Lachenmann :  une désautonomisation de la musique ?

Sur le livre de Martin Kaltenecker : Avec Helmut Lachenmann (van Dieren Éditeur, 2001)

(Samedi d’Entretemps, 26 avril 2003 — Ircam)

 

François Nicolas

 

 


Il est pour moi difficile – moi qui connais mal l’œuvre d’Helmut Lachenmann — de distribuer, dans la lecture de ce livre et donc dans sa discussion, ce qui relève d’Helmut Lachenmann et ce qui relève de Martin Kaltenecker, d’autant que ce qui relève d’Helmut Lachenmann est double : il y a d’un côté les œuvres d’Helmut Lachenmann, et il y a de l’autre les écrits d’Helmut Lachenmann (nulle raison de tenir que les deux concordent, ou que les seconds disent le vrai des premières…). Comme le propos de Martin Kaltenecker s’avère également double (il y a — dit grossièrement — le point de vue du musicien, et celui du philosophe), ceci dessine déjà un tableau à quatre entrées :

— ce que le musicien Martin Kaltenecker dit des œuvres d’Helmut Lachenmann,

— ce que ce même musicien dit des écrits d’Helmut Lachenmann,

— ce que le philosophe Martin Kaltenecker dit des œuvres d’Helmut Lachenmann

— et ce que ce même philosophe dit des écrits d’Helmut Lachenmann.

Je simplifie d’ailleurs la donne en écartant ce qu’Helmut Lachenmann écrit sur ces œuvres et ce que le philosophe Martin Kaltenecker dit (ou laisse entendre) du musicien Martin Kaltenecker, mais passons : j’ai déjà bien assez à faire avec nos quatre premiers dires…

 

Comment alors discuter de ce livre, et pas seulement d’Helmut Lachenmann ? Plus encore, comment discuter avant tout de ce livre ?

J’adopterai, pour ce faire, un parti pris radical : je supposerai que ce livre dit vrai sur ce dont il parle, en l’occurrence sur Helmut Lachenmann (et en prenant ce nom propre dans l’indistinction de ses œuvres musicales et de ses écrits). Je discuterai donc essentiellement de ce qu’écrit, pense, propose Martin Kaltenecker.

Mais comment alors discuter de ce qu’écrit Martin Kaltenecker s’il ne s’agit pas à proprement parler d’évaluer son interprétation d’Helmut Lachenmann en appréciant, terme à terme, la validité ou l’inexactitude de tel ou tel détail de sa lecture-audition ?

J’opérerai de deux manières :

D’abord je tenterai de ressaisir ce que Martin Kaltenecker dit ici d’Helmut Lachenmann à la lumière d’une dynamique générale de la musique que j’appelle son mouvement d’autonomisation — je m’expliquerai ensuite sur ce que j’entends par là — pour éprouver la manière dont Martin Kaltenecker situe Helmut Lachenmann au regard de ce mouvement. En quelque sorte je plongerai le discours de Martin Kaltenecker dans un référentiel qui est le mien, non le sien, pour tenter de révéler par là certaines nervures inapparentes, de relever certaines architectures souterraines, d’exhausser certains enchaînements sous-jacents.

Ensuite, je discuterai d’un point de méthode — disons d’un aspect de la forme de pensée que déploie ici Martin Kaltenecker — : des rapports suggérés de fraternité entre musique et philosophie.

 

I. Helmut Lachenmann et l’autonomisation de la musique

À lire Martin Kaltenecker, il semble qu’Helmut Lachenmann s’en prenne avec constance au mouvement d’autonomisation qu’a connu la musique depuis longtemps [1].

Plutôt que de présenter ce que j’entends par autonomisation de la musique, je vais partir à l’inverse des différents traits qui indiquent qu’Helmut Lachenmann récuse cette autonomisation ; chacun pourra alors, en creux, discerner ce que cette autonomisation désigne positivement.

• Prévalence de la démusicalisation sur la musicalisation.

La musicalisation — celle du bruit par exemple — consiste à intégrer au monde de la musique des sonorités jusque-là non musicales, non musicalement utilisées. Helmut Lachenmann — à ce que nous en dit Martin Kaltenecker — semblerait plus soucieux de démusicaliser les sons musicaux que de musicaliser les sons non musicaux.

En quoi consiste cette démusicalisation ? Cf. son souci de rattacher le son musical à son origine instrumentale en sorte de faire porter l’attention auditive sur la cause plutôt que sur son effet. Ou encore : si l’on tient que le son musical n’est pas un son acousmatique — en effet il n’est pas radicalement abstrait de sa source instrumentale —, il n’adhère cependant pas à cette source : il s’en détache comme une trace peut le faire par rapport à ce qui l’a tracé. Autrement dit, si la source instrumentale d’un son musical est refoulée mais pas forclose (comme elle l’est dans l’acousmatique), alors la démarche d’Helmut Lachenmann consiste à renverser le rapport de la trace à ce qui l’a tracée, à remettre le son musical sur ses pieds instrumentaux selon cette bonne vieille logique matérialiste dont Marx a légué la formule dans sa 13ème thèse sur Feuerbach. Ceci peut s’indexer d’une mutation catégorielle suggérée par le livre de Martin Kaltenecker : avec Helmut Lachenmann, le son en musique n’est plus trace mais signal [2].

Il y a là une manière de relier la musique à ses conditions musiciennes de production, bref de mettre l’accent sur la réalité concrète — « c’est le musicien qui fait la musique » — et surtout d’indiquer que ce qui est ainsi fait par le musicien lui reste collé à la peau, à la main, plutôt qu’il n’est en état de s’en détacher : en cette conception, le musicien n’émet pas, ne projette pas quelque réalité musicale apte alors à évoluer selon ses lois propres de matière sonore mais ce qu’il génère reste attaché à ses semelles, à ses bras, à ses gestes. Plus encore le sens ultime de cette pratique se tient du côté du musicien, si bien que le son généré est signal tourné vers le musicien plutôt que ce dernier ne désigne du doigt une lune musicale qui relèverait d’une tout autre logique que celle de son index.

Mais si la musique s’est construite non par effacement du musicien mais par retrait de son corps au profit de la trace que génère le corps à corps du musicien et de son instrument (lui-même corps physique) — et tout cela, selon Martin Kaltenecker, est bien admis par Helmut Lachenmann —, alors renverser ce rapport, remettre la musique sur les pieds du musicien et non plus sur la tête des sonorités, c’est bien « profaner le son, le démusicaliser » [3].

• Démusicalisation de l’instrument de musique, ou devenir-ustensile… Désemboîter (p. 67, 304)

• Usage d’une certaine saturation de l’écriture musicale traditionnelle pour prôner un retour à la tablature, donc à un état antérieur à la constitution de la lettre musicale.

Or

— L’écriture est le transcendantal du monde de la musique : ce qui règle l’apparence musicale… [4]

— Il y a une singularité très forte de l’écriture musicale : étrangeté de la lettre musicale, et donc de la partition qui n’est pas une carte (Grisey !)

— Crise actuelle de l’écriture car saturation des lettres traditionnelles (notes) et difficulté à écrire les nouveaux territoires musicalisés, par exemple les sonorités électroacoustiques, avec ces lettres. D’où par exemple une écriture pour l’ordinateur qui n’est plus entièrement normée par le principe de la note.

— Une voie proposée : retour en arrière au principe de la tablature. Cf. deux voies dans l’interprétation de l’écriture musicale pour ordinateur : traitement en tablature de l’ordinateur ou déploiement (provisoire ?) d’une double écriture…

Helmut Lachenmann semble se tourner vers la tablature plutôt que vers le renouvellement (comment ?) de l’écriture musicale…

• Perte de confiance dans la musique : la musique serait morte, comme Dieu est mort [5]

D’où, bien sûr, une méfiance sur ce que musicaliser de nouveaux territoires pourrait vouloir dire : quand on ne sait plus ce qu’est la musique, les appuis doivent être cherchés dans la déconstruction de cette chimère que serait devenue la musique et qui continuerait de boucher l’horizon.

Précision : savoir n’est pas définir ; un musicien sait ce qu’est la musique sans jamais la définir. Réciproquement, chercher à définir la musique n’est nullement un point d’appui pour le musicien en mal de savoir ce que la musique est devenue… Définir la musique est affaire de non-musicien, c’est-à-dire de celui qui n’en fait pas : affaire de philosophe par exemple, affaire qui peut donc être noble mais qui n’est pas immanente à la musique…

• Ceci touche à ce point pour moi très frappant : Helmut Lachenmann prône un retour à la réflexivité, à la conscience de soi, à la problématique du moi. S’il ne s’agit pas ici de définir ce qu’est la musique, il s’agit cependant d’indiquer que la musique à déconstruire ne porte pas : en l’occurrence une conscience de soi.

La sonorité musicale, trace du corps à corps, est une marque laissée dans un nouvel ordre, dans un nouveau monde, qui peut vivre sa vie de marque de manière autonome par rapport aux conditions de sa production, un peu comme vous pouvez lire un livre en déchiffrant ses lettres sans pour autant vous soucier de la manière dont elles furent imprimées : vous vous mouvez dans un ordre autonome, certes non autarcique (il a bien fallu un imprimeur) mais émancipé de ses conditions matérielles immédiates de production. Certes le sensible d’une musique jouée n’est pas l’intelligible d’une langue écrite. Mais la musique procède aussi par changement d’ordre, par conversion de mondes, par sauts de registres et non pas dans un continuum de matériau.

Pour Helmut Lachenmann, ces sauts, conversions étant aussi des oublis — oublis de la condition antérieure, originaire, oublis du musicien et de son geste — ces oublis doivent être combattus.

Précisons à nouveau : la musique joue bien de cet oubli, ce qui n’est nullement dire qu’elle s’installe dans l’oubli de cet oubli. Tout au contraire la musique oublie, prône l’oubli, organise l’oubli à mesure exacte du fait qu’elle n’oublie pas qu’elle oublie. La musique peut organiser l’oubli du musicien précisément parce qu’elle n’oublie pas qu’il faut l’oublier !

Or la critique d’Helmut Lachenmann ne porte pas sur un prétendu oubli de l’oubli par la musique mais bien sur son simple oubli : c’est le sens de son retournement.

Remarquons que, dans la présentation que nous en fait Martin Kaltenecker, ce renversement s’accompagne d’une thématisation de l’objet : l’œuvre est objet musical à partir duquel le sujet musicien va se constituer. Ceci commande en effet que le sujet — instauré ainsi face à l’objet qu’est l’œuvre et situé dans le musicien — prenne conscience de son état de face à face avec l’objet et déploie une réflexivité qui prend alors le nom nécessaire d’un « moi ». Ceci, en soi, mériterait tout un débat proprement philosophique…

Pour l’instant, Helmut Lachenmann revendique le rôle-clé de la réflexivité là où la musique s’était — peut-on dire — construite par désintérêt de cette dimension : le son musical ne porte pas conscience de son origine instrumentale et, plus encore, son déploiement proprement musical ne se joue nullement dans la réflexivité sur cette origine.

Non seulement rattacher le son à son origine mais plus encore prôner la réflexivité, la conscience de cette origine, est donc aussi une manière de « démusicaliser » ce son.

• Le modèle du sensible que porte alors Helmut Lachenmann est le tactile, l’haptique, et ceci est cohérent avec les points précédents s’il est vrai que le toucher est un sensible qui ne procède pas par saut, par détachement, par changement d’ordre mais tout au contraire par rapprochement, par attachement, par accolement de deux registres. Mais ne faut-il pas alors constater qu’il n’existe pas à proprement parler d’art du toucher, et qu’il n’en existe que des artisanats ? N’est-ce pas l’indice que ce type propre de sensible n’est pas configuré en sorte de pouvoir supporter le contenu de vérité d’un art à part entière et ne peut qu’être l’occasion de sensations sensuelles plutôt qu’à proprement parler sensibles ?

• La musique, rattachée à ses conditions de production, se trouve par là attachée à ses conditions d’existence au sens plus général du terme c’est-à-dire à ses conditions tant sociales qu’historiques et que culturelles. D’où de nouveaux problèmes en nombre sur lesquels je ne m’étends pas ici [6]

 

Tout ceci indexe donc le processus « Helmut Lachenmann » à une entreprise de désautonomisation de la musique, ce qui est une autre manière de dire la démusicalisation à laquelle il œuvre.

 

Martin Kaltenecker indexe cependant les œuvres d’Helmut Lachenmann à l’art, non à la culture, donc à une puissance affirmative, et je m’accorde avec lui sur ce point.

C’est donc qu’il y a une part affirmative de ces œuvres dont le mouvement précédent ne rend pas exactement compte, auquel la description précédente ne rend pas justice.

C’est donc que la déconstruction dont serait porteuse cette œuvre ne serait pas essentiellement, comme elle l’est le plus souvent, sophistique conduisant au nihilisme au nom de bénéfices dialectiques escomptés de la négation, bénéfices longuement promis et qui ne viennent jamais. C’est donc que cette œuvre serait avant tout construction, et nouvelle construction, plutôt que déconstruction. C’est qu’elle affirmerait, porterait positivement de nouveaux principes de composition, d’enchaînement, de nouveaux liens, un nouvel ordre, de nouvelles formes et que la supposée « déconstruction » ne serait ici qu’un emblème provisoirement choisi (par Helmut Lachenmann lui-même… [7]), pour mettre à la mode l’entreprise d’édification plus aride et moins immédiatement séduisante qu’il entreprend en vérité : en quelque sorte il protégerait ainsi son affirmation naissance derrière la figure conventionnelle et consensuelle de la déconstruction.

Je n’ai pas le loisir de développer ici ce point : il me semblerait pourtant capital de creuser plus avant cet ordre souterrain dont Martin Kaltenecker nous rappelle constamment qu’Helmut Lachenmann tient à le préserver : séries tous-intervalles, réseau temporel, famille de modes de jeux et de catégories…, autant d’indices que cette musique propose un ordre musical plus encore qu’elle ne défait les ordres existants.

Tout semble se jouer dans l’ordre compositionnel nouveau qu’autorise le réseau catégoriel que s’est forgé Helmut Lachenmann, réseau qu’il faudrait examiner dans le détail pour savoir si ce qu’en dit Helmut Lachenmann — dans ses écrits — correspond vraiment à ce qu’il en est dans ses œuvres (où l’on retrouve la dualité posée au départ de mon intervention).

Ne connaissant pas d’assez près l’œuvre d’Helmut Lachenmann, je ne peux trancher ce différend, différend qui me semble circuler à l’intérieur même du livre de Martin Kaltenecker et que j’épinglerai sommairement ainsi : la négativité du projet d’Helmut Lachenmann (ce que j’ai appelé la désautonomisation, mais qui se dit aussi la démusicalisation, et la déconstruction) semble majorée par la partie musicale du livre de Martin Kaltenecker quand sa partie philosophique va au contraire relever la force affirmative de cette même entreprise d’Helmut Lachenmann.

La question va alors tenir au caractère philosophique de la nomination proposée par Martin Kaltenecker.

 

II. Musique et philosophie

Il faudrait, en ce point, engager une discussion à part entière sur le sublime. Vaste question, dont je ne suis d’ailleurs pas sûr d’avoir toutes les ressources philosophiques à ma disposition. Le sublime sert en effet à Martin Kaltenecker de concept philosophique majeur pour expliciter comment la négativité se convertit (peut se convertir) en positivité, comment la déconstruction, se poursuivant jusqu’à devenir déconstruction d’elle-même, peut devenir nouveau surgissement (ce qui n’est pas exactement dire nouvelle construction), comme l’excès sur l’excès peut, chez le Kant de la troisième Critique, pointer une positivité proprement esthétique.

Je reste cependant un peu perplexe devant la massivité de l’argument philosophique ainsi requis : faut-il que l’œuvre d’Helmut Lachenmann soit ainsi reconnue sœur de la philosophie kantienne pour pouvoir être relevée ? Et si l’œuvre de Beethoven peut être déclarée par Adorno sœur de la philosophie d’Hegel — grossièrement contemporaine —, comment chercher la juste fraternité d’un Helmut Lachenmann dans une philosophie qui a précédé Hegel, soit la supposée sœur philosophique de Beethoven ? Derrière ce curieux repli généalogique, n’y a-t-il pas le signe d’un certain forçage de l’interprétation critique avancée par Martin Kaltenecker ?

Martin Kaltenecker place son entreprise sous le signe d’une citation de Walter Benjamin qui fixe à la critique pour enjeu de découvrir les frères et sœurs de l’œuvre d’art dans le domaine de la philosophie.

Je me demande si cette maxime ne profile pas ce que peut être une critique philosophique — du moins pour Walter Benjamin, un philosophe soucieux (trop soucieux ?) de la dimension historique d’un certain esprit du temps — mais pas exactement une critique musicienne.

Somme toute, qu’apporte, à nous musiciens, un relevé généalogique qui révèle des fraternités adultérines, des descendances latérales, des branches non déclarées ? Qu’est-ce la dotation d’un nouveau nom propre composé — comme on ajoute désormais le nom propre d’une mère à celui de son père — peut nous enseigner sur les œuvres musicales ? Si la IX° symphonie est dite désormais celle de Beethoven-Hegel, qu’est-ce que ceci nous apprend sur cette œuvre musicale ? Ceci l’éclaire-t-il ou, au contraire, ceci n’obscurcit-il pas grandement ses enjeux proprement musicaux, sa manière proprement musicale de se déployer, de composer un temps qui lui est propre, de marquer et d’infléchir le monde de la musique dans lequel elle s’inscrit ? Cette nomination peut servir au philosophe — elle situe l’œuvre d’art dans la philosophie — mais l’inverse n’est pas vrai pour autant…

Ce qui importe au musicien, ce sont avant tout les frères et sœurs en musique, autant dire les œuvres musicales apparentées.

Les autres œuvres de pensée, qui partagent avec telle ou telle œuvre musicale un certain « esprit du temps » seraient plutôt ce que je propose d’appeler des camarades : ceux qui ont partagé une égale détermination dans une même situation globale.

Quels sont alors les frères musicaux et les camarades non musicaux de l’œuvre d’Helmut Lachenmann ? Ce livre de Martin Kaltenecker m’incite, nous incite tous, je crois, à aller y voir de plus près et nous fournit, pour ce faire, les principaux repères qui manquaient grandement à la bibliographie en français.

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Annexe

Références dans le livre

Matériau, progrès…

C’est le paradigme de la pensée du matériau qui définit l’univers musical où s’inscrira Lachenmann. […] Le paradigme du matériau demeure fondamental dans la pensée de Lachenmann. (31)

Ne pas lier l’idée de modernité à celle de progrès. (178)

Processus…

L’idée qui commande l’esthétique de Lachenmann dans les années 60 : produire non pas un objet fini, mais faire entendre un processus. (33)

Un art qui met en avant le processus et non le produit, à rebours de ces chercheurs d’or qui sont devenus des joailliers (60)

La musique de Lachenmann veut mettre à nu les modes de production (128)

Musicaliser, démusicaliser……

Projet de Berio dans Sequenza III : musicaliser le rire (42)

« À la recherche de la bombe qui ferait exploser le monde musical et laisserait entrer tous les sons par la brèche, sons qu’à l’époque (et parfois encore aujourd’hui) on appelait bruits. » Varèse (51)

« Mes dernières œuvres partent d’un élément du monde sonore que l’on négligeait plutôt : le son en tant que résultat et signal de sa production mécanique. J’aimerais tenter de renverser ce rapport causal et enclencher une déduction de l’effet sur la cause. Je veux profaner le son, le démusicaliser. Il s’agit là ni du timbre ni de l’action instrumentale mais du rapport entre les deux rendu perceptible acoustiquement. » Lachenmann (45-47)

Retournement…

C’est dans temA, achevé en octobre 1968, que s’opère définitivement le passage vers une autre esthétique, vers ce retournement fondamental qui consistera à déduire un système de différences non pas des paramètres d’un son mais du geste qui le produit. (44)

Lachenmann renverse le rapport classique entre le son et le bruit. (50) Cf. cette émancipation du bruit qui a été une des lignes de forces de l’évolution musicale au XX° siècle. (51)

« Le résultat sonore veut attirer l’attention, à travers une corporéité particulière, sur le geste qui la sous-tend. » Lachenmann (59)

La musique « déconcertante » de Lachenmann retourne le son, en composant avec ses bords ou son envers. (100)

Déconstruction, négativité…

« La déconstruction du geste emphatique » Lachenmann (54)

Musique négative ? Déchets ? (96) Art pauvre ? (97)

L’un des enjeux principaux de la musique de Lachenmann consiste à tenir en échec la tonalité. (98)

La tonalité ayant émoussé nos sens, il faut travailler à des déliaisons pour lier ensuite autrement : « Rien n’est plus constructif qu’une telle déconstruction. » en 1973 (108)

Le son philharmonique chez Wagner que la musique de Lachenmann veut mettre en question (126) Dé-philharmoniser (227)

La déconstruction, cette « brisure réfléchissante » (200)

Le champ de la déconstruction (319)

Devenir-ustensile de l’instrument : le désemboîter

Le devenir-ustensile de l’instrument est un point central de l’esthétique de Lachenmann. […] L’instrument est toujours pour lui un composé de différents ustensiles qu’il s’agit de désemboîter. (67)

Le compositeur de « musique concrète instrumentale » transforme les instruments en ustensiles. (304)

Le tactile (l’haptique)…

Chaque œuvre de Lachenmann représente en somme une toccata, fondée sur un toucher concentré, […] un toucher qui a du tact. (73)

La traditionnelle défiance vis-à-vis de la vue et la prééminence accordée au tactile tiennent à la réflexivité du toucher : la main qui touche un objet se touche elle-même. (75)

L’espace lisse est celui de l’haptique (tactile) là où l’espace strié est celui de l’optique. (172)

Réflexivité et « moi »…

Lachenmann définira l’enjeu, « l’objet » de la musique — et c’est là l’élément fondamental de son esthétique — comme « la perception qui se perçoit elle-même ». Il transpose dans l’ouïe la structure réflexive qui caractérise le toucher : chez Lachenmann, l’ouïe sera hantée par le toucher, l’oreille par la main. (75)

Chez Lachenmann, il s’agit de forcer l’oreille à une écoute autoréflexive. (76)

La teneur de vérité de l’œuvre que Lachenmann placerait dans son degré de réflexivité… (112)

L’enjeu de la musique de Lachenmann est celui d’une écoute qui s’interroge afin de se connaître elle-même. (263)

Jeu auto-réflexif qui m’instruit sur moi-même (268) Cette idée du moi comme lieu d’une expérience (315)

« Une écoute qui doit se connaître elle-même » (269)

Mort de la musique ?

« Ce n’est pas une musique qui avance, un texte discursif, mais la musique en tant que situation » Lachenmann (316)

Le dépassement de l’œuvre par une « situation musicale » marque d’une certaine manière la mort de la musique. (319) Cf. la mort de Dieu…

Pour Lachenmann, la musique est morte. « Composer ne signifie plus simplement « inventer la musique », mais « trouver » la musique, c’est-à-dire développer toujours à nouveau, et dans chaque œuvre nouvelle, la notion même de musique : en somme épeler chaque fois le mot musique. » (318)

Divers

Différence entre technique de composition et technique d’écriture (18)

Idée, à partir des années 60 de « musique concrète instrumentale » (18) Terme employé dans les années 70 (45)

La dette envers les sériels a toujours été clairement affirmée par Lachenmann. (25)

« Pour articuler la musique et ne pas se contenter d’un tas de notes, il faut des catégories. » Adorno (28)

Pour Lachenmann, les haut-parleurs « font écran à l’aspect énergétique de la musique ». (35)

Transformer un instrument pour en tirer des sonorités impensées (36)

Ce goût chez Lachenmann pour les sons qui chancellent (56)

Sa musique paraît s’interrompre plutôt que finir. (61)

Lachenmann tient à la conception traditionnelle de l’œuvre. (61)

Le « caractère affirmatif », c’est-à-dire toujours consentant, de l’art selon Herbert Marcuse. (83)

« La musique n’est pas et n’a jamais été un langage » Lachenmann (83)

Recours fréquent à la série omni-intervallique (132)

Le « réseau temporel » qu’il établit pour chacune de ses œuvres (137) « Cette confrontation aura aidé ma fantaisie à dépasser ses limites et m’aura fait découvrir ce que je voulais au fond de moi-même. » (159)

En 1990 Lachenmann définira la famille comme « la réunion de différents objets sonores sous le toit d’une unité de sens musical, c’est-à-dire d’une catégorie de la perception » (154)

L’idée de la sonorité structurée (ou « son-structure ») d’une pièce qui constituerait en son entier une sonorité unique, travaillée de l’intérieur. (156)

« Quand l’art n’affronte pas l’incommensurable, quand il se dérobe devant le jeu avec ce qui ne se laisse pas quantifier, il meurt. » Lachenmann (160)

À l’exception du recueil Kinderspiel, Lachenmann a écrit uniquement des œuvres d’un seul tenant. (163)

Moments particuliers (54) (164) (169) (221) (278) (294) (297)

« Il ne s’agit pas de nouvelles sonorités, mais d’une nouvelle écoute » Lachenmann (209-210)

« J’aime comparer la musique à un paysage » Lachenmann (237)

La critique, dit Walter Benjamin, doit se mettre « à la recherche des frères et sœurs de l’œuvre d’art. Et toute œuvre véritable rencontre ses frères et sœurs dans le domaine de la philosophie. » (262)

Il est « inutile que la musique fasse penser. […] Il suffirait qu’elle force les gens à écouter, malgré eux. » Debussy (269)

« Le commentaire culturel consiste à relier, coller et réconcilier. » Blanchot (284)

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[1] Les références précises au livre sont regroupées à la fin de cette intervention en annexe spéciale.

[2] Cf. p. 45-47

[3] p. 45-47

[4] Cf. ma conférence de novembre 2002 à l’EHESS…

[5] Il ne va nullement de soi qu’un compositeur doive considérer aujourd’hui que les conditions de possibilité de la musique se sont évanouies. Il va encore moins de soi de considérer que ce serait la tâche d’une œuvre musicale que de recréer les conditions de possibilité de la musique là où celles-ci défailleraient. Tout ceci n’est-il qu’un dégât collatéral d’un kantisme un peu trop consensuel ?

[6] Il faudrait en particulier interroger la catégorie de « matériau » qui sert, le plus souvent, à recoller l’œuvre musicale à ce dont elle a su s’écarter. Si la catégorie de matériau peut aider un compositeur à penser le développement musical en dehors de lui, dans la musique même, il n’en découle nullement que cette catégorie garde une pertinence pour l’œuvre une fois achevée.

Redisons-le à cette occasion : Karl Marx n’est pas seulement celui qui a rehaussé les déterminations sociales des phénomènes de conscience ; il est aussi et avant tout l’homme de la coupure épistémologique de 1844, le militant pour qui le mot « politique » désigne la possibilité de ruptures, de sauts, de décrochages, de discontinuités, de volontés qui ne sont plus transitives à la marche ordinaire du monde…

[7] Voir p. 54, 108