Le Domaine Musical (1953-1973)

 

Notes de lecture du livre de Jésus Aguila : Le Domaine musical, Fayard (1992)

François NICOLAS

(extrait de Les enjeux du concert de musique contemporaine)

 

Introduction

1953-1973 = vingt saisons :

· P. Boulez : quatorze saisons (été 1953 - été 1966)
· G. Amy : six saisons (été 1966 - été 1973)

Vingt saisons, 460 exécutions à Paris, une centaine de compositeurs.

Soit 23 oeuvres par saison

L'initiative est le produit des efforts d'une toute petite équipe, non des institutions ou pouvoirs publics.

 

I. Une saison : la dixième

Le Domaine musical apparaît comme le centre de vives polémiques, le sujet d'affrontements d'idées.

Le Domaine musical partage et divise. Plus globalement, il intéresse et requiert.

S'y affirme une esthétique post-webernienne

Le débat semble alors ordonné autour de ce point, qui tend à constituer un temps pour la pensée musicale.

Au gala du dixième anniversaire, un programme est distribué aux seuls abonnés avec la liste des donateurs et des abonnés.

Cf. importance accordée aux abonnés auxquels on renvoie une image d'élite et de privilégiés

Intention affichée de changer d'atmosphère musicale.

Fin 1962 la bilan apparaît positif : le public a acquis une réelle connaissance de l'École de Vienne et les apports de pionniers comme Varèse, Debussy et Stravinsky ont été placés dans leur véritable lumière.

Cela éclaire sur les buts conjoncturels du Domaine musical : l'objectif est de faire entendre en France une musique qui n'y était pas jouée, ou trop mal.

Dixième saison

1) 31 octobre 1962. Quatre oeuvres : Stockhausen, Berio, Messiaen, Boulez (dir. Boulez)
2) 12 décembre 1962. Cinq oeuvres (dont une création) : Eloy, Henze, Serocki, Stravinsky, Schoenberg (dir. E. Bour)
3) 13 février 1963. Sept oeuvres (dont deux créations et deux premières auditions : essentiellement de la musique de chambre) : Brün, Holliger (2), Pousseur, Miroglio, Boehmer (dir. par l'auteur), Berg.
4) 27 mars 1963. Six oeuvres (dont une création et deux premières auditions) : Tremblay, Brown, Varèse et Webern (3) (dir E. Bour)
5) 24 avril 1963. Six oeuvres (de musique de chambre) : Schoenberg (2), Amy, Xenakis, Boulez, Kotonski.

1° concert : La qualité d'exécution est jugée par tous irréprochable. Virtuosité générale ; Boulez est apprécié comme " un des chefs de notre temps ".

Des instrumentistes virtuoses, des auditeurs cultivés, un public de rang social élevé, des compositeurs acclamés, un directeur musical de renommée internationale, telles sont les images que le Domaine musical chercha à donner de lui-même.

2° concert : Eloy = deuxième génération post-webernienne.

Il est remarquable qu'on puisse alors compter les générations de compositeurs : on disposait pour ce faire d'un point de départ déclaré (Webern)

L'interrogation du public et des critiques était : le post-webernisme est-il l'un des derniers avatars de l'agonie du langage musical ou bien va-t-il engendrer une nouvelle génération de compositeurs ?

Une question de conjoncture musicale (post-webernisme ?) travaillait ainsi les auditeurs. Ce type de souci n'est pas courant.

Un rite de ces concerts était de faire un sort à l'uvre la plus pauvre du programme. D'où des sifflets " Excellent signe de vitalité de la musique contemporaine : on la siffle. "

Au total, pour un seul concert (le deuxième de cette dixième saison), on compte neuf critiques différents pour dix journaux ou revues.

3° concert : Considéré comme l'un des plus médiocres depuis dix ans. " Si j'avais été présent, j'aurais pu en donner une meilleure exécution " (Boulez)

Cf. l'objectif est la qualité d'exécution sans qu'on évoque le problème de l'interprétation de l'uvre contemporaine.

4° concert : Boulez propose de maintenir une oeuvre en payant sur ses fonds personnels le découvert supplémentaire qui en résultera " C'était plus important que l'institution vive " explique-t-il. " Il est inadmissible que l'on s'en prenne à la qualité de l'interprétation qui a été notre point fort. " (Boulez)

5° concert : " Il faut toujours quelqu'un pour assumer les responsabilités artistiques au dernier moment. " (Boulez). Le Domaine s'adresse à " l'honnête homme d'aujourd'hui ".

Coût : chaque concert revient en moyenne à 29 000 Fr. La recette moyenne est de 18 000 Fr. Déficit pour l'année (cinq concerts) : 54 245 Fr. La subvention n'en couvre qu'1/5° (12 000 Fr.). Boulez apporte sa contribution.

Public : cette musique était en phase avec une nouvelle espèce d'auditeurs éclairés : de nouveaux collectionneurs d'impressions rares fuyant les jugements collectifs et suffisamment humbles pour se laisser guider par les plus initiés.

Il apparaît difficile d'établir par saison cinq concerts dont l'intérêt se maintienne.

 

II. Naissance

À Paris, la musique des Viennois et des jeunes sériels n'était programmée que ponctuellement à partir de 1945.

Conditions : des appuis financiers solides et constants, l'action d'un petit groupe d'individus dont le rayonnement et la compétence musicales soient indiscutables, et une vraie politique musicale suivie : les auditeurs avaient besoin d'une vision rassurante et synthétique des cheminements de l'avant-garde.

La spécificité des programmes fut beaucoup plus payante que l'éclectisme.

Il y avait une génération ; et il y en avait un représentant.

Boulez, comme directeur musical de la Compagnie Renaud-Barrault, s'attacha la confiance d'un petit noyau d'instrumentistes.

Boulez fut surtout attiré par des artistes soucieux, comme lui, de radicaliser leurs recherches. " On se réunissait comme des conspirateurs. On discutait stratégie, lutte " (M. Fano)

Alliance Souvtchinsky-Boulez (Boulez est pris comme le représentant de sa génération : " chaque génération devait avoir son phare. ").

Le Domaine musical put s'intégrer dans un réseau international d'ensembles instrumentaux spécialisés dans la musique nouvelle, réseau formé de créateurs marginalisés dans leur pays, qui trouvèrent la force dans l'union au-delà des frontières et se rendirent solidaires face à leur ennemi commun : le conservatisme musical.

Heinrich Strobel joua pour Boulez dans la sphère ouest-allemande et internationale le même rôle que Pierre Souvtchinsky dans les milieux français.

Stravinsky donna un sérieux coup de pouce au Domaine musical en lui confiant l'exclusivité de la première européenne de Agon.

 

Concerts réguliers exclusivement voués à la nouvelle musique.

1° saison : quatre concerts de musique de chambre. Soutien de Barrault qui met gratuitement au service du Domaine musical son petit théâtre annexe.

1° concert : 13 janvier 1954 (Bach, Nono, Stockhausen, Webern, Stravinsky). Deux séances, l'une pour la critique, l'autre pour le public. 250 places prises d'assaut. Simples bancs en bois, sans dossiers. Lieu de concert jugé original, " sorte d'atelier à musique ", " chantier ".

Programme long, conçu selon trois plans : " plan de référence, plan de connaissance, plan de recherche ".

Cf. " combattre pour la musique de notre temps ". " Conscience d'une génération ", concrétisation du besoin global d'une génération de musiciens.

Titre Domaine musical ? : &laqno; C'était tellement neutre que le gens ne pouvaient pas savoir à quoi se raccrocher » (Boulez)

 

1° saison : Bilan financier négatif (pas de subventions).

2° saison : Mise en place d'une association. Six concerts prévus.

200 à 300 personnes ne purent entrer. Malgré cela, déficit important en fin de saison, scénario qui se répéta à l'identique durant les dix-neuf années d'existence de l'association.

Dès son premier concert, le Domaine musical trouva son visage quasi définitif.

Pionniers, image de marque de qualité. Le public sut qu'il pouvait entendre dans des conditions d'écoute optimale les " classiques contemporains " et les oeuvres nouvelles. L'assurance de Boulez donna au public le sentiment d'être fermement guidé.

 

III. Financement

Le Domaine musical ne cessa de revendiquer sa prise en charge par l'État.

Après quatorze saisons d'une étonnante stabilité, les donateurs et abonnés se retirèrent progressivement du jeu.

Toutes les saisons furent déficitaires (à la seule exception des cinquième, huitième et neuvième). Les déficits augmentèrent sensiblement à partir de la dixième année. La fin du Domaine musical ne fut cependant nullement dû à des raisons financières ; bien au contraire, un redressement s'était amorcé durant les deux dernières saisons.

L'État n'accorda des subventions qu'à partir de la troisième saison. Les dons d'amis ont couvert en moyenne 30% de la recette annuelle (jusqu'à 42 et 59% pour les années exceptionnelles). Durant les vingt saisons, il y eut une forte croissance de coûts de production neutralisant toutes les améliorations de financement.

Abonnements d'honneur au prix fort (dix fois plus que l'abonnement individuel normal). L'apport des abonnements oscilla entre 30 et 45% de la recette. Sous Amy, cela ne représentait plus que 10%.

Lieux : Petit Théâtre Marigny (250 places), salle Gaveau, Théâtre de l'Odéon (1280 places), Théâtre de la Ville (1090 places).

La signature par Boulez du Manifeste des 121 pendant la Guerre d'Algérie créa des turbulences parmi les abonnés.

" Nous croyons donner des indications suffisamment précises sur l'état présent de la musique contemporaine. " (Boulez, quatorzième saison)

Cf. cette orientation : donner un état des lieux, en dirigeant fermement le public.

" Je crois à la force et à la vertu de l'initiative privée, moins sujette à caution que l'immixtion permanente de raisons d'État. " (Boulez)

 

Abonnements de soutien

Deux groupes dominent : les artistes et la grande bourgeoisie d'affaires.

Artistes : cf. les différents courants de l'abstraction. Voir l'alliance remarquable entre musique sérielle et peinture abstraite.

Importance des réceptions après concert chez Suzanne Tézenas pour " les habitués du Domaine musical ". Importance du cadre social du concert.

Programme spécial avec liste de abonnés. D'où pour eux le sentiment d'une distinction sociale. Parallèlement, places pas chères ; d'où mixité du public.

La vente des billets représenta en moyenne entre 15 à 25% de la recette globale (deux fois moins que les abonnements). À la fin, et pour raisons financières, rationnement sévère des invitations.

Tradition du chahut, surtout entre 1960 et 1970.

Concert en 1971 : il n'y a " plus que " 800 entrées.

À l'époque d'Amy, naissait un nouvel auditoire pour la musique contemporaine (cf. Royan)

Le public parisien d'avant-garde a été de plus en plus sollicité par des organismes concurrents d'origine plus récente.

Tentatives d'aller en province et en banlieue sous Amy.

 

IV. De la marginalité à l'institutionnalisation

Phénomène progressif d'intégration de l'art musical contemporain. Aide de l'État croissante, d'abord à partir de 1960 (appui de Malraux), puis à partir de 1968 (a). Son apport est passé de 0 à 57 % des dépenses (5 % à la fin des années 50).

(a) L'histoire des institutions musicales se dessine sur fond d'histoire politique.

Conviction chez les compositeurs d'un autre âge d'or de l'histoire de la musique.

Saison 1960-1961 : premier concert intégralement diffusé par la radio.

En 1966, toujours pas d'instrumentistes titulaires. Toujours cinq concerts à dominante de musique de chambre.

Boulez : " La musique contemporaine était entre des mains débiles ; elle était complètement tuée " " Ramener le professionnalisme " " Prendre date " " Sortir de sa torpeur l'ensemble de la vie musicale " " Faire les réformes qui s'imposent " " Faire peau neuve "

" Le Domaine musical a décidé de renoncer à toute aide de l'État. "

" Le Domaine musical c'était moi " " Il fallait terminer le chapitre. " " Je n'assumerai plus la direction du Domaine musical "

Le Domaine musical avait assuré quatre preuves : validité du post-webernisme, existence d'un public, représentativité de ce courant dans l'art contemporain, aptitudes de Boulez.

Cf. configuration musicale, avec son chef de file, et ses résonances dans les autres arts

À partir de 1966, Landowski répartit l'aide de l'État entre quatre formations : Ars Nova, Musique vivante (Diego Masson), Ensemble Constantin Simonovitch, le Domaine musical ; puis à partir de 1967 entre cinq (adjonction de 2e2m).

Plan d'action quinquennal de G. Amy avec cinq objectifs : financement raisonnable, répéter en province les concerts de Paris, engager un manager, programmer des disques, réformer l'engagement des musiciens.

Convention de juin 68 : le Domaine musical comprenait vingt musiciens de base et s'engageait pour cinq concerts à Paris.

Subventions pour les cinq dernières saisons = 31%, 48%, 42%, 70% et 63% des recettes.

Le Domaine musical ne pouvait plus jouer son rôle d'éclaireur de la création musicale contemporaine.

Cet objectif d'éclaireur était une inflexion par rapport à l'objectif initial : configurer

 

 

V. Programmation

Trois plans :

- plan de référence = oeuvres du passé ayant une résonance actuelle,
- plan de connaissance = oeuvres contemporaines encore mal connues,
- plan de recherche = premières auditions ainsi mises dans une perspective historique.

Réajustement des trois plans en 1962 :

- abandon du plan de référence, " faute de moyens efficaces " ;
- accentuation des " classiques contemporains " ;
- la découverte est devenue la préoccupation première.
- Cf. épuisement du rapport au passé quand il est pensé comme engendrant le présent.
- Cf idée de classiciser la transition.
- On pressent le glissement vers une institutionnalisation de la création.

" On ne forge pas l'histoire de son temps sans prendre parti. " Boulez assume une double fonction de compositeur et de directeur des programmes.

360 oeuvres de 72 compositeurs durant quatorze saisons. Plus de 90% des oeuvres s'adressèrent à un effectif instrumental inférieur ou égal à quinze.

Critiques : " Chapelle ", " coopérative d'import-export "

Cf. les critiques portent bien sur le choix configurant de la programmation

Beaucoup d'uvres importées de Darmstadt et Donaueschingen (d'où également une économie en frais de répétitions). oeuvres de musique de chambre jouées par des ensembles autonomes (cf. Quatuor Parrenin). L'appellation " Ensemble du Domaine musical " n'apparaît qu'en 1962.

Boulez dirige deux à trois concerts par saison en moyenne. Opposition de principe au bénévolat. Les interprètes sont salariés. " Seule la stabilité économique peut garantir la régularité et la qualité des concerts. Je ne trouve rien de plus agaçant que le dilettantisme qui plaide tout le temps l'indulgence. " (Boulez)

 

Nombre d'oeuvres (dont nombre de compositeurs) :

 

 

Boulez

 

(%)

 

Amy

TOTAL 360   111
 

 

dt 90

   

 

Référence

 

22

 

6

 
 

 

dt 9

   

 

Classiques contemporains

 

155

 

43

 

42

 

 

dt 9

   

 

Contemporains

 

183

 

51

 
 

 

dt 72

   

 

  - génération 1915 (Messiaen)

 

19

 

5

 
 

 

dt 6

   

 

  - génération 1925 (Boulez)

 

118

 

33

 
 

 

dt 38

   

 

  - génération 1935 (Amy)

 

46

 

13

 
 

 

dt 28

   

 

         dont Créations :

 

40

 

11

 

24

 

             -  génération 1915

 

4

   

 

             - génération 1925

 

20

   

 

             - génération 1935

 

16

   

 

VI. Références

Ce terme désigne peu de compositeurs : Machaut, Dufay, Gabrieli, Gesualdo, Monteverdi, Dowland, Bach, Mozart, Beethoven.

Un interdit règne alors sur la période romantique.

L'objectif est de mettre à nu les racines de la musique contemporaine.

Thèmes : " Musique de chambre, musique pure ", " Conjonction Stravinsky-Webern ", " Prospection instrumentale-électronique "

Disparition des oeuvres de référence à partir de la saison 57-58 (cf. peu d'instrumentistes polyvalents).

 

VII. Les " classiques contemporains "

Il s'agit là des compositeurs suivants : Webern, Schoenberg, Stravinsky, Berg, Varèse, Bartok, Debussy, Ravel, Ives

" Urgent de provoquer des secondes auditions ", " reprendre contact avec les grands maîtres ", " acquérir une intimité profonde ", " toute la musique future passera obligatoirement à travers l'univers créé par leur imagination ".

Puis de moins en moins de ces oeuvres qui " ont pénétré dans le répertoire " et doivent être intégrées à l'activité normale des concerts. " Relier le créateur à ses sources ".

Convergence chez Boulez entre ses préoccupations de compositeur, de théoricien, et d'organisateur.

Schoenberg sera deux fois moins joué que Webern. On privilégie dans Schoenberg la période de 1908 à 1915. Censure de la période 1920-1953 de Stravinsky.

Cf. prééminence du configurant

Berg est deux fois moins joué que Schoenberg ou Stravinsky. Bartok : aucune exécution des quatuors en quatorze saisons. Debussy, plutôt qu'héritier, est présenté comme précurseur. Une fois la preuve de cette modernité faite, la présence de Debussy et Ravel devint inutile. Bartok était alors un peu l'idole des modérés.

 

VIII. Génération de Messiaen

Cette &laqno;génération» regroupe : Messiaen (qui représente à lui tout seul les deux tiers des oeuvres de ce sous-ensemble), Eimert, Krenk, Paz, Matsudaïra, Carter.

 

IX. Petit noyau de 1925

Il s'agit là de créer une perspective historique : " modernité au sens baudelairien du terme " " complicité avec la création de notre époque "

Sur trente-huit compositeurs, se détache un petit noyau de six qui sont joués plus de cinq fois (le public put ainsi suivre leur évolution) : Stockhausen, Boulez, Pousseur, Berio, Kagel, Boucourechliev. Si Boulez n'a eu aucune oeuvre créée au Domaine musical, il s'est fait jouer quinze fois (juste après Stockhausen mais avant Messiaen, Varèse). Son principe est de ne figurer qu'une fois par saison.

N.B. La création du Marteau a nécessité entre 40 et 50 répétitions !

 

X. Reste de la génération de 1925

Inflation de nouveaux noms à partir de la dixième saison (62-63). Uniformité stylistique décevante.

 

XI. Génération des élèves

La place accordée aux jeunes est allée en augmentant (plus du tiers pour la dernière saison-Boulez). Sur les vingt-huit, seize avaient été élèves de Boulez.

" Puisque je n'existe que par rapport à ce qui me précède, le choix, le pari est un geste fondamental qui m'établit dans la succession. " (Boulez)

Précession, succession

 

XII. La politique musicale de P. Boulez

Loin de tout égalitarisme, vision hiérarchisée de la création. Concentration du pouvoir exécutif.

Installation d'un nouveau lexique musical commun.

Cf. l'importance des catégories pour une configuration.

Les notes de programme du Domaine musical étaient réduites à un maximum de dix lignes par oeuvre.

Cf. différence avec la pédagogie de l'époque ultérieure (EIC, IRCAM)

Boulez soigna les exécutions mais sans développer de politique d'éducation du public, comme il le fit par la suite.

Cf. le contraste Domaine musical - EIC est frappant : il y a autant de discontinuités qu'il n'y a de continuités.

Accent mis sur le présent. Le futur est aussi très employé. Le passé sert à mettre en valeur le présent ; c'est une référence.

La négation est affectée d'une valeur positive.

Cf. impact, à l'époque, de la dialectique (" force positive de la négation ")

" Communauté d'intérêt dans le monde entier pour les mêmes questions " " Le profil de notre époque doit s'y décrypter. "

Déjà le mot " recherche " est employé sans complément d'objet.

" Rechercher " ressemble ainsi à " agir " (praxis) plutôt qu'à " faire " (poiesis), lequel s'auto-valide moins que l'agir (cf. activisme)

Concurrence

Cf. épuisement interne de la configuration. D'où une concurrence plus sévère (remarquer que l'enchaînement se fait dans cet ordre, et non pas dans l'ordre inverse).

 

XIII. Politique de G. Amy

Contexte tout à fait différent. Toujours quatre à cinq concerts annuels. La saison n'est pas un panorama mais un angle de vision partiel.

Cf. il n'y a plus de configuration sérielle, et plus de totalisation possible. D'où l'appel à l'ouverture, prélude à l'éclectisme.

Nouveau concept : celui de " première audition à Paris ". Réapparition occasionnelle des oeuvres de référence (Musique vivante fera de même). Programmes de plus en plus diversifiés (cf. " Conjonction Varèse-Xenakis "). Apparition d'un phénomène de vedettariat. Logique de monographies.

 

XIV. Ouverture

Maintien du répertoire de référence et promotion de la création.

Cf. Ce sont deux objectifs " institutionnels " et non plus conjoncturels ni subjectifs.

L'éclectisme, au lieu de dynamiser le Domaine musical, contribua à sa désagrégation progressive.

Judicieuse leçon de l'histoire

 

XV. G. Amy

Multiplication à cette même époque des institutions et des festivals voués à la musique nouvelle.

La configuration perdit son monopole en s'affaiblissant comme configuration.

Amy avait abandonné le style Domaine musical dès 65-68.

Cf. cela continue sur la lancée, par inertie, pendant près de dix ans

Ouverture, volonté de rendre compte de l'évolution de la musique récente

Effort pour thématiser les concerts : monographies, " le renouveau de la voix ", " musique pour les instruments anciens ", " musiques instrumentales et électroacoustiques "

Paradoxalement le sectarisme de Boulez fut plus payant que l'éclectisme d'Amy.

Abonnés = un quart. Il reste donc les trois quarts de la salle à remplir.

 

XVI. Mort (Été 1973)

Exiguïté financière chronique, érosion du public, affaiblissement de l'identité du Domaine musical. Nécessité de créer un ensemble permanent.

D'où l'EIC

La plupart des objectifs initiaux du Domaine musical étaient devenus caducs. La caution du Nouveau Roman et de l'Abstraction s'épuisait aussi.

Noter l'importance, pour un projet de configuration musicale, d'avoir des arrières et des résonances dans les autres arts, en sorte de donner le sentiment qu'il y a une forme de pensée commune aux différents arts.

Le groupe Itinéraire se plaça ouvertement en successeur et profita de l'enveloppe budgétaire. Son premier concert a lieu le 12 novembre 1973.

Noter : L'Itinéraire a succédé très exactement au Domaine musical (voir Annexe III)

Les premiers concerts de l'EIC ont lieu en 1977. L'EIC institutionnalise le système d'engagement des musiciens. Ensemble à géométrie variable. Solide infrastructure de gestion.

Cf. différence Domaine musical-EIC

Fin de la revue Die Reihe.

Cf. solde de la configuration sérielle.

L'IRCAM se met hors de portée de la direction de la Musique grâce à Beaubourg. Il inclut un pôle supplémentaire : la recherche.

 

 

Bilan de la ligne artistique du Domaine musical

 

Concerts / ensemble

Le Domaine musical était moins un ensemble qu'une organisation de concerts. On garde d'ailleurs mémoire des " concerts du Domaine musical ", non d'un " ensemble du Domaine musical ". En ce sens, le Domaine musical était très différent de l'EIC.

En conséquence, il n'y avait pas vraiment de directeur musical permanent (Boulez dirigeait deux à trois concerts par an, soit la moitié environ des concerts de la saison). Boulez assumait plutôt des fonctions de directeur artistique. En fait, pour le Domaine musical ces deux fonctions n'étaient pas différenciées et Boulez occupait les fonctions générales d'un directeur.

 

 

Ligne artistique : " configurante "

Le point capital était que ces concerts servaient à l'essor du sérialisme. Si l'on retient qu'il y eut tentative de " configurer " le sérialisme - de le déployer en configuration artistique - alors il est patent que les concerts du Domaine musical avaient pour particularité d'être " configurants " : ils étaient orientés par la validation du sérialisme comme configuration de pensée musicale.

D'où la sélection des quelques oeuvres classiques retenues, le tri sévère fait parmi les " classiques contemporains ", les orientations suivies quant aux compositeurs de l'après-guerre.

On peut voir que l'épuisement du Domaine musical a correspondu non pas à des difficultés extrinsèques - financement, subventions - mais à un épuisement interne de la configuration sérielle : ceci a pris tournure vers le milieu des années 60 (pour des raisons compositionnelles profondes) et a conduit Boulez à se désintéresser du Domaine musical (pour le quitter en 1967). Ce tournant du sérialisme est également lisible dans la fin de l'effort théorique de Boulez et Stockhausen à peu près autour des mêmes années, à l'arrêt de leurs fonctions enseignantes, au virage des activités de Boulez vers la direction d'orchestre et à son relatif désinvestissement de la composition

Mais ceci demanderait un autre développement (b) qui prenne ses distances avec la thèse à tendance sociologisante (c) de Jésus Aguila telle, par exemple, qu'énoncée ainsi : " C'est la lente et progressive désagrégation du consensus qui avait, jusque-là, regroupé plusieurs couches sociales autour de la musique contemporaine, qui contribua le plus sûrement à la fin de l'aventure du Domaine musical. " 28. Or c'est bien plutôt l'essoufflement interne du sérialisme qui a produit une désubjectivation et par là une désagrégation des alliances.

b- Je me permets ici de renvoyer à ma conférence " Traversée du sérialisme " (Conférence du Perroquet n°16 - 1988)
c - Mais l'ensemble du livre n'est heureusement pas homogène à cette problématique.Cf. Annexe II

 

La fin de cette articulation d'une ligne artistique à une problématique configurante a conduit dans un premier temps à une institutionnalisation du Domaine musical. Les objectifs du Domaine musical sont devenus, sous G. Amy, purement structuraux et non plus subjectivés par la tentative sérielle. D'où les idées, an-historiques, de répertoire, de rendre compte de " l'état " de la création contemporaine L'État est alors plus fortement entré en jeu, comme il se doit, en soutenant l'accomplissement de cette tâche par différentes formations. Si dans un second temps le Domaine musical a arrêté toute activité ce n'est donc pas tant " sous la pression de la concurrence ", mais parce qu'il n'était plus pris dans un procès subjectif solide.

Ensuite sont venues deux choses :

- le règne des formations-ensembles institutionnels de musique contemporaine dont les buts sont plus intemporels, a-conjoncturels et structuraux.

- L'Itinéraire qui a donné son premier concert à l'automne 1973, juste après la fin du Domaine musical (à l'été 1973). L'Itinéraire s'est différencié du Domaine musical en édifiant un ensemble comme tel (cf. Annexe III).

 

 

Programmes

Si les programmes sont longs, ils sont fortement structurés (cf. les " trois plans " : référence, classique contemporain, connaissance). Ils présentent de cinq à sept oeuvres. À long terme, la spécificité des programmes a plus payé que l'éclectisme.

Les créations étaient parfois bissées, à la demande du public (l'intervention du public, pour siffler ou bisser, était une tradition) mais ceci n'était pas prévu à l'avance.

 

 

Exécution

Tout était basé sur une qualité parfaite de l'exécution. La question de l'interprétation de la musique contemporaine ne semble pas avoir été vraiment posée. Elle semble aujourd'hui encore rester une question relativement neuve

 

 

Instrumentistes

Manque à ce travail de Jésus Aguila le point de vue des musiciens ayant alors joué dans ce cadre. Quel bilan en font-ils ? Pourquoi l'auteur n'a-t-il rencontré que les compositeurs et organisateurs ? Il est frappant que les instrumentistes ne semblent pas avoir été au cur du projet. Le projet était clairement de produire de nouveaux concerts et de s'en donner pour cela les moyens matériels. Les musiciens qui étaient subjectivement engagés dans l'entreprise étaient plutôt des compositeurs, rassemblés autour de Boulez. Celui-ci, visiblement, n'a pas voulu miser sur la subjectivité des instrumentistes (doutait-il de leur désir véritable de jouer cette musique, de leur capacité à réaliser gratuitement un travail de qualité ?) et a tenu pour cela à ce qu'ils soient correctement payés. Ainsi le contrat passé avec eux restait fondé sur l'engagement professionnel, non sur une subjectivité " militante " ; il est frappant que Boulez, lui, comme d'autres compositeurs, non seulement travaillait gratuitement pour le Domaine musical mais payait au sens propre pour cette entreprise alors que les instrumentistes n'étaient apparemment pas sollicités sous cet angle. Boulez déclarait bien leur demander parfois un petit effort (en termes de temps de répétition) mais ne semblait pas les compter comme " sujets " de la configuration. Somme toute son point de vue semblait être qu'il fallait avant tout les rallier à un projet défini et dirigé par des compositeurs plutôt que de viser à le définir avec eux et de subordonner alors la réalisation du projet à leur accord.

 

 

Oeuvres classiques

Peu d'uvres jouées, et seulement pendant les premières saisons. Il n'y a donc pas là de projet systématique. Là encore, le choix d'uvres classiques est subordonné aux intérêts d'ensemble de la problématique configurante.

 

 

Oeuvres de la première moitié du XX°

Toujours la même subordination, particulièrement perceptible dans la sélection faite à l'intérieur des oeuvres de Schoenberg ou Stravinsky. L'idée est alors de les traiter en répertoire ; d'où cette curieuse nomination de " classiques " (ceci traduit-il déjà un penchant sous-jacent pour le néo-classicisme ?)

 

 

Passé-présent-futur

Les rapports au passé et au futur de la création musicale sont vus du point du présent, et le présent est caractérisé comme temps de la configuration sérielle (ne pas oublier qu'alors configuration sérielle, sérialisme ne voulaient pas dire état des choses mais subjectivation et procès subjectif, donc combat militant, stratégie, opposition).

On a donc :

- un présent vécu comme temps de l'action, tout particulièrement de la création (ce qui mesure la validité de la création est la configuration elle-même : on met l'uvre à l'épreuve du concert, de son rapprochement avec d'autres oeuvres, à l'épreuve du jugement par ses pairs) ;

- le futur est conçu comme avenir de la configuration, comme développement du sérialisme ;

- le passé est thématisé comme " référence " validant les choix du présent. Le passé sert au présent.

 

 

Périodisation

La périodisation de l'histoire de la musique qui soutenait l'entreprise du Domaine musical était somme toute assez simple :

- une ère tonale (progressant du Moyen Âge au style classique pour décliner ensuite - décadence du romantisme)

- une ère contemporaine (qui épousait en fait le constructivisme sériel) partagée en deux temps (premier temps : celui des " classiques contemporains " ; second temps : celui de la " connaissance-création ") par l'avant et l'après-guerre.

Il va de soi que les concerts étaient alors des " concerts de musique contemporaine " (en fait, c'étaient des concerts de musique sérielle, au sens large et configurant du terme - d'où les objections qui y ont été faites : d'être les concerts d'une chapelle, d'une entreprise d'import-export).

Noter que l'EIC est très différent sur ce point (comme sur bien d'autres) du Domaine musical. Or les critiques ont souvent continué d'objecter à la programmation de l'EIC des pratiques qui étaient en fait antérieures et qui étaient propres au Domaine musical. Celles-ci avaient pourtant changé du tout au tout, Boulez ayant pris acte dès le milieu des années 60 de l'épuisement du dynamisme sériel.

On tenait alors qu'il y avait eu une coupure, vers 1913, dans l'histoire de la musique. D'où l'idée d'un nouveau monde, d'un bouleversement qui n'excluait pas, comme on l'a vu, une modalité de continuation : continuer passait alors par le courage d'assumer une rupture. Le propos sur la musique classique était orienté par cela. D'où qu'on rejoue une musique classique plutôt lointaine (avant le romantisme) plutôt que proche (fin du XIX°).

 

 

Domaine musical / EIC-IRCAM

Grandes différences :

 

 

Divers

· Importance, en particulier pour une configuration, de l'alliance avec les autres arts, en l'occurrence avec " l'abstraction " en peinture, avec le Nouveau Roman Importance en effet de l'idée de contemporanéité de pensée entre différents arts : ceci consolide les subjectivités.
· Public : nombreux (1000) et capital pour assurer les recettes.
· Les question financières sont à la fois importantes et cependant toujours subordonnées : c'est l'état des consciences qui imprime sa périodisation à l'entreprise, non le financement.