Des connivences entre intellectualités musicale
et mathématique
(un programme de
travail pour la sixième année de mamuphi)
François Nicolas
(mamuphi, 9 octobre 2008)
Résumé
·
S’il est vrai que l’intellectualité mathématique trouve
son impulsion réflexive dans le geste d’Évariste Galois (1833) décidant que les
mathématiques doivent « sauter à pieds joints par-dessus les
calculs » pour mieux déployer la puissance
formelle de leurs concepts, s’il est vrai que depuis lors se dessine une
polarisation du champ mathématique (dont le principe touche au rapport déclaré
du mathématicien au calcul) entre
d’un côté ce qu’Alain Connes appelle « mathématiques
fondamentales » et de l’autre ce que
le (néo)positivisme appelle « mathématiques pour la modélisation » (voir en ce point le rôle moteur joué par
John von Neumann), comment tout ceci concerne-t-il cette intellectualité musicale
mamuphi qui se soucie des raisonances musique-mathématiques ?
·
S’il est vrai que les rapports musique-mathématiques ne
sauraient être entièrement réfléchis de l’intérieur de la musique ni de
l’intérieur des mathématiques - l’autonomie de pensée de la mathématique n’est
pas intelligible de l’intérieur de la musique, et vice versa -, s’il est vrai
qu’il faut donc convoquer la philosophie pour s’orienter dans ces rapports,
comment la réactivation actuelle du structuralisme conçu comme mouvement
philosophique déployé contre le positivisme (et non comme épistémologie des
sciences humaines) peut-elle éclairer les débats mamuphi en cours, en particulier (« anti-humanisme
théorique ») en matière de conception non anthropologique de la musique,
non anthropomorphique de l’œuvre musicale, non biographique de la monographie
musicienne ?
·
S’il est vrai que l’entreprise structuraliste constitue
une nouvelle donne en matière de théoricité,
où s’affrontent deux modes de théorisation – d’un côté des pratiques
théoriques, conjoncturellement situées et
subjectivement orientées comme interventions stratégiques s’épuisant dans leurs
effets ; de l’autre des théories objectivement applicables, outils venant se déposer et s’ajouter à
l’encyclopédie des savoirs -, de quelle manière cette ligne de partage
éclaire-t-elle les différentes manières de théoriser la musique à la
lumière des mathématiques et à
l’ombre de la philosophie ?
Sur la base de réponses à ces trois questionnements, on
essaiera de clarifier ce qu’il en est de possibles connivences entre
intellectualités mathématiques attachées aux « mathématiques
fondamentales » (tout particulièrement celle de Grothendieck) et
intellectualités musicales attachées à des pratiques théoriques mathématiquement éclairées et s’inscrivant ainsi
dans la droite ligne de cette déclaration, contemporaine de la fondation
ramiste de l’intellectualité musicale : « Ce n'est que par
le secours des Mathématiques que mes idées se sont débrouillées. » (Rameau).
On exposera à ce titre un programme de travail visant à
éclairer le monde de la musique par les concepts mathématiques de faisceaux et
de topos (Grothendieck / Lawvere). On l’initiera en formalisant mathématiquement
l’idée suivante : une œuvre musicale est un faisceau d’interprétations, le faisceau des interprétations
d’une partition donnée. Ceci ouvrira à une formalisation possible d’un topos des œuvres musicales.
*
Comment théoriser
la musique au XXI° siècle, à la lumière des mathématiques et à l’ombre de la
philosophie ?
Je vais proposer cette réponse : déployer une pratique
théorique de la musique, à la lumière du partage des Idées (mathématiciennes)
de la mathématique (mathématiques « fondamentales » du concept et
mathématiques « modélisantes » du calcul), à l’ombre de
l’anti-humanisme théorique déployé philosophiquement par le mouvement
structuraliste.
0. Rappels 2
mamuphi 2
musicien 2
musicologue 3
Théoricité 3
1. Philosophie 3
2. Mathématiques 3
Intellectualités mathématiques 4
Deux Idées
mathématiciennes de la mathématique 4
Alain Connes : l’Idée des mathématiques du concept
(« fondamentales »)............................. 4
John von Neumann : l’Idée des mathématiques du calcul
(« modélisantes »)......................... 4
Idéation 5
Intellectualité musicale comme Idéation................................................................................ 5
Propriétés distinctives de ces deux Idées 5
Idée des mathématiques comme fondamentales..................................................................... 5
Idée des mathématiques comme modélisantes........................................................................ 6
Repères historiques sur les mathématiques
« modélisantes » 6
Le mot « modèle »................................................................................................................ 6
John von Neumann (1903-1957).......................................................................................... 6
3. Musique 7
Connivences 7
Pratique théorique du musicien / théorie musicologique 7
Exemple : éclairage de la musique par le concept de
faisceau 8
4. Discussion 8
Décembre 1999 : Forum Diderot « Mathématique et musique » de la SME ⇒
2000-20001 - mamuphi (1) : Ircam
2004-2005 - mamuphi
(2) : Ens-Ircam
2005-2006 - mamuphi
(3) : Ens-Ircam
2006-2007 - mamuphi
(4) : Ens-Ircam + école (1)
2007-2008 - mamuphi
(5) : Ens-Ircam + école (2)
2008-2009 - mamuphi
(6) : Ens-Ircam + école (3)
⇒ mamuphi = XXI° siècle.
Dépasser la conception du xx°
siècle en matière de théorisation musicale avec les mathématiques, massivement
néo-positiviste.
mamuphi = affaire
de quatre (et pas trois) subjectivités : mathématicienne, musicienne,
musicologique, philosophique
Du côté du musicien (pensif), trois composantes de
l’intellectualité musicale :
·
théorique – l’interlocuteur
privilégié = les sciences, et en priorité les mathématiques
·
critique –
l’interlocuteur privilégié = les autres arts (pour moi surtout la poésie et
l’architecture)
·
esthétique –
l’interlocuteur privilégié = la politique (pour d’autres les « sciences
sociales et humaines »)
L’ensemble se déploie « à l’ombre de la
philosophie ».
Pour le musicien, la citation-clef :
« Ce n'est
que par le secours des Mathématiques que mes idées se sont débrouillées, et que
la lumière y a succédé à une certaine obscurité, dont je ne m'apercevais
pas auparavant. » Rameau (1722)
Du côté de la musicologie, l’ombre constituante est celle du
positivisme (voir sa constitution au cœur du XIX°, contemporaine de la
constitution des « sciences humaines » à l’ombre du positivisme
d’Auguste Comte, lui-même inventeur au demeurant de la sociologie). Et pour les
théories musicologiques mathématisées de la seconde moitié du xx°, l’ombre constituante est celle du
néo-positivisme (voir la question Krenek et son lien avec le Cercle de
Vienne…).
Débat mamuphi :
sur la théoricité = sur ce que
théoriser veut dire, sur ce qu’est pour nous « le théorique ».
Cf.
théoricité/théorique=historicité/historique=systématicité/systématique…
Cf. il y a un an mon intervention « 3 manières de
théoriser la musique avec les mathématiques » :
mathématisation –
application – expérimentation
(mathématicien –
musicologue – musicien)
Réévaluer cela aujourd’hui de mon point de vue de musicien.
Rapprocher Rameau de Lautréamont :
« Ô mathématiques
concises, […] merci, pour les services innombrables que vous m’avez
rendus. Merci, pour les qualités
étrangères dont vous avez enrichi mon intelligence. Sans vous, dans ma lutte contre l’homme, j’aurais
peut-être été vaincu. » Lautréamont (1869)
Il en va bien, dans mon intellectualité musicale, d’une
lutte contre l’humanisme, d’un anti-humanisme théorique.
Trois aspects : déployer
·
une conception non anthropologique de la musique,
·
une conception non anthropomorphique de l’œuvre
musicale,
·
une conception non biographique de la monographie.
Bref, déployer une Idée non humaniste du monde de la
musique.
Pour cela, examiner comment cette position musicienne se
déploie à l’ombre du structuralisme conçu comme mouvement philosophique (non pas
comme école de sciences humaines et sociales !).
Le structuralisme a promu exemplairement l’anti-humanisme
théorique. Cf.
·
Althusser : l’expression est de lui
·
Foucault : la fin de Des mots et des choses
·
Lacan : voir par exemple Réponses à des
étudiants sur l’objet de la psychanalyse
(19 février 1966 – Cercle d’épistémologie de l’Ens) : « L’anthropologie
la meilleure ne peut aller plus loin que de faire de l’homme l’être parlant.
[…] Or le sujet de la psychanalyse est un être parlé. […] En fait la psychanalyse
réfute toute idée jusqu’ici présenté de l’homme. […] L’objet de la psychanalyse
n’est pas l’homme ; c’est ce qui lui manque. […] La psychanalyse comme
science sera structuraliste ».
·
Badiou : voir par exemple son Second Manifeste
pour la philosophie (à paraître en 2009),
chapitre 4 - L’existence :
« Je vais proposer en revanche un concept de l’être-là et de l’existence
sans faire le moins du monde référence à quelque chose comme la conscience,
l’expérience ou la réalité humaine ; je reste de ce point de vue dans
la lignée anti-humaniste d’Althusser, de Foucault ou de Lacan. »
Aller donc y revoir de ce côté-là. Il se trouve qu’un récent
article d’Étienne Balibar peut nous servir à cela…
Cf. Huit propositions au sujet du structuralisme
Du côté maintenant des mathématiques, de ce que veut dire
pour nous que se disposer comme Rameau et Lautréamont « à la lumière des
mathématiques », un récent livre Les Déchiffreurs m’a rendu sensible au contraste entre deux Idées des
mathématiques, un partage des Idées que les mathématiciens se font des
mathématiques et qui porte sur la manière mathématicienne de calculer, sur la
place à donner aux nécessaires calculs dans la pratique mathématicienne, deux
Idées mathématiciennes des mathématiques que j’épinglerai selon deux noms
propres : celui d’Alain Connes et celui de John von Neumann, deux Idées
des mathématiques qui les voient soit comme polarisées par le concept et en ce
sens mathématiques « fondamentales », soit comme ordonnées au calcul
et en ce sens mathématiques « modélisantes ».
Attention : il ne s’agit pas là à proprement parler de
deux types différents de mathématiques, de deux mathématiques (comme on parle de
mathématiques pures et de mathématiques appliquées). Il s’agit de deux Idées des mathématiques. Il
s’agit donc d’une ligne de partage entre intellectualités mathématiques plutôt
qu’entre mathématiques.
D’où l’émergence d’une historicité singulière :
·
départ, suggéré par André Lichnerowicz [1] :
« Je daterais de Galois, de 1833 [2],
la réflexion des mathématiques sur elles-mêmes. »
et par Alain Connes [3] :
« Ce que Galois a compris, c’est qu’il faut être capable d’aller
au-delà des calculs : sans vraiment effectuer concrètement les calculs,
comprendre de quelle forme sera le résultat. »
· prolongation :
Dedekind - « il est temps de substituer l’idée au calcul. » [4]
·
pivot : John von Neumann autour des années 30
(précisément 1937: sa naturalisation américaine). Le calcul mathématique prend
une nouvelle forme avec la théorie des modèles. Et, comme l’on sait, la notion
de « modèle » va subir un retournement complet sous l’effet direct du
Cercle de Vienne (Carnap). La notion de « modèle » est au cœur de nos
problèmes de « théoriser la musique », de notre théoricité musicale.
Deux dates donc (1832 et 1937) dans l’historicité de
l’intellectualité musicale. Je rappelle qu’on peut date de 1750 environ la
naissance de l’intellectualité musicale (avec Rameau [5]).
Deux Idées (mathématiciennes) de la mathématique : les
mathématiques comme fondamentales, les mathématiques comme modélisantes.
Alain Connes - A view of mathematics (§3.6 ; p. 28-29) :
« This procedure has all the
characteristics of fundamental mathematics:
·
It
bypasses complicated computations.
·
It
focusses on the key property of the solution.
·
It
has bewildering power.
·
It
creates a new concept. »
Ces mathématiques « vont au-delà des calculs »
sans « se perdre dans leur complexité » pour privilégier le fait de
« les parcourir en pensée » ; « il n’y a pas de [bon]
calcul qui ne soit faisable de tête. D’où que pour comprendre un calcul, il
faille savoir le faire sans feuille et sans crayon », a fortiori sans
ordinateur.
John von Neumann – trois citations : la première
sur les mathématiques, la seconde sur le calcul, la troisième sur les modèles.
·
« In
mathematics you don't understand things. You just get used to them. » [6]
·
“The
calculus was the first achievement of modern mathematics, and it is
difficult to overestimate its importance. I think it defines more unequivocally
than anything else the inception of modern mathematics”. [7]
·
“The sciences do not try to explain,
they hardly try to interpret, they mainly make models. By a model is
meant a mathematical construct which, with the addition of certain verbal
interpretations, described observed phenomena. The justification of such a
mathematical construct is solely and precisely that it is expected to work.”
On remarquera que le texte de Connes s’appelle « Une
vue des mathématiques » : il s’agit donc bien d’exposer une Idée
mathématicienne des mathématiques.
Un des textes significatifs de von Neumann (ici le deuxième
cité) s’appelle « Le mathématicien ». Il s’agit donc bien ici aussi
de saisir le rapport du mathématicien aux mathématiques.
À l’ombre du Second manifeste de la philosophie d’Alain Badiou, « Idée » ne désigne pas ici
une idée mathématique ou une idée musicale (quelque chose d’immanent donc au
monde mathématique ou au monde de la musique) mais un rapport du mathématicien/musicien
au monde de la mathématique/musique.
·
Idée = « ce
à partir de quoi un individu se représente le monde », « ce qui fait
que le vie d’un individu s’oriente selon le Vrai », « la médiation
entre l’individu et le Sujet d’une vérité », « ce par quoi l’individu
repère en lui-même l’action de la pensée comme immanence au Vrai »,
« exposition de l’individu simple à son devenir-Sujet ».
·
Idéation = le
processus de constitution de l’Idée. Elle est l’affaire de l’individu, non du
sujet : « une vie véritable est le résultat d’une Idéation ».
Ce concept philosophique permet donc de penser le rapport du
mathématicien/musicien au sujet mathématique/musical du monde
mathématique/musical qu’est la théorie mathématique /l’œuvre musicale.
Procédure générique |
La Musique |
La Mathématique |
Monde |
Monde-Musique |
Monde mathématique [8] |
Événement |
Schoenberg |
Galois |
Vérité |
Une configuration |
Une Théorie |
Sujet |
une œuvre |
un théorème |
un dividu |
un musicien |
un mathématicien |
On peut thématiser l’intellectualité musicale comme constituant une telle Idéation. Ceci a pour intérêt de mettre l’accent sur l’aspect productif de l’intellectualité musicale : elle produit des Idées musiciennes de/sur la musique. L’intellectualité musicale n’est donc pas simplement l’exposition dans la langue du musicien de la pensée musicale à l’œuvre ; elle est productrice d’Idées musiciennes, radicalement différentes d’une projection dans la langue des idées musicales à l’œuvre.
· La dimension théorique de l’intellectualité musicale produit une Idée de la musique.
· La dimension critique de l’intellectualité musicale produit une Idée de telle ou telle œuvre.
·
La dimension esthétique de l’intellectualité musicale produit
une Idée des rapports du monde de la musique à son environnement extérieur.
Quatre (+1) propriétés distinctives des mathématiques vues
comme fondamentales (cf. A. Connes [9]),
dégagées par l’orientation galoisienne :
· rapport
singulier au calcul : ces mathématiques « sautent à pieds joints sur
les calculs » compliqués (Galois), elles « vont au-delà des
calculs » (Connes) sans « se perdre dans leur complexité » pour
privilégier le fait de « les parcourir en pensée » ; « il
n’y a pas de [bon] calcul qui ne soit faisable de tête. D’où que pour
comprendre un calcul, il faille savoir le faire sans feuille et sans
crayon », a fortiori sans ordinateur ;
· concentration
corrélative sur les propriétés-clef des choses mathématiques examinées ;
· création
de nouveaux concepts ;
· puissance
de rayonnement qui s’en dégage.
Propriété
supplémentaire, qui en découle : cette vision des mathématiques ne les
rapporte pas aux autres domaines de pensée selon un rapport
d’application ; essentiellement, cette Idée des mathématiques inverse le « foncteur » en
sorte que ce sont ici les mathématiques qui sont stimulées par le domaine exogène :
les mathématiques d’Euler s’intéressent à la musique comme les mathématiques de
Connes s’intéressent à la physique pour elles-mêmes (et non « pour » la musique ou
« pour » la physique).
autre
domaine → mathématiques
On désigne par là cette Idée des mathématiques qui les
énonce usuellement comme « mathématiques pour la modélisation » (de
l’économie, de la sociologie, et désormais de la musicologie !).
Leurs propriétés distinctives sont symétriques de celles des
mathématiques fondamentales :
·
leurs principales ressources mobilisent la capacité
mathématique de calculer ;
·
concentration sur la capacité de déléguer ces calculs à
l’informatique : de les « implémenter » ;
·
création de nouvelles formules-équations
« computables » ;
·
puissance du calcul mathématique pour irriguer
« les sciences humaines » ;
5° propriété : cette Idée des mathématiques les
rapportent aux autres domaines de pensée essentiellement sous la modalité d’une
application :
mathématiques → autre
domaine
À
l’origine, le mot « modèle » désigne l’original à copier.
Ainsi dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert un modèle
est ce qu’on regarde comme original et dont on se propose d’exécuter la copie. [11]
Il ne prendra son second sens – celui de maquette ou de
« modèle réduit » - qu’entre les deux guerres et ce au moment même où
des mathématiciens élaborent de leur côté « la théorie [logique] des modèles » [12] ;
d’où un croisement [13]
dans ces années entre les deux sens opposés du même mot.
L’introduction
de modèles mathématiques se fait par la physique à la fin du XIX° et la
paternité, selon Boltzmann, en revient à Maxwell (et Helmholtz). [14]
Apparemment le mot « modèle » n’est cependant pas encore employé
comme tel.
Dès
1925, John von Neumann construit plusieurs « modèles » arithmétiques de
la théorie des ensembles. Ce serait la première fois que le mot est employé
dans ce sens avant d’être adopté par Tarski, Carnap et le Cercle de Vienne.
Dans
les années 30, le terme de « modèle » surgit chez des économistes et
statisticiens, tous plus ou moins influencés par les néo-positivistes du Cercle
de Vienne. [15]
Au
total, Von Neumann joue un rôle emblématique dans le déploiement de cette
problématique de la modélisation mathématique. Cf. en 1955 [16] :
“We must
emphasize a statement […] which must be repeated again and again. It is that the
sciences do not try to explain, they hardly try to interpret, they mainly make
models. By a model is meant a mathematical construct which, with the
addition of certain verbal interpretations, described observed phenomena. The
justification of such a mathematical construct is solely and precisely that it
is expected to work.”
Tout
ceci s’accompagne de l’affirmation de nouvelles branches mathématiques [17] :
mathématiques discrètes, théorie des algorithmes, analyse numérique, théorie
des codes, probabilités et statistiques, etc.
S’il fallait rehausser l’unité dialectique des deux pôles
(fondamentales/modélisatrices), il suffirait de rappeler qu’Alain Connes s’est
fait connaître en parachevant la classification des algèbres… de von Neumann et
qu’ils ont tous deux trouvé une impulsion décisive pour leur travail
mathématique dans le monde non-commutatif de la mécanique quantique (voir plus
bas).
On sait par ailleurs que von Neumann est à l’origine (1925)
de l’axiome de fondation de la théorie des ensembles (et, plus généralement, de
l’axiomatisation dite de von Neumann–Bernays–Gödel : NBG) [18] :
c’est dire qu’il n’avait rien à apprendre en matière de mathématiques
fondamentales ! C’est lui qui aurait (voir plus haut) pour la première
fois (1925) employé le mot « modèle » en son sens logique de la
théorie des modèles (et non pas son sens positiviste de modèle mathématique).
En 1932 il publie Les Fondements mathématiques de la
mécanique quantique (The Mathematical Foundations of
Quantum Mechanics).
Sur l’autre versant (mathématique modélisatrice), notons
qu’il publie en 1944 avec Oskar Morgenstern La Théorie des jeux et
comportements économiques (The Theory of Games and Economic
Behavior) – dès 1928, il est démontre le théorème du minimax… -, qu’à partir de 1937 (citoyenneté américaine), il
collabore aux programmes militaires des États-Unis (Projet Manhattan : il aurait calculé l’altitude précise où faire exploser les bombes
d’Hiroshima et Nagasaki en sorte d’en maximiser les dommages…). Il donne
également son nom à l’architecture
de von Neumann des ordinateurs
comme à la machine de von Neumann des
automates cellulaires.
« In
mathematics you don't understand things. You just get used to them. » [19]
von Neumann concentre ainsi cette polarité
intra-mathématique, son histoire personnelle étant emblématique du basculement
d’un pan considérable des mathématiques vers leur puissance modélisatrice désormais
adossée à la puissance du calcul informatisé.
S’il fallait dater symboliquement ce développement de la
math « modélisatrice », il faudrait choisir une année dans la
décennie 1930, et peut-être 1937 (citoyenneté américain de von Neumann).
Voir aussi le texte de von Neumann The Mathematician (1947) :
“The
calculus was the first achievement of modern mathematics, and it is difficult
to overestimate its importance. I think it defines more unequivocally than
anything else the inception of modern mathematics”.
La polarité précédente, intra-mathématique, nous intéresse
car elle relève deux types de rapports aux mathématiques, deux manières de
théoriser « à la lumière des mathématiques » selon que la lumière
mathématique sera celle des concepts ou celle des calculs. D’où deux manière de
thématiser la place du « modèle » dans notre effort théorique.
C’est cela que je propose d’appeler
« connivences » entre intellectualités, entre mathématiciens et musiciens
plutôt qu’entre mathématiques et musique (où je préfère parler de raisonances).
Il y a deux manières de thématiser ce que théoriser veut
dire :
·
pratique théorique, celle des musiciens – théoriser
sans produire pour autant de théories à proprement parler [20]
- ; c’est la musique qui occupe la position de modèle dans cette pratique théorique ; la lumière des
mathématiques se fait par ses concepts (le concept d’intégrale dans ma théorisation de l’audition et de
l’écoute musicale ; le concept de diagramme catégoriel dans ma
théorisation du concert de musique ; le concept de faisceau et de topos de
faisceaux dans ma théorisation en cours d’un monde des œuvres musicales).
·
produire une théorie formalisée, celle des
musicologues ; c’est la mathématique qui constitue un « modèle théorique » ;
la lumière des mathématiques est essentiellement gagée sur sa puissance calculatoire :
il est de l’essence de ces théories de déboucher sur des implémentations
informatiques.
Théorisations |
Pratique
théorique |
Théorie |
Subjectivité |
du musicien |
du musicologue (ou pour lui) |
À la lumière des mathématiques : |
de leurs concepts (mathématiques « fondamentales ») |
de leur puissance de calcul (mathématiques « modélisantes ») |
Où est le « modèle » ? |
du côté de la musique (logique : « théorie des modèles ») |
du côté des mathématiques (applications : « modèle théorique ») |
Mathématiques→Musique |
Interprétation |
Application |
Musique→Mathématiques |
Formalisation |
Modélisation |
Le rapport à la mathématique |
mathémisation |
mathématisation |
Diagrammatisation [21] : |
|
|
À l’ombre de quelle
philosophie ? |
« Structuralisme »
philosophique |
Positivisme des
sciences humaines Néopositivisme
cognitiviste |
Résultat de la théorisation : |
Une Idée musicienne |
Une théorie musicologique |
Travail engagé, sur la vertu éclairante, pour
l’intellectualité musicale, de ce concept, un des plus importants de la géométrie
algébrique.
Objectif : nullement une « théorie »,
calculatoire, applicable, implémentable…
Logique = expérimentation de pensée : qu’est-ce
que ce concept de faisceau peut nous aider à penser en musique ? Je
propose de l’examiner en braquant ce projecteur sur ce que ce qu’est qu’une
œuvre, plus précisément sur les rapports entre une partition et ses
interprétations.
voir fichier spécial Programme de
travail sur faisceaux et topos en musique
On trouvera un compte rendu de la discussion qui a suivi cet
exposé dans le texte :
15 questions
ou objections, et autant de premières réponses
*
[1] in Alain Connes, Triangle de pensées, p. 35
[2] Il s’agit
sans doute de 1832 puisqu’Évariste Galois est mort le 31 mai 1832…
[3] in Les
Déchiffeurs (p. 16)
[4] rapporté par
Christian Houzel
[5] Voir la
thèse en cours de Nancy Mentelin-Diguerher
[7] The Mathematician
(1947)
[8] Connes
énonce explicitement qu’un tel monde est connexe et unique.
[9] A view of mathematics (§3.6 ; p. 28-29) :
« This procedure has all the
characteristics of fundamental mathematics:
• It bypasses complicated
computations.
• It focusses on the key property
of the solution.
• It has bewildering power.
• It creates a new concept. »
[10] Voir le
numéro spécial Modèles et modélisations (1950-2000) de la Revue d’histoire des sciences (juillet-décembre
2004)
[11] p. 452
[12] Selon
Pierre Wagner (in Enquête sur le concept de modèle, sous la dir. de Pascal Nouvel ; Puf,
2002 ; p. 20), l’expression « théorie des modèles » serait
due à Tarski et daterait de 1954.
Il rappelle au passage (p. 7) que si « la
théorie des ensembles est une théorie », par contre « la théorie des
modèles n’est pas une théorie » mais une partie de la logique.
[13] p. 249
[14]
p. 246-7
[15] p. 248
[16] p. 256
[17]
p. 450-1
[18] C’est lui
aussi qui est à l’origine de la notion d’ensemble transitif.
[20] comme le
structuralisme a mis en o une systématicité sans produire à proprement parler
des systèmes…
[21] cf. Charles
Alunni…