Présentation débat autour du livre de Brigitte van Wymeersch

Descartes et l’évolution de l’esthétique musicale.

 

(Samedi d’Entretemps, 15 mars 2003, Ircam)

 

 

François Dachet

 

 

 

Une exceptionnelle amitié,

(ou : quand René Descartes draguait Isaac Beeckmann)

 

 

Une première fois, l’article de Geneviève Rodis Lewis, Monteverdi et Descartes, Musique et passions au XVIIème siècle, avait attiré mon attention sur ce fait :

 

« Le premier ouvrage de Descartes fut un Abrégé de musique (1618, en latin), et le dernier un traité des Passions de l’âme (1649). Dès son écrit de jeunesse, il prévoyait que pour déterminer plus précisément l’influence de la musique sur les passions, il lui faudrait approfondir leur étude. Quelques mois après la parution des Passions, il mourait sans avoir eu l’occasion de reprendre ce thème ».

À l’époque où je rencontrais ce texte, mon souci était de comprendre quel destin avait plus ou moins tenu la musique à l’écart de la psychanalyse. Les quelques lignes que je viens de citer font partie de celles qui m’ont aidé à envisager la question autrement : et si la psychanalyse, que l’on accuse ou qui s’accuse, selon les cas, d’avoir délaissé la musique, ne faisait que suivre un point de vue d’un autre ordre ?

 

Car enfin : le premier ouvrage de Descartes était un traité de musique. Qui avait tenté à ce jour d’en prendre acte ? Je ne sais quelles suites avait eues la traduction de Poisson rédigée une trentaine d’années après le texte latin de 1618, mais je ne crois pas me tromper en disant qu’il y a long feu qu’elles n’étaient plus à l’ordre du jour.

 

La belle traduction du Compendium musicæ menée à bien par Frédéric de Buzon en 1987, ainsi que l’appareil critique et les travaux qui l’ont accompagnée délivrent un accusé de réception contemporain digne de ce nom. Quelques années plus tard le livre de Brigitte van Wymeersch Descartes et l’évolution de l’esthétique musicale prend au sérieux la tâche d’en tirer quelques conséquences. Inutile de vous dire qu’il s’agit dans les deux cas d’une découverte pour ceux dont le bagage cartésien et le bagage musical - et je ne crois pas avoir été le seul dans ce cas - étaient jusqu’alors essentiellement disjoints. Découverte féconde à coup sûr, à divers titres que diront les intervenants, et qui motive, par les questions qu’elle introduit, notre rencontre et nos débats d’aujourd’hui.

 

M’étant emparé de votre livre, ce fut d’abord pour mesurer à quel point je n’étais pas philosophe. Suivant au fil des pages votre lecture de Descartes dans la traduction de Frédéric de Buzon, je pouvais constater presque à chaque phrase combien j’étais exposé au risque de traiter de façon intuitive les tous premiers pas de l’élaboration philosophique cartésienne dont chacun sait non seulement la singularité de départ, mais aussi l’extrême complexité des remaniements successifs, du feuilletage, auxquels l’ont soumis les siècles qui nous en séparent. Sur un aspect auquel je suis sensible, qu’on songe à titre d’exemple à la psychologisation qu’y introduisent les idéologues.

 

Je note votre référence de départ à Michel Foucault. Je ne me sens pas pour autant plus proche d’une position herméneutique lorsque vous évoquez Gadamer que je connais de toute façon beaucoup trop mal pour seulement oser en parler. Je dirai simplement, m’en tenant en cela à ce qui m’est plus familier, que, pour autant qu’elle admet une cause au désir, a, l’objet de la pulsion, la psychanalyse se sépare d’une herméneutique. Et ceci même si les détours qui ont caractérisé l’enseignement de découvreur de Freud puis celui de Lacan ne permettent pas toujours de l’appréhender clairement d’un seul coup d’œil, ni surtout en dehors de la pratique dont ils ont rendu compte.

Je ne le souligne que parce que le malentendu en ce domaine guette à chaque tournant, et depuis assez longtemps déjà  :

 

« Si la recherche, en cette occasion, nous intéresse, c’est par ce qui, de ce débat, s’établit au niveau de ce qui se nomme, de nos jours, les sciences humaines. En effet, on y voit comme surgir sous les pas de quiconque trouve, ce que j’appellerai la revendication herméneutique […] Or, cette herméneutique, nous autres analystes y sommes intéressés parce que la voie de développement de la signification que se propose l’herméneutique se confond, dans bien des esprits, avec ce que l’analyse appelle interprétation. Il se trouve que, si cette interprétation n’est pas du tout à concevoir dans le même sens que ladite herméneutique, l’herméneutique, elle, s’en favorise assez volontiers »[1].

 

N’attendez donc pas de moi une critique philosophique que je ne suis pas en position de faire et à laquelle les autres intervenants contribueront certainement. Mais j’ai eu d’autres titres à lire et à grandement apprécier votre livre. Et, parmi ceux dont je vous ai déjà fait part en vous écrivant, un que j’aimerais vous présenter aujourd’hui sous un jour un peu différent, en mettant en place le jeu d’une comparaison.

 

Il me plaît que l’œuvre originaire de Descartes soit le fruit secret, puis le reste méconnu, d’une folle amitié de ses années de jeunesse et de formation. C’est aussi ce qui était advenu à Freud et à son désir d’une théorie scientifique de la pensée dont le projet germera au fil d’une correspondance et de textes dont Wilhelm Fliess était sensé, à l’égal de Beeckman pour le Compendium, demeurer le seul lecteur.

 

Aussi, et bien que ce ne soit qu’un aspect de votre propos, une part de l’attention que j’ai portée à ce que vous écrivez du Compendium est demeurée relative à cette adresse, insolite pour un traité de musique : non pas le savant Beeckman rencontré au hasard d’un problème de mathématiques placardé dans les rues de Bréda dit la légende, mais l’ami Beeckman, celui auquel Descartes s’adresse en ces termes : "Aime-moi comme je t’aime". C’est sous cet angle que, dans le temps dont je dispose, je veux vous parler de votre livre.

 

Peut-être vous tiendrais-je même rigueur de n’avoir pas accordé plus d’importance à cette particularité, par exemple dans le paragraphe qui décrit les Circonstances de composition du traité. Car ce qui d’emblée m’avait retenu dans la problématique de Geneviève Rodis-Lewis que j’évoquais en commençant, ce qui s’était imposé à moi littéralement, et m’avait immédiatement fait me saisir de votre livre au moment de sa publication, c’était l’évocation de cette autre histoire, histoire d’amour sans doute entre Freud et Fliess, mais d’un amour bien singulier, dans lequel aussi du savoir avait fait l’enjeu essentiel des démonstrations en tous genres :

 

« Que serait-il advenu de Descartes, après ces dix mois où il se trouvait déjà déçu, faute d’avoir vraiment sympathisé avec quelque camarade, s’il n’avait par hasard rencontré Isaac Beeckman ? « Par hasard et non par choix », dira-t-il méchamment lors d’une violente rupture en 1630, parce que Beeckman s’était présenté à Mersenne comme l’inspirateur de ce texte sur la musique que Descartes lui avait donné. Habitant Middelburg, Beeckman était venu pour quelques semaines chez un oncle à Breda, afin d’aider à la confection des charcuteries quand on tuait le porc pour les fêtes de fin d’année, et aussi avec l’espoir d’y trouver peut-être femme ; il avait alors vingt-huit ans. Après son retour à Middelburg, Descartes lui demandera s’il est encore occupé de mariage : il devait se marier juste un an plus tard, mais sans en faire part à Descartes parti pour l’Allemagne, ce qui interrompit leurs relations pendant presque dix ans. Cette précision écarte toute ambiguïté de relations si chaleureuses, d’après les quelques lettres du début de 1619, qu’elles pourraient suggérer un attachement excessif : toutes se terminent par des protestations d’amour : « Aime-moi comme je t’aime ! » Mais la formule n’était pas exceptionnelle ; on la retrouve plus tard dans d’autres lettres au ton plus modéré. Et la "familiaritas" qu’affirme aussi Descartes, traduit l’attachement profond, comme pour un frère plus âgé. Après avoir eu de vrais amis dès le collège plus tard il en aura beaucoup encore, avec, comme pour celui-ci, plusieurs déceptions, ou même ruptures, parfois passagères. Avant d’enseigner à maîtriser les passions, Descartes en avait éprouvé de très vives.

Mais cette amitié est exceptionnelle parce qu’elle a contribué à modifier toute l’orientation de Descartes[2] ».

 

L’auteur de ces lignes aurait pu détourner le regard, en particulier en raison de ce qui est suggéré, d’attachement excessif, de passion, de Descartes à l’égard de Beeckmann, dans ces premiers temps de fraîche liberté que lui conférait sa majorité récente. Honni soit…

Geneviève Rodis-Lewis s’est contentée de dire, grâce à ce que Freud aurait nommé une dénégation : n’allez pas penser que j’ai dit. Effectivement, Descartes n’est pas Socrate, et Beeckmann parti à la recherche d’une épouse tuer le cochon en pays flamand, ne semble pas exactement animé – mais après tout qu’en sais-je ? – par l’ubris d’Alcibiade.

Mais les mots qui concluent ce passage n’en doivent pas moins être reçus dans notre conception actuelle du convivio  :

 

"il s’agit d’une amitié exceptionnelle, parce qu’elle a contribué à modifier toute l’orientation de Descartes".

 

N’est-ce pas là que vous-même prenez votre départ, mais en substituant le texte du Compendium musicæ qui fait aujourd’hui pour nous le reste de cette amitié, à la question des passions qui l’ont ou non animée. Et je ne peux que vous donner raison dans le principe de cette substitution. Je sais trop bien ce qu’il en coûte à l’analyse aujourd’hui par exemple, que le retour à Freud pratiqué par Lacan ait été traité comme une geste héroïque et non pas pour ce qu’il a d’abord été, soit un retour aux textes de Freud.

Mais en même temps, je vous demande dans quelle mesure cette disjonction du texte du Compendium et de son adresse (d’aucuns auraient dit de l’énoncé et de son énonciation) n’aurait pas elle-même déjà été une première fois au point de départ du fait que vous mettez en valeur, et qui constitue l’axe effectif de votre livre : à savoir que la place qui revient à l’émotion esthétique dans les positions de Descartes n’aura pas été ensuite correctement discernée par les cartésiens eux-mêmes.

Et puisque vous parlez à cet endroit plutôt des cartésiens proches de l’époque de Descartes m’a-t-il semblé (Rameau) je serais intéressé à un moment de la discussion qui vous paraîtrait s’y prêter par une ouverture plus contemporaine : quels sont selon vous, à travers la diversité des lectures reçues du cogito, les effets contemporains, donc remaniés, de ce non discernement ?

 

En effet, mon intérêt à faire revivre ces moments « d’amitié exceptionnelle », ne tient pas seulement au fait que, de Descartes pour Beeckman, comme de Freud pour Fliess, s’y trouvent pris les deux hommes de l’époque moderne qui ont bouleversé le champ des théories du sujet et de la pensée tant pour leurs contemporains que pour les siècles qui ont suivis. Mais c’est aussi que je lis dans les écrits cartésiens le point de départ de ce sujet moderne que Lacan nomme sujet de la science, et dont :

a/ d’une part il réfère explicitement la naissance à l’opération cartésienne du cogito,

b/ d’autre part il fait dans son enseignement l’objet même de la pratique inventée par Freud et théorisée par lui.

 

Je suis donc encore plus intéressé à questionner cette amitié exceptionnelle entre Descartes et Beeckmann lorsque je me souviens qu’au fil de ce même questionnement, Lacan avait su désigner comme étant le mycelium de l’invention de la psychanalyse, cette rencontre par un Freud encore en suspens devant l’énigme du symptôme hystérique et s’initiant aux arcanes des aphasies, de celui qui allait devenir l’ami Fliess, oto-rhino-laryngologiste, hanté par les périodicités sexuelles de l’existence humaine, l’ami de toutes les confidences, celles que l’on ne fait qu’à lui, et qui devait les garder par-devers lui, comme il se serait agi pour Beeckmann de garder pour lui la vision musicale que Descartes exposait à sa seule adresse dans le Compendium musicæ.

 

Mais quelle peut être la portée d’une telle analogie ? Car outre la nécessité de la construire, et hormis peut-être pour qui parmi vous serait très familier de l’histoire de l’invention de la psychanalyse, cette comparaison ne va guère de soi et risque en plus de tomber sous le coup d’un malentendu où le mot « influences » chercherait à jouer sa partie pour son propre compte. L’amitié de Freud et de Fliess dure une dizaine d’années. Celle de Descartes et de Beeckman quelques mois au plus. Le contexte, les cultures en présence, les âges même, (car Freud n’est plus tout à fait, lorsqu’il rencontre Fliess, l’homme très jeune qu’est encore Descartes lorsqu’il rencontre Beeckmann), beaucoup diffère, et jusqu’à l’orientation même de la querelle finale. Car c’est Fliess qui s’est plaint de ce que Freud aurait dévoilé ses idées à un tiers qui les aurait publiées, tandis que c’est Descartes qui s’en prit à Beeckmann, pour s’être autorisé auprès de Mersenne de ce qui ne lui appartenait pas.

 

Malgré ces réserves que, comme vous le voyez, je ne ménage pas moi-même, je maintiendrai pourtant ma conjecture. Dans les deux cas en effet se trouve construite une série qui partant de cette exceptionnelle amitié donne lieu à la production voulue telle d’un rebut, d’un hors œuvre, de textes qui présentent le curieux mélange d’une adresse intime et d’un savoir qui, comme vous le soulignez pour Descartes, fondent une pensée, y compris dans ce domaine de l’esthétique qui n’est pas celui dont la postérité lui a fait jusqu’alors hommage.

 

Le Compendium comme L’esquisse d’une psychologie scientifique sont expressément destinés au seul usage de leur destinataire, dans une dévalorisation certaine d’un autre public, public académique d’un côté, public des militaires de Nassau de l’autre. "C’est pour lui seul dit Descartes, que le Compendium est composé — et à la seule condition que Beeckmann le garde pour lui"[3].

Textes destinés à l’oubli, voire à la destruction, étant donné les limites mises à leur révélation dès le moment de leur écriture. Textes intimes donc, même si cette intimité se présente par le bout d’un rapport au savoir dont la singularité s’avère initialement impossible à partager avec ceux qu’un Gauss découvrant la positivité des géométries non euclidiennes appelait les béotiens, et qui, s’ils sont ceux qui ne savent pas, le sont parce qu’ils savent trop.

 

Dernier trait commun enfin, mais pas des moindres à mes yeux. Il s’agit de ce que l’on appelle aujourd’hui une querelle de priorité. Plus exactement peut-être, avec plus d’exactitude en tout cas, Freud y soulignera la paranoïa de Fliess, à entendre aujourd’hui non pas comme un trait dont se dégagerait l’intolérable odeur de clinique stigmatisée par Gide, mais bien comme ce que Lacan nommera dès sa communication sur le stade du miroir, les fondements paranoïaques de la connaissance humaine. C’est à cet endroit d’ailleurs qu’il convient de faire passer le soc de la charrue pour mieux saisir en quoi, dans le même texte, Lacan avance que, de l’expérience de la psychanalyse, «… il faut dire qu’elle nous oppose à toute philosophie issue directement du cogito ».[4]

 

Tenons nous en à la remarque de Frédéric de Buzon : « Comme l’essentiel oppose Beeckmann et Descartes dans leur compréhension de la réalité, on peut dire que le Compendium est aussi bien écrit contre que pour Beeckmann ».[5] Que l’on maintienne une certaine réserve concernant la querelle de priorité, et l’on remarquera que l’enjeu n’est pas en tant que tel ce qui est su, ni qui peut s’en prévaloir dix ans après que cela ait été écrit, mais bien ce qui sera ou non dévoilé, au nom de qui et comment, c’est-à-dire que l’enjeu de propriété du savoir en couvre un autre, celui d’un passage au savoir.

 

Ainsi la dette que toute théorie du sujet doit aujourd’hui assumer aussi bien par rapport à Descartes que par rapport à Freud, fût-ce fort différemment pour l’un et pour l’autre, aura eu sa source dans ce mouvement de pensée non disjoint de la sensibilité qui s’y déclare, qui se signale en un premier temps par son ouverture, ce temps d’exceptionnelle amitié où l’un "donne" sans compter à l’autre les idées dont il ne considère pas qu’elles lui appartiennent du fait des conditions de leur advenue. Mouvement qui ne se repère plus ensuite vraiment que lorsqu’il se referme en débouchant sur une querelle de priorité des idées, c’est-à-dire lorsque l’idée "d’avoir" des idées, celles qui viennent à la pensée, ne peut plus être mise en doute ou questionnée.

 

Problème que Freud ouvrira théoriquement lorsqu’au grand dam du pragmatique Jones, il n’hésitera pas diviser ce que la langue allemande gardait réuni dans le giron du seul mot Übertragung. L’Übertragung, transmission de pensée, qui n’est pas l’Übertragung, transfert.

C’est donc à tort de ce point de vue que la querelle divise alors les amis, au sens ou ce qui fait l’enjeu de leur dispute n’est jamais qu’un rebut. Un savoir ne peut s’effectuer à cet endroit qu’à lâcher ce qui causa la drague dont il est un des effets.

"Le Compendium se révèle ainsi être un "texte précurseur" écrivez-vous. C’est dire s’il vaut désormais pour ce à quoi il a ouvert. Très précisément, il ne vaut plus pour lui-même sauf par l’accent que votre livre fait porter sur un aspect méconnu de l’esthétique cartésienne, réintroduisant l’œuvre de Descartes à la conception de la musique qui lui a servi de point de départ, et amenant à se demander si cette dernière n’en fut pas tout bêtement le fondement méconnu.

 

Pour ce qui serait juste de cette conjecture, prendre en compte comme vous le faites la musique de Descartes déplacerait donc l’axe d’appréhension de la raison moderne. N’est-elle pas, cette conception de la musique, l’ombre portée sur la théorie du sujet, passée par profit et pertes de n’avoir pu être dégagée des rets de la déconcertante amitié où elle avait pris naissance, parce que la querelle d’œuvres a prolongé le circuit de la lettre et empêché que celle-ci n’atteigne sa destination ultime : la corbeille à papier. Ombre qui virevolte autour de ce primat de la raison auquel, sous le nom de méthode, a longtemps pour nous été identifié un Descartes "trop rationnel pour être raisonnable", selon le mot de d’Alembert que vous citez. Primat qui, votre livre y attire notre attention, fut chez un Rameau par exemple, fonction d’une lecture moins cartésienne que malebranchienne de Descartes. Ce qui ne nous fait que trop bien entendre la "pente naturelle", mais pas inéluctable pour autant, dans laquelle s’engage peut-être initialement toute lecture de Descartes.

 

Dans quelle mesure le primat du symbolique lacanien, dont une transmission non critique a contribué à désincarner l’expérience de Freud, se laisse-t-il ranger dans cette rubrique, ou saisir dans cet effet ? Ce n’est pas la moindre des questions que la lecture de votre ouvrage permet de poser. Elle est encore pour moi sur ce point précis work in progress comme on dit en certains endroits pour désigner péjorativement ce qui n’est pas encore livré à l’empire des certitudes. Mais la façon que j’avais de la poser trouve à se soutenir de votre apport. Vous en serez moins étonnée si, pour achever cette comparaison, j’évoque le musicien et musicologue Max Graf rappelant aux "bousilleurs d’âmes" la présence chez Freud de quelque chose que des élèves trop unilatéralement sensibles aux raisons du maître ne parvenaient pas à discerner dans ses écrits théoriques et les récits de sa pratique, et que Max Graf nommait, lui, sa sensibilité artistique[6].

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[1]J.Lacan, séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, séance du 15 janvier 1964

[2] Geneviève Rodis-Lewis, Descartes, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p.46-47.

[3]Descartes, Compendium musicæ, traduction de Frédéric de Buzon, Paris, P.U.F., 1987, Présentation, p.5.

[4]Jacques Lacan, Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience de la psychanalyse, Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p.93.

[5]id. p.6.

[6] F.Dachet, La « sensibilité artistique » du professeur Freud, L’unebévue, L’artifice psychanalytique,1993,3.