François NICOLAS

[ Catalogue | Bibliographie ]



Musique et ordinateur : quelques questions



* Si l'usage de l'ordinateur affecte un bon nombre de pratiques musicales, ce phénomène relève-t-il pour autant ipso facto d'un événement musical?

- Si tel est le cas, qu'y a-t-il ici en jeu? Comment selon vous l'ordinateur modifie-t-il la pensée musicale contemporaine?

- Sinon, de quel ordre relève ce phénomène? Ressort-il uniquement d'une innovation technique?


* Considérez-vous qu'il y ait aujourd'hui un moment singulier de la pensée musicale? Comment le circonscririez-vous? Ce moment serait-il lié à quelque particularité du travail sur ordinateur?


* Considérez-vous l'ordinateur comme un instrument (de musique), comme un orchestre (un ensemble d'instruments, un orgue..), comme une machine, comme un outil...? En matière de musique, ces catégories vous paraissent-elles équivaloir?


* Comment réfléchissez-vous la contradiction apparente entre la volonté contemporaine de créer un continuum sonore - en particulier un continuum entre les timbres, par-delà les discontinuités entre instruments de musique - et la pratique de l'ordinateur qui procède exclusivement d'un codage discret et fini?

Si désir de continuité musicale il y a (pensez-vous qu'il y en ait un? Le ressentez-vous?), dans quelle mesure l'ordinateur est-il apte à le satisfaire, comme à satisfaire les désirs d'unité, de fusion et de prolongement (prolonger un motif, une harmonie ou un timbre en un(e) autre)?

La continuité, notion souvent invoquée dans le discours musical contemporain, est-elle pour vous un concept abstrait, une idée musicale ou relève-t-elle d'une réalité sensible?


* Est-il vrai que l'ordinateur permette une dialectique plus fine entre l'organisation musicale et le matériau sonore et, plus encore, qu'il autorise de les penser en continuité?


* Est-il légitime de parler de "composition" à propos du travail informatique d'organisation sonore? On avance souvent l'idée que l'ordinateur permettrait d'étendre l'activité compositionnelle au son lui-même. Mais n'y a-t-il pas abus de langage à user du même mot pour désigner d'un côté le travail musical traditionnel - écriture d'une partition - et de l'autre le travail de synthèse sonore sur ordinateur? "Composition du son" et "composition musicale" sont-elles pour vous équivalentes ou, tout du moins, rapprochables?


* Tenez-vous que le codage auquel procède l'ordinateur fournit un cadre moderne pour l'écriture musicale?

Si l'on tient que l'écriture musicale traditionnelle procède de la lettre quand l'ordinateur procède du numérique, y a-t-il pour vous quelque sens en cette différence de la lettre et du nombre? Considérez-vous que les distinctions traditionnelles entre écriture, notations et tablature ont quelque signification en matière d'informatique musicale?


* Considérez-vous que l'ordinateur a conduit - ou devrait conduire - à un renouvellement de l'idée de Forme musicale ou, tout au moins, à l'émergence de nouvelles Formes?


* Pensez-vous que les contraintes et choix techniques - que l'on trouve au fondement de tel ou tel langage et programme informatiques - puissent imposer des parti-pris esthétiques, en particulier pour l'utilisateur naïf?

Que pensez-vous des exemples suivants où des choix esthétiques semblent s'imposer subrepticement, sous couvert de contraintes techniques présentées comme indépassables :

- la résonance est souvent mise en avant comme dimension privilégiée de la pensée musicale moderne ; cette position ne serait-elle pas la conséquence du fait que la synthèse sonore tend à hypertrophier la partie résonante du son puisque c'est là, pour l'ordinateur, sa dimension la plus aisément manipulable (à l'inverse des parties transitoires du son)?

- la catégorie de spectre, mise en avant comme nouvelle idée compositionnelle, ne peut-elle être aussi comprise comme l'effet de limitations techniques qui tiennent à un état daté de la synthèse sonore (synthèse additive en particulier)?

- La prolifération des séquenceurs - adossée à la technique d'échantillonnage - n'incite-t-elle pas, plus ou moins directement, à une généralisation du thématisme : par la manipulation des objets (sonores ou musicaux) qu'elle facilite?


* Les présupposés implicites de certaines techniques informatiques ont-elles pour vous une quelconque importance ou les prenez-vous pour de simples contingences, sans signification et conséquence musicales?

Que pensez-vous sur ce plan du lambda-calcul et de l'importance qu'il confère à l'être fonctionnel?

Les orientations différentes de tel ou tel langage informatique (procédure : C, PASCAL... ; fonction : LISP... ; relation : PROLOG...) ont-elles pour vous d'autres portées que strictement pragmatiques?


* Pensez-vous qu'il convienne de poser une délimitation entre science et technique, ou considérez-vous qu'il y a, entre ces deux domaines, un continuum? L'ordinateur contribue-t-il à soutenir telle ou telle position?


* Considérez-vous qu'il y ait une corrélation directe entre science et musique, corrélation dont l'ordinateur serait le héraut? Si tel est le cas, s'agit-il d'appliquer à la musique des découvertes scientifiques et techniques ou bien est-il envisageable de circuler également dans l'autre sens : en irriguant les sciences de catégories musicales?


* Si l'on a découvert, avec l'ordinateur, que l'on pouvait manipuler l'intérieur du son - cet intérieur que la pensée scientifique analyse depuis le XIX· siècle -, considérez-vous qu'il y a désormais un atome privilégié du son (l'échantillon, le sinus, le mode, le grain, l'ondelette, le phonème...) permettant de construire les sonorités par pluralisation de cet "un" primitif et conduisant ainsi à traiter le son comme matière homogène? Considérez-vous, au contraire, qu'il n'est de son musicalement significatif qu'hétérogène, qu'envisagé comme multiple sans un?


* Quelles sont, pour la pensée musicale, les conséquences du caractère fini de toute opération informatique? Y a-t-il là pour vous un problème, le germe d'une contradiction avec cette dimension qu'on pourrait dire infinie de toute réalisation musicale? En particulier si l'on considère que le timbre musical se caractérise par le nombre infini de ses dimensions, à quels choix est contrainte toute approche - finitiste - du timbre fondée sur l'ordinateur?


* Dahlhaus posait: "La musique sérielle fut la condition essentielle de la musique électronique".

L'énoncé de Dalhaus retourne l'ordre des raisons entre musique et technique : loin de considérer que la musique serait commandée par des choix techniques inaperçus du musicien, il conduit au contraire à penser que le musicien peut sélectionner, selon ses partis-pris musicaux, dans ce que lui offre son temps.

Existe-t-il selon vous une "condition essentielle" de la musique avec ordinateur? Si oui, serait-ce, là aussi, le sérialisme? Serait-ce une extension du thématisme?


* Considérez-vous que la corrélation souvent prônée entre travail musical sur ordinateur et développement de la psycho-acoustique aille de soi? Que pensez-vous de l'importance aujourd'hui attachée à la catégorie de perception? Considérer l'audition musicale comme une perception est-il pour vous une chose "naturelle" ou cela vous apparaît-il comme un choix, comme une orientation particulière de la pensée musicale? Dans ce cas, comment le motiveriez-vous?


* L'ordinateur contribue à découpler le timbre d'une origine instrumentale. Ceci a des conséquences sur la pensée du timbre mais également sur la conception de l'instrument moderne. Considérez-vous que le déni du corps auquel procède l'ordinateur est désormais définitif?.Y a-t-il sens selon vous à tenter de donner place au geste corporel du musicien dans le travail sur ordinateur ?

François Nicolas

*

Ce questionnaire avait été envoyé en Décembre 1990 à quelques personnes, sollicitées pour ce numéro d'EntreTemps.

Autour de questions de cet ordre et d'autres encore, un groupe de travail s'est constitué en Janvier 1992 ; on en trouvera ci-joint la proposition inaugurale. Pour toute participation, contacter l'un des organisateurs.

 

"CALCUL ET PENSEE MUSICALE"

(Groupe de travail organisé par Michel Cadennes, Francis Courtot et François Nicolas)


Le groupe de travail se réunit tous les mois (le Jeudi de 18 à 20 heures) à Jussieu (Paris VI).

Séances prévues :


* Histoire du concept mathématique de fonction (du XVII· au XX· siècles) : ses rapports avec la catégorie de fonction telle qu'elle opère dans le champ musical.

* L'instance comparée de la lettre en musique et en mathématiques
On partira des propositions de notations musicales avancées par :
- J.J.Rousseau :"Projet concernant les nouveaux signes sur la musique" et "Dissertation sur la musique moderne" (1742)
- A.Schoenberg : "Une nouvelle notation à douze sons" (1924)

* Qu'est-ce que la méta-connaissance dans la musique?

* Calcul parallèle et polyphonie

* Lambda-calcul et modèle fonctionnel: déploiement dans la musique
On partira d'exposés sur les ouvrages suivants :
- R.Lallement : "Logique, résolution, réduction" (Masson)
- J.L.Krivine : "Lambda-calcul: types et modèles" (Masson)
- L.Lambek & P.J.Scott : "Introduction to higher order categorial logic" (Cambridge University Press)
- H.P.Barendregt : "The lambda calculus" (North-Holland)

* L'incertain dans les calculs musicaux

* Pour une formalisation de la logique musicale
On examinera, en préambule, les logiques dialectiques de Dubarle, Rogowski et Lupasco.

* Les contraintes : pour sortir enfin des déductions bouléziennes?

* Qui est le compositeur? ou: le statut de l'informatique dans la création musicale.
On partira des travaux de Daniel Dennett, Hubert Dreyfus

* Nombres surréels, timbres musicaux et spectres acoustiques.
À partir des livres suivants :
- H.Gonshor : "An introduction to the theory of surreal numbers" (Cambridge University Press 1986)
- A.Badiou : "Le Nombre et les nombres" (Seuil 1990)

* Calcul, structuration ou formalisation?

* Y a-t-il un statut calculable des "nuances" musicales?

* Est-il possible de formaliser par induction l'évolution des styles musicaux?