François Nicolas, membre du Collectif
anticrack de Stalingrad (Paris)
2. Libération, samedi 3 août 2002
Drogue: légaliser la réduction des
risques
Le sens de la politique en faveur des usagers échappe
aux associations de riverains.
Certaines associations de riverains qui se sont mobilisées
sur la question de la consommation et du trafic de drogues dans
les rues de Paris se font aujourd'hui les détracteurs
de la politique de réduction des risques (RDR) telle qu'elle
a été promue par de nombreuses associations depuis
dix ans et reprise par les pouvoirs publics et en particulier
la Mildt (Mission interministérielle de lutte contre les
drogues et la toxicomanie) dans son plan triennal. A coup de
demi-vérités, de postulats non démontrés,
d'approximations démagogiques, elles critiquent le travail
qui a permis d'infléchir la courbe des nouvelles contaminations
du VIH, a fait baisser la délinquance liée à
la toxicomanie et offre à tous les usagers de drogues,
à quelque stade qu'ils en soient de leur trajectoire,
prévention, soins et accompagnement de façon adaptée
et respectueuse. La guerre à la drogue, telle qu'elles
l'ont déclarée se révèle souvent
une guerre aux drogués, impasse dommageable et coûteuse
qui méconnaît les réalités sociales
et médicopsychologiques du phénomène, alors
que la réduction des risques par son approche non moralisante
fabrique du lien, donne au sujet les moyens de préserver
sa propre santé, et offre des solutions à ceux
qui n'ont pas ni les ressources ni le temps de réfléchir
à des propositions durables meilleures pour leur vie et
leur santé. Dénigrer les messages de prévention
type «shoot propre» ou les traitements de substitution
au profit de l'abstinence, c'est feindre de croire que la RDR
«abdique» devant la réalité de la consommation
ou, qui plus est, qu'elle la favorise ou qu'elle l'accompagne,
alors qu'à l'évidence le sevrage fait partie des
offres de soin, bien qu'il ne soit plus l'unique finalité
proposée.
L'histoire nous l'apprend : l'usage de substances psychoactives
existe depuis les origines de l'humanité, on le retrouve
dans toutes les civilisations, tantôt ouvert et culturellement
admis, tantôt illicite et réprimé. Son éradication
relève de l'utopie dangereuse, et il faut informer, prévenir,
soigner, sevrer, mais ne jamais rejeter ou condamner ceux qui
ne peuvent ou ne veulent pas s'en sortir. A cet égard,
l'échange de seringues est au moins aussi efficace et
courageux que la démarche des Narcotiques anonymes. Il
est intellectuellement malhonnête de condamner les nombreuses
propositions réalistes et pragmatiques que décline
la réduction des risques, et qui permettent à beaucoup
la sortie de pratiques clandestines, au nom d'un discours pompeux
et irréaliste sur la «sortie de la dépendance»,
de «vie désintoxiquée» ; tout professionnel
averti connaît la réalité terrifiante de
l'emprise de la drogue, le caractère pénible, chaotique
et aléatoire du parcours vers l'abstinence, et les effets
pervers et illusoires du discours de type Just say no. Il est
sans doute préférable de vivre sans, mais la RDR
n'abandonne pas en chemin ceux qui ne peuvent que vivre avec.
Pour en finir, cessons de manipuler les chiffres et la réalité
: l'augmentation du nombre de toxicomanes résulte de phénomènes
complexes bien antérieurs à la politique de RDR,
contemporains de la loi de 1970 dont ils signent d'ailleurs entre
autres l'échec ; par ailleurs, n'oublions pas que la majorité
des dealers interpellés sont en fait des dealers-consommateurs
qui ne trafiquent que pour leur propre usage.
Si les associations de riverains plaident pour une «occupation
pacifique de l'espace public», elles doivent reconnaître
l'action des associations de RDR qui génèrent du
travail de proximité à partir de leurs équipes
de rue et leurs structures à bas seuil d'exigence, et
interpellent le politique pour une meilleure citoyenneté
de tous les habitants de la cité. L'exigence actuelle
est de renforcer la réduction des risques, de la sortir
de son statut dérogatoire et expérimental en lui
donnant enfin la reconnaissance légale qu'elle mérite.
Béatrice Stambul et Didier Febvrel sont membres de
Médecins du monde. Alain Molla est avocat pénaliste.
3. Compte-rendu de ce second texte par la MILDT
Voir http://www.drogues.gouv.fr/fr/actualites/synthese/synthese_aff.asp?id=734
REDUCTION DES RISQUES
Dans Libération de samedi une tribune co-signée
Béatrice Stambul et Didier Febvrel (Médecins du
Monde) et Alain Molla, avocat pénaliste . Les trois auteurs
qui défendent la politique de réduction des risques
dénoncent les associations de riverains qui s'en "
font aujourd'hui les détracteurs" en critiquant "le
travail qui a permis d'infléchir la courbe des nouvelles
contaminations du VIH, a fait baisser la délinquance liée
à la toxicomanie et offre à tous les usagers de
drogue () prévention, soins et accompagnement () ".
D'après eux la « guerre à la drogue »
déclarée par ces associations « se révèle
souvent une guerre aux drogués » alors que la réduction
des risques « fabrique du lien ». Indiquant que «
l'histoire nous apprend » que « l'usage de substances
psychoactives existe depuis les origines de l'Humanité
», les auteurs estiment que « son éradication
relève de l'utopie dangereuse » et qu'à cet
égard « l'échange de seringues est au moins
aussi efficace et courageux que la démarche des Narcotiques
Anonymes ». B. Stambul, D. Febvrel et A. Molla qui jugent
« intellectuellement malhonnête de condamner les
nombreuses propositions réalistes et pragmatiques que
décline la réduction des risques() au nom d'un
discours pompeux et irréaliste sur « la sortie de
la dépendance » appellent les associations de riverains
qui plaident pour une " occupation pacifique de l'espace
public » à « reconnaître l'action des
associations de réduction des risques qui génèrent
du travail de proximité à partir de leurs équipes
de rue et leurs structures à bas seuil d'exigence".
Tous trois demandent en conclusion que la réduction des
risques soit sortie de « son statut dérogatoire
»et obtienne « la reconnaissance légale qu'elle
mérite ».