Les écrits
de Barraqué face à ceux de ses contemporains.
Alexandre Tissier
(Samedi
d’Entretemps, 26 octobre 2002)
À l’occasion de cette séance consacrée aux écrits de Jean Barraqué couvrant une période d’une vingtaine d’années et coïncidant avec une œuvre liée à l’écriture sérielle, j’ai été amené à réfléchir à la mise en rapport de certains des textes de Barraqué avec ceux des contemporains de sa génération de premier plan ; parmi lesquels Boulez, Stockhausen auxquels peuvent s’associer ceux de Bério et Ballif dans une moindre mesure. Ces textes nous ramènent à l’analyse des tendances, procédés et attitudes à l’œuvre dans l’élaboration d’une pensée musicale qualifiée de sérielle particulièrement intense dans le début de la seconde moitié du XXe siècle. Les textes comme les œuvres de cette époque rendent compte tout autant de la volonté affichée d’absorber de nouveaux postulats ayant brutalement émergé dans le champ compositionnel que de la volonté de les accorder avec une conception débouchant sur une écriture, mais également du désir de construire un univers d’écriture absolument neuf dégagé d’un rattachement aux archétypes et formulation et fonctions musicales du passé : Fait intéressant après une longue dizaine d’années une mise à jour de l’évolution de l’écriture comme une éventuelle tentative de mise au point de données nouvelles de la pensée compositionnelle, ou encore une quelconque codification d’acquis sur un plan théorique s’effondre : On assiste à partir des années 60 un peu à une situation tant de la dilatation de la précision théorique que des démarches prospectives liées aux différentes attitudes adoptées face à la question de la définition d’un nouveau matériau. Les plans d’inventions liés à un éclatement des techniques sont comme prioritairement conçus pour être projetés dans des œuvres, revendiquant comme droit à leur existence leur double singularité originalité technique et esthétique.
Les textes de Barraqué, singularité technique
et esthétique.
L’ensemble des écrits de Barraqué
relève dans la diversité d’une grande constance et
précision. On y trouve des textes qui vont de l’article bref
parfois même de circonstance — comme la critique de concert
« Premières auditions » du domaine musical —
à des textes de fond comme « Des goûts et des
couleurs », « Résonances
privilégiées » et enfin « Rythme et
développement » qui se rapprochent d’une étude
sur la question des techniques musicales nouvelles dans la composition,
jusqu’à des écrits de type analytique poussés
reliés à différentes périodes historiques, comme
l’analyse de la Mer de Debussy, la cinquième symphonie de
Beethoven Il s’en dégage en premier lieu le souci d’une lecture
de l’héritage de l’école de Vienne centré sur
Webern. En second lieu on y trouve l’extension qui peut après une
analyse non seulement des œuvres mais encore des principes
dégagés de cette observation minutieuse, déboucher sur de
nouveaux plans de développement de conceptions de
l’écriture. Comme chez Boulez et surtout Stockhausen la question
d’un haut niveau d’organisation du langage musical par et au
travers de la série s’impose comme une sorte de conclusion de
nécessités formelles historiques mais également comme
signe de la compréhension de l’essence même de l’acte
compositionnel. La question de la forte capacité de déductions
face au matériau musical est perçue comme une des
préoccupations récurrente à travers toute l’histoire
musicale dont la série dans ses perspectives présentes,
considérée comme déjà contenue en germe chez
certains compositeurs, cristalliserait l’essentiel. Cette notion
cardinale, expression des enjeux permanents de l’essence même du
travail de la composition renvoie pour Barraqué à la question
plus générale d’une cohérence d’organisation
de la composition accentuée par les "recherches" musicales de
l’époque liées au sérialisme, que Barraqué ne
cesse au travers de l’analyse de l’histoire de découvrir,
déceler, porter. Face aux aspects immédiats de
développement technique de nouvelles possibilités de conception
de la composition et d’écriture héritées de Webern
où technique et expression se corroboreraient s’ajoute, en
même temps que se dévoile à la lecture
d’écrits, un fort souci de mise en relation entre un passé
musical récent et des périodes plus anciennes, un fort
tempérament créateur fait d’une sensibilité
d’une grande profondeur et d’une intense concentration. Ces aspects
vont tout au long de la rédaction de ces écrits
rédigés sur plus d’une dizaine d‘années se
dévoiler d’une manière tout à fait significative et
même emblématique dans l’entretien de 1969 intitulé
« Propos impromptu ». On pourrait presque avancer que
c’est précisément au travers de la réalisation
d’une sorte de dialectique faite d’une recherche rigoureuse de
technique et une conception profondément personnelle et surtout
intérieure de l’acte artistique que se manifeste le
« mécanisme créateur » de Jean
Barraqué : Un très fort métier musical, fait d’analyse
et compréhension des œuvres antérieures qu’elles
soient modernes ou issues d’une tradition solidement établie, face
à laquelle une lecture audacieuse s’opposerait presque tout en
tentant d’évaluer très précisément la forme,
la structure d’œuvres relevant tout à la fois d’un
contexte historique comme de leur propre contexte, lecture qui permet de
réinventer, redéfinir les postulats de la création,
rejoints par une puissante capacité (morale) d’investissement dans
le travail de composition.
La question de matériau musical
corrélé à la notion de série dans les écrits
de Barraqué face à ceux de Boulez et Stockhausen.
Ce sont chez des compositeurs comme Boulez, en premier
lieu, Stockhausen Bério et Ballif que l’on trouve les
écrits les plus proches de l’ordre de préoccupations sur le
plan technique et même esthétique de ceux de Barraqué. Une
des caractéristiques de ces écrits qui soient s’opposent se
complètent tient au fait qu’ils sont axés sur la notion de
musique de système (et) d’écriture. Ils ont
été écrits dans un temps extrêmement bref où
la question de l’assimilation comme de la lecture tant dans
l’attitude que dans la méthode à adopter pour construire
une pensée musicale peut diverger, tout en révélant
déjà les orientations futures, les singularités techniques
de ces personnalités. Ces compositeurs se placent dans le sillage
d’une assimilation des dernières orientations musicales
dégagées juste après Webern au côté
desquelles celles de Berg et Schönberg ont été dûment
interprétées à la lumière de ce que le
« traitement du matériau musical chez Webern »
représente en tant qu’axe central d’observation. La
principale question qui se pose est celle d’une nouvelle organisation des
dimensions d’un espace sonore où vont pouvoir coïncider de
nouvelles perspectives simultanées de relations de hauteurs, de rythme
et de timbre. Ceci concerne des perspectives verticales, horizontales
diagonales liées et causées par la conception de la musique
sérielle inscrivant l’écriture
« Webernienne » dans de nouveaux prolongements que ces
compositeurs réalisent comme nécessaires. Prolongements où
la notion de développement de l’harmonie, du rythme et du timbre
va s’étendre à des registres de nouvelles
corrélations.
La question d’une définition de la place du
matériau musical dans l’écriture musicale en prise avec la
notion d’histoire musicale chez Boulez, Barraqué et Stockhausen.
Chacun des textes, que ce soient ceux de Boulez de
Stockhausen, Barraqué Bério et Ballif, sont contemporains et
datés des années 50. Ils vont témoigner en premier lieu
chez Boulez de la conscience d’une urgence de mise à jour de nouveaux
postulats corrélée à des nécessités
créatrices immédiates relevant à la fois d’une
nouvelle définition et redéfinition du matériau musical
hérité de l’espace Webernien, comme d’une
interrogation et mise à jour des différentes modalités de
traitement que l’on peut déduire de ce matériau ou des
nombreuses relations à développer et développées
que peut lui imposer une imagination procédant d’une haute
intelligence musicale. Cette intelligence musicale relèverait aussi bien
d’une sorte d’analyse pratique des propriétés
d’un nouveau système appelé à se découvrir au
travers des multiples investigations des développements de
l’invention musicale, que d’une invention issue d’un esprit
musical propre à la conscience des nécessités des
œuvres de l’école de Vienne — en en dépassant
les simples préalables techniques — tout en s’appuyant sur
une lecture analyse d’autres œuvres du XXe siècle, ainsi
que d’autres périodes de l’histoire musicale, les formes
issues de cette histoire musicale reconstituée, convoquée se
prêtant alors à des affinités de conception, sorte de
terrain au sens large de prédilection de l’invention, de la
réalisation de la pensée musicale. Dans un texte comme
« Idée, réalisation, métier »,
écrit à la fin des années 70 dans le cadre des cours du
collège de France et qui ouvre sur une réflexion de nature
générale sur la notion de réalisation et
d’idée musicale, Boulez réévoque la question
d’une forme d’articulation en faisceaux, tant des techniques que du
terrain de la réalisation et développement de leurs
virtualités entre nécessités pratiques de
l’invention musicale et les dimensions obligées d’une
imagination rattachée à l’histoire musicale.
Dans les textes de Stockhausen de la même
période, la polarisation sur les conditions et possibilités
formelles formalisables d’une invention technique, d’une technique
d’invention de la technique musicale, dessine en priorité —
à travers le souci d’agrandir les possibilités des formats,
« formants » d’approches appliqués à
la notion même de matériau — une prise en compte des
conséquences des données induites dans les nouvelles dimensions
du spectre de l’espace musical et déductibles, en partie, de
certains aspects de la musique de Webern. L’extension des aspects de
cette écriture étant tributaire de l’invention et donc des
capacités du compositeur à organiser selon de nouvelles
modalités dépendant des facultés de son imaginaire un
nouveau champ musical. (Cf. situation de l’artisanat Critères de
la musique ponctuelle 1952). La notion essentielle de série rattache, aussi
bien dans leurs écrits chacun de ces trois compositeurs.
En revanche chez Barraqué, les écrits sont
d’une part éloignés dans le contenu comme dans la forme
d’un aspect aussi totalisant et technique que ceux de Stockhausen et
d’autre part ils sont aussi moins nombreux et moins immédiats que
ceux de Boulez et se présentent dans le genre comme beaucoup plus
axés sur une notion d’exactitude analytique tendant à une
forme de très grande concision. Ils abordent de façon moins
explicite, systématique et aussi beaucoup plus réservée,
la question des états immédiats de la technique de la composition
propre aux recherches musicales en cours dans ces années cruciales. Il
s’y décèle également la recherche d’un lien
parfois plus formalisable apparaissant presque comme fabriqué entre les
œuvres d’un passé récent ou plus éloigné
presque comme pour justifier (ou interroger) l’apparition de la
série, questionnement constant à la lueur d’un fil ininterrompu
que constituerait l’histoire musicale à travers des
développements, bouleversements de ses formes.
Chez chacun des compositeurs comme Boulez, Barraqué,
Ballif, Bério et Stockhausen si l’idée d’un
accroissement des facultés de composition du musicien en raison des
développements qu’imposerait sur le plan du matériau la notion
même de série domine, il trouvera sa traduction dans
l’esprit musical de façon fort différente mais
révèle tant la nécessité immédiate
d’une exploration que d’un contrôle du matériau et sur
le matériau par le calcul, l’intuition et les formes naissantes
d’un usage des techniques dans un rapport problématique de
filiation avec l’histoire, sans équivalent dans toute
l’histoire de la musique.
Pour Stockhausen, le rapport à l’histoire se
matérialise de la façon suivante ; dans
« Situation de l’artisanat » 1952 il
écrit : « Le seul fait qu’au cours de plusieurs
siècles la musique ait été écrite dans le
même système sonore
« préformé » montre très clairement
combien l’organisation des sons développée dans notre
situation d’artisanat se démarque de l’artisanat
traditionnel. Par là nous n’entendons pas seulement le
système majeur-mineur et le système des modes qui l’a
précédé mais aussi le système dodécaphonique
chromatique. On peut par ailleurs avancer l’hypothèse que la
représentation parfaite d’un ordre sonore dans l’idée
et en vue d’une œuvre particulière donne naissance à
un agencement des sons (isolément ou l’un par rapport à
l’autre) propre à cette
œuvre et ne pouvant trouver sa plaine
signification qu’en elle seule et non autre part ».
Pour Barraqué, même si la question actuelle de
l’évolution du langage musical induit des bouleversements dont les
conséquences sont à appréhender, comme par exemple les
nouveaux développements à appliquer en corrélation entre
le rythme et l’harmonie qui apparaissent très clairement dans le
texte « Rythme et Développement » le musicien est
ramené malgré des nécessités formelles et
historiques nouvelles à l’essence même de l’acte de
composition qui dépend toujours des facultés du compositeur
à en concevoir l’organisation d’une façon plus ou
moins élaborée… Pour autant que celles-ci requièrent
de nouvelles qualités, car il n’en demeurera pas moins que
même si la musique s’oriente vers les qualités d’un nouvel
espace de réalisation dont le bouleversement équivaut à
ces passages très importants franchis à certaines périodes
d’évolution de la musique, comme celui de la monodie à la
polyphonie, que l’essence de l’acte compositionnel dans la musique
reste entier. Dans « Debussy ou l’approche d’une
organisation autogène de la composition » Barraqué
écrit : « L’art de composer a toujours mis en
question le geste fondamental du musicien envers l’articulation du
processus sonore dans le temps et l’organisation formelle en mouvement
progressif. En fait, le souci essentiel de tout compositeur véritable a
toujours eu pour objet l’évaluation, la mise en marche et
l’ordonnance du matériau constitutif d’une œuvre.
Disons, dés l’abord, qu’il convient de bien distinguer un
art qui se suffit de la simple estimation de ce matériau utilisé
ensuite en tant qu’agent conducteur à l’intérieur
d’un prototype formel standard, de celui qui fait le matériau
même, le principe actif de la virtualité
formelle… »
Les caractères des textes de Boulez face à
ceux de Barraqué : Des liens à des divergences significatives
à travers deux types d’écrits pointant la question
d’une attitude esthétique et technique :
Parmi tous les textes et articles de caractère
analytiques écrits dans les années 50-60 qui furent
extrêmement nombreux, tant chez Barraqué, Boulez, Stockhausen,
Bério et Ballif qui a même écrit un traité pour une
solution tonale et polymodale du problème atonal — écrits
qui tendent finalement peut-être à l’écriture
d’une sorte d’hypothétique traité de composition
— on peut distinguer grosso-mode l’émergence de deux genres
d’écrits qui tendent à se recouper en un seul. Les premiers
sont tournés vers la question technique. Les autres tentent après
évaluation de nécessités globales historiques d’établir
les jalons d’une nouvelle attitude face à la musique. Les premiers
écrits plus techniques, sont indéniablement les plus nombreux et
variés chez Boulez, denses et ambiteux chez Stockhausen, mais presque
absents chez Barraqué. Ces premiers écrits s’attachent
toujours à explorer l’essence comme l’efficacité des
motivations formelles d’un nouveau système musical. Les
deuxièmes évoquent la question de la définition
d’une nouvelle attitude de création au sens large en embrassant
les périodes antérieures et les plus récentes. Les
écrits de Barraqué et plus encore ceux de Boulez convergent sur
ce point bien davantage qu’avec ceux de Stockhausen, Bério ou
Ballif tant par la quantité que par les questions évoquées
jusque dans la manière d’aborder la considération et penser
les motivations d’une considération communes face à des compositeurs
du répertoire tels que Webern, Berg, Schonberg, Debussy. On y retrouve
dans les grandes lignes pêle-mêle la même lecture des
conséquences structurantes pour la pensée musicale de Webern par
opposition à Berg Schönberg. On retrouve aussi l’attention
très grande portée à Debussy tant pour la nouveauté
de la conception de la forme que le traitement du matériau
(« La corruption dans les encensoirs », Boulez 1956,
« Prélude à l’après-midi d’un
faune » Barraqué 1954). Certains textes ont même connu
le hasard de se retrouver publiés ensemble, tels « Des
goûts et des couleurs », « Probabilités
critiques du compositeur » et surtout « Résonances
privilégiées », et « Auprès au
loin ». Les textes de Barraqué à l’inverse de
ceux de Boulez globalement beaucoup moins explicites sur la technique musicale
donnent à penser indirectement que celle-ci dépendrait en premier
lieu dans sa mise en œuvre, du domaine réservé de
l’œuvre même. Les textes de Barraqué les plus
orientés sur les questions de composition actuelles du sérialisme
de l’époque se trouvent avec dans « Résonances
privilégiées 1954 » et « Rythme et
développement 1954 ». Pour Boulez ce seront des textes comme « Propositions
1948 » ou « Stravinsky demeure » qui
pourraient être mis le plus directement en parallèle avec ceux de
Barraqué. Cependant, dès le « Système mis
à nu » 1951 puis surtout
« Éventuellement » 1952 et
« Auprès au loin », Boulez inaugure sous forme
d’une série d’articles des interrogations quant à
l’actualité des préoccupations de la composition de
caractère technique qui s’accompagnent également
d’autres textes comme « Recherches maintenant »
1954, « Tendances de la musique récente » 1957
dressant des bilans plus succincts sur le début du siècle et
celui de sa deuxième moitié qui se démarquent de ceux de
Barraqué : cette démarche et ce genre de textes tendant
à rester ouvert et en prise avec la création ne prendront fin
qu’avec « Penser la musique aujourd’hui ». On
peut avancer comme hypothèse le fait, que chez Boulez
ultérieurement, à l’inverse de Barraqué, la double
question du sérialisme et de la définition précision de la
technique liée à un espace de représentation musical
nouveau est absorbée à travers la réalisation des
œuvres et l’usage des techniques qui en découlent, la
question de l’interrogation face au matériau se retrouvant comme
soluble dans chaque œuvre, celle-ci portant désormais la trace du
parcours musical intérieur, ultérieurement fini, composé
du créateur.
Les aspects de l’attitude esthétique et
technique musicale chez Boulez
Par ailleurs les textes ultérieurement écrits
par Boulez et rassemblés dans « Points de
repères » datant de la fin des années 60 et
début 70 ou « Jalons » pour une décennie
ensemble, en partie publié, de conférences prononcées au
collège de France — ces textes traduisent plus qu’ils
n’exploreraient ou dresseraient un inventaire de toutes les recherches
présentement menées en s‘interrogeant sur la
finalité des techniques, des manières, des qualités,
tendances suivant lesquelles s’organiserait en terme de recherche et de
définition un nouvel espace musical — ces textes donc, traduisent
davantage comment cet espace musical formé est devenu le lieu
même, champ d’une écriture à partir duquel le
développement de l’invention va se charger de fournir des
réponses, en quelque sorte comme en circuit interne, les écrits
devenant l’écho de certaines réalités musicales
accomplies fixées et déterminées à
l’intérieur de leur champ d’applications musicales propres.
Chez Barraqué en revanche, le questionnement face à l’histoire
et dans l’histoire même de sa propre période contemporaine,
ne cesse, au travers de l’analyse de s’intensifier. On pourrait
presque avancer l’idée qu’un compositeur comme Boulez est de
plus en plus impliqué dans et de par la nature de sa méthode de
fonctionnement, la nature de son écriture par le développement et
les découvertes découlant de leur réalisation et de
l’exploration in situ du champ de leur applications, alors que
Barraqué semblerait entamer un questionnement plus profond sur la nature
même donnée, historiquement très précise d’une
période du langage musical par biais interposé d’analyse
d’œuvres de compositeurs de périodes antérieures.
Les aspects de l’attitude esthétique et
technique chez Barraqué. Ses articulations avec la notion d’histoire.
Outres les différences tant d’approche que de
méthode de fond qu’il peut y avoir entre les écrits de
Barraqué et ceux de Boulez sans oublier les différences ou des
points de convergence sans qu’il puisse s’établir un rapport
volontairement privilégié, les textes de Jean Barraqué ont
ceci de particulier qu’ils relèvent d’une grande
unité et constance de vue quelque soient les sujets abordés ou
les formats même des écrits sur une période de plus
d’une dizaine d’années. Si des textes comme
« Berg et Webern, deux aspects d’une même
rhétorique », « Démarches musicales du
demi-siècle » dressent un bilan de type analytique
très concentré de la première moitié du siècle
en se polarisant sur l’école de Vienne, d’autres textes, les
plus importants comme « Des goûts et des couleurs »
« Résonances privilégiées »,
« Rythme et développement » centrés sur la
question de la composition et parfois du matériau musical même
relèvent de la recherche d’une attitude propre à la
composition « d’aujourd’hui ». De la
même façon, un texte comme « Étude sur le
romantisme musical, le traumatisme Beethovénien » renvoie aux
relations au sein de l’acte de composition que l’on peut
établir dans l’écriture de Bach à Beethoven Wagner
et Webern, dans une certaine mesure, comme des enseignements que l’on
peut tirer de l’observation des périodes historiques
précisées comme reprécisées dans toute la dynamique
de leur acuité historique. J’ajoute que cela va de pair avec une
très haute conception historique de la posture comme des
capacités d’action du compositeur quelle que soit la
période historique dans laquelle le musicien se trouve et se retrouve
tenu d’accomplir, s’accomplissant lui-même. Ceci a
vraisemblablement conduit Barraqué à penser ou tout du moins
formuler qu’il n’y avait de place que pour un seul grand
compositeur dans ce siècle… Quoi qu’il en soit les grands
textes tournés vers l’analyse comme, « Prélude
à l’après-midi d’un faune », « Debussy
ou l’approche d’une organisation autogène de la
composition » développent dans leurs conclusions les
mêmes aspects que ceux des textes cités plus haut. Presque chacun
des enjeux de l’écriture de l’époque analysés
sous un angle personnel traduit et renvoie de par la nature de la
démarche qui s’en dégage, d’une part au rejet —
difficile si l’on songe à l’espace culturel et social dans
lequel évoluait Barraqué — de l’académisme et
de la dangereuse avant-garde, (cf. « Des goûts et des
couleurs ») corrélé au souci de rattacher
l’essence de l’esprit de la composition à leurs
antécédents historiques aussi bien en termes de matériau
que d’invention et de capacités de déduction musicale
propre à un passé moins récent mais essentiel au travail
de l’écriture musicale. S’affirme toujours également
la conscience d’une modification et d’un bouleversement très
conséquent des formes de et dans l’écriture avec le
matériau sériel, toujours corrélé aux conditions
d’une obligation de l’assimilation après analyse au sens
large des différentes formes de la pensée sérielle,
analyse, attitude analytique et avant tout attitude musicale qui permet
d’établir au sein de la pensée musicale une relation entre
l’écriture et des perspectives, hypothèses de la
composition après une évaluation du sens des acquis hérités
des prédécesseurs. Ces soucis de mise en relation et des différentes
perspectives de l’écriture au travers de l’histoire face
à des nécessités présentes de la musique se
rattachent à l’idée néanmoins que dans la
composition, au sens noble et presque compositionnel du terme, une musique ne
peut constituer son expression uniquement sur la base de ce que sa seule
morphologie peut en terme même d’écriture suggérer de
prime abord en termes de geste musical ; ceci ne constituant qu’un
seuil trop éloigné d’un réel travail de
composition ; Bien au contraire c’est la technique, qui en la
traversant constitue l’expression. « Résonances
privilégiées ». Cette observation qui pourrait
pleinement s’appliquer aux recherches en cours propres à ce que la
musique contemporaine de l’époque a développé,
exploré à travers la notion de matériau
s’étend également au registre de musique tonale : Elle
concerne la restriction du matériau observé par Barraqué
dans les dernières œuvres de Bach et Beethoven avec un rôle
fonctionnel accordé à l’intervalle et la création
d’un réseau de relations et de fonctions internes propres à
l’écriture. Cette conception a l’avantage de
s’appliquer presque aussi bien aux circonstances de la musique tonale
qu’à celles de la musique sérielle et d’un certain
dodécaphonisme « Résonances
privilégiées » se recoupe avec l’idée,
propre à la musique dans la seconde moitié du XXème, que
les quatre nouvelles composantes de la musique isolées sont comme
inexistantes en soi — indépendamment d’une organisation en réseau
— à la fois relativement indépendantes mais soumises
à une rationalité dépendante, la composition devant se
concevoir comme l’organisation à l’intérieur
d’une limite et débouchant sur un circuit fermé
« Rythme et développement ». Là aussi, la
capacité de déduction d’éléments
s’ouvre en se rattachant à un principe d’organisation
d’essence supérieur comme on en trouve trace chez
Stockhausen… chaque œuvre relevant formellement et
matériellement d’un parcours lui appartenant en propre. (Debussy).
De cela se dégage la nécessité d’une articulation
complexe dans ses relations entre passé, présent et avenir qui
témoigne peut-être de la recherche délicate d’un
équilibre au sein de l’écriture durant une période
difficile en tentant de la dépasser, comme semble en rendre compte le
texte « Hommage à Claude Debussy » où la
question d’une forte tension sur la position de la place technique et
historique du compositeur se fait jour, plus l’œuvre de
Barraqué avance dans le temps… Néanmoins
l’idée comme chez Boulez que les données d’un fait
musical doivent pouvoir être révélées par une
analyse rendant pragmatiquement compte de ces faits dans leur
vérité historique, cohésion technique qui peut
déterminer, ouvrir sur l’invention d’un avenir musical non
limité au présent voisine, comme avec la difficile question de
l’acceptation seule de l’espace sériel — toujours
appréhendé même avec des guillemets tel un univers de
fonctions relatives — comme compréhension et perspectives uniques
nécessaires d’un développement peut-être par trop
fermé de l’écriture, sur l’écriture, une seule
et unique écriture… L’invention musicale tant chez
Barraqué que chez Boulez, tout en se concentrant sur une exploration de
la nature du système sériel même, ne va pas se contenter de
la seule lecture de Webern, mais se nourrir, fait commun par exemple, de
l’observation de la musique de Debussy, de celle de Bach, et ainsi
alimenter les formes d’un regard qui aux confins de
nécessités personnelles et de la réalité même
objective, de fait, de la réalité même d’œuvres
liées techniquement et esthétiquement dans leur exploration
à la période de la seconde moitié du siècle,
restera sera utile, essentiel au positionnement pensé, de leurs propres
œuvres futures, et ce sur tout un parcours de création conçu
dès le début comme une observation et interrogation des postulats
de l’écriture sur tout le plan historique.
À l’inverse de cela un compositeur comme
Stockhausen paraît avoir été bien davantage
préoccupé dès le début comme le laisse
révéler la teneur d’écrits comme « Situation
de l’artisanat », « la composition par
groupes », d’ouvrir et d’agrandir les perspectives du
champ de la composition à l’intérieur de son propre champ,
qu’il s’agisse de la musique électronique, de la musique
écrite instrumentale, de formes de musiques mixtes adoptant
différents types de notations pour un rendu sonore effectif de
l’invention musicale, ou même de l’opéra, la
totalité de l’invention se situant à
l’intérieur même d’un système de pensée
dépendant dans ses perspectives, conditions et mécanismes
d’invention, de sa propre pensée, d’une pensée où
le rapport à l’histoire même sous certaines conditions de
filiation formelles directes ou indirectes apparaissent comme totalement
balayées, inexistantes ou dépassées, ou prétexte
nécessaire au dépassement.
Notions convergentes d’attitude et techniques dans
les textes de Boulez et de ceux de Barraqué.
Les parallèles et parentés que l’on
peut établir entre les textes de Barraqué et ceux de Boulez
relèvent d’autant de l’évidence qu’ils abordent
avec parcimonie chacun des points essentiels, clés, d’une attitude
propre à l’exploration de la musique du XXe siècle.
Ils concernent comme je l’ai déjà mentionné tant
à travers la question du sérialisme que même assez
paradoxalement son dépassement, ou même d’une certaine
façon la question de sa mise en abîme, la recherche d’une
attitude dans la composition face à l’histoire, les moyens que
l’on peut employer pour la lire, la (re) construire et enfin, une fois la
question de la construction des préalables d’une technique posée,
une certaine approche de la problématique de la conception même de
la musique en regard de son plan technique. En dernier lieu, la question
même d’un renouvellement manifeste d’attitude tant sur le
plan pratique et éventuellement théorique face aux racines
directes de la musique de leur temps, dans ses causes et conséquences
s’y dévoile.
Les aspects multiples de cette convergence de notions
liées à la nouvelle musique couvrent tous le champ des possibles
et des nécessités présentes de l’époque.
Citons pêle-mêle, l’acquisition d’un métier par
« l’analyse » comprise comme un nouvel outil tant
de connaissance que d’approche de la composition au
XXe siècle, rappelons l’apport de Webern et le sens
d’une nouvelle architecture sonore musicale par opposition au traitement
des perspectives du plan horizontal et vertical de l’écriture chez
Schonberg et Berg, la question de l’utilité,
nécessité éthique du système musical sériel,
la question de la notion de technique en musique corrélée
à la question du sens de l’expression comme expression
significative, compositionellement, musicalement de nouveaux matériaux,
la question du rythme et de l’harmonie question toujours
subordonnée aux aspects fonctionnels et fonctionnalisables des
réalités d’un nouvel espace compris et lu au travers des
développements de ses nouvelles possibilités. D’un texte
à l’autre, nombre d’œuvres identiques citées
comme les jalons essentiels d’un nouveau sens musical ou significatif de
formes actives de l’esprit musical, compositionnel ramènent
à des incidences communes. Parfois il y aurait même convergence
lorsqu’ils tentent d’opérer une nouvelle qualification des
valeurs, objets, identités de caractère musical.
D’où et dans l’évocation de la notion
d’harmonie, de rythme, de contrepoint, de forme, l’idée, de
tous ces nouveaux formants qui se mélangent dans l’écriture
activement aux réalités de travail et de la manipulation
musicale.
Sur la difficile question de l’acquisition d’un
métier Boulez écrit dans « Auprès au loin
1954 » « Le jeune compositeur prend peu à peu
conscience de son métier à travers le métier de ses
prédécesseurs, dont il fait sienne les acquisitions dont il
assimile les pouvoirs ». Barraqué écrit dans
« Messiaen pédagogue, l’analyse
considérée comme enseignement ou l’apprentissage d’un
métier » :
« Tout compositeur au début de sa carrière est le
dépositaire d’un héritage que des siècles de
découvertes et de créations ont accumulé, celui qui va
devenir le dernier maillon de cette chaîne ne saurait échapper
à cette tradition. »
À propos des vertus et modalités de
l’analyse, Boulez précise en allant plus loin « Comment
(la) continuité dans la transmission est-elle possible, par
l’enseignement, lorsque l’enseignement est devenu inefficace, il
arrive un degré de saturation où l’élève
éprouve le besoin de définir par lui-même ses propres
coordonnées à l’égard d’une tradition —
on a recours à la lecture analytique des partitions. »
À quoi Barraqué fait écho dans
« Hommage à Messiaen 1958 » : « Il
est nécessaire pour un jeune compositeur qui vient de terminer ses
études de mesurer ses forces envers le passé : Certains
cèdent alors exclusivement aux tentations de l’activité
créatrice. Les plus exigeants transforment ces tentations en une
sévère méditation qui ressuscite l’histoire. »
Sur la question même de l’analyse et la
question de son bien fondé et de ses moyens, Boulez exprime une divergence
dans l’attitude assez caractérisée face à celle de
Barraqué. Dans le texte « Auprès au loin »
publié en même temps que « Résonances » : « un acte de foi en la transmission du métier de
génération en génération par ce moyen
(l’analyse) est irremplaçable bien que surgisse alors cette
impossibilité seconde : l’œuvre ne peut nous être
d’une entière adéquation, pris comme projection de
soi-même sur des œuvres (l’analyste) gardera-t-il alors une
modestie de relation… Vouloir analyser une pièce de Bach en se
rapportant à une étude des hauteurs et des registres est aussi
vain que de comparer littéralement une structure de Webern à une
structure de Beethoven ». Il me semble que ceci constitue
d’une façon encore plutôt implicite l’esquisse de ce
qui pourrait être une critique assez aiguë des rapprochements
auxquels Barraqué se livre dans « Résonances
privilégiées » et qui permettent de songer aux
divergences d’approche de deux compositeurs contemporains soucieux
d’établir un rapport avec l’histoire. En effet dans des
textes ultérieurs réunis sous l’intitulé
« Jalons », Boulez ne cessera d’avancer
l’hypothèse du rattachement à l’histoire musicale
— au sein même des formes de sa propre écriture musicale
— comme « inné », ou tout du moins
résultant d’une charge d’acquis indiscutables ouvrant sur un
champ de certitudes techniques, stylistiques, musical propre, personnel, fait
musical au sens propre, singulièrement construit.
En ce qui concerne le rattachement à l’école
de Vienne avec Webern comme axe prioritaire, deux textes comme
« Éventuellement » de Boulez et
« Démarches musicales du demi-siècle » y
répondent. Boulez, « Éventuellement 1952 »
« La série fut exploitée dans des sens bien
différents par Schonberg, Berg et Webern ; le seul en
réalité qui eut conscience d’une nouvelle dimension sonore,
de l’abolition de l’horizontal opposé au vertical pour ne
plus voir en la série qu’une façon de donner une dimension
structure à l’espace sonore, à le fibrer en quelque sorte,
le seul est Webern ». Barraqué évolue dans le
même registre d’idées « Démarches du
demi-siècle » (1953) « C’est Webern et
Webern seul qui a permis la prise de conscience d’une dialectique
musicale et cette façon nouvelle de penser la construction sonore fut
possible moins peut-être que par un apport plan d’une grammaire
musicale que par un bouleversement total de l’entendement
sonore ».
C’est aussi encore par rapport au texte
d’Auprès et au loin que Barraqué écrit dans
Résonances privilégiées au sujet de la notion de technique
et d’expression : « Des schématisations
successives nous conduisent rapidement à donner une
généralisation à deux grands courants qui
définissent la démarche d’une musique dont la morphologie
est déterminée par une volonté d’expression, de
l’autre une technique qui constitue par elle-même
l’expression ».
Dans « Auprès au
loin » Boulez écrit : « N’oublions pas
qu’en musique l’expression est liée très
intrinsèquement au langage à la technique même du langage,
la musique est peut-être le phénomène le moins
indissociable de tous les moyens d’expression en ce sens que c’est
sa morphologie qui rend compte de l’évolution sensible du
créateur. »
Outre les multiples points communs qui
autorisent un rapprochement direct qui mériterait un approfondissement
plus conséquent convoquant l’analyse des œuvres, on peut
dire, en guise de rapide conclusion, que l’on peut observer que le
rapprochement le plus évident et le plus significatif entre ces deux
musiciens se retrouve dans la question de la nécessité du
sérialisme lorsque Barraqué écrit dans
« réponse à un questionnaire, 1962 » :
« Si la conception sérielle, comme la conception tonale ne
permet pas de prendre une assurance sur le chef-d’œuvre elle est la
seule — dans la manifestation générale et quant on admet
l’évolution et non la stagnation — qui permette à
l’heure actuelle au compositeur de créer ». Il cite en
fin d’article la fameuse phrase de Boulez dans l’article intitulé
Éventuellement «… tout compositeur qui n’a pas
ressenti la nécessité du langage dodécaphonique est
inutile » Quant à la question essentielle du lien nouveau
à établir entre le rythme et l’harmonie cette donnée
essentielle des nouveaux aspects de la composition que les viennois et
notamment Webern n’avait pas abordé, il en est (plus que la
polyphonie, à part dans proposition 1948) débattu sous la
question de l’indissociabilité dans « Rythme et
développement » chez Barraqué et toujours
« Éventuellement » chez Boulez.
En guise de conclusion je dirais que l’étude
directe de ces textes révèle, chez Boulez, comme chez
Barraqué une relation ambiguë à l’histoire musicale.
Elle se matérialise au niveau de la conception de la musique
contemporaine même, au travers des différentes formes
d’interprétation du travail à effectuer à partir du
matériau musical, mais de façon infiniment moins imprécise
tout à la fois historiquement et formellement que chez des compositeurs
comme Stockhausen après les années 60, ou d’autres comme
Ligeti ou Xénakis. Néanmoins une ambiguïté persiste
d’autant au travers du travail sur le matériau musical même,
d’un matériau musical procédant comme des contingences des
nécessités historiques données, que d’une conception
du dépassement, transmutée dans une nouvelle forme de conception
de l’attitude de la composition musicale même de ces faits
immédiats, pour alimenter et déboucher sur une réflexion
musicale qui se retrouve en se transcendant, en dépassant la notion
exhaustive de fait musical, de fait historique…
Cette ambiguïté nous conduit donc, entre autres
certainement à devoir réenvisager d’une part, l’angle
même d’examen sous lequel les différentes
interprétations des faits musicaux précédents ont
été élaborés par cette génération au
moment précis où elle s’est moralement techniquement
justement ressentie comme tenue de prendre conscience des acquis de ses
prédécesseurs Cette ambiguïté nous oblige aussi
d’autre part paradoxalement à constituer non seulement un angle
d’examen approprié de la structure des œuvres écrites
par la « génération sillage » de ces compositeurs.
mais encore de réaliser un angle d’analyse qui permette de
comprendre les tenants et aboutissants des perspectives d’intelligence
musicale qui ont débouché sur les œuvres elles-mêmes
afin de nous livrer à une sorte de renouvellement
d’interprétation de la substance des œuvres de cette
époque.
La question de la forme de la création musicale
prise tant sur le plan de l’artisanat technique
qu’esthétique dans l’absolu, que dans la réalité
prise par ses formes actuelles tant dans le prolongement des données
d’un post-sérialisme que des
« anti-sérialisme » ou
« non-sérialisme » pour schématiser
reposent à terme, ne serait-ce qu’esthétiquement la question
d’une forme de redéfinition musicale, technique et
esthétique des parcours précisément effectués tant
par la musique sérielle dans la première moitié du
siècle et seconde moitié du siècle. La posture et les
nécessités de la posture du « compositeur »
actuel sont très certainement à tout le moins très
profondément différentes de celles de musiciens comme Barraqué,
Boulez ou Stockhausen, encore qu’aujourd’hui le pourquoi
nécessaire de ces différences est dans la forme comme le contenu
éludé. Si une déduction directe, quant à
l’attitude à adopter face à la musique dans
l’acceptation de son idée même la plus générale,
proche de celle adoptée par Barraqué, Boulez ou Stockhausen peut
être qualifiée, aujourd’hui, à tous le moins,
d’impossible et vraisemblablement, de techniquement fausse en termes de
validité historique, la question d’un angle d’examen des
techniques passées de nos prédécesseurs paraît aussi
bien absolument nécessaire qu’un angle de reconsidération
des circonstances formelles dans lesquelles ces techniques se sont
élaborées. Ceci est la condition sine qua non pour
qu’émerge un nouvel angle d’examen pouvant aussi
s’étendre aux conclusions que l’on peut tirer des nombreux
parcours musicaux qui se sont immédiatement constitués à
la suite du travail entrepris par la génération des compositeurs
nés dans les années 20. Parcours peut-être moins heureux,
moins profondément établis ou porteurs de renouvellement dans une
relation à l’histoire ou au champ des capacités
d’invention qui ont affecté les œuvres et productions des
compositeurs post-sériels des générations
immédiatement suivantes… démarches ou systèmes qui
ont révélé autant un manque de capacités
d’invention à l’intérieur des bases d’un
système posé quel qu’il soit, comme une absence
d’inspiration plus substantielle face à
l’appréhension de l’histoire musicale en
général et en particulier… Mais là aussi, les
qualités techniques et esthétiques de ces œuvres restent
à devoir être précisément appréhendées
comme éclairage, d’une part non seulement des desiderata
techniques et accomplissements esthétiques de cette période mais
encore conditions de compréhension de la généalogie dont
procède directement le champ multiforme de la création
actuelle… lequel tend à rester flou plus en raison des conjectures
insatisfaisantes d’analyse qu’on lui applique plus que des
conjonctures de proximité temporelles limitant la justesse d’un
champ d’appréciation analytique. Cet état de fait a
généré des démarches qui ont débouché
par voie de conséquence sur des états passés, actuels,
aussi innombrables dans leur extension et prolifération tant dans les
formes d’une écriture post-sérielle que d’une
écriture spectrale en s’étendant à des registres de
catégories de productions incontrôlables que nous connaissons
aujourd’hui, certainement techniquement excessivement fragiles même
en termes de systèmes personnellement
« conçus » autant en réaction active
négative face au travail des générations de compositeurs
précédents que par souci de commodité immédiate
avec un niveau de pensée musicale laissant fortement à
désirer dans l’impuissance de tirer les conséquences des formes
de la pensée musicale précédente. La question du
sérialisme seul, nous invite directement à nous poser les formes
renouvelées d’une profonde interrogation nécessaires face
à la question du matériau et de la musique. Problématique
qui fait resurgir la question de la technique, d’esthétique
à l’époque actuelle d’une façon que je ressens
comme cruciale nécessaire. Ce qui se joue n’est rien moins que la
question tant de l’histoire même des œuvres que
l’œuvre de l’histoire et même des multiples œuvres
de l’histoire, que la double place de la notion essentielle de
validité esthétique et technique en termes de qualité, des
œuvres de l’histoire de la seconde moitié du siècle.
C’est dans cette mesure qu’il me semble que tant les textes comme l’œuvre
de Boulez comme ceux à divers niveaux de Barraqué nous conduisent
assez substantiellement et paradoxalement comme préalables ouvrant sur
les dimensions d’un réajustement des perspectives de la
pensée musicale.
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