Réponses de François
Decarsin aux interventions
(Samedi d’Entretemps, 17
mai 2003, Ircam)
1) Sur les
différents points abordés par Laurent Feneyrou
Le principe d’architecture comme
technique et comme domaine esthétique est effectivement pertinent dans
ce livre qui propose une réflexion sur les agencements dans le temps et
sur les implications esthétiques ouvertes par les différentes conduites
de l’écriture. La proposition de Feldman est ainsi
inversée : le temps est interrogé ici après que le
compositeur a « posé ses pattes sur lui », ce qui
ne disqualifie d’ailleurs nullement les attitudes extrêmes
abordées à la fin de l’ouvrage.
· Sur l’historique de la morphologie du
temps :
a) Historique globalement, en effet, mais
avec à l’arrière plan l’idée fondamentale chez
les compositeurs de désolidariser hauteur et durée pour
reconstruire une syntaxe cohérente à tous les niveaux (position
de Boulez essentiellement, de Stockhausen aussi, mais valable aux XIVe et XVIe
siècles.
b)
Quant à l’insertion de Mozart, elle fait référence
à Messiaen évidemment, mais aussi et surtout à
Stockhausen, en particulier à son texte décisif sur
« la rythmique des cadences »[1]
étudiant entre autres les rapports métrique/harmonie dans le
menuet du Quatuor K.464.
En
fait, sont présents ici, les gestes ayant formalisé les problèmes et les prises de conscience plus ou moins
directes de cette question du rapport hauteur/durée.
c)
Enfin, la genèse des modes de durées retrouve les implications
philosophiques que Deleuze décèle dans le calcul différentiel : la
différence infinitésimale comme condition de
légitimité ou l’élaboration d’un
« problème contenant en lui même sa
solution »[2].
· Sur l’expérience de
Zimmermann :
L’idée de
« conscience intime du temps » se rapproche très
sensiblement du concept de temps vécu (Erlebniszeit) sur lequel Stockhausen
fonde à la fois son regard analytique sur Webern (op.28 et rapports forme/variation de
densité) ou Debussy (champs de temps) etc, et toute sa pensée de
la composition.
La théorie n’induit pas la
conscience du temps (Zimmermann) mais elle s’inscrit
d’emblée dans elle chez Stockhausen (l’analyse du Klavierstück I – 1952 – est
déjà un guide d’écoute) et l’écriture
ne cessera de mettre en relation organique l’expérience
vécue du temps et la syntaxe la plus complexe. La position
théorique de Zimmermann se concrétise en fait dans une manipulation
du temps assez normative, où l’idée de
« présent comme étant toujours du passé » ne
contrôle pas totalement ou systématiquement les stratégies
thématiques/dramatiques inhérentes au genre opéra. Le
principe de Momentform
défini par Stockhausen (1961) assure, semble-t-il, une plus totale
organicité dans les
œuvres de 1970 à aujourd’hui.
· Sur les perspectives ouvertes par
Barraqué :
a) La définition de thème
objet – évidemment pertinente au plus haut point chez Debussy
– n’est jamais incompatible avec celle de forces que Barraqué décrypte dans
ses analyses (La Mer
en particulier) qui, elles, contredisent radicalement l’idée de
« statisme mobile ».
b) Par contre, il n’est pas certain
que le principe de « développement par
élimination » (déjà analysé par
Messiaen) puisse quant à lui, être assimilé à
l’idée de
présent définie dans le livre; précisément
parce que l’idée d’élimination progressive (de la
cellule à la note seule) implique une forte incidence de la
prévisibilité (surtout chez Beethoven) et relativise totalement,
jusqu’à l’abolir même, l’idée de présent.
En fait, l’idée de
présent n’est jamais totalement évacuée dans une
dynamique thématique. Un exemple pris chez Beethoven peut facilement
montrer comment s’opère un décrochage de l’axe
passé/futur. La péroraison du premier mouvement du Quatuor
op.74 –
après que tout a été dit (et redit) à la fin de la
réexposition – construit un moment entier où
l’euphorie de la polyphonie fait oublier la circulation du premier
thème sur lequel elle reste cependant entièrement
bâtie…
2) Sur le
commentaire de Marta Grabócz
L’auteur
réaffirme l’optique dans laquelle est pensée le
livre : l’argumentation arc-boutée sur les écrits
théoriques des compositeurs, et sur leurs partitions ; sans
prétention à une théorie globalisante, elle vise seulement
à saisir les multiples entrées (et sorties) inhérentes
à l’œuvre elle-même.
3) Sur les
remarques de François Nicolas
Conscient de la différence de
nature entre dimension ontologique du temps et expérience propre du
sujet, l’auteur s’est essentiellement concentré sur cette
dernière.
Quant aux différentes figures de la
dualité évoquées, elles relèvent plus clairement
d’une binarité de la réflexion. Le temps des agencements
musicaux – formule entièrement synonyme du titre choisi pour le
livre – admet la discontinuité totale (avec ou sans implication de la mémoire) ou
la continuité parfaite (avec les mêmes conditions).
Quatre dimensions du temps musical
s’ouvrent alors, dans des perspectives différentes dont la
complexité est saisie par l’analyse du Quatuor op.33 n°2 (fin) de Haydn et celle du Quatuor
K.421 (premier mouvement)
de Mozart. Ces deux approches montrent comment une structure thématique
– dynamique – forte peut être totalement
oblitérée par le présent de l’arabesque
perpétuelle (Haydn), tandis que la répétition stricte peut
inclure la différence par la seule action sur le contexte harmonique
(Mozart).
–––––––