'est que une idée la rend une.

La notion d'idée musicale avait dans l'ère tonale un sens local, un sens dont le paradigme était le thème lui-même puisqu'il était classiquement dénommé ainsi. Si le thème était l'idée, c'était en tant qu'il était vecteur de forme globale, en tant qu'il était ce qui allait être développé. Schoenberg a proposé le premier de donner un statut global à la catégorie d'idée musicale. Il écrivait ainsi en 1946: "Dans son acception la plus courante, idée est synonyme de thème, de mélodie, de phrase ou de motif. Mais à mon sens, c'est la totalité d'un morceau qui constitue une idée, l'idée que son auteur veut faire venir au jour"(_). Suivons cette voie, tout en nous écartant de la vision en totalité qu'affectionne Schoenberg pour adopter une vision en globalité de l'idée musicale.

On peut en trouver une image, lointaine et approximative, dans le concept mathématique de "développée": la développée est le lieu des centres de courbure d'une courbe donnée, en sorte que réciproquement cette courbe initiale en devient la développante. On dira alors: si l'enveloppe trace la forme, la développée trace l'idée. Tel est le cas dans certaines oeuvres classiques; songeons par exemple à celles dont l'engendrement procède, non d'une cellule ou d'un thème, mais d'une longue mélodie précomposée qui la traverse: ce champ premier, ce Cantus Firmus, est bien alors la développée de la situation quand son enveloppe serait plutôt constituée de ce que Schenker appelle l'"Urlinie" ou "ligne génératrice". Le couple enveloppe/développée est opératoire pour la musique tonale comme il le serait également pour certaines oeuvres sérielles: que l'on songe aux nombreuses compositions de Boulez construites sur un Cantus Firmus certes dissimulé ou absent mais dont le déploiement, l'ornementation et l'accidentation engendrent cependant toute l'oeuvre et régit la disposition en enveloppe.

Nous pourrions appeler idée, épousant en cela la définition qu'en donne Lautman, "le problème de la détermination de liaison à opérer entre notions distinctes d'une dialectique idéale". Si l'on prend l'histoire musicale depuis le 18ème siècle, on pourrait alors caractériser très simplement chaque époque par une idée principale, c'est-à-dire par une modalité particulière d'effectuation musicale de l'unité dialectique : la division pour la fugue, la résolution pour l'ère classique, la transition pour Wagner, le renversement (d'un terme en l'autre) pour le sérialisme. Mais aurait-on désigné ce faisant l'idée musicale de l'oeuvre ou n'aurait-on pas plutôt défini ainsi le cadre général d'un type d'enjeu musical? Somme toute n'aurait-on pas caractérisé un style plutôt qu'une idée?

Nous rappelant en ce point que pour Hegel "l'Idée est essentiellement concrète", qu'elle "est essentiellement processus", il nous faut lier, je crois, idée à développement et tenter de concevoir l'idée non comme le "ce qui est développé" mais comme le développement même. Ceci impose alors de penser un développement qui ne soit pas développement de quelque chose mais plutôt un développement où rien ne soit développé. Le mot français "développement" est ici facteur d'opacité quand le terme allemand "durchführung" nous indique plus clairement la voie: "l'action de conduire à travers", telle en est la traduction approximative. L'idée serait non "ce qui est conduit" mais plutôt "ce qui conduit à travers" la situation musicale proposée par l'oeuvre.

"Les mots sont l'aile des idées" disait Reverdy. Si la musique a bien ce pouvoir d'emportement de l'auditeur, l'enlevant sur l'aile de ses mélismes, le dirigeant par cette double rêne de l'enveloppe et de la développée, cependant la vision proprement moderne de l'idée musicale serait que l'idée est moins ce que l'oeuvre transporte que ce qui la traverse. Ceci implique alors de considérer que les parcours à tracer dans l'oeuvre ne sont pas "déjà" tracés, ne l'ont pas été au préalable. Ils n'ont pas été ensuite effacés ou dissimulés. S'il y a enveloppe et développée, ce doivent être seulement des constituants de l'oeuvre, qui la structurent en situation musicale, ce n'en sont pas l'idée. Celle-ci serait plutôt le passage à travers cette situation en sorte que s'il me fallait produire un couple dialectique, ce ne serait pas celui de Schoenberg: "le style et l'idée", ni celui de Boulez: "le système et l'idée", mais plutôt: "la situation et l'idée", couple où l'oeuvre est la situation même de l'idée.

Une idée, somme toute, ne se construit pas, comme le croyait encore les sériels. Elle n'en est pas abandonnée pour autant au pur aléa d'une imagination auditive. Une idée musicale est un travers des résonances musicales, un biais des assonances plutôt que leur consonance générale. "Une" idée, car il faut accepter qu'il n'y ait pas "L"'idée d'une oeuvre donnée pas plus qu'il n'y en a "La" Forme. Le point de vue selon lequel il y aurait la Forme d'une oeuvre donnée conçoit la Forme comme totalisation, comme ce qui fait tout de l'oeuvre en sorte que rien n'ait droit d'y échapper, de n'être saisi dans son étreinte.

Je tiendrai plutôt que la catégorie de Forme renvoie au principe de l'unité de l'oeuvre, non de son tout. Ce faisant la notion de Forme est à la fois globale et non totalisante; elle est ce qui, posant une unité, en autorise une multiplicité d'existences. L'idée musicale, de même, est à la fois partielle et globale; tracée par un sujet, elle est en retour ce qui l'inscrit dans la situation de l'oeuvre comme sujet à la fois délocalisé et non totalisé.

Idées plurielles, Formes multiples, ce "foisonnement" ne prescrit pas l'abandon des responsablités du compositeur qui s'en déchargerait sur l'interprète ou, pire encore, sur l'auditeur. Il n'y pas lieu de conclure, de cette multiplicité interne à l'oeuvre, au flou du projet compositionnel, à l'indéfini de la partition, à l'abandon de l'écriture. Tout au contraire: il ne saurait y avoir d'idée qui s'éprouve dans l'oeuvre si la situation musicale proposée à l'audition n'est forte et fermement conduite. Il ne saurait y avoir accès à l'idée, à une idée devrais-je dire, si l'esprit n'a pas été emporté par un flux, ravi par une extase, saisi par un instant; si l'oeuvre ne compose nulle temporalité fibrée, ne dispose nulle complexité savamment tressée, n'expose nulle question à l'auditeur, si l'oeuvre en fin de compte ne résiste pas à l'audition, comment celle-ci saurait-elle la traverser?

En ce sens, la pluralité des parcours traversés relève d'une composition; ce ne saurait être l'effet d'une vague ambiguïté, d'une polysémie paresseuse; c'est nécessairement la ressource d'un obstacle minutieusement trâmé qui requiert l'auditeur, non pour qu'il découvre par lui-même quelque parcours discrètement fléché mais plutôt qu'il plisse le temps chronométrique de l'oeuvre par la temporalité singulière d'une trajectoire. Là où advient ce froissement, une idée, peut-être, sera venue s'étendre, laissant l'empreinte d'une durée saisissante, d'un moment insaisissable, d'une pincée de musique.



19


M'adressant à des amis, et dans l'espoir que l'oeuvre musicale saura requerrir bien autrement que le discours, j'inviterai chacun de vous, le vendredi 20 mai prochain(_), à devenir, pour un soir, un auditeur.



_. "Relevés d'apprenti" p.149,379

_. "Penser la musique aujourd'hui" p.31

_. Cité par D.Jameux ("Boulez" Ed.Fayard.:p.188,206)

_. "Points de repère" p.452

_. Revue "Critique" numéro 408 (Mai 1981); p.451

_. "Penser la musique aujourd'hui" p.35

_. id. p.43

_. Revue "Inharmoniques" numéro 1 (Décembre 1986)

_. "Relevés d'apprenti" p.297

_. "Penser la musique aujourd'hui" p.120

_. "Le style et l'idée" p.216

_. id. p.215

_. id. p.217

_. "Relevés d'apprenti" p.372

_. "Traité des objets musicaux" p.20,615

_. id. p.24

_. id. p.133

_. id. p.305

_. id. p.33

_. id. p.277

_. id. p.579

_. id. p.375

_. "Relevés d'apprenti" p.285

_. id. p.286

_. "Penser la musique aujourd'hui" p.45

_. id. p.42

_. id. p.45

_. id. p.62

_. "Le système et l'idée" p.98

_. "Penser la musique aujourd'hui" p.42

_. id. p.19,72,110

_. "Le système et l'idée" p.100

_. id. p.101

_. id. p.102

_. "Penser la musique aujourd'hui" p.48

_. id. p.79

_. id. p.156

_. id. p.92

_. id. p.87,96,98,106...

_. id. p.96,156

_. "Le système et l'idée" p.92-93

_. id. p.90

_. id. p.100

_. Cité dans le "Traité des objets musicaux" p.619

_. "Le système et l'idée" p.87

_. "Quasi una fantasia" p.315

_. Contrechamps numéro 8 (Février 1988) p.96

_. id. p.89

_. Entretemps numéro 3 (Février 1987) p.132

_. id. p.129

_. Contrechamps p.89

_. id. p.96

_. id. p.25

_. Cf "Penser la musique aujourd'hui" p.152 et "Relevés d'apprenti" p.281

_. "Quasi una fantasia" p.294

_. id. p.294

_. "Le style et l'idée" p.101

_. Création de Ligne d'ombre par le Groupe Instrumental de Paris, direction Annick Minck.