De la création en musique (Simondon / Deleuze & Guattari)

ENS, 7 juin 2006

André Pietsch Lima (apl1102@yahoo.com.br)

 

Je rédige en ce moment une thèse de doctorat intitulée « Du bout de la pensée, sur la langue : écrits sur la musique, l’individuation et l’éducation », qui sera présentée au Programme de 3e Cycle en Éducation de l’Université Fédérale du Rio Grande do Sul, au Brésil. Dans ce travail, je m’interroge sur l’individuation en musique. Mon support théorique principal est la pensée de Gilles Deleuze.

Le titre de la thèse porte en soi quelques pistes pouvant mener à son contenu, qui se situe au croisement de trois déterminations principales. La première est la proximité étymologique entre « musique » et « pensée ». D’après le Dictionnaire des racines des langues européennes, p. 123, le mot « musique » dérive de la racine indo-européenne MEN. Et l’ouvrage indique les principales dérivations de cette racine. Je cite celles qui ont le plus attiré mon attention. Du sanscrit : manyate, qui signifie « il pense ». Du grec : mnêmê, « mémoire »; menô, memona qui veulent dire « désirer »;  maiinô, « rendre fou »; mania, « folie ». Du gothique : man, qui veut dire « je pense »[1]. Je trouve intéressante la façon dont Deleuze et Guattari prennent la musique comme un des modes par lesquels une conscience absolue (le plan de composition ou plan d’immanence) pense - et la façon dont ils ont construit une théorisation centrée sur les notions de création et de devenir.

La deuxième détermination est la distance, que mon travail souligne, entre musique et langage, et surtout ce qui se passe au sein de cette distance. Et la troisième est la Gnossienne nº 1 (1890) d’Erik Satie, que j’apprécie beaucoup, notamment pour ses cadences (lent, très luisant, questionnez, du bout de la pensée, sur la langue…), où Satie plonge sa Gnossienne dans une poétique musicale déterminée par un temps flottant. Il le fait par soustraction, et ce qu’il soustrait de cette pièce, ce sont justement les barres de mesure. Ce temps non pulsé que crée la composition de Satie est également un sujet de ma thèse.

Dans notre groupe de recherche Philosophies de la Différence et Éducation, nous avons cherché à étendre cette intersection entre la musique et les études éducationnelles, dont je fais l’expérience actuellement, vers le domaine plus large de la pensée, de la création et de l’écriture.

Avant d’aller plus loin, je voudrais vous dire, spécialement à ceux qui n’ont pas assisté à mon exposé du 18 mai, ici à l’ENS, que vous pourrez trouver le texte de cet exposé sur le site du professeur François Nicolas, qui est mon principal interlocuteur ici en France et que je remercie très sincèrement pour l’invitation qu’il m’a faite de présenter à nouveau une partie de mon travail de thèse. Le site est  http://www.entretemps.asso.fr/philo/Pietsch-Lima.htm. À cet moment lá, j’avais cherché à expliciter certains rapprochements entre la pensée de Simondon, celle de Deleuze et celle de Guattari au sujet de l’individuation, et en quoi cette problématique peut concerner les musiciens et la création en musique (et j’espère y être arrivé). Aujourd’hui, pour continuer ma présentation, j’essaierai de mettre en lumière de quelle manière la notion d’individuation dans l’intersection Deleuze / Guattari / Simondon peut nous aider à accompagner le processus de création en musique.

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Deleuze et Guattari ont cherché dans la musique ce que n-1 fait d’elle, fait avec elle et fait en elle, c’est-à-dire les façons dont la musique va rejeter ou dépasser les centralisations et unifications qui se forment en elle. Ils n’ont pas fait cette recherche uniquement dans la musique, mais aussi dans la peinture, le cinéma, le théâtre, la sociologie, l’anthropologie, la philosophie, etc. Tout au début de Mille Plateaux, Deleuze et Guattari découvrent dans un livre de Pierre Rosenstiehl et Jean Petitot, Automate asocial et systèmes acentrés, un plan d’investigation qu’ils étendront aux domaines les plus variés : « On démontre même qu’une telle multiplicité, agencement ou société machinique rejette comme « intrus asocial » tout automate centralisateur, unificateur.  N, dès lors, est bien toujours n-1 »[2]. Cette conception s’étend sans le moindre doute aux incursions qu’ils ont réalisées dans les productions musicales. La petite formule n-1 condense et concentre ce que Deleuze aussi bien que Guattari entendaient comme étant les conditions d’« émergence » en musique et dans les domaines les plus divers. Le questionnement de cette « émergence » en musique me semble constituer un important centre d’intérêt pour ceux qui développent leur travail de recherche dans ce domaine, à partir de cette philosophie de la différence. Je reviendrai bientôt à cette notion d’« émergence » chez Deleuze.

Mais je reviens à l’idée de mon intervention, pour vous proposer une compréhension de la problématique de la création en musique à partir de ces philosophies de la différence.

Je sais que la création, dans ce domaine, se distingue des compositions musicales, même lorsque ces compositions ne se bornent pas à de simples cristallisations de flux de variation (un autre nom pour ce que j’appelle ici « création »). Ce flux de variation confère de la consistance aux compositions musicales et les dépasse, fait d’elles les vecteurs de différentiation de la musique et les met en communication avec d’autres dimensions créatrices. Nous pourrions nous interroger sur ces manifestations dans une composition musicale. Où se trouve ce flux ? Dans une partition ? entre les interprètes et les auditeurs ? entre les interprètes et les partitions ? défiant notre perception ? en composant une pour nous ?

Au-delà d’une matière actualisée, une composition musicale est, pour paraphraser André Boucourechliev, « l’ensemble de ses métamorphoses »[3]. Elle est le moyen de conduite par où les variations qui l’ont fait naître se lient les unes aux autres, par où ces variations passent entre la composition et l’écoute, entre les matériaux nécessaires à la composition et à l’écoute, entre les appréhensions savantes des compositions musicales, etc. La création et la composition musicale sont emboîtées de telle sorte que souvent elles se confondent. Même ainsi, création et créature se distinguent dans une certaine mesure, de même qu’une brique formée (pour reprendre un des exemples favoris de Simondon) se distingue des matériaux et des dynamismes qui l’ont créée ; ce sont pourtant ces matériaux, sous l’action de ces dynamismes, qui refont d’une brique de la poussière. Si je crée ce parallèle, ce n’est pas parce qu’une pièce musicale « fait comme » une brique. Mais il se trouve que les dynamismes qui sont en jeu dans une individuation musicale ne s’appliquent pas exclusivement à elle.

J’emploie ici le terme « dynamismes » dans le sens que Deleuze attribue dans Différence et Répétition aux « dynamismes spatio-temporels ». Ces dynamismes sont « la puissance de l’Idée de déterminer l’espace et le temps, puisqu’ils incarnent immédiatement les rapports différentiels, les singularités et les progressivités immanentes à l’Idée »[4]. L’« émergence » de quelque chose de nouveau (y compris dans la musique) va se produire grâce à ce que Deleuze appelle la « dramatisation de l’Idée » (Idée, ici, avec « I » majuscule, comme expérience de singularisation du virtuel). Il donne le nom de « dynamismes spatio-temporels »[5] aux acteurs de cette expérience de « dramatisation ». « Plus profonds que les qualités et les étendues actuelles, que les espèces et les parties actuelles », « actualisants, différenciants »[6], ces dynamismes ébauchent des directions, par la répétition différentielle du virtuel. Cette « dramatisation de l’Idée » est chez Deleuze une condition essentielle pour qu’il y ait une « émergence » de traits d’expression. À partir de ce moment, j’appellerai cette  « émergence » une idée avec « i » minuscule. Chez Deleuze, l’idée avec « i » minuscule correspond au processus d’actualisation de l’Idée (avec « I » majuscule), laquelle se trouve alors engagée dans un mode d’expression particulier (par exemple, un mode d’expression cinématographique, musical, pictural, etc.). Cette actualisation de l’« Idée », dans les arts, est ce qui fait de l’« idée » (avec « i » minuscule) une « idée en cinéma », « en musique », « en peinture », « en  philosophie », etc. Cette « idée » avec « i » minuscule est celle à laquelle Deleuze fait allusion dans sa conférence de la Fondation Fermis de mars 1987 : Qu’est-ce que l’acte de création ?[7]

Je mentionnerai maintenant quelques-unes des notions les plus importantes pour cette étude, qui éventuellement pourraient mener à une meilleure compréhension de la création en musique. Les notions de « sensation », de « percepts » et « affects », de « double-capture » (bien proche de la notion de « disparation problématique » chez Simondon) et d’« heccéité », trouvées chez Deleuze et chez Guattari, sont des plus importantes pour une étude comme celle de l’individuation / création en musique, située dans ces coordonnées conceptuelles. Très brièvement...

  En art, une idée est constituée comme un « bloc de sensations, c'est-à-dire un composé de percepts et d’affects »[8] capable de capturer hécceités et de les conserver. « Les affects sont précisément ces devenirs non humains de l’homme, comme les percepts sont les paysages non humains de la nature »[9]. Les percepts et affects ne sont pas les perceptions ou affections d’un objet par un sujet. À l’inverse, (1) « les percepts ne sont plus des perceptions, ils sont indépendants d’un état de ceux qui les éprouvent »[10], (2) « les affects ne sont plus des sentiments ou affections, ils débordent la force de ceux qui passent par eux »[11] et (3) « la sensation ne se rapporte qu’à son matériau »[12]  (« elle est le percept ou l’affect du materiau même, le sourire d’huile, le geste de terre cuite, l’élan de métal, l’accroupi de la pierre romane et l’élevé de la pierre gothique »[13]). Les heccéités, à leur tour, se forment selon des compositions de puissance et d’affects non subjectivés et s’expriment par « toute une sémiotique particulière qui lui sert d’expression »[14]. Deleuze déclare que ce type d’individuation ne se définit pas par la forme, la spécification d’une forme ou l’attribution d’un sujet. Les heccéités ne renvoient pas à un « MOI », ni à une substance ; elles ne sont pas non plus le résultat de l’imposition d’une forme (ou d’une forme plus ou moins savante) à une matière passive. Les individuations de ce type, Deleuze les appelle « individuations parfaites »[15], sans formes préexistantes, « des rapports cinématiques entre éléments non formés »[16], inscrits sur un plan sans dimension supplémentaire, n-1, plan de composition. Ce sont des émissions de singularités non personnelles et non individuelles sur ce plan, qui peuvent présider « à la genèse des personnes et des individus »[17], et commander « la métamorphose des choses et des sujets »[18].

Les formes, selon cette conception (spinoziste), sont remplacées par des rapports de vitesse et de lenteur entre particules. Les sujets, par des états affectifs individuants. Cette sorte d’individuation ne concerne ni un sujet, car elle est impersonnelle, ni un objet, car elle est en rapport avec les singularités préindividuelles, mais un événement avec une certaine matérialité moléculaire soumise à des relations de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur (longitude) et à un ensemble d’affects intensifs (latitude). Toutes les individuations, selon Deleuze, sont de ce type. Nous en sommes constitués nous-mêmes. L’heccéité ne correspond pas à une autre individualité mais à une autre théorie de l’individualité, du sujet, du corps. « Les heccéités sont seulement des degrés de puissance qui se composent, auxquels correspondent un pouvoir d’affecter et d’être affecté, des affects actifs ou passifs, des intensités »[19] comme « un degré de chaleur, une intensité de blanc » : « un degré de chaleur peut se composer avec une intensité de blanc , comme dans certaines atmosphères blanches d’un été chaud »[20]. Cette conception entre en résonance avec celle de Simondon, pour qui « l’individuation doit être saisie comme devenir de l’être »[21]

Et que fait l’œuvre d’art ? Elle est une composition de percepts et affects, capable de capturer des heccéités et de les conserver. Ce qu’ils écrivent dans Qu’est-ce que la philosophie ?, page 159, indique la confirmation de ce point de vue :  « En général, quel grand écrivain n’a su créer ces êtres de sensation qui conservent en soi l’heure d’une journée, le degré de chaleur d’un moment (les collines de Falkner, la steppe de Tolstoï ou celle de Tchekhov) ?»

Un exemple musical serait Des Canyons aux Étoiles (1971-1974) de Messiaen. Ici, dans la pièce VII (deuxième volume), qu’il appelle Bryce Canyon et les rochers rouge-orange, Messiaen conserve des compositions de rouges violacés à orangés aux intensités lumineuses variables des canyons de l’Ouest américain. Pour paraphraser Deleuze et Guattari, on ne passe pas d’un matériel sonore à un autre dans cette composition (du piano à l’orchestre et de l’orchestre au piano, par exemple) « sans que le composé de sensations ne l’exige »[22].

« Le but de l’art, avec des moyens du matériau, c’est d’arracher le percept aux perceptions d’objet et aux états d’un sujet percevant, d’arracher l’affect aux affections comme passage d’un état à un autre »[23], pour rendre durable un moment du monde et le faire exister par soi[24] ; produire un « style » comme « ces visions arrêtées dans le temps et l’espace »[25]. C’est-à-dire que l’art va conserver les devenirs, s’il en est capable : « peut-être est-ce le propre de l’art, que de passer par le fini pour retrouver, redonner l’infini »[26]. Elle effectue l’extraction des blocs de percepts des perceptions et des affects des affections. Pour Deleuze et Guattari, la musique va s’occuper avant tout de créer des affects. Elle va inventer des affects inconnus.

La musique créerait ses paysages sonores par aimantation entre heccéités, double-capture et conservation par la composition musicale. On peut dire que il y a une certaine écoute de celui qui est ému par une musique, et qui consiste à faire des associations. On associe une pièce de musique, par exemple, à un paysage. On associe une tempête sonore (par exemple, chez Beethoven) a une tempête quelconque. « Mais à un niveau plus tendu, ce n'est plus le son qui renvoie à un paysage, mais c’est la musique elle-même qu’enveloppe un paysage proprement sonore qui lui est intérieur »[27]. Même chez Beethoven, [Pastorale (1808)], on trouve un ensemble d'heccéités, qui ne représenteraient pas une tempête, mais correspondraient à la production d'une tempête sonore avec un paysage turbulent, au moyen d'un processus de double-capture entre heccéités de différents ordres de grandeur. Dans une double-capture, chacun des devenirs assure la déterritorialisation d'un des termes et la reterritorialisation de l'autre, les deux devenirs s'enchaînant et se relayant suivant une circulation d'intensités qui pousse la déterritorialisation toujours plus loin. Il n'y a pas imitation ni ressemblance, mais explosion de deux séries hétérogènes dans la ligne de fuite composée d'un rhizome commun.[28] En effet, à partir de ce point de vue, un paysage est intériorisé dans le son et n'existe qu'en lui.

Dans cette démarche, on créera par exemple des couleurs sonores, ce qui est le cas de la Chronochromie (1959-1960), de Messiaen. Chronochromie signifie couleur du temps. C’est lorsque les « durées et permutations de durées sont rendues sensibles par des colorations sonores (les unes expliquant les autres) : c’est bien une Couleur du temps, une Chronochromie »[29], dit Messiaen. Ce n’est pas une métaphore, car il s’agit littéralement de couleurs sonores. Comment ne pas nous souvenir des ses « oiseaux de papier »[30] ? ou des personnages rythmiques de Stravinsky ou de Messiaen, qui ne gardent pas de relations de représentation avec des personnages extérieurs à la composition, mais qui leur sont immanents ? Même dans un opéra de Wagner, les personnages ne préexistent pas à la composition ni ne s’imposent à elle de dehors. C’est  plutôt l’écriture musicale qui créerait ces personnages singuliers.

La répétition est aussi bien dans l’Idée que dans son actualisation, que dans l’actuel. Les dynamismes spatio-temporels ne se confondent pas avec une « Idée », ni avec une « idée » musicale, bien que, comme elles, ils soient sous-représentatifs. Ils sont leurs contenus pré-subjectifs, pré-sonores, pré-linguistiques, pré-réflexifs et agissent comme conditions d’émergence des systèmes de différentiation de l’Idée et, aussi comme transporteurs d’heccéités entre l’effectuation d’une idée et d’une autre, entre un domaine d’individuation et un autre. Par exemple, Circles (1960) de Berio entre en communication avec la poésie de Cummings[31]. Ici, la composition se fait à une limite musicale à laquelle la littérature aurait été entraînée avec Cummings, par où la musique s’est fixée, limite virtuelle qui sépare la musique du langage, où se passent ces rencontres improbables entre la musique et la littérature. Cet entre-deux est l’intervalle par où fluent ces dynamismes spatio-temporels ; ces dynamismes sont la condition pour une question comme celle-ci, de Ligeti : « ...comment je peux produire des illusions musicales qui aient la même valeur et la même signifiance que les illusions qui sont visuelles ? ». « Pensez à un paysage… vous êtes dans le train… Je prends le paysage et je le tranche ». Écoutez son Continuum pour Clavecin (1968), qu’il décrit comme la « très graduelle transformation d’une harmonie statique… ». Cet œuvre apparaît comme un cas de solution effectuée par une disparation problématique entre ces heccéités hétérogènes. Trois conditions s’engagent dans ce processus d’individuation : 1) des paysages non sonores (un train en mouvement, les paysages que Ligeti rencontre à travers la fenêtre), 2) la dramatisation de l’Idée et (3) les dynamismes spatio-temporels. 

Dans un processus de création en musique, ces dynamismes spatio-temporels vivent leurs obsessions et leur schizophrénie, reliant les disparités et produisant avec elles leurs machines musicales affectives. En synthèse, dans le cas de la musique, ces dynamismes sont les forces (agitations d’espace, creusées de temps, synthèses disjonctives, vitesses, directions, rythmes...) que la musique va rendre sonores par l’intermédiaire des moyens d’expression proprement musicaux. Ils sont le propre fond modulant de la différence qui ira composer, agiter et ouvrir les labyrinthes sonores (traits d’expression) au dehors qui creuse la dissolution de ses formes. Ce fond ne s’assimile pas au labyrinthe, mais lui donne consistance. Le processus de « création » en musique est le travail différenc/tiel entre forces non sonores par elles-mêmes, disparités qui passent par le champ d’individuation musicale, et les matériaux musicaux, sans que la résultante de ce travail ne se comprime en une relation de similitude entre ces vecteurs. Ce sont des relations virtuelles qui relient les disparités entre elles. Dans l’exemple du Continuum pour Clavecin de Ligeti, cette composition ne s’assimile pas aux paysages qui se présentaient par la fenêtre du train, ni au fond qui la dramatise.

Si une pièce musicale, comme création singulière d’une infinité ouverte de relations (virtuelles), actualise une virtualité et l’incorpore (le mot « relation » est employé ici dans le sens que lui confère Simondon, comme « non-identité de l’être par rapport à lui-même »[32]), cette incarnation d’une virtualité par la composition en fait, dans une certaine mesure, une « relation », en lui fournissant un corps, une vie, et en l’affirmant dans sa différence irréductible à une simple actualité. Et quand Deleuze affirme que les compositions musicales se lient les unes aux autres par des relations virtuelles[33], il élimine la question de la substance dont ils sont originaires, ou de ce qui, dans la musique, est substantiel.

 

 [audition de trois fragments du Poème symphonique pour 100 metronomes de Ligeti]

Je pars de ce territoire, de cette petite ritournelle musicale. On y entend une pluie de tic-tac. Ligeti dira qu’elle est associée à des « visions d’un labyrinthe sonnant et à ces images infinies que l’on aperçoit en regardant dans deux miroirs posés face à face »[34]. Ces visions le compliquent dans une idée qui le poursuivait depuis son enfance. Au début, une sonorité indiscernable. Maintenant, des polytemps. Ce flux sonore se différencie, singularise la composition et l’explique. « Les événements rythmiques glissent imperceptiblement d’une phase à l’autre à travers une transformation graduelle des patrons rythmiques »[35]. Une formation tourbillonnante. Là, solitaire, un seul tictaque. Reste le silence. Ligeti montre non seulement que ce « poème » est machinique et que le « symphonique » est mécanique, mais aussi que la durée est première et commande l’ensemble. Il montre, de cette manière simple, comment, d’une certaine pulsation, on extrait un temps non pulsé. Et comment, à partir d’un temps non pulsé, on crée une nouvelle pulsation. Nous avons ici, dans les limites de cette ritournelle, la génération d’une idée musicale qui, en opérant une coupure dans un continuum de différences libres, les territorialise et, dans cette territorialisation, conserve une dimension incommensurable, non passible de se répéter sous la forme du même, c’est-à-dire un temps non pulsé.

 [audition de deux fragments du concert pour flûte et hautbois de Ligeti]

Ligeti a composé un concerto pour flûte et hautbois (1972) tout rempli des régions où se concentrent ces émanations indiscernables qui pensent dans l’auditeur et produisent chez lui une perturbation globale à l’écoute, et font en sorte que les paramètres sonores se dérobent à la perception et à la tentative de les appréhender.[36] Quand on se trouve dans de pareilles régions, on n’y reconnaît que difficilement des notes musicales, des harmonies ou des timbres. Et l’on sait cependant que les paramètres sonores y sont sous le contrôle rigide de l’écriture. C’est comme si l’identité des passages musicaux était alors compromise au milieu d’une tension conditionnée, entre un état de périodicité stable et un état de non-périodicité accentué par le travail des micro-intervalles, par les variations d’intensité, par les attaques inattendues. La tessiture de cette composition musicale semble se rompre et se recomposer avec fréqüence. Si la pièce musicale nous cerne dans ces régions de pénombre sonore, comment faire pour suivre son individualité ? C’est comme si, au moyen de cette anonymisation des matériaux musicaux, produite par la propre démarche de l’écriture musicale, la pièce nous renvoyait aux dynamismes qui l’ont fait naître. La capture d’une durée et sa conservation comme telle par la pièce musicale sont produites par le processus qui fait d’elle une « émergence ».

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Je ferai maintenant une référence à la musique d’Edgar Varèse, qui concevait la création d’une pièce musicale comme un ensemble d’actions disciplinaires dans le chaos. Paradoxalement, en parlant de musique, il employait des expressions comme « plans »,  « densités », « masses sonores », ou « vitesses ». Il disait qu’« un compositeur est un rassembleur d’éléments disparates »[37] et que la musique est  « la corporification de l’intelligence qu’il y a dans les sons »[38]. Comment parler plus clairement d’une « émergence » en musique ? Cette « intelligence » est première par rapport à la forme musicale et correspond à l’ensemble des forces non sonores que le matériel sonore va organiser et sonoriser. Quand Varèse disait vouloir « se rapprocher le plus possible d’une sorte de vie intérieure, microscopique, comme celle que l’on trouve dans certaines solutions chimiques, ou à travers une lumière filtrée »[39], il était déjà le travail de ces forces.

On sait bien qui le son, d’autant plus chez Varèse, ne répresente pas un système qui le transcende ni est representé par lui. Lorsqu’il fait attention au son, qu’il l’ouvre (sans partir d’un élément qui le transcende) et qu’il remonte à cette « intelligence », Varèse finit par démontrer que dans les « masses sonores », chaque note perd son importance comme entité individuelle et cède la place à une perception d’événemments plus généralisés, désindividualisés. Il ne faudrait pourtant pas en conclure que nous sommes entrés maintenant dans un milieu chaotique, car une composition comme Ionisation (1931), par exemple, est une explosion sonore disciplinée.

Malgré son nom, Ionisation ne représente pas le phénomène de l’ionisation, mais s’y rattache par un paysage moléculaire. Un disciple de Varèse, Chou Wen-chung[40] a fait une analyse de l’oeuvre qui me suggère l’invention du paysage sonore qu’on y trouve comme une composition d’heccéités et qui ne représente donc rien qui soit extérieur à sa propre composition.

Je vais essayer de résumer ce qui a le plus attiré mon attention dans cette analyse. Trois textures ouvrent la pièce. [audition des 3 textures] Je peux les compter et les distinguer l’une de l’autre. Je suis en présence de trois individualités sonores qui, de leur côté, sont définies par les caractéristiques des timbres, des registres, des articulations, des rythmes et par leurs transformations respectives. Wen-chung commence son analyse en comptant et distinguant ces textures. On pourrait faire le chemin inverse et penser les textures à partir de leur processus de composition, mais ce n’est pas ce que lui avait l’intention de faire ; s’il l’avait fait, Wen-chung aurait sans doute parcouru un chemin beaucoup plus long et ne serait peut-être jamais arrivé à retourner aux trois textures d’Ionisation.

Trois textures nous sont donc données. Dans la première, l’attaque provoquée par un gong opère une coupure dans le continuum sonore et détermine la direction de l’individuation de la texture. Nous avons là un premier individu sonore,  qui ne se stabilise pas car il est dérangé par les sirènes qui annoncent la décomposition de la texture. Les métaux se présentent, dès l’individuation de la première texture, comme un centre autour duquel le reste de l’oeuvre va s’organiser. Nous percevons alors la germination d’une petite idée musicale, qui prend du volume et annonce une deuxième texture. Celle-ci, en contrepoint, opère une montée de registre par rapport à la première. Après une rapide alternance des textures I et II, en apparaît une troisième. Nouvelle montée de registre et entrelacement des éléments des deux textures antérieures dans une sonorité crépitante. L’interaction entre timbres, registres et rythmes est ce qui réalise non seulement la définition mais aussi la variation (modulation) des textures.

Dès lors que Wen-chung a cherché des identités sonores dans la composition, il a fini par les trouver. C’est comme si la pièce entière était construite à partir de ces sonorités et comme si, également, les transformations qu’elles subissent ne modifiaient pas leur essence globale, déterminée par les trois textures. Pour lui, les textures se maintiennent reconnaissables en tant que telles tout au long de l’oeuvre, mais nous ne serions pas précis si nous disions qu’il s’est limité à reconnaître les textures au long d’Ionisation en les subordonnant à une totalité identitaire. On sait que la constitution de l’une ou de l’autre territorialité musicale n’est pas seulement l’actualisation de l’oeuvre, mais est en même temps la transformation des contenus qui font partie du processus d’actualisation. Cela étant, si les individualités indiquées par Wen-chung se présentent comme des formes musicales, elles sont en premier lieu des blocs de puissance qui ont pris cette forme et sont les interactions entre ces forces : ce sont des heccéités. Le reste de la composition, comme on peut l’apprendre par l’analyse de Wen-chung, consiste à se désencadrer elle-même, à se découvrir des ouvertures, à reprendre la matière sonore et à la faire varier. À la limite, son analyse finit par décrire les manières dont la composition transborde les textures qu’elle a elle-même créées.

On remarque, en accompagnant son analyse, que ces textures ne sont pas seulement des points de départ mais sont elles-mêmes des contractions de forces et de matériaux (tout un matériel de percussion) qui finissent par faire ressortir les variations qui les constituent et qui les dédoublent, les combinent, les fragmentent ou les diluent... Les textures sont fluides, fuyantes, embrouillées. Elles s’entremêlent, se permutent, se transforment au long de l’individuation globale de la composition. (Contrairement à Wen-chung, je pense que l’identité des textures sont définitivement sacrifiées dans Ionisation).

Ionisation dans son ensemble est le développement d’une « idée » musicale, comme Wen-chung le montrera dans son travail. Ce développement serait encore plus flagrant si l’on parcourait le chemin inverse d’une analyse qui dissèque une pièce musicale comme un anatomiste dissèque un corps (c’est le biologiste que vous parle…). Dans ce cas, les textures se présenteraient surtout comme des masses sonores en train de s’agiter, d’entrer en collision, de se transformer, d’échanger des matériaux, de se superposer, de se projeter dans l’espace, de composer des flux sonores qui poussent plus loin la musique. On dirait ici à chaque mesure que l’ensemble va exploser à la mesure suivante. Si l’on suit le chemin de Wen-chung, cependant, on notera qu’il va nous montrer les manières par lesquelles Ionisation non seulement s’individue, mais comment cette individuation va envelopper et transformer les composants qu’elle même construit.

Il va nous montrer les différentes échelles d’individuation qui placent les individualités (les textures) dans un processus de démoulage continuellement variable :

o        soit par des « élaborations linéaires » de la texture II avec juxtaposition de la texture III et sonorités diluées de la texture I accompagnées de transformations du timbre (« par l’emploi de baguettes de bois ») et du registre (bongos) pour accomoder la texture III et pour permettre l’échange de matériels entre les bongos et le tambour militaire. En plus de cela, par des fragmentations et mélanges des trois textures, suivis d’une désintégration de l’ensemble (mesures 21-37) ; [audition]

o        soit par la « verticalisation » des textures  II et III, en combinaison avec des « mouvements linéaires » des textures (mesures 38-50) ; [audition]

o        soit par la fragmentation des textures II et III et la reprise sélective de fragments de la texture I, accompagnés d’une transformation sonore de la propre texture I (par exemple, reprise de cette texture aux mesures 51-55) ; [audition]

o        soit par des variantes de textures (variantes de la texture III) combinées avec la juxtaposition d’autres (avec la texture II dans ce cas), faisant émerger une texture nouvelle (mesures 56-65) . [audition]

Un des moments les plus intéressants de l’analyse de Wen-chung est celui où il nous parle d’une « impression » qu’il a eue, à savoir que, à la fin de la composition, semble survenir un « enveloppement » par la texture I, « enrichie et transformée dans ce même processus », d’idées musicales développées dans les textures II et III. C’est à ce moment que la composition abandonne l’auditeur, plonge en elle-même et disparaît... [audition]

Ionisation est une ligne créatrice, dynamique, produite à côté de processus moléculaires (l’ionisation). C’est une manière de faire absorber et dissoudre l’ionisation par la composition en question, en même temps que l’ionisation s’affirme musicalement. Il s’agit d’un processus d’appréhension du monde par l’oeuvre ou d’une territorialité existentielle que celle-ci constitue, ce qui donne lieu, comme le dit Varèse, à de nouvelles « zones d’intensité »[41]. Voici donc une idée musicale qui n’établit pas une relation de représentation avec un phénomène extra-musical, mais qui en fabrique un avec ses propres moyens.

 

Je termine mon intervention d’aujourd’hui en vous disant quelques mots sur les relations entre la musique et le langage, suggérées par le titre de mon travail.

[audition de Fidélité et de Artikulation]

L’attention portée au contenu virtuel qui compose une idée musicale, ou la virtualité qu’elle mobilise, ont conduit Deleuze et Guattari à chercher dans la musique ses points d’insertion dans ce qu’ils appellent la Machine Abstraite (matières non formées et fonctions non formelles)[42] et aussi dans ses traits de contenu (matières non formées ou intensités)[43] et d’expression (fonctions não formelles ou tenseurs)[44]. Ce type de démarche suppose que l’on cherche dans la musique une dimension non communicationnelle et même parfois non syntaxique (le silence dans la musique de Cage, par exemple). Ces caractéristiques de la musique en font un champ d’expériences intensives et asignifiantes par excellence.

Dans ce sens, il semble prometteur d’accompagner des compositeurs comme Georges Aperghis et de se demander comment on peut déterritorialiser le langage en contrecarrant la coagulation signifiante par des incongruités phoniques. Comment combiner les associations de phonèmes différentiels en les soumettant à des gestes et à des comportements chimiquement purs et communiquer à l’auditeur, au spectateur, quasiment sans médiation de sens, en-deçà de toute communication, de sorte que le locuteur et l’auditeur génèrent, dans l’espace de la représentation, une sorte de communauté minérale, végétale, animale, acoustique et sensible ?[45] Fidélité (1982), par exemple, émerge comme une solution d’échanges entre musique et langage, au moyen desquels les matériaux d’expression musicale, non sujets à l’imposition d’une forme qui les transcende, travaillent en captant des matériaux pré-linguistiques (phonèmes), en s’aimantant à eux et en opérant une individuation pré-linguistique et pré-musicale entre musique et langage : un « théâtre musical ».

Et la musique opère d’innombrables manières ce détournement du langage. Voyons le cas d’Artikulation (1968) de Ligeti. Cette composition ferait déjà partie d’un agencement électro-acoustique qui opère entre deux couches de stratification : la première orientée vers des strates linguistiques, électroniques et sonores et la deuxième vers le plan de composition. Quand l’agencement comprime la réalité idéale du plan de composition, il finit par déterritorialiser une sémiotique faite de composants symboliques, signifiants, communicationnels.

Dans la musique érudite contemporaine, la matière sonore se soumet bien peu à une forme qui la transcende. Voilà que de nombreux compositeurs font exactement l’effort inverse : ce qui se fait le plus dans la musique contemporaine, c’est justement de moléculariser les matériaux musicaux. C’est la musique livrant combat sur le plan de ses dynamismes pour se libérer des formes totalisantes à travers des processus de singularisation incertaines, de décompositions, de transformations. Tout cela en même temps. Au fond, au milieu, à l’intérieur et à travers, les dynamismes, les devenirs. Une déstabilisation affective peut tout faire dérailler. Une fois de plus.

Abréviations

AL – Regnault, François. Aperghis littéral. Disponible sur le site : http://www.aperghis.com/lire/heterogenese.html Accès le 23 mai, 2006.

ATRNC – Criton, Pascale. Aspects théoriques et réalisations de la notion de continuum dans la musique du XXe siècle & ses dimensions conceptuelles et scientifiques. Paris, 1993. (Mémoire de DEA)

D - DELEUZE, Gilles. Dialogues.  Paris : Flammarion, 1996.

DR – Deleuze, Gilles. Différence et répétition. Paris : Puf, 2005.

DRIE - GRANDSAIGNES d’HAUTERIVE, R. Dictionnaire des racines des langues européenes. Librairie Larousse: Paris, 1948.

E – VARÈSE, Edgar. Écrits. Trad. pour le français de Christianne Léaud. Paris: Christian Bourgois Éditeur, 1983.

EEV - VARÈSE apud CHARBONNIER, Georges. Entretiens avec Edgard Varèse. Paris: Éditions Pierre Belfond, 1970, p. 36.

H – GUATTARi, Félix. L’hétérogenèse. Disponible sur le site : http://www.aperghis.com/lire/heterogenese.html Accès le 22 mai, 2006.

I – Wen-chung, Chou. Ionisation: the fonction of timbre in its formal and temporal organization. In: Van Solkema, Sherman. The New Worlds of Edgard Varèse. A Symposium. Edited by Sherman. I.S.A.M Monographs, no. 11 : New York. s/d.

ILNFI - Simondon, Gilbert. L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information. Grenoble: Millon (collection Krisis), 1995.

IVS –DELEUZE, Gilles. Ircam sur le vif (Ircam, volet II, 1978). Production : Centre Pompidou – Service Audiovisuel, 1978. (Video).

LM - BOUCOURECHLIEV, André. Le langage musical. Paris: Fayard, 1993.

LS – DELEUZE, Gilles. Logique du sens. Paris : Minuit, 1969.

MD – DELEUZE, Gilles. La méthode de la dramatisation. In : L’île déserte et autres textes (textes et entretiens 1953-1974), édition préparée par David Lapoujade, Minuit, 2002, pp. 131-144.

MC - MESSIAEN, Olivier. Musique et Couleur: nouveaux entretiens avec Claude Samuel. Paris : Pierre Belfond, 1986.

MP – Deleuze, Gilles ; Guattari, Félix. Mille Plateaux : capitalisme et schizophrénie. Paris : Minuit, 1980.

NINM – VARÈSE, Edgar. Novos instrumentos, nova música. In: MENEZES, Flo. (Org.) Música eletroacústica: história e estéticas. São Paulo: EDUSP, 1996. p. 57-8.

QPh - DELEUZE, Gilles ; GUATTARI, Félix. Qu’est-ce que la philosophie ? Paris : Minuit, 1991.

PS – LIGETI, György. Poème symphonique pour 100 métronomes. Mainz : Schott, 1982. (partition)

 



[1] DRIE, p. 123.

[2] MP, p. 27.

[3] LM, p. 43.

[4] DR, p. 282.

[5] Cf. MD.

[6] DR, p. 276.

[7] On peut trouver la transcription de cette conférence dans : DELEUZE, Gilles,  Deux régimes de fous - Textes et Entretiens 1975-1995. Paris, Minuit 2003, organisé et édité par David Lapoujade, ainsi que dans la collection de dvds faisant partie de « L’abécédaire de Gilles Deleuze : avec Claire Parnet », produit et réalisé par Pierre-André Boutang.

 [8] QPh, p. 154.

[9] Ibid., p. 160.

[10] Ibid., p. 154.

[11] Ibid., p. 154.

[12] Ibid., p. 156.

[13] Ibid., p. 156.

[14] MP , p. 322.

[15] D, p. 111.

[16] D, 112.

[17] LS, p. 125.

[18] MP, p. 319.

[19] D, p. 111.

[20] MP, p. 319.

[21] ILNFI, p. 31.

[22] QPh, p. 157-158.

[23] Ibid., p. 158.

[24] Ibid., p. 162.

[25] Ibid., p. 162.

[26] Ibid., p. 186.

[27] ISV.

[28] MP, p. 17.

[29] MC, p. 147.

[30] Expression utilisée par Silvio Ferraz (Faculté de Musique / Unicamp).

[31] Circles est construit à partir des poèmes "Singing" (de "Tulipes et Cheminées", 1923) "Riverly" (de "&", 1925) et "N(o)w" (de "W", 1931) d’e.E. Cummings.

[32] ILFNI, p. 32.

[33] ISV.

[34] PS.

[35] Ibid.

[36] L’exemple est dévélopée par Pascale Criton. Cf. ATRNC.

[37] E, p. 164.

[38] EEV, p. 36.

[39] E, p. 184.

[40] I.

[41] NINM, p. 58.

[42] MP, p. 637.

[43] Ibid., p. 638.

[44] Ibid., p. 638.

[45] AL, p. 3-4.