François NICOLAS

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L'ANALYSE MUSICALE DU CONCERT : QUELLES CATÉGORIES ?

 

Séminaire Enjeux, fonctions et modalités du concert : Aujourd'hui, Hier

EHESS, samedi 7 novembre 1998

 

François Nicolas

 

Je traiterai ici du concert sous un angle musical et me demanderai : à quelles conditions un concert est-il vraiment un concert, ce qui suppose un déplacement de l'accent dans le syntagme ici répété " un concert ", équivalent à celui de Leibniz, quand il posait qu'un être doit être un être.

Je pose donc, liminairement, qu'un concert, pour exister, doit être un concert c'est-à-dire avoir la consistance d'une unité. Empiriquement, cette unité du concert se donne comme unité de temps (une durée d'écoute continue - d'une à trois heures - sans autres interruptions que celles des entractes), de lieu (une même salle) et d'action (un même ensemble d'interprètes ayant concerté leur action). Mais cette unité empirique ne suffit pas à faire une unité musicale. Cette unité empirique est en effet réunie à chaque concert mais l'unité musicale, elle, ne l'est pas, si bien qu'il s'avère que, comme le disait l'écrivain et critique musical averti Georges-Bernard Shaw : " un concert est rare ".

Je présupposerai non seulement qu'il y a des concerts (au sens fort que je donne ici à ce mot) mais qu'il faut qu'il y ait des concerts. Il faut veut dire : il est musicalement nécessaire qu'il y ait des concerts, c'est-à-dire des lieux musicaux où différentes oeuvres entrent en rapport sensible (audible) entre elles, et composent ce que j'appellerai alors un entre-oeuvres. Je pose que l'oeuvre musicale a vocation à entrer en rapport avec d'autres oeuvres, et non pas à s'enfermer dans sa finitude. L'oeuvre a cette vocation à mesure du fait qu'elle est intérieurement divisée, fendue, ouverte par le rapport qu'elle entretient à la musique, rapport intérieur, rapport d'introjection, rapport que j'aime à nommer, en empruntant au poète anglais Gerard Manley Hopkins sa catégorie d'instress, comme intension de l'oeuvre.

Je ne vais pas m'étendre sur tous ces points, plus généralement sur l'ensemble des axiomes qui me permettent de tenir pour un théorème (pour un énoncé démontrable) l'énoncé suivant : " Un concert est rare à mesure du fait qu'un concert doit inventer sa manière propre d'être un ". Je renverrai ceux qu'intéresseraient mon axiomatique sous-jacente au volume collectif Les enjeux du concert de musique contemporaine et en particulier à mon texte introductif dont je vous distribue un exemplaire (à lire plus tard).

Je me demanderai aujourd'hui, dans le fil de ces préoccupations, comment un concert fait-il ou non un ? Je me situerai aujourd'hui non pas comme producteur de concert, ou comme directeur artistique programmant une série de concerts, mais comme auditeur qui se demande, après avoir entendu un concert : Y a-t-il bien eu ce soir un concert, par-delà l'empiricité de la représentation à laquelle j'ai assisté ?

Il s'agit donc de voir comment il est possible d'analyser après coup un concert, selon une analyse non pas uniquement descriptive mais aussi normative, et prescriptive, c'est-à-dire tendue par les questions suivantes : ce concert en était-il vraiment un ? Comment a-t-il ou non assuré son unité ? Que s'est-il vraiment passé dans ce concert, par-delà le simple cortège d'oeuvres auquel il a dans tous les cas donné lieu ? Que s'est-il ou non passé entre les oeuvres ?

Je me demanderai donc : comment analyser cela, et quelles catégories mobiliser pour ce faire ?

Ma méthode sera simple : je vais vous présenter une petite dizaine de concerts auxquels j'ai assisté choisis dans une période ramassée (septembre 1995 à mars 1996) et un peu lointaine (ce qui permet un filtrage de la mémoire vers l'essentiel), concerts qui m'ont paru marquants soit positivement (par la conviction qu'il s'agissait bien de concerts), soit négativement (par leur échec à se constituer en concert). Je vais donc procéder devant vous inductivement : présentant un matériau expérimental pour tenter, à partir de là, de dégager quelques catégories pertinentes pour l'analyse du concert.

 

Quelques précisions liminaires

* Il s'agira là d'une analyse rétroactive, après le concert. Elle ne saurait être normative pour des concerts à venir. L'unité d'un concert ne relève pas stricto sensu de son seul programme mais engage avant tout la nature de l'interprétation. L'unité d'un concert relève d'un projet musical assumé par des musiciens interprètes. Un concert qui a réussi, en raison d'un programme bien composé, n'est nullement garanti de pouvoir de ce seul fait se répéter. Aujourd'hui, je vous parlerai de programmes joués dans des circonstances particulières. Je pourrai vous restituer le programme, non pas les interprétations particulières qui ont composé l'unité concrète du concert ou qui, au contraire, ont échoué à la constituer.

* L'analyse de concert est une branche de l'analyse musicale encore inexistante. Je le déplore et considère qu'il y a là un champ de déploiement nécessaire, encore vierge d'investigation (appel à tout étudiant !). Il y a un siècle, l'analyse musicale des oeuvres restait encore rudimentaire. Il a fallu beaucoup d'effort pour la constituer. L'analyse des interprétations d'une oeuvre reste de nos jours embryonnaire. Je ne doute pas que le prochain siècle verra le déploiement de cette nouvelle discipline de pensée que j'appelle de mes voeux : l'analyse musicale de concert.

* De manière générale, je ne suis pas tenant de la méthode d'exposition inductive. Il me faut cependant ici y recourir. Les catégories nécessaires ne sauraient être ici liminaires. Ce ne seront pas des déductions mais des généralisations induites.

* Il ne s'agit pour moi nullement de procéder à une sorte de critique musicale des concerts dont je vais vous parler.

Ultimement, je tiens que la critique de jugement (celle des journaux, dont il est aujourd'hui d'usage de se plaindre qu'elle n'existe plus) est en vérité dépourvue d'intérêt musical, sauf peut-être quand elle émane de quelqu'un qui n'est pas musicien car la critique peut être alors l'indice d'une mise en rapport de champs disjoints de la pensée. C'était, par exemple, le cas des critiques de peinture par Baudelaire dont on discerne bien qu'elles s'alimentaient à sa vision romantique de la correspondance entre les arts . C'est aussi le cas de critiques venant de personnes engagées dans d'autres intellectualités (philosophique par exemple).

En fait, la vraie critique d'une oeuvre musicale doit se faire par une autre oeuvre musicale, non par un discours. Et c'est bien d'ailleurs à ce type de critique - celle que se font les oeuvres entre elles - que servent les concerts (comme je vais tenter de le montrer aujourd'hui).

Je n'en appelle donc pas ici d'une vraie critique. La seule chose que je puisse relever, c'est que la quasi totalité des critiques de presse d'un concert ne parlent pas, en fait, de leur supposé objet c'est-à-dire du concert comme tel mais critiquent simplement les oeuvres qui l'ont composé. Faiblesse insigne du jugement...

Il ne s'agira donc pas ici pour moi de critique mais d'analyse.

* Je parlerai de concerts de musique contemporaine. Je crois en effet que ce sont ces types de concerts qui ont aujourd'hui le plus d'enjeux de pensée et qui sont donc susceptibles d'éclairer ce qui se joue en la forme musicale du concert.

* Mon objet est ici le concert. Je ne prétends pas pour autant qu'il soit toujours et partout nécessaire. En particulier je tiens qu'il y a place pour des ateliers présentant des oeuvres sans trop se soucier de leur rapprochement, des ateliers-concerts faits d'une collection d'oeuvres sans rapport sensible entre elles. J'explore simplement cette forme particulière qu'est le concert pour tenter d'en discerner la puissance propre.

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Ceci posé, entrons dans le vif du sujet. Je vous distribue quelques programmes de concerts, 9 en l'occurrence. J'ai exclu volontairement les concerts où certaines de mes oeuvres avaient été jouées : je ne pense qu'un compositeur soit bon juge du programme d'un concert lorsqu'une de ses oeuvres y est donnée ; il l'écoute alors de manière trop égocentrique...

 

Je vais brièvement présenter chacun de ces 9 concerts en commentant à chaque fois ce qui m'est apparu significatif quant à l'existence ou non d'une unité de type concert entre les oeuvres présentées dans ce cadre.

Je tenterai, in fine, une synthèse de ce panorama.

 

I

Le premier concert avait pour particularité d'être mis sous le signe d'un titre : Allemagne 1946 ----> soit l'Allemagne à partir de 1946. Ce concert était donné en février 1996 à la Cité de la Musique. L'EIC était dirigé par son chef David Robertson.

On doit remarquer que ce concert était précédé d'une rencontre sur Bernd-Aloïs Zimmermann où David Robertson développait la thèse que l'après-guerre aurait été structuraliste à mesure de son opposition au " sans mesure ", à l'excès qui aurait été selon lui au coeur du nazisme. Je ne trouve pas, pour ma part, que cette thèse vaille grand-chose : on pourrait tout aussi bien dire que le nazisme fut une logique d'ordre plutôt que d'excès, qu'il eut autant d'accointances avec le constructivisme qu'avec l'expressionnisme, et qu'en musique le " structuralisme " de l'après-guerre relevait d'un constructivisme bien antérieur. Bref, la vision de l'Allemagne proposée dans cette rencontre me semble pour le moins superficielle. Et pourtant le concert a bien fonctionné sous ce label, livrant en particulier quelque chose qui avait effectivement à voir avec la question de la musique dans l'Allemagne de l'après-guerre.

Pour expliciter ce point, il me faut brièvement présenter chacune des oeuvres du programme. En effet un concert se présente toujours comme une succession d'oeuvres et son éventuelle unité n'est appréhendable qu'en traversant ce cortège.

* Métamorphose est une oeuvre de B.-A. Zimmermann qui sert de musique pour un film  datant de 1954. Dans ce concert, le film était projeté en même temps que l'oeuvre musicale. C'est une musique très statique, fonctionnant par séquences homogènes et linéaires qui contrastaient fortement avec les images projetées, lesquelles étaient d'une grande inconstance. Mon impression était que ces images cinématographiques ne savaient composer un film si bien que l'accumulation des sensations auditives et visuelles, loin de composer une surabondance sensible, délivrait le sentiment d'un dérangement, d'un non-rapport.

L'oeuvre suivante de Zimmermann, Stille und Umkehr, était composée d'esquisses pour orchestre datant de 1970. Je dois avouer n'avoir gardé de cette oeuvre que le souvenir d'un long ennui autour d'un ré (note fétiche de Zimmermann).

* Le concert se continuait par une oeuvre de Wolfgang Rihm, Abschiedsstücke (n° 1 & 3), composée sur des poèmes de Wolf Wondratschek.

Le texte poétique relevait d'un expressionnisme un peu dépassé , et sa violence m'a semblé plus empruntée qu'effective. La musique était habile, illustrative du texte, remarquablement servie par l'abattage vocal de Françoise Pollet, musique nostalgique d'élans inactivables. Au total, l'oeuvre ne m'a pas semblé constituer une proposition musicalement majeure.

* Le concert se terminait par la Musique pour les soupers du roi Ubu composée par Zimmermann en 1966.

Cette oeuvre bien connue de Zimmermann est un maelström de citations composant une grande foire assez plaisante, telle une fête foraine de la musique, offrant l'image d'un monde désaccordé, disloqué, d'une ronde folle matinée de danse macabre. Un kaléidoscope infernal, telles des boîtes à musique qui s'enflammeraient et offriraient le mélange désordonné d'ingrédients éparpillés. Tout ceci est assez remarquablement composé en une superposition discordante mais bien ajustée qui se conclut par un cataclysme militarisé (5 percussionnistes assénant à pleins bras un martèlement uniforme).

David Robertson avait choisi, ce soir-là, de majorer la dimension de cabaret de cette oeuvre : il faisait prononcer les titres des pièces par les musiciens, et rajoutait un jeu de scène, un peu ridicule et potache, où un appariteur venait expulser le tubiste Gérard Buquet.

 

À examiner ce concert, la première chose pour moi frappante était le parti pris de conclure par la Musique pour les soupers du roi Ubu là où il me semble plus judicieux de commencer par elle, comme j'avais eu l'occasion de l'entendre dans un concert précédent du festival Musica (voir programme IV). Disons qu'une telle oeuvre est suffisamment singulière pour qu'elle impose de commencer ou de finir par elle. Conclure par elle, comme l'a fait ce soir-là Robertson, tend à drainer toute l'énergie musicale du concert autour d'elle, à la constituer comme clef rétroactive du concert, paradoxalement à donner le ton du concert, à accorder donc les oeuvres à partir de la dernière d'entre elles plutôt que de la première.

Ceci donnait du poids au parti pris interprétatif choisi pour la dernière oeuvre, parti pris qui privilégiait la tradition, si présente en Allemagne, du cabaret plutôt que la sensation d'angoisse et de gravité, très présente aussi dans cette oeuvre, devant la cacophonie d'un pays débouchant sur le militarisme. Ce concert proposait somme toute une vision musicalement concevable de l'Allemagne et trouvait là son propre principe d'unité : une Allemagne musicale faite de nostalgie d'une grandeur inaccessible en raison des risques de brutalité qu'elle porte en son sein, une Allemagne tournée vers l'emballement des fêtes foraines et les turbulences non coordonnées.

Ce concert composait donc son unité propre en soutenant quelque chose de l'Allemagne de l'après-guerre, et cette unité transcendait la faiblesse interne de telle ou telle de ses composantes (en l'occurrence, pour moi, la deuxième oeuvre de Zimmermann).

Ce qui m'intéresse, dans le mouvement propre de ce concert, dans sa dynamique d'unité propre, c'est alors :

- d'une part que le concert s'éclairait de sa fin, en une dynamique rétroactive ;

-  d'autre part que chaque oeuvre avait rapport à un signifiant commun (ici l'Allemagne de l'après-guerre).

D'où un double schème possible pour dessiner la dynamique de ce concert :

et

J'introduis ici ce que j'appellerai dans la suite le diagramme catégoriel du concert .

Chaque numéro désigne ici une oeuvre, chaque flèche inscrit des rapports orientés entre les oeuvres.

On verra qu'un concert est un à mesure de ce qu'il est possible d'y relier toutes les oeuvres qui le composent (ici les 4 oeuvres sont bien origine ou cible de flèches)

 

Je vais traiter plus rapidement des autres concerts, en allant droit à mes conclusions d'analyse.

 

II

Le deuxième concert constitue selon moi l'envers négatif du précédent. Présenté sous le signe de l'Italie (signe distinctif pour tout le festival Musica de l'automne 1995), ce concert était unifié par une formation instrumentale unique : le quatuor à cordes. Quatre quatuors composés par quatre compositeurs italiens différents y étaient interprétés :

- Le premier, de Donatoni, a une forme en panneaux, comme à l'habitude chez ce compositeur, mais qui n'atteint cependant pas la logique des moment-form, faute de profil propre à chaque partie. L'idée principale du quatuor semblait celle-ci : concevoir les quatre instruments comme un seul méta-instrument à cordes, comme si les quatre cordes de ce méta-instrument correspondaient aux quatre pupitres du quatuor traditionnel.

- Le quatuor de Maderna était d'allure très webernienne : une dentelle très fine, sans effets, mais soutenant difficilement l'attention durant la durée impartie.

- Le troisième quatuor de Francesconi enchaînait de manière assez hétérogène des situations énergétiquement très contrastées.

- Pour finir le quatuor ultime de Nono : oeuvre aphasique, trouée de silences stériles et de bouffées d'expressivité nostalgique signifiées par de brèves incursions diatoniques... oeuvre à mon sens de l'impuissance et de l'échec et qu'il n'y a guère de sens à indexer d'une quelconque mystique sauf à confondre ennui et extase.

Ces brèves indications évoquent en quelques traits la personnalité de chaque oeuvre. Au total, le concert ne faisait rien entendre entre les oeuvres, à mesure sans doute du fait que le thème retenu (l'Italie) était ici inconsistant, sans doute d'ailleurs parce que l'hypothèse de quelque chose comme une musique contemporaine italienne me semble une hypothèse inconsistante. Vieux débat : de ce qu'existe une musique allemande, doit-on ipso facto inférer l'existence d'autres musiques nationales : française, italienne, russe... ? Cela ne va nullement de soi, s'il est vrai que la musique dite allemande existe en raison d'une catégorie universelle qu'elle a apportée à la musique : la catégorie de développement, ou de Durchführung et que cet apport n'a nul équivalent (ni le timbre et la sonorité pour la musique prétendue française, ni le bel canto pour la musique dite italienne...).

Bref, les oeuvres de ce concert n'étaient pas reliées entre elles, n'entraient pas en rapport à mesure du fait qu'on présupposait leur rapport commun à une catégorie inexistante. Ou encore : chaque oeuvre tentait en vain d'être rapportée à un centre inexistant qui ne lui renvoyait rien. Par ailleurs, aucun quatuor de ce concert n'en éclairait un autre (par exemple le principe donatonien d'un méta-instrument ne rejaillissait guère sur l'écoute des trois autres quatuors, à mesure sans doute du fait que le quatuor de Donatoni ne savait lui-même donner à ce principe de véritable consistance sensible).

On se trouve donc ici avec une variante du second schéma catégoriel du concert précédent : celle où le centre visé est un néant. Je représenterai cela ainsi :

Bref, ce concert n'en était pas un. On voit que ceci se retrouve dans notre diagramme catégoriel selon une caractéristique formelle : l'inexistence d'oeuvres-cibles.

 

III

Le concert suivant, un récital de piano par Pierre-Laurent Aymard, constitue un démenti probant du concert précédent. Composé de deux oeuvres contemporaines (de Dallapiccola et Marco Stroppa) enchâssant une oeuvre classique (5 sonates de Scarlatti), ce récital constitue un archétype du concert réussi de musique contemporaine. Cet exemple me semble d'autant plus probant que je dois énoncer mes réserves personnelles concernant les deux oeuvres contemporaines qui le composaient. L'oeuvre retenue de Dallapiccola est une oeuvre didactique, plaisante parfois, mais plutôt académique dans ce contexte. L'oeuvre de Marco Stroppa (une création partielle) est joliment variée mais d'esprit impressionniste, et donc tournée vers ses effets.

Ce qui était tout à fait frappant dans ce récital tenait au fait que le concert a pivoté autour de son centre géographique, s'entend des sonates de Scarlatti. Ceci ne tenait pas tant à la particularité de ces sonates qu'au fait qu'elles se trouvaient éclairées par le contexte de musique contemporaine dans lequel elles se trouvaient immergées. Pour caractériser cela en quelques mots, je dirai que le thématisme de Scarlatti semblait ici être devenu abstrait (il fonctionnait comme pur objet sonore et non pas comme figurant une position de sujet réflexif et conscient de soi...) ; ce travail thématique sonnait ainsi étonnamment " moderne " en raison de la neutralisation de son matériau. Pour donner un exemple pictural, c'est un peu comme dans certaines toiles figuratives lorsqu'on perçoit soudain l'abstraction de tel pan de couleurs, de tel assemblage d'à-plats. On entendait ce jour-là chez Scarlatti un travail du timbre (au sens moderne de cette catégorie, par exemple chez Ligeti) fait de motricité et d'énergie sonore. À rebours, ce qui était ainsi entendu de Scarlatti (une motricité produisant un timbre) s'avérait se prolonger dans l'oeuvre de Stroppa et indiquait ainsi comment une ancienne idée pouvait être reprise dans un nouveau contexte, pouvait renaître et être réactualisée.

Ce concert, apparemment placé comme tous les autres sous le signe de l'Italie, devenait alors un concert à mesure non pas de son thème préétabli mais du choix interprétatif retenu par le pianiste et tressant, sur d'autres bases que l'hypothèse futile d'une musique italienne, l'unité de ces trois oeuvres.

Ce concert est intéressant car il montre bien l'intérêt de plonger une oeuvre classique dans un contexte contemporain. Ceci en un sens éclaire plus la logique classique que ceci n'apprend sur la logique contemporaine. On verra, dans le concert VIII un exemple contraire où cette fois l'inscription du deuxième quatuor de Bartok dans un contexte contemporain en révélait les faiblesses plutôt que la puissance.

Je figurerai ainsi le diagramme catégoriel de ce concert :

On a dans ce diagramme deux oeuvres-cibles et trois oeuvres-origines.

 

IV

Je passerai plus rapidement sur le quatrième concert retenu : il constitue l'envers négatif du précédent. L'oeuvre centrale (celle de Tanguy) était d'une indigence consternante, d'une grossièreté affligeante, indigne de figurer entre deux oeuvres d'un compositeur aussi authentiquement musical que Bernd-Aloïs Zimmermann. Lors même que l'idée de commencer un concert par la Musique pour les soupers du roi Ubu était intéressante (voir, à l'inverse, le concert I) et que l'oeuvre conclusive (l'Action ecclésiastique du même Zimmermann) était d'une intensité extrême (musique de l'effondrement sur soi, dans un tonnerre de violence angoissée), tout ceci était absurdement barré par l'exhibition grotesque du concerto d'Éric Tanguy, par l'emphase grandiloquente de son violoncelle, par la pâte ridicule de sa déclamation, la main sur le coeur pour épater le gogo...

Bref le concert était irrémédiablement disloqué. D'o un diagramme où rien ne se noue, chaque flèche manquant sa cible et l'oeuvre centrale n'en étant pas une, mais restant une pièce de musique enfermée dans un pathos convenu et même pas convenable.

 

Continuons notre parcours.

 

V et VI

Il s'agit là de deux concerts, du même ensemble (l'ensemble Fa), sous la même direction (celle de Dominique My), dans un laps de temps très rapproché (un mois d'écart) et dont les programmes sont d'esprit proche. Je vous les présente ici car le premier fut à mon sens un succès inattendu, et le second un échec non moins inattendu : j'attendais plutôt le résultat inverse, le premier programme me semblant a priori mal composé quand le second m'apparaissait très prometteur. Point encore plus frappant : le fait que le premier concert ait été un concert là où le second échouait à le devenir ne tenait nullement à la meilleure qualité individuelle des oeuvres engagées dans l'un ou l'autre de ces concerts. Pour dire les choses de manière un peu abruptes, les oeuvres du premier concert ne m'ont guère convaincu (peut-être suis-je, il est vrai, dur à convaincre, exigences d'un compositeur obligent...) mais le concert délivrait pourtant la sensation d'une continuité par-delà la diversité des trois oeuvres. Une sorte d'énergie commune, tenue de bout en bout par l'ensemble Fa et son chef, traversait les trois oeuvres. Sans doute l'ordre retenu apportait à ces oeuvres plutôt qu'il ne les défavorisait, l'oeuvre d'Antoine Bonnet constituant une sorte de pivot, articulant l'oeuvre qui la précédait et celle qui la suivait. Finalement, et un peu étrangement (je ne saurais toujours pas nommer exactement cela), chaque oeuvre avait bien dans ce concert une double fonction : une fonction active (nourrir le concert de la musique qu'elle apportait) mais aussi et surtout passive (être éclairée par les autres oeuvres). Et qu'une oeuvre arrive à être éclairée positivement par une autre ne va nullement de soi comme on le verra dans le programme VIII.

À l'inverse, le concert VI s'est avéré défaillant, lors même que son programme m'alléchait, semblant construit en arche et pouvoir dessiner un vaste parcours, riche de rapports entre les cinq oeuvres convoquées. Il est vrai que dans ce concert VI, l'oeuvre de Schöllhorn était bien décevante (une sorte de rap mis à la sauce contemporaine), que l'oeuvre d'Antoine Bonnet apparaissait ici en retrait par rapport à son potentiel (en raison d'une chanteuse au timbre pauvre, incapable d'envelopper le tissu instrumental d'une grande courbe vocale), que l'oeuvre de Gérard Pesson restait, comme souvent, au bord d'une énonciation audible. Mais l'échec du concert ne tenait pas principalement à cela : l'exemple VII nous montrera un concert fonctionnant là même où ses parties restaient des pièces de musique plutôt que de véritables oeuvres. Il me semble que l'échec de ce concert VI tenait non pas tant à son programme qu'à l'interprétation délivrée ce soir-là par l'ensemble Fa, comme si ce soir-là un parti pris interprétatif n'avait su être tenu à travers les 5 parties, comme si le patchwork ce soir-là n'avait pas pris. Il est vrai que la disparité des voix entre le rap allemand de Schöllhorn et la maigreur vocale dans Nachtstrahl creusait un gouffre inapte à l'unité du concert.

Je formaliserai alors ces deux concerts ainsi : le V comme une coulée

et le VI comme une dispersion :

Dans les deux cas, on n'a pas à proprement parler de rapports entre les oeuvres, mais le premier diagramme signale l'existence d'un faux-filet à travers les oeuvres, indiquant par là que l'unité du concert était celle d'un tracé à travers, unité de type topologique (faite de voisinages) plutôt que combinatoire. Le second diagramme indexe une juxtaposition sans principe, ni de type topologique, ni de type algébrique.

 

VII et VIII

Mes deux exemples suivants vont illustrer, moins l'existence ou l'inexistence d'un concert, que la capacité d'un concert d'irradier une oeuvre, de l'éclairer, de la radiographier.

Dans le premier cas (programme VII), l'élément à mon sens marquant fut la saveur inattendue conférée à la pièce de Michaël Lévinas Froissements d'ailes, pièce légère, alignant les effets sonores de la flûte (les fameux modes de jeux contemporains), pièce qui m'avait toujours semblé assez futile mais qui, dans ce contexte, trouvait opportunément sa place, occupait une fonction que l'on pourrait décrire, en suivant le fil de la métaphore culinaire (si présent dans les commentaires sur les programmes de concert) comme un entremets léger, faisant transition entre deux types de saveurs. Un concert, ainsi, pouvait sauver une pièce, non pas ici pour l'élever au statut plein et entier d'oeuvre musicale (la pièce de Lévinas restait sans véritable ambition musicale) mais pour lui assigner une place soutenable dans le monde de la musique contemporaine.

À l'inverse, le concert VIII a eu un effet assez décapant sur le deuxième quatuor de Bartok, révélant ce qu'il y avait de rhétorique convenue dans son thématisme. Le concert faisait clairement apparaître combien le thématisme avait perdu, en ce début du 20° siècle, sa dynamique subjective Il en allait de même dans le traitement de la forme sonate (le développement était devenu un simple processus) et de la tonalité (ravalée de dissonances). Le folklore (intervalles et rythmes) servait alors à pimenter un monde trop vieux et dépassé (l'oeuvre date de la 1° guerre mondiale). L'oeuvre en paraissait interminable, tournant et retournant sur des opérations motiviques à la recherche d'un nouveau sens musical, telles ces formes pérennes de l'alexandrin qui composent un formalisme creux, s'épuisant à servir une pensée nouvelle.

Les diagrammes de ces deux concerts n'illustrent pas l'unité de chacun de ces concerts autour d'un centre (exemple III) mais un seul de ses mouvements internes, mouvement en l'occurrence centripète sur une des oeuvres, qui se trouve être positif dans le premier cas (voir la capacité, ainsi acquise par l'oeuvre, de rayonner durant ce concert) :

et négatif dans le second (l'oeuvre n° 4 devient une sorte de trou noir dans ce concert, ne restituant rien de l'énergie absorbée) :

 

IX

Terminons cette petite typologie empirique par un concert dirigé par Pierre Boulez. Les concerts qu'il dirige sont en effet de très intéressants exemples de programmes savamment composés.

J'ai retenu ici un concert bénéficiant d'une unité a priori en raison de l'homogénéité stylistique des oeuvres qui y étaient présentées (la seconde École de Vienne).

Je n'ai guère le temps de vous détailler la variété des rapports ainsi rendus sensibles. Disons que ce concert IX tirait son originalité de son ordre d'exposition, en partie à rebours de l'ordre chronologique, ce qui permettait de faire entendre des mouvements souvent obscurcis par une compréhension historicisante de la musique du siècle. Brièvement dit, les trois pièces de Berg enflammaient l'attention. Ensuite le concerto op. 24 de Webern nous ramenait à une ascèse du timbre pur, délivrant cette joie sans égale d'avoir l'impression écouter moins une flûte que " La Flûte ". Puis le concert revenait chronologiquement en arrière avec les cinq pièces pour orchestre op. 10, faites cette fois de timbres collectifs fascinants d'aplomb. L'oeuvre conclusive de Schoenberg avait beau être plutôt décevante (une comédie humaine mal enlevée et peu conforme au génie musical propre de Schoenberg...), l'ensemble se tenait et les différentes parties rétroagissaient entre elles, à mesure de l'intérêt d'avoir entendu l'opus 10 de Webern après son opus 24. En fait le concert s'initiait (comme concert et non plus comme collection) de ce geste de l'opus 24 à l'opus 10, geste peut-être motivé par des commodités de plateau mais pour nous auditeurs, peu importe les motivations préalables : seul compte ce qui est donné, une fois prises en charge toutes les contraintes afférant au genre concert.

On aurait donc un diagramme de ce type où ce qui identifie proprement le concert serait la rétroaction de l'oeuvre n° 3 sur l'oeuvre n° 2, un effet à rebours donc de l'ordre d'exposition avec projection de ce qui se comprenait du travail de Berg et Webern sur l'oeuvre de Schoenberg :

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Une fois tracé ce panorama, quel parti plus synthétique en tirer ? Quelles catégories proposer pour l'analyse du concert ? Comment formaliser l'un du concert ?

Ma proposition est de représenter le concert, en sa pluralité d'oeuvres, selon un diagramme figurant les rapports établis par le concert entre les oeuvres. Et ce faisant, j'aime à me situer dans l'horizon de la théorie mathématique des topos (encore nommée théorie des catégories), j'indiquerai tout à l'heure en quel sens cela peut nous stimuler.

Notons pour le moment que je représente un rapport par une flèche qui désigne l'action d'une oeuvre sur une autre.

Selon ce type de représentation, on dira alors qu'il y a eu un concert si deux conditions sont réunies :

1) Si chaque oeuvre est reliée par une flèche (c'est-à-dire si chaque oeuvre est origine ou cible d'une flèche).

Cette condition formalise ce point : un concert ne saurait être un s'il a laissé à l'écart de son travail une de ses parties constitutives. Lorsque tel a été malencontreusement le cas (et ceci est assez fréquent : voir les programmes précédents), on aura assisté au mieux à un bout de concert (voir par exemple les programmes VII et VIII), au pire à un catalogue (voir par exemple le programme VI).

On voit qu'ici, cette condition est remplie pour les concerts I, III et IX.

2) S'il y a au moins une oeuvre-cible.

Cette condition vient formaliser ce point, essentiel pour l'unité du concert : pour qu'il y ait eu un concert, il faut que des oeuvres du concert (je ne dis pas toutes, mais une au moins) aient été éclairées par lui, aient reçu de lui au moins autant que ce qu'elles lui ont apporté.

Cette condition est ici remplie par les concerts I, III, VII, VIII et IX.

Cette idée est, je crois, essentielle : le concert doit être constituant pour les oeuvres plutôt que constitué par elles. Sous cet angle, je comparerai le rapport entre un concert et les oeuvres qui le composent au rapport entre un texte théâtral et les personnages qu'il mobilise. Pour qu'il y ait vraiment du théâtre, il faut que le texte de la pièce soit constituant des personnages et non pas constitué par eux. Il faut que le texte, circulant entre des corps qui le prononcent, vienne petit à petit déposer et condenser des identités sur ces corps, identifier ainsi des personnes comme ceux et celles qui supportent le texte, tel point de vue, telle attitude, à rebours du théâtre de boulevard où ce qui est premier, donné substantiellement, ce sont des personnages constitués en types (tel l'amant, la femme de ménage...).

Ici l'équivalent du texte théâtral, c'est la musique en tant qu'elle circule entre les oeuvres. Bien sûr, au concert, une oeuvre a une identité préalable mais pour qu'il y ait concert, il faut qu'il se passe quelque chose de propre - ce que j'appelle l'entre-oeuvres - et qui conduise à ce qu'une oeuvre au moins soit constituée dans ce concert par un rapport qui lui est extérieur et non pas simplement par son mouvement immanent.

Dans un concert, toute oeuvre ne se trouve pas en général ainsi éclairée par le contexte. Il y a le plus souvent une oeuvre qui vient condenser en elle cette puissance propre du concert. Un diagramme assez usuel du concert est ainsi celui qui voit une oeuvre rayonner sur toutes les autres et une autre introjecter le rayonnement émis par le concert. On a alors un diagramme qui combine le rayonnement du diagramme I et la focalisation du diagramme VII :

Il y a donc deux conditions pour qu'un concert soit un :

- une condition de totalisation : toute oeuvre est rapportée à une flèche) ;

- une condition d'existence : il existe au moins une oeuvre-cible.

Dans notre répertoire de concerts, seuls 3 concerts (les I, III et IX) s'avèrent, selon ces critères, avoir été des concerts .

On pourrait, à partir de là, esquisser une typologie formelle des concerts, selon les types de diagramme constitués. Je ne vais pas m'engager maintenant dans cette voie, qui serait cependant stimulante. Avis, encore une fois, à quelque étudiant en recherche d'un sujet de thèse...

Je voudrais aujourd'hui simplement compléter mais propositions de quelques remarques complémentaires.

 

1) Le concert V indique un type spécial de concert, moins fait de rapports délimitables, algébriquement déterminables, que d'une situation globale, comme si les personnages-oeuvres ne s'y étaient pas constitués, comme si la musique était ici un milieu, charriant ses objets propres, les profilant plutôt que les mettant en rapport selon une identité découpée. En un sens les oeuvres sont dans ce cadre de simples pièces ou morceaux de musique. Il est remarquable qu'un concert puisse ainsi exister.

On dira alors qu'on appelle oeuvre stricto sensu dans un concert donné une pièce (ou un morceau) de musique en tant qu'elle est origine ou cible d'une flèche, c'est-à-dire qu'elle est partie prenante d'un rapport identifiable. On nommera, dans un concert donné, pièce de musique un morceau de musique qui n'a été doté dans ce concert ni de la capacité d'irradier (de projeter, d'exprimer) ni de celle d'introjecter.

Selon cette proposition terminologique, on préférera appeler moment de musique un concert qui s'est avéré sans oeuvres stricto sensu et composé uniquement de pièces ou morceaux de musique. J'avance cette dénomination pour indiquer que ce type de concert est le plus susceptible d'être compris comme étant lui-même une méta-oeuvre, chacune des pièces de musique présentées lors de son déroulement figurant alors une sorte de mouvement à l'intérieur du concert. Dans mon catalogue, le concert V peut être ainsi caractérisé comme ayant été un moment de musique en 3 mouvements plutôt que la mise en rapport de 3 oeuvres différentes.

Dans le cas d'un tel concert - moment de musique, il n'y a pas à proprement parler de diagramme catégoriel.

 

2) Deuxième remarque.

Si l'on rapproche ce dispositif de représentation de celui de la théorie mathématique des topos, on peut se demander si nos flèches sont combinables (transitives), c'est-à-dire si une flèche menant de 1 à 2 et une autre flèche menant de 2 à 3 implique ipso facto l'existence d'une flèche menant de 1 à 3 : (1---->2) et (2---->3) ====> (1---->3) ?

 

Cette condition est mathématiquement requise dans la théorie des topos, et c'est en ce sens que la référence à cette théorie peut être ici pour nous stimulante. Mais l'est-elle pour nous ? Par exemple dans le programme IX, y a-t-il une flèche (composée) entre la Suite lyrique de Berg et l'opus 10 de Webern à mesure du simple fait qu'il y en a une de la Suite lyrique vers l'opus 24 de Webern et une autre de l'opus 24 vers l'opus 10 ?

Ma réponse est que, dans le cas général, ce n'est pas vrai. par exemple dans ce concert IX, même si cet enchaînement de deux flèches contribue bien à rapporter la Suite lyrique à l'opus 10, je ne pense pas qu'il soit ici possible d'effacer la contribution de l'opus 24 dans ce nouveau rapport. En ce point, on voit bien comment l'être sensible de la musique s'écarte de l'être en soi de la mathématique... Cependant la combinaison de deux flèches peut aussi exister lors d'un concert, comme si ici la Suite lyrique éclairait directement l'opus 10 et non plus seulement via l'opus 24.

 

3) Troisième remarque, toujours déduite de l'examen de la théorie mathématique des topos : l'existence d'un topos présuppose que chaque objet mathématique (chaque oeuvre dans notre cas) est doté d'une flèche identité allant de lui-même à lui-même. A-t-on alors ici un équivalent possible, c'est-à-dire chaque oeuvre inscrite dans un concert est-elle dotée ipso facto d'un rapport à soi-même ?

Là encore, ma réponse sera que, dans le cas général, ce n'est pas vrai. Certaines oeuvres peuvent dans un concert donné se rapporter à elles-mêmes. Je n'en ai pas donné ici d'exemples explicites, mais en un certain sens, tel était le cas des sonates de Scarlatti dans le concert III, et ceci non pas en raison de leur thématisme mais simplement en raison de leur capacité à introjecter les rapports extérieurs dont le concert les avait dotées. J'opposerai de ce point de vue ces Sonates au quatuor de Bartok (concert VIII) qui a implosé sous la pression des flèches qui l'assaillaient.

On pourrait alors préciser la terminologie proposée en disant :

- une flèche partant d'une oeuvre indique l'expression concertante d'une oeuvre (sa capacité de s'exprimer dans le cadre de ce concert),

- une flèche atteignant une oeuvre la soumet au dilemme : saura-t-elle résister, c'est-à-dire répondre aux questions que lui posent les autres oeuvres du programme, ou implosera-t-elle ? Saura-t-elle introjecter ces questions pour y répondre (cas de la constitution d'une flèche-identité allant de l'oeuvre à elle-même) ou, au contraire, échouera-t-elle à dessiner ce rapport à soi-même, s'effondrant sur elle-même et creusant une sorte de trou noir du concert ?

Somme toute, le cercle gris autour du 2 dans le diagramme III symbolise cette flèche-identité des Sonates de Scarlatti apparue lors de ce concert, flèche dotant cette oeuvre d'une consistance immanente qui n'est pas seulement due au contexte. Cette flèche peut, lorsqu'elle existe, être dite intension ou introjection concertante de l'oeuvre.

 

4) Dernière remarque. Il peut exister deux flèches différentes ayant cependant même origine et même cible : 12

Tel était déjà un peu le cas dans le concert III par la double action des oeuvres contemporaines sur les sonates de Scarlatti au titre à la fois du travail rythmique et de la constitution d'un Timbre...

Il faut donc retenir que chaque flèche dispose, en vérité, d'un nom propre et que la similitude formelle de leur dessin ne doit pas occulter les différences de leur contenu musical effectif.

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Je m'arrêterai ici pour aujourd'hui. Les quelques catégories proposées (rapport, flèche, oeuvre-origine, oeuvre-cible, diagramme, pièce, concert-moment de musique, expression et intension concertantes...) ouvrent un chantier de travail et constituent à mes yeux des propositions provisoires. J'espère simplement qu'elles auront éveillé le désir d'avancer dans cette nouvelle discipline de pensée que j'appelle de mes voeux : l'analyse musicale du concert nécessaire à qui veut aujourd'hui se mettre à " penser le concert ".


Annexe : Programmes de concert

 

I

 

" Allemagne 1946-----> "

1) Zimmermann : Métamorphose

2) Zimmermann : Stille und Umkehr

3) W. Rihm : Abschiedsstücke (n° 1 & 3)

4) Zimmermann : Musique pour les soupers du Roi Ubu

par l'EIC, dir. David Robertson

février 1996 (Cité de la musique, Paris)

et

 

II

" Italie " (Quatuor)

1) Donatoni : La Souris sans sourire

2) Maderna : Quartet

3) L. Francesconi : Mirrors

4) Nono : Fragmente, Stille, an Diotima

par le quatuor Arditti

septembre 1995 (Festival Musica, Strasbourg)

 

III

" Italie " (Récital de piano)

1) Dallapicolla : Quaderni Musicale di Annalibera

2) Scarlatti : 5 Sonates

3) M. Stroppa : Miniature Estrose (extraits)

par Pierre-Laurent Aymard (piano)

septembre 1995 (Festival Musica, Strasbourg)

IV

1) Zimmermann : Musique pour les soupers du roi Ubu

2) E. Tanguy : Concerto pour violoncelle

3) Zimmermann : Action ecclésiastique

septembre 1995 (Festival Musica, Strasbourg)

 

V

1) H. Dufourt : L'espace aux ombres

2) A. Bonnet : Aubrac

3) G. Benjamin : At first light

par l'ensemble Fa, dir. Dominique My

janvier 1996 (Conservatoire du XIX°, Paris)

 

 

 

VI

1) Eisler : 14 manières de décrire la pluie

2) J. Schöllhorn : Vor Augen.

3) A. Bonnet : Nachtstrahl

4) G. Pesson : Mes Béatitudes

5) Eisler : Septuor n° 1

par l'ensemble Fa, dir. Dominique My

février 1996 (Institut Goethe, Paris)

VII

1) R. Watkins : The Looking glass

2) Brahms : Ballades op.10 (n° 1, 3, 4)

3) M. Cecconi-Botella : Et la mer, au matin...

4) M. Levinas : Froissements d'ailes

5) P. Schoeller : Omaggio, omaggio

6) M. Cecconi-Botella : Et la mer, au matin... (reprise)

par l'ensemble Entretemps, dir. H. Larbi

mai 1995 (Centre culturel Franco-Japonais, Paris)

 

 

 

 

VIII

1) Bartok : Le Château de Barbe-bleue (extraits)

2) Liszt : douzième Rhapsodie hongroise

3) A. Bonnet : Nachtstrahl

4) Bartok : 2° Quatuor à cordes

5) F. Tanada : Chants des lumières II

par le quatuor Schon et l'ensemble Entretemps, dir. H. Larbi

mars 1995 (Centre culturel Franco-Japonais, Paris)

 

 

 

 

IX

1) Berg : 3 pièces de la Suite Lyrique, pour orchestre à cordes

2) Webern : Concerto op.24.

3) Webern : 5 pièces pour orchestre (op.10)

4) Schoenberg : Von heute auf morgen

par l'EIC et le Deutsche Kammerphilharmonie, dir. Pierre Boulez

novembre 1995 (Théâtre du Châtelet, Paris)


1. Cette vision était romantique en ceci qu'elle supposait l'existence de L'Art, d'un grand Art commun à la pluralité des arts
2. de Michael Wolgensinger
3. Exemples : &laqno; C'est la vie que l'amour préfère chanter, c'est la mort qu'il chante le mieux. » &laqno; Il se demanda s'il était l'un des deux, trois hommes dans sa vie, dont une femme, à ce qu'on dit, ne prend définitivement congé qu'à l'heure de sa mort. » &laqno; Elle l'avait peut-être aimé. Il était de ces amoureux auxquels une femme ne pardonne jamais cette faiblesse. » &laqno; Leur contact était une violence. Ils étaient amants, et leur échec était vieux comme le monde. »
4. par référence à la théorie mathématique des topos, dite aussi théorie des catégories.
5. soit un tiers du total, pourtant soigneusement sélectionné : ce qui atteste de la rareté du concert