Libération (samedi 27 juillet 2002)


Les pouvoirs publics doivent enfin prendre leurs resposabiltés face à la toxicomanie.

Drogues: dépasser la réduction des risques


Nous proposons la création d'un Samu-toxicomanie qui déclinerait, en direction des toxicomanes, les propositions d'un Samu social approprié à une population de SDF.

 

Pendant un an, nous avons organisé notre quartier parisien contre le trafic du crack, considérant que le combat contre la drogue était l'affaire de tous et pas seulement des pouvoirs publics. Nous avons réoccupé pacifiquement l'espace public de notre quartier, discuté avec chacun, tenté de comprendre pourquoi un tel trafic criminel pouvait prospérer en France et venir occuper les rues abandonnées d'un quartier comme le nôtre.

Prenant en charge la part qui nous revenait, nous avons exigé d'autant plus fermement des pouvoirs publics qu'ils fassent leur propre travail dans le combat contre la drogue.

- Nous avons exigé que la police fasse son travail de répression des dealers, qu'elle disperse la «scène ouverte» du crack, qu'elle chasse les trafiquants de l'espace public et enfin qu'elle ferme les repaires privés où le trafic se repliait.

- Nous avons demandé aux municipalités concernées (Xe, XVIIIe et XIXe arrondissements) qu'elles accélèrent la rénovation du quartier, détruisent les taudis en relogeant les familles qui y habitent et subissent de plein fouet les méfaits du trafic. Nous avons demandé qu'elles offrent aux jeunes du quartier des activités sportives et culturelles.

- Enfin, nous avons déclaré que le gouvernement devait relancer un combat contre la drogue massivement abandonné en France au nom d'une «politique de réduction des risques» qui combat le sida en prétendant qu'il ne serait plus possible de combattre également la drogue. Cette politique, bénéfique contre le sida et les overdoses, est désastreuse en matière de lutte contre la toxicomanie : elle accompagne la marée montante des toxicomanes sans se dresser en travers (en 2001, 180 000 héroïnomanes réguliers en France contre 2 000 en 1970 : 500 000 en 2007 ?) et sans aider les toxicomanes à conquérir une abstinence (elle diminue régulièrement les places de postcures - moins de 600 désormais en France, là où il en faudrait plus du triple...) ; elle distribue à tout va les drogues de substitution, lesquelles, devenues fins en soi et non plus moyens vers la désintoxication, stimulent la polytoxicomanie (presque tous les «crackés» de Stalingrad sont des polytoxicomanes).

Ainsi, nous agissons localement et pensons globalement. Nous ne voulons pas pour notre quartier de mesures de faveur, de privilèges. Nous ne voulons pas que nos rues soient tranquillisées au prix d'un parcage des toxicomanes dans des salles de shoot en lointaine banlieue, fussent-elles baptisées «citoyennes» et «thérapeutiques». Nous voulons que se mette en place une véritable politique contre la drogue, une «politique de soins» qui vise à soigner les toxicomanes en les guérissant de leur dépendance.

Il faut pour cela revoir de fond en comble le rapport des pouvoirs publics aux toxicomanes. Si les dealers doivent être sévèrement punis, il ne sert à rien d'emprisonner un toxicomane au seul motif qu'il s'empoisonne. Il faut, par contre, mettre en place de nouveaux moyens pour l'encourager à sortir de sa dépendance : changer le discours qui lui est adressé (cesser de prôner le «shoot propre» qui nettoie une seringue... pour mieux y aspirer un toxique !), augmenter fortement les places de postcure pour faciliter le retour à une vie désintoxiquée, lui faire connaître la voie courageuse des Narcotiques anonymes...

Nous proposons qu'on complète un tel dispositif d'une mesure nouvelle : la création d'un Samu-toxicomanie qui déclinerait, en direction des toxicomanes, les propositions d'un Samu social approprié à une population de SDF. Il s'agirait d'équipes mobiles allant à la rencontre des toxicomanes pour leur proposer les soins adaptés à leur état particulier et leur offrir la possibilité de s'écarter quelque temps de la scène de la drogue, sous forme de nuitées et de courts séjours leur permettant de se reconstituer et de réfléchir tranquillement à des propositions durables de désintoxication.

S'il n'est pas de notre vocation d'organiser un combat national pour faire avancer ces propositions, il est cependant en notre puissance d'êtres libres et pensants d'avancer publiquement ces idées.

François Nicolas, membre du Collectif anticrack de Stalingrad (Paris)