Musique, mathématiques et philosophie

(2000-2001)


Discussion collective de l'exposé (7 octobre 2000) de François NICOLAS (compositeur) : Musique, mathématiques et philosophie: Que vient faire ici la philosophie?

Thomas Sylvand
Je reviens sur votre argumentation et tout d'abord, sur votre interprétation du triangle mathématiques / musique / philosophie qui le transforme en une sorte de croix ou de T renversé.
Remarquez que si le segment mathématiques / philosophie tendait sur ce dernier schéma à se réduire en un point, nous aurions alors une sorte d'équivalence entre les mathématiques et la musique. Or par bien des points de votre exposé, nous sommes tentés de faire abstraction du pôle philosophique que vous convoquez, à moins d'identifier celui-ci à une pure et simple logique, ce à quoi se résume d'ailleurs la philosophie mathématique telle qu'elle est définie par Russel.
D'ailleurs, au terme de votre exposé, vous faites directement référence à une logique musicale autonome (c'est l'objet de vos cinq derniers points) dont vous concevez qu'elle possède un rapport d'équivalence avec la logique mathématique - tout au moins cette hypothèse se trouve dessinée en filigrane -. Le corollaire en est que la référence à une dimension philosophique se trouve alors superflue.
En particulier, les arguments que vous donnez comme obstacles à des rapprochements entre musique et mathématiques (sans médiation) ne sont pas valables. Sur le nombre par exemple : la question de savoir ce qu'on peut transposer du nombre en musique n'a pas d'objet, puisque, depuis Russel et Frege, le nombre mathématiquement n'est pas lui-même un objet. Il est même ce qui permet de fonder toute la mathématique. La question n'est donc pas de savoir s'il y a des nombres en musique comme il y en a en mathématiques mais de savoir si la musique pourrait recevoir un fondement similaire à celui de la mathématique.
De la même façon, la différence des conventions de notation n'est pas un obstacle. Il n'est d'aucune utilité de savoir si l'on peut utiliser des chiffres pour transcrire la musique. La question se pose en fait en termes logiques : Frege a montré que la possibilité d'utiliser des symboles logiques pour transcrire les propositions mathématiques fait des chiffres une convention accessoire de la représentation des mathématiques. Du reste, c'est Frege toujours qui est à l'origine de la méfiance à l'égard de l'utilisation du langage usuel pour décrire les mathématiques, en montrant que les structures logiques apparentes de la langue et les structures logiques réelles ne sont pas identiques, le langage n'étant pas suffisamment rigoureux. Et il est alors plus que probable que toute musique peut se codifier à l'aide de tels symboles logiques même si ceux-ci sont peu maniables et qu'on leur préférera des raccourcis conventionnels plus présentables.

Si l'on raisonne strictement sur la nature logique des mathématiques, un théorème « découvert » et défini par ses relations logiques aux axiomes ne présente plus d'intérêt au niveau de la recherche, en dehors de son éventuelle applicabilité (le fait par exemple qu'on l'utilise tous les jours pour intégrer des fonctions). Bref, c'est figer une propriété que de continuer d'affirmer qu'un théorème est important une fois qu'il est clairement exposé : il n'est plus qu'une propriété logique dont on s'est assuré qu'elle ne déroge pas à la loi des fondements. Le fait que le résultat soit facile / difficile à exploiter ou à se représenter, voire paraisse « beau » ou élégant, relève d'une toute autre considération, extramathématique en quelque sorte.
Ces considérations soulèvent alors quatre points importants dans la présente discussion. Si l'on admet que les mathématiques sont fondées - et elles le sont bien -, qu'elles sont ancrées de manière solide dans le domaine vaste et rigoureux de la logique (dont les résultats de Gödel ne sont qu'une propriété), et si l'on poursuit le parallèle avec la musique au-delà d'une simple applicabilité, alors :
1) On se demande quel est le rôle du troisième terme philosophique qui ne détermine même pas les conditions d'applicabilité de la logique au musical (en vertu d'une hypothétique autonomie de cette dernière).
2) Cela revient à supposer un fondement logique ou rationnel à la musique dans son ensemble, sinon on ne verrait pas comment cette musique logique ainsi définie n'apparaîtrait pas au sein de toute la musique comme un domaine particulier d'application de la logique mathématique. Or je crois qu'esquisser les bases d'une science qui explorerait les purs fondements logiques de la musique dans le contexte (occidental !) qui est le nôtre est un des exercices les plus difficiles qui soit.
3) De plus, si l'on admettait que toute la musique, malgré sa variété, obéit à un certain nombre de règles logiques fondamentales (comme toutes les mathématiques, malgré leur diversité, obéissent à un certain nombre de règles fondamentales, réductibles, pour une mathématique donnée, à une logique donnée - intuitionniste par exemple), alors le fait que l'activité des musiciens s'inscrive ou non de manière consciente dans cette rationalité est complètement indépendant de la nature logique du musical, puisque les données fausses peuvent être aussi logiques que les vraies.
D'ailleurs, du point de vue logique, l'attitude d'un compositeur artisan est peut-être bien plus riche que celle d'un compositeur pensif individuellement conscient, ne serait-ce que parce que le premier met en jeu bien plus qu'une donnée logique individuelle. Et si le compositeur pensif est susceptible de faire usage d'un certain savoir, alors il ne se définit pas contre l'artisan mais comme quelqu'un possédant quelque chose de plus que lui, ce qui paraît une définition dangereuse...
4) Nous pourrions imaginer que l'espoir d'un compositeur pensif est de mettre en avant la nature de tels fondements, d'engendrer de tels processus, de la même manière que des mathématiciens ont eux-mêmes érigé les bases de la mathématique et de la métamathématique. Le problème est qu'un logicien ne se distingue pas d'un mathématicien.

Cela conduit à se poser la question des fondements : pourquoi la musique posséderait-elle des fondements et pourquoi ne serait-elle pas plutôt contextualisée, soumise à des conventions irrémédiablement ajoutées par les hommes pour leur confort ? La question du fondement des mathématiques était vitale car on pressentait que de nombreuses applications allaient en être faites, mais c'est loin d'être le cas de la musique.
Les fondements logiques de la musique souffrent de l'ombre que constituent les fondements de la logique mathématique. À l'aide de la philosophie certes, il est possible d'atténuer cet obstacle :
- soit en se convainquant (à l'aide de certains arguments philosophiques) que la mathématique n'est peut-être pas aussi fondée qu'elle le voudrait, ce qui recule peut-être plus le problème qu'il ne l'avance ;
- soit en se convainquant philosophiquement que la musique peut quasiment constituer un monde en soi qui mérite une reconstruction de manière à ce que nous ayons l'impression de ne rien appliquer des mathématiques.
Mais cela, à mon sens, signerait une distinction radicale entre musique et mathématique puisque les mathématiciens n'entreprennent jamais de reconstruire un résultat qui leur est déjà donné. Une règle d'or en effet est que la mathématique se donne tous les moyens pour ne jamais devoir revenir en arrière (tel Sisyphe) et pour ne pas avoir à redéfinir des résultats déjà vérifiés. La gratuité esthétique qu'il y aurait de refonder un monde similaire échappe complètement à la mathématique. Le geste apparaîtrait comme d'emblée infiniment faussé.

Je suis désolé de pousser les hypothèses à une telle extrémité, mais il me semble important d'admettre qu'une différence fondamentale entre mathématique et musique tient à la nature conventionnelle (sur laquelle on peut arbitrairement intervenir à chaque instant) de cette dernière, même si cette restriction semble nous empêcher d'aller bien loin. Cela ne nous empêche cependant pas d'étudier quantité d'applications des mathématiques à la musique, applications qui semblent, elles, bien réelles.

François Nicolas
Quelques réactions immédiates et locales à vos propos.

· Vous dites :
Si le segment mathématiques / philosophie tendait à se réduire en un point, nous aurions alors une sorte d'équivalence entre les mathématiques et la musique.
Il est vrai que la distinction mathématiques / philosophie peut être débattue. René Guitart, par exemple, tient que la mathématique est une partie de la philosophie, ce qui est une thèse assez étonnante mais, finalement, qui peut être comprise comme une simple conséquence de l'équation d'Alain Badiou « mathématiques = ontologie » sous l'hypothèse alors, soutenue pendant longtemps par les philosophes (mais récusée par Badiou), que l'ontologie fait partie de la philosophie.

· Vous avancez l'idée d'une « philo (logique) musicale » laquelle est bien intéressante. Elle est peut-être une version rétrécie de l'idée d'une philosophie - mathématique. Elle pose cependant de gros problèmes philosophiques. En tous les cas je ne pense pas que la logique musicale puisse être considérée comme une philosophie musicale (lors même, pourtant, que j'inclus bien la dialectique musicale dans la logique musicale), ne serait-ce que parce que si je reconnais l'existence d'une logique musicale, je ne vois guère ce que serait une philosophie musicale. Questions de terminologie, me direz-vous ? Pas seulement, je crois.

· Vous précisez :
Vous faites directement référence à une logique musicale autonome dont vous concevez qu'elle possède un rapport ou caractère d'équivalence avec la logique mathématique - tout au moins cette hypothèse se trouve dessinée en filigrane -. Le corollaire en est que la référence à une dimension philosophique se trouve alors superflue.
Oui, s'il était vrai que logique musicale et logique mathématique s'équivalaient. Mais je soutiens le contraire dans mon texte « Questions de logique » distribué en complément de mon exposé .

Je relève également votre assertion :
Le nombre n'est pas un objet. Il est même ce qui permet de fonder toute la mathématique.
Si je suis d'accord sur le fait que le nombre n'est pas un objet, je suis en désaccord avec l'idée que le nombre permettrait de fonder toute la mathématique. En théorie des ensembles, les nombres ordinaux (ou cardinaux) ne constituent que des ensembles d'un type particulier, et ils ne fondent nullement cette même théorie. C'est très exactement l'inverse : c'est la fondation des mathématiques par la théorie des ensembles qui permet l'établissement des nombres comme sous-catégorie d'ensembles.

· À propos de votre remarque :
l'attitude d'un compositeur artisan est peut-être bien plus riche que celle d'un compositeur pensif [...] et si le compositeur pensif est susceptible de faire usage d'un certain savoir, alors il ne se définit pas contre l'artisan mais comme quelqu'un possédant quelque chose de plus que lui, ce qui paraît une définition dangereuse.
Compositeurs pensif ou artisan sont pour moi des déterminations subjectives, non objectives. « Compositeur artisan » désigne quelqu'un se disant tel (car je crois que tout compositeur est aussi artisan). C'est seulement de ce point de vue subjectif qu'on peut distinguer, comme je le proposais, celui qui se dit pensif de celui qui se dit simple artisan.

· Je reste également réservé sur votre affirmation :
Le problème est qu'un logicien ne se distingue pas d'un mathématicien.
Est-ce bien vrai ?
1. La logique se distingue-t-elle de la mathématique ? Je le pense, pour ma part : la plupart des théories mathématiques (ne serait-ce que la théorie de l'intégration évoquée) ne sont pas intelligibles comme pures et simples théories logiques : la mathématique déborde de toutes parts la logique.
2. Si tel est bien le cas, comment alors un logicien pourrait-il ne pas se distinguer d'un matheux ?

· Enfin, dernière réaction. Vous dites :
Une règle d'or est que la mathématique se donne tous les moyens pour ne jamais devoir revenir en arrière (tel Sisyphe) et avoir à redéfinir des résultats déjà vérifiés.
Je n'en suis pas du tout sûr. Par exemple, les mathématiques sont bien amenées à redémontrer autrement des théorèmes déjà démontrés. N'est-ce pas là une manière de « revenir en arrière » ? Et certaines refondations mathématiques opérées il y a cent ans ont, me semble-t-il, le même caractère de reprise...

Thomas Sylvand
Une remarque sur votre dernier point. Je veux dire que lorsqu'un théorème est vérifié, c'est-à-dire lorsqu'il n'y a pas lieu de montrer qu'il était faux, la mathématique ne revient pas en arrière à son sujet. Toute nouvelle démonstration (autre démonstration) n'est qu'un domaine ajouté, en plus. De la même façon, les tentatives de refondation des mathématiques sont une tentative pour leur donner plus de rigueur, mais certains anciens résultats, tels les postulats d'Euclide, peuvent toujours être considérés comme valides. Même les constructions alternatives (voir les logiques intuitionnistes et modales ou les géométries non euclidiennes) sont conçues comme des additions de domaines à la mathématique.

Laurent Mazliak
Je reste assez peu convaincu par la distinction faite par François Nicolas dans son exposé entre « une formule » et « une théorie ».
En fait, je ne suis pas sûr que, comme il l'affirmait, un théorème soit en soi différent de ce même théorème complété de sa démonstration. Nous connaissons tous des exemples où la démonstration obscurcit les choses plus qu'elle ne les éclaire (attention : ceci n'en invalide en rien la nécessité) et je pense qu'on est un peu revenu de la vision purement bourbachiste des mathématiques.
Pour donner un exemple concret relevant de ce lycée dont il a été mentionné les déficiences, je ne pense pas que la construction du corps des complexes à partir des matrices carrées d'ordre 2, construction qui se faisait auparavant en terminale, apprenne quoi que ce soit sur la puissance ou la richesse de ces nombres.
De même, on s'est mis à hurler quand on a supprimé des programmes du supérieur toute construction de R, mais je pense qu'on l'a fait pour de mauvaises raisons : cette construction n'apprend rien sur R qu'on ne puisse concevoir axiomatiquement ; la question relève simplement d'un point de satisfaction intellectuelle.
De ce fait, quand Alain Connes dit qu'un mathématicien a compris un théorème quand il en a compris la démonstration, je ne crois pas qu'il entende exactement ce que Nicolas en disait mais plutôt qu'il peut extraire de la démonstration la dynamique sous-jacente qui est éventuellement créatrice de nouvelles idées. Bien sûr, ceci ne signifie pas que je suis satisfait du massacre des mathématiques qui a été effectué dans les programmes du secondaire mais je pense qu'on sera d'accord pour dire que ce n'est pas parce que c'est dramatique maintenant qu'il faut dire que c'était parfait avant !

François Nicolas
Plusieurs réponses à Laurent Mazliak.

1. Je ne pense pas que rehausser l'importance de la démonstration en mathématique soit particulièrement bourbachiste. La preuve, si je puis dire : Arpad Szabo (qui n'est aucunement bourbachiste) et qui insiste sur l'importance (en termes de fondation des mathématiques) de l'invention de la démonstration à l'époque des Grecs.

2. Les deux exemples donnés (nombres complexes et R) me semblent poser des problèmes de natures assez différentes.
D'abord donner une démonstration d'un théorème est un peu autre chose qu'exposer une théorie, a fortiori la construire de la manière dont on peut construire les réels par les coupures de Dedekind. Par exemple on pourrait (et on devrait) démontrer aux élèves de Seconde l'irrationalité de racine de 2 comme l'ont fait les Grecs : cela éclaire immédiatement le point de l'irrationalité. Démontrer cela est une chose, construire les réels en est une autre. Si on ne démontre pas cette irrationalité, que peut en comprendre celui à qui on dit simplement qu'il y a des irrationnels, à qui on se contente d'en énoncer l'existence ?

3. L'exemple de construction des réels est pour moi un très bon exemple car il fut précisément lié à un « événement » important dans mon rapport aux mathématiques. Mon professeur de taupe avait exposé cette construction (à partir des coupures de Dedekind) et ce qui m'avait alors sidéré, c'est d'abord que l'on entreprenne ainsi de fonder ce qui pouvait paraître aller de soi, et ensuite (rétrospectivement) que ce que je croyais établi et assuré (parce que je calculais depuis longtemps avec cela) n'avait en vérité aucun statut évident et que j'aurais pu tout aussi bien ne bâtir depuis longtemps à partir d'eux que ce que l'on bâtit à partir de licornes ou de chimères. C'est précisément par cette construction que le cours de mathématiques sortait d'un coup de son régime usuel de calculs pour taupins et futurs ingénieurs et accédait enfin à un statut de pensée proprement dite.
Je dirais donc volontiers que tant qu'on n'a pas compris la nécessité de fonder l'ensemble des réels R, on n'a pas compris ce que sont les mathématiques. Ou encore, je n'imagine pas un mathématicien qui puisse se déclarer indifférent à l'existence d'une telle construction (et qui soutienne par exemple : « peu importe qu'elle existe ou non »).

4. Un théorème peut avoir une dynamique créatrice mais il l'a aussi pour partie à mesure de la dynamique dont il procède, de son amont et pas seulement de son aval. La récente démonstration du théorème de Fermat semble bien attester ce point (pour ce que j'en ai compris !) puisqu'elle crée des connexions entre domaines ou théories mathématiques a priori bien éloignés.
Au total, je maintiens donc qu'un théorème sans sa démonstration, c'est une météorite ou un bout de musique traditionnelle dont on ne connaîtrait pas l'entour. Bien sûr, on peut toujours se mettre à rechercher le contexte dont cette partie serait extraite comme on peut entreprendre de découvrir l'insertion d'un énoncé mathématique et d'où il provient. Mais précisément cette attitude est alors tout le contraire d'une indifférence à la démonstration de cet énoncé !
On pourrait accumuler les métaphores : je le ferai ici, pour stimuler la controverse. Un théorème sans démonstration, c'est comme celui qui réduirait un roman au sommaire de son intrigue et résumerait ainsi 50 % des romans : « un jeune homme rencontre une jeune femme et l'aime ». C'est comme résumer les sonates de Beethoven et autres classiques viennois à « exposition, développement et réexposition ». Un théorème sans démonstration, c'est comme la morale d'une histoire mais sans l'histoire en question ; c'est comme la conclusion d'une fable mais sans la fable elle-même ; c'est comme la chute d'une blague mais sans la blague elle-même ; ou c'est le dénouement d'un roman policier mais sans le roman.
Ce n'est donc pas simplement une question de contexte mais cela tient au fait que cet énoncé (le théorème) est amené là selon une procédure réglée, selon des enchaînements codifiés. Or il se trouve que les mathématiques règlent leur discipline de pensée sur ce genre de déduction (les démonstrations), comme les fabulistes règlent la leur sur d'autres, ou les musiciens sur le développement. Il faudrait donc se demander quel peut bien être l'intérêt d'un théorème sans sa démonstration, de même que l'on peut se demander quel serait l'intérêt de ne voir que les dernières minutes d'un film policier ou de lire les seules dernières pages d'un Agatha Christie, ce que personne, à ma connaissance, ne fait. Qui lirait de même des pages de théorème sans qu'ils soient l'aboutissement de leurs démonstrations ? Qui ferait cela ne comprendrait pas plus à ce qui est pensé dans un théorème que ne le peut celui qui ne connaîtrait de la Fontaine que « la raison du plus fort est toujours la meilleure » : ce qu'il ferait alors, c'est traiter La Fontaine en moraliste sentencieux (en La Rochefoucauld) plutôt qu'en écrivain...
Ce que dit vraiment un théorème tient à ses corrélations. Dit encore autrement : le propre d'un énoncé scientifique, singulièrement mathématique, est qu'il peut être détaché de toute position d'énonciation (il n'y a besoin de savoir que c'est Monsieur Dedekind qui a parlé de « coupure ») mais ceci ne veut pas dire que cet énoncé est pour autant détaché de tout contexte mathématique, bien au contraire. C'est précisément parce qu'il est détachable d'une position d'énonciation qu'il est plus fortement attaché à d'autres énoncés mathématiques. À l'inverse, un énoncé philosophique (tel le cogito « je pense donc je suis ») et a fortiori littéraire (« Longtemps je me suis couché de bonne heure... ») reste attaché à son contexte d'énonciation et par là seulement à d'autres énoncés : sa connexion aux autres énoncés du Discours de la méthode ou de la Recherche du temps perdu passe ainsi par cette énonciation singulière et n'est pas intrinsèque.
L'énoncé de type particulier en quoi consiste un théorème porte, lui, des connexions intrinsèques à d'autres énoncés et c'est pour cela que la découverte d'une nouvelle démonstration d'un théorème peut devenir en soi un événement mathématique.

Frédéric Voisin
Posons la question naïve suivante : y a t-il un nom différent pour « théorème démontré » et pour « théorème non démontré mais dont on subodore qu'il le sera un jour ? » Autrement dit : un théorème est-il un théorème s'il n'est pas démontré ?
Un « théorème » non encore démontré pourrait à mon avis avoir des implications implicites qui ne soient pas « inutiles » à la compréhension d'un concept (plus ou mois explicite) : un « théorème non démontré » (une conjecture ?) a déjà le mérite d'être posé, ce qui n'est pas rien. Et la dynamique du théorème sans démonstration (même si celle-ci existe par ailleurs) n'est pas nécessairement la même que la dynamique de sa démonstration.

François Nicolas
Y a t-il un nom différent pour «
théorème démontré » et pour « théorème non démontré mais dont on subodore qu'il le sera un jour ? » Autrement dit : un théorème est-il un théorème s'il n'est pas démontré ?
Non, je ne pense pas ! Un théorème, par définition, est démontré. Ce qui ne l'est pas est au choix :
- une proposition fondatrice : un axiome, supposé indémontrable, mais dont l'implication ou l'influence (bref ce qui se situe en aval) est supposée déterminant (puisque c'est à partir de cet axiome qu'on va développer une théorie) ;
- une proposition intermédiaire indémontrée qu'on espère pouvoir démontrer un jour (une conjecture) et à partir de laquelle on va déduire de nouvelles propositions (dont la démonstration restera donc subordonnée à celle, manquante, de la conjecture) ;
- une proposition intermédiaire non démontrée qu'on pose provisoirement (une hypothèse donc) pour mieux tenter de la démontrer ou de la réfuter par examen de ses conséquences.
Mais pas de place, me semble-t-il, pour un « théorème » indémontré.

Un « théorème non démontré » (une conjecture ?) a déjà le mérite d'être posé, ce qui n'est pas rien. Et la dynamique du théorème sans démonstration (même si celle-ci existe) n'est pas nécessairement la même que la dynamique de sa démonstration.
Je dirais volontiers (voir la discussion précédente avec Laurent Mazliak) que l'amont et l'aval d'un théorème n'ont pas en général même puissance : la dynamique de la démonstration ne dit pas forcément grand-chose sur la dynamique de ce qui se déduit à partir du théorème. D'où la difficile question des théorèmes dits « intéressants » : qu'est-ce qui fait qu'un théorème est dit « intéressant » ? Pourquoi cet intérêt d'un théorème n'est pas a priori lisible dans sa démonstration ? Pourquoi un théorème « intéressant » (c'est-à-dire en général intéressant pour ce qu'il ouvre plutôt que pour ce qu'il achève) n'a pas forcément une « belle » démonstration ? Etc.
Donc tout à fait d'accord pour disjoindre l'amont et l'aval mais je maintiens qu'on ne peut comprendre ce que pense un théorème si l'on ne s'intéresse aucunement à sa démonstration. Par exemple, je ne suis nullement en état de comprendre la démonstration de la conjecture de Fermat mais je ne peux pas imaginer que la démonstration qui vient d'en être faite n'éclaire pas son sens mathématique profond.

Frédéric Voisin
Je suis parfaitement d'accord quant à la distinction des énoncés selon qu'ils sont ou non démontrés. Et en effet, c'était bien dans ce sens qu'allait ma remarque : qu'y a t-il d'intéressant dans un théorème, dans un axiome, dans une conjecture ? La dynamique n'est pas la même pour chacun de ses objets.
On peut dire en effet qu'« un mathématicien a compris un théorème lorsqu'il en a compris la démonstration », ou bien qu'« un théorème sans sa démonstration est une météorite ou un bout de musique traditionnelle dont on ne connaîtrait pas l'origine ». J'apprécie beaucoup la référence ici à la musique traditionnelle. En effet, en ethnomusicologie, on ne saurait que faire d'un extrait de musique dont on ne connaîtrait pas l'origine (le contexte). Je suis bien placé pour le savoir.
Cependant, certains, non-ethnomusicologues, n'auront que faire de connaître l'origine de ce bout de musique et en tireront profit en s'en inspirant... Ainsi, la dynamique de ce bout-de-musique-inconnue peut échapper à sa fonction originale. On pourrait alors aller jusqu'à dire que le statut de ce bout de musique change selon qu'il est appréhendé avec ou sans son contexte.
De même pour le théorème : avec sa démonstration, il s'adresse à une communauté particulière qui a appréhendé le théorème dans sa fonction première (être démontré) alors qu'un théorème dont on ne connaîtrait pas la démonstration (ou qu'on ne saurait refaire) changerait de statut : il deviendrait un axiome, ou une espèce particulière de conjecture. Du coup, un théorème sans démonstration n'est plus un théorème : c'est une sorte d'axiome (personnel). Cela ne l'empêche donc pas d'être intéressant pour autant, bien que sa fonction ait été détournée. Et telle était mon hypothèse : insister sur l'importance du contexte (souvent implicite) qui détermine la fonction de l'objet (théorème ou autre).

D'autre part, peut-on raisonnablement penser qu'un théorème (donc pourvu d'une démonstration) puisse être redémontré ? Cela impliquerait donc qu'un théorème est à la fois théorème dans un contexte donné (telle théorie) et axiome ou conjecture dans un autre contexte. Un théorème serait donc potentiellement un « autre » théorème ? L'exemple de la construction des réels comme cette dernière question nous ramène donc à la question de l'identité.

François Nicolas
Peut-on raisonnablement penser qu'un théorème puisse être redémontré ? Cela impliquerait donc qu'un théorème est à la fois théorème dans un contexte donné et axiome ou conjecture dans un autre contexte. Un théorème serait donc potentiellement un « autre » théorème ?
Il arrive en effet constamment qu'un même théorème ait plusieurs démonstrations, d'ordres très différents. Il y a donc sens à « redémontrer » un théorème à partir d'une autre théorie mathématique.
Ceci dit, je ne pense pas qu'on puisse pousser très (trop) loin l'analogie entre démonstration et contexte : une démonstration mathématique d'un théorème est bien plus qu'une contextualisation d'un énoncé. La contextualisation mathématique d'un énoncé existe : cela consiste à plonger un théorème (venu d'ailleurs) dans une autre théorie. Mais faire ceci n'est pas pour autant produire une nouvelle démonstration de ce théorème dans cette théorie. En ce sens, démontrer n'est donc pas simplement contextualiser.
On le voit a contrario en musique où il y a sens à contextualiser mais guère à « démontrer ». Un objet trouvé musical peut être recontextualisé, ayant été précédemment décontextualisé. Mais l'idée de sa possible « démonstration musicale » n'a guère de sens. Tout au plus peut-on parler d'une éventuelle déduction musicale, mais le mot « déduction » devient ici très ambigu, un peu comme le mot « logique ». Je crois d'ailleurs que Tom Johnson compte nous parler de tel type d'objets à notre séance de janvier.

Pour éclairer notre débat sur l'importance ou non des démonstrations en mathématiques, et sur l'existence ou non de théorèmes sans démonstrations, on peut se reporter à l'exemple du grand mathématicien Ramanujan (1887-1920) qui s'était formé tout seul par lecture d'un synopsis de 6 000 formules et théorèmes mathématiques présentés sans démonstrations ! À partir de là, ce mathématicien (génial) avait, tout seul, d'une part reconstitué la « logique » de ces formules, d'autre part produit lui-même des centaines d'autres formules, toutes plus pénétrantes les unes que les autres. Ayant présenté son travail au mathématicien Hardy, celui-ci avait découvert :
- que certaines formules étaient des redécouvertes de théorèmes déjà démontrés,
- que d'autres étaient des propositions novatrices,
- que certaines étaient fausses, mais, comme le dit Hardy , ces énoncés faux pouvaient s'avérer des plus stimulants pour une recherche ultérieure,
- que toutes ces formules étaient, d'une façon ou d'une autre, profondes.
Ramanujan ignorait en fait la catégorie de démonstration. Il travaillait semble-t-il par induction à partir d'exemples numériques et, une fois que sa conviction s'était constituée (par un mélange d'intuition et d'évidence), il considérait alors que la formule (ou l'énoncé) était vraie. Ce qui opérait ainsi (pour un génie des mathématiques !) dans 95 % des cas butait cependant sur des erreurs ou des situations où une démonstration s'avérait absolument nécessaire. Comme le dit Hardy, si vous voulez par exemple vous convaincre que le nombre 2127-1 est premier, vous ne pourrez le faire que par une démonstration et nullement par une quelconque intuition globale : l'analyse des enchaînements est ici nécessaire et nulle synthèse ne saurait s'y substituer. Hardy donne un autre exemple, toujours dans la théorie des nombres premiers (qui a vertu pour nous de se donner dans des énoncés immédiatement intelligibles) : le « théorème » des nombres premiers propose une majoration de la quantité de nombres premiers inférieure à un nombre donné. Or une formule, avalisée par Gauss, qui s'avérait non seulement plausible mais confortée par l'évidence de tous les faits connus, a été réfutée par Littlewood en 1912 sur la base d'une valeur plus qu'astronomique (10 puissance 10 puissance 10 puissance 34 !). Littlewood bien sûr n'est pas tombé sur ce nombre par hasard mais l'a construit pour les besoins de sa cause. Comprendre cette construction, et par là la démonstration réfutant le pseudo-théorème précédent, est alors bien le seul moyen d'accéder à une compréhension de ce qui se joue dans ces conjectures.

Frédéric Voisin
François Nicolas : « Démontrer n'est pas simplement contextualiser. On le voit a contrario en musique où il y a sens à contextualiser mais guère à démontrer. »
Je suis d'accord sur cette distinction entre contexte et démonstration, et je ne voulais pas faire d'amalgame. La contextualisation d'un théorème en mathématique consisterait donc à importer dans une théorie un théorème issu d'une autre théorie ; sa démonstration reste alors à refaire (dans ce nouveau contexte) et de ce fait le théorème n'est plus un théorème, mais une conjecture.
Le parallèle avec la musique est évidemment dangereux, mais on peut cependant, dans le domaine cognitif plus large que constitue la logique, trouver un parallèle musical à la démonstration mathématique : considérons pour cela un théorème comme un énoncé (une assertion). La démonstration n'est pas immédiatement donnée avec le théorème, elle reste implicite et fait sens dans un certain contexte précis (dans un univers cognitif donné). L'acte de démonstration, il me semble, donne alors à voir (à entendre) la consistance implicite de l'énoncé.
Le parallèle serait alors celui-ci : l'analyse musicale, du moment qu'elle est cognitivement pertinente (emic) montrerait la consistance de l'énoncé (musical). Ainsi un énoncé musical peut être importé hors de son contexte cognitif, sans connaissance de son niveau emic. Ainsi, de même qu'un énoncé mathématique est théorème ou conjecture selon le contexte, il serait pertinent d'effectuer le même genre de distinction pour un « même » énoncé musical selon qu'il est pris avec ou sans son contexte d'origine (voir la vieille distinction etic / emic qui devient trop souvent aujourd'hui une considération sur l'« ethnique » - ethmic ?).

François Nicolas
Lorsque vous dites : « l'analyse musicale montrerait la consistance de l'énoncé musical », on perçoit déjà là un premier décrochement : l'énoncé musical dont il est ici question est, j'imagine, sonore ou du moins écrit en notes. L'analyse musicale qui va en « montrer la consistance » est, par contre, en mots. D'où un décrochement entre deux registres hétérogènes (l'énoncé musical et son « analyse ») qu'il n'y a pas en mathématiques entre énoncé-théorème et sa démonstration (qui s'établit dans le même registre de la « langue » mathématique).
En toute rigueur, il faudrait donc comparer l'énoncé mathématique déplacé d'un contexte théorique à un autre à une citation musicale faite dans un autre contexte sonore et musical que celui d'où cette citation est prélevée.

De même qu'un énoncé mathématique est théorème ou conjecture selon le contexte, il serait pertinent d'effectuer le même genre de distinction pour un « même » énoncé musical selon qu'il est pris avec ou sans son contexte d'origine.
Autre distinction, dont il faut ici tenir compte : une démonstration d'un énoncé mathématique n'est pas n'importe quelle contextualisation. On peut contextualiser un énoncé mathématique (en montrer par exemple les conséquences, la richesse d'éclaircissement) sans pour autant le démontrer. Cette distinction n'a pas exactement de sens en musique. On peut bien sûr introduire une citation musicale sans ouvrir les guillemets c'est-à-dire sans faire remarquer qu'il s'agit là d'une citation. Alors on peut dire qu'on crée de nouveaux antécédents à cet énoncé musical mais comme par contrecoup cet énoncé n'est alors plus mis en valeur en sa singularité, on se retrouve à nouveau très loin d'une démonstration mathématique qui, au contraire, choisit toujours d'amplifier le moment de la conclusion, celui où l'on arrive enfin au résultat recherché (en général d'un C.Q.F.D. percussif).
Bref, à ce niveau (qui est celui des logiques de discours), les différences et impossibilités de faire que discours mathématique et discours musical se recouvrent l'emportent sur les ressemblances. C'est aussi pour cela que j'avançais l'idée que la musique peut fonctionner comme modèle pathologique d'une théorie mathématique, car un modèle (au sens mathématique du terme) n'a nullement la même structure que la théorie qui le formalise. Dans cette acception du mot modèle, modèle et formalisation ne sont en effet nullement isomorphes.

Mais finalement je me demande si tout ce débat n'a pas à voir avec la différence subjective entre mathématiques et informatique. C'est une question que je me pose, que je vous pose : quel est le rapport aux mathématiques d'un (des) informaticien(s) ?

Frédéric Voisin
De même qu'une morale n'a pas besoin d'histoire(s), celle(s)-ci n'intéressant que les amateurs de littérature ou les structuralistes, de même un informaticien ne cherchant pas à entrer dans des considérations théoriques pourra trouver le théorème adéquat à un certain problème en cherchant par exemple dans les « Numerical Recipes ». On peut donc penser que la façon de poser le problème déterminera le théorème « utile ». J'aurais donc tendance à penser que la question du contexte est essentielle puisque c'est le contexte qui détermine la pertinence, si bien qu'on pourrait placer le contexte au-dessus de la démonstration, et cette dernière au-dessus du résultat.
Pour moi le contexte n'est pas une théorie mais plutôt un ensemble de croyances d'ordre cognitif plutôt que formel (cognitif voulant dire un ensemble d'attitudes perceptives, de sensibilités que l'on doit au rapport entre l'inné et l'acquis, à l'apprentissage). Donc par contexte j'entends un niveau phénoménologique qui est loin d'être négligeable, surtout en logique pure.
On peut à partir de là se demander où réside l'aspect fonctionnel d'un théorème : est-ce l'énoncé ou la démonstration ? La démonstration n'est-elle pas plus fonctionnelle que l'énoncé ? Peut-on imaginer un théorème sans énoncé (là où le contraire - un énoncé sans théorème - est un axiome) ? Certaines sociétés (telles les bouddhistes) ont souvent un raisonnement circulaire plutôt que dialectique tout en étant également productrices de savoirs et de technologies (traditionnels) : la structure des fables de la Fontaine comme celle de la Bible est ainsi beaucoup plus linéaire que celle du Mahabarrata ou du Ramayana : y a- t-il en effet une conclusion dans ces deux dernières mythologies ? La forme sonate n'existe pas dans les musiques de ces sociétés : en Afrique comme en Asie du Sud-Ouest, voire en Amazonie, la musique n'a ni commencement, ni fin.

François Nicolas
Frédéric Voisin : « Peut-on imaginer un théorème sans énoncé ? »
Là, je ne comprends pas bien : un théorème est un énoncé (d'un type particulier). Donc je ne vois pas du tout ce que pourrait être un théorème qui ne serait pas un énoncé.
Je vois bien par contre que la question du contexte nous partage. Mais je maintiens qu'elle est autre que la question de la démonstration, laquelle nous partage également.
Y a-t-il alors une raison pour que soient associés ces deux partages ? Je ne le pense pas parce que retirer à un théorème sa démonstration, c'est aussi lui retirer son contexte (on en a déjà parlé), c'est ôter l'eau dans lequel baigne le théorème-poisson. Donc défendre la contextualisation et en même temps séparer le théorème de sa démonstration comme vous le faites me semblent un peu contradictoires.
Quant à la question du contexte (faut-il ou non contextualiser ?), la réponse dépend bien sûr de ce que l'on entend par contexte, car il y en a de types bien différents.
Dans mon cas, si démontrer est interprété comme une manière de contextualiser, alors en revendiquant d'associer un théorème à sa démonstration, je prône bien une forme de contextualisation. Par contre, si contexte veut dire énonciation d'un énoncé (et il me semble que toute une part de ce que vous formulez va dans ce sens), alors je soutiendrai au contraire qu'un énoncé scientifique se distingue d'un autre énoncé, précisément parce qu'il peut être décontextualisé au sens précis de détaché d'une position d'énonciation.
L'énoncé « Longtemps je me suis couché de bonne heure » ne peut être détaché de l'énonciation « Recherche du temps perdu » qu'au prix de sa banalisation et de l'évaporation de son contenu de pensée (sensible). L'énoncé « Dans un triangle, le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés » peut par contre être détaché de son énonciation (par Pythagore ?), ce qui ne veut pas dire extrait de son contexte mathématique qui précise, seul, ce que voudra dire « triangle », « hypoténuse », etc.

Plus généralement, cette question du contexte partage aujourd'hui fortement les consciences. Je tiens que la pensée naît en général au point où quelque proposition se détache d'une gangue, s'isole, au point donc où opère un saut, une discontinuité, une rupture, à tout le moins quelque chose qui ne saurait s'expliquer par le contexte, par la continuité, par le prolongement. Ce type de saut, dans les mathématiques, ce sont des axiomes. Mais les mathématiques sont déjà par elles-mêmes un tel saut de la pensée au regard de leur contexte social et culturel (voir Arpad Szabo : il montre que la démonstration, singulièrement celle par l'absurde, n'est nullement une constante de la pensée humaine mais une invention apparaissant à un moment de l'histoire, et inaugurant alors quelque chose de radicalement neuf - les mathématiques en l'occurrence - qu'on ne saurait assimiler aux dispositifs antérieurs de calculs).
Donc pour résumer ma position :
- oui pour la contextualisation mathématique d'un théorème (incluant donc sa démonstration) ;
- non pour une contextualisation des mathématiques qui les rabattraient et les homogénéiseraient à un dispositif culturel et technique de calcul.