MICHEL PHILIPPOT

(14 - 19 Novembre 1994)


SOMMAIRE



Programme de la semaine (page 4)

Patrick Choquet : Un humaniste du XX· siècle (page 7)

Philippe Manoury : Éléments pour un portrait (page 9)

Michel Philippot : Entretien inédit (page 11)

Michel Philippot : À bâtons rompus (page 15)

Nicolas Papadimitriou : Espace et mouvement musical (La technique compositionnelle de Michel Philippot) (page 19)

François Nicolas : Ce doit être ! (Essai sur les écrits de M. Philippot)

- Introduction (page 31)

- Florilège (page 33)

- "Es muß sein" (page 43)

Documentation

- Commentaires des oeuvres (page 79)

- Liste des oeuvres (page 86)

- Discographie (page 87)

- Bibliographie (page 88)


UN HUMANISTE DU XXe SIÈCLE

 

Patrick Choquet

 

Si la musique est un reflet fidèle de l'âme de son concepteur, on suivra dans celle de Michel Philippot les traces multiples qui mènent à l'humanisme. Un humanisme dans toute l'acception du mot : philosophie, science, arts...

 

Michel Philippot est né le 2 février 1925, dans le vignoble champenois, à Verzy (Marne). Rien ne semble, dans sa prime jeunesse, le prédestiner à la musique, pas même les leçons de piano qu'il trouve plutôt fastidieuses, et son approche de l'univers sonore se fera en grande partie par le biais des sciences. Son père atteint d'une maladie des yeux, la famille pour le soigner quitte la Champagne et s'installe dans le Tarn à Lacaune-les-bains.

Goût de la recherche, intérêt pour la physique théorique : sa voie semble toute tracée. Après le baccalauréat de mathématiques élémentaires, études scientifiques à la Faculté de Toulouse. Elles seront brutalement interrompues par son arrestation pour faits de résistance par la police de Vichy. Transféré de la prison de Toulouse à celle de Lyon, il sera jugé lors du procès de Lyon le 19 octobre 1942, et ne devra son salut qu'à son jeune âge. Libéré quelques jours seulement avant l'arrivée du tristement célèbre Klaus Barbie, il continuera la guerre dans la clandestinité, participant activement à la résistance dans les Forces Françaises de l'Intérieur.

 

"EN 1943, JE NE FAISAIS QUE DE LA MUSIQUE ET DE LA RÉSISTANCE"

 

De retour dans sa Champagne natale, il décide, en 1943, de s'inscrire au Conservatoire de Reims en écriture musicale. C'est là qu'il découvrira, animé par son caractère de chercheur, les disciplines de l'harmonie et du contrepoint. Tremplin qui lui permettra d'entrer, après la guerre, au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Mais ces études classiques, trop classiques, ne lui donnent qu'une relative satisfaction. Déjà, il pense à une autre musique, bien éloignée de la création officielle qui lui semble de la musique classique avec des fausses notes.

 

L'écoute de l'Ode à Napoléon de Schönberg est une véritable révélation. L'approfondissement de l'écriture de l'École de Vienne l'amènera rapidement à entrer en contact avec René Leibowitz dont il devient élève en 1946. Cette rencontre décisive lui révélera sa vocation de compositeur.

 

Ce qui est frappant lorsque l'on regarde la carrière de Michel Philippot, c'est cette superposition d'actions dues à une faculté d'organisation peu commune, qui lui permet d'entreprendre simultanément nombre de projets et de les mener à terme. Dans ces conditions toute biographie diachronique s'avère presque impossible. Dégager dans cet écheveau "polyphonique" quelques constantes reste la seule orientation évidente.

 

COMPOSITION

 

Depuis 1947 qui voit la création de sa première sonate pour piano, il écrit une cinquantaine d'œuvres intéressant les formations les plus diverses : pièces symphoniques (Compositions pour orchestre, Carrés magiques... ), concertantes (concerto pour violon alto et orchestre), pour orchestre de chambre (Pièce pour 10 instruments, Passacaille pour 12 instruments... ), quatuors à cordes ou compositions pour instruments seuls (piano, orgue, violon, violoncelle... ) et de la musique concrète réalisée au G.R.M (ce catalogue étant par ailleurs enrichi d'une quinzaine d'œuvres pédagogiques). Sonates, Ouvertures, Études, Variations, Compositions, Pièces : ses œuvres, dans le souci de ne pas influencer l'audition, ne portent un titre que très rarement. On trouvera dans cette prise de position à la fois humilité et rigueur résumant l'attitude d'un compositeur s'effaçant devant son auditeur.

 

PÉDAGOGIE

 

Son entrée, en 1946, comme Professeur d'Enseignement Musical du Département de la Seine marque le début d'une riche activité dans le domaine de la pédagogie. Tour à tour enseignant la prise de son, professeur d'histoire des sciences, de musique à l'O.R.T.F. (formation professionnelle) et à l'office de Coopération Radiophonique (OCORA) de 1958 à 1964, chargé de cours aux Universités de Paris IV et Paris I en musicologie et esthétique (1969 à 1976), il entre en 1970 comme Professeur de Composition au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, poste qu'il occupera jusqu'en 1990. Parallèlement il enseigne à l'École Nationale Supérieure des Télécommunications (1973 à 1976), crée et dirige de 1976 à 1979 le Département de Musique de l'Université de l'État de Sao Paulo (Brésil) et devient Professeur et expert pédagogique à l'Université Fédérale de Rio de Janeiro (1979 à 1981). Il devient également Chef du Département de la Formation Professionnelle de l'I.N.A. de 1982 à 1983.

 

AUDIOVISUEL

 

L'audiovisuel ajoute un volet non moins important à une vie professionnelle déjà si riche. Son expérience de Musicien Metteur en Ondes à la Radiodiffusion Française puis R .T. F. de 1949 à 1959 et de Tonmeister à la Deutsche Gramophone Gesellschaft l'amène en 1959 au service de la Recherche de la R. T. F. comme adjoint de Pierre Schaeffer, Chef du Groupe de Recherches Musicales (G. R. M.), poste qu'il quittera en 1961 pour devenir Adjoint d'Henri Barraud à la Direction de France-Culture. Son action au sein de l'O. R. T. F. le voit successivement devenir Chef du Service des Créations Musicales et de la Musicologie (1963), Sous-directeur de la Radiodiffusion et des Productions et Émissions Musicales (1964) puis responsable de ce dernier secteur (1967) et enfin Conseiller Scientifique auprès du Directeur Général (1972). En 1975 il entre à l'I.N.A. comme conseiller auprès du président, chargé de la coordination des recherches techniques et de la création radiophonique, puis conseiller scientifique 1983), poste auquel s'ajoutera (en 1989) l'organisation et la direction des formations supérieurs aux métiers du son.

 

PUBLICATIONS

 

Auteur de nombreux articles tant dans des revues musicales que scientifiques, dans lesquels s'expriment son aisance pédagogique et sa rigueur d'homme de science, il a également dirigé la rubrique "Musique" de l'Encyclopédia Universalis et participé à la rédaction de nombreux dictionnaires (Groves, Riemann, Encyclopédies Larousse, Fasquelle, etc... ). Son Igor Stravinsky (Éditions Seghers) sera suivi d'un ouvrage sur les Variations Diabelli de Beethoven (Éditions Novas Metas, Sao Paulo) dont on espère une prochaine traduction. Publiée dans une coproduction INA-ADES, son Histoire de la musique française retrace en quatre disques compacts et un livret de 90 pages l'évolution de notre musique des origines à nos jours.

 

TÉMOIN FIDÈLE

 

Toujours rester en retrait. Il l'a prouvé dans toute son action, et certainement plus visiblement en pédagogie où il a su montrer à ses élèves les moyens de leur propre réalisation, plutôt que de donner de vagues recettes. Témoin fidèle et plein d'humour de cinquante ans de la vie artistique et scientifique, mais aussi acteur passionnément actif, il prévoit de rédiger ses mémoires. Sa réserve ne le poussera pas à les publier, mais comme sa modestie n'a d'égale que sa générosité...



Éléments pour un portrait

 

Philippe Manoury

 

Il est des esprits chez qui l'on sent que l'Idée gouverne la vie. L'Idée plutôt que sa manifestation voire même sa réalisation. Non que la réalité soit absente de leur pensée mais elle est subordonnée à une volonté de relier les choses dans un concept plus général, dans un principe unificateur qui les relie entre elles. Pour ces esprits, l'art, les sciences, la littérature, voire l'engagement social et politique se retrouvent sur des points communs. Leur démarche, essentiellement fondée sur la recherche de l'abstraction, est gouvernée autant par une volonté intellectuelle que par une éthique morale, ces deux choses étant le plus souvent deux reflets d'une même pensée. Chez eux, l'éthique prédomine sur l'esthétique. C'est dans cette perspective, héritée de celle des humanistes de la Renaissance tout comme de celle du siècle des Lumières, que m'apparaît Michel Philippot.

 

Je l'ai rencontré lorsque je devais avoir dix-neuf ans lors d'une conférence qu'il donna, sur l'invitation de Max Deutsch, à l'École Normale de Musique de Paris. Je me souviens qu'il nous a parlé de Bach, de Beethoven, de Schonberg, mais aussi de Diderot, de Claude Shannon et de John Pierce, de la théorie de l'information, de la cybernétique et de cette branche, encore balbutiante dans les années 70, qui était l'informatique musicale. Je me souviens qu'il préférait Schonberg à Stravinsky de la même manière qu'il préférait Max Planck à Albert Einstein car les premiers avaient innovés "par déduction et réflexion" tandis que les seconds, dont il ne sous-estimait pas le génie, avaient oeuvré "avec un certain culot !". Je suis entré dans sa classe au Conservatoire principalement pour en savoir plus sur ces disciplines et le rôle qu'elles pouvaient jouer dans la musique. Ses cours, qui se prolongeaient souvent au café, n'avaient rien de "magistraux" dans la forme, mais ressemblaient beaucoup plus à un brassage d'idées, à ce que les anglo-saxons appellent de manière très humoristique le "brain storming".

 

Sa solide formation scientifique, ses connaissances en mathématiques, son passé de musicien metteur en ondes à l'ORTF et en Allemagne lui faisait aborder la musique sous un angle principalement rationnel. Son goût pour la formalisation mathématique, qu'il n'imposait à personne, voire même déconseillait si cela ne provoquait pas l'imagination de celui qui l'utilisait, l'avait amené très tôt à utiliser des modèles mathématiques en musique. La théorie de l'information, celle des cribles, celle des collections, le calcul des probabilités, les mécanismes de la perception, les principes de la cybernétique ou de l'acoustique, tout cela était invoqué lorsque survenait un problème quelconque, qu'il soit issu d'une de nos partitions, d'une _uvre de Bach ou de Beethoven ou encore de Xenakis. Si la discussion, comme cela s'est produit une fois, venait à dévier sur la vieille théorie des sphères et de l'harmonie céleste de Keppler, le cours suivant était alors en grande partie consacré aux principes de base de l'astronomie.

 

Il est clair que pour quiconque était à la recherche d'une opinion basée sur la subjectivité ou la critique impressionniste, un tel enseignement ne pouvait être que déroutant. Mais, lorsque je me souviens du vide qui entourait la réflexion théorique aux lendemains de 68, avec ses dérives politico-sociales, ses condamnations de tout enseignement relevant d'un caractère structuré ainsi que cette volonté de "libérer la musique" de son joug théorique pour lui substituer la recherche d'une créativité spontanée (que de mots d'ordre n'a-t-on pas entendus !), le regard sceptique et réfléchi d'un homme tel que Philippot m'apparaissait comme une bouffée d'air frais dans la confusion intellectuelle ambiante. Cette volonté de formalisation, qui désormais, par delà les esthétiques, connaît un grand engouement grâce à son accessibilité sur les ordinateurs personnels, n'était pas en odeur de sainteté à cette période. Il faut dire que Michel Philippot était à l'époque une des rares personnes à en faire état.

 

On ne peut certes pas dire qu'il "entrait" dans nos travaux, comme peut-être le faisait Olivier Messiaen dont j'assistais également à quelques cours. Il restait, au contraire, très en retrait de nos motivations esthétiques. Il recherchait avant tout, citant Schonberg, s'il y avait de "la logique et de la cohérence" dans nos travaux. C'était moins nos musiques en tant que telles qui lui importait que de déceler s'il existait une cohérence qui guidait notre démarche. Il avait, en quelque manière, une sorte d'esprit très" cybernétique" suivant la définition qu'il nous en fit un jour : " étude des systèmes régulant la relation entre plusieurs objets quelle que soit la nature de ceux-ci" (Je cite de mémoire). C'était cela qui le préoccupait : comment s'articule notre pensée musicale avec les techniques que nous employons pour la réaliser. S'il intervenait peu dans le débat esthétique, il se montrait particulièrement réticent lorsqu'il décelait certaines faiblesses dans l'organisation interne d'une partition comme dans la soumission à telle ou telle coquetterie due à une mode passagère. Notre idée musicale lui importait moins que le souci que notre écriture soit en phase avec elle.

 

Sa connaissance est réputée pour être immense. Ce n'est pas un vain mot. Mais si une chose, chez lui, égale cette érudition, c'est sa modestie. Jamais de vaines pédanteries chez cet homme qui peut, avec la même simplicité, montrer ce qu'il connaît comme avouer ce qu'il ignore. Il ne nous parlait que très rarement de sa propre musique et la seule réflexion que je me souviens d'avoir entendu à ce propos est qu'il n'écrivait pas encore la musique dont il rêvait. Lorsque je lui demandais à quoi il faisait allusion, il me répondit qu'il pensait à une qualité d'abstraction qu'il ne semblait pas avoir encore atteint. L'abstraction, voila quelque chose qui le définit bien. Je me souviens d'un projet qu'il voulait réaliser, et dont je ne sais ce qu'il en est advenu : écrire une histoire, non de la musique, mais des systèmes musicaux, sans citer le moindre nom de compositeur. Car si une chose lui tient également particulièrement à cœur, c'est bien la compréhension de l'histoire, et si une autre l'irrite c'est bien l'anecdote. Cela lui ressemble bien, comprendre comment se sont effectuées les mutations dans les systèmes musicaux depuis le Moyen Âge jusqu'à aujourd'hui sans que l'histoire personnelle de tel ou tel compositeur ne vienne interférer dans ce parcours.

 

Mais qu'on n'aille pas croire, à partir de cette vision très désincarnée de l'histoire, qu'il s'agit d'un homme qui soit incapable de s'exprimer avec emportement et force de conviction. Je suis probablement une des rares personnes ayant lu son ouvrage, malheureusement resté encore inédit, sur les Variations Diabelli de Beethoven. J'ai lu ce livre, pourtant long, complexe et détaillé, en une après-midi. Je n'ai aucune gloire personnelle à tirer de ce fait. La passion de celui qui l'a écrit emporte l'adhésion du lecteur. Je me souviens particulièrement du chapitre intitulé "l'incroyable modulation" traitant d'un fameux enchaînement d'accords introduisant le menuet final. Sous l'analyste démontrant avec mesure et pondération les faces cachées de cette œuvre géniale, se cache quelqu'un qui a également le sens du théâtre. On voit, dans cette alliance de la réflexion pure et de la passion, quel est le maître à penser de Michel Philippot : assurément Diderot. Car s'il me fallait trouver encore une chose caractérisant sa personne comme sa famille d'esprit, c'est bien l'esprit de tolérance que je choisirais.


Entretien inédit (avec Georges Léon)

 

Michel Philippot

 

[ Le 29 juin 1976, sur France Culture, dans l'émission "Musique de notre temps", Georges Léon recevait Michel Philippot. ]

 

G.Léon : Michel Philippot, vous êtes aujourd'hui l'hôte d'une maison que vous connaissez bien. C'est bien sûr au compositeur que je m'adresserai essentiellement, mais, connaissant votre forme d'esprit, je ne me priverai pas d'envisager quelquefois la musique de manière globale. Compositeur, vous appartenez à l'une des générations les plus riches de ce temps. Comment êtes-vous devenu l'artiste et l'homme que vous êtes aujourd'hui, par quel chemin ?

 

M. Philippot : Par l'unique chemin. Je pense en effet que pour être un artiste, il faut être un homme global. Pour prendre une comparaison qui n'est pas de moi, je ne crois pas à l'artiste qui produirait des œuvres comme le pommier produit des pommes. Je pense que l'artiste est un homme complet qui exprime à la fois son époque, un héritage du passé et des espoirs pour les époques futures. Au risque de paraître un peu trop ambitieux pour moi-même, je pense qu'un artiste doit être en même temps un savant, ce qui explique que je sois affligé d'une curiosité irrépressible. Disons que pour moi l'idéal de l'artiste est un personnage dans le genre de Léonard de Vinci. Mais Léonard de Vinci n'est pas tout à fait un archétype d'artiste à l'époque où nous vivons. Aujourd'hui, il existe en effet de nombreuses tendances qui sont à l'opposé de celle que je viens de définir, tendances reposant sur la créativité spontanée et sur l'illusion d'une capacité de l'auditeur à imaginer sa propre musique, quoique ce soit qu'on lui propose. C'est pourquoi je n'hésite pas à dire que je ne me sens pas en parfaite concordance avec les mouvements de la mode actuelle.

 

G.L. : Lorsqu'on est informé de vos activités et qu'on remonte le cours de votre biographie, on voit qu'il y a longtemps que, parmi les musiciens, vous vous êtes singularisé par votre esprit de recherche. Vous avez toujours affirmé la conviction que la musique est avant tout cette discipline scientifique à laquelle vous faisiez allusion tout l'heure. Sentiez vous le risque de l'impasse si vous aviez agi autrement ?

 

M.P. : Non pas risque d'impasse, mais nécessité de sortir d'une impasse, et ceci est en liaison profonde à l'histoire de la musique de l'Europe occidentale. Je sais qu'en ce moment la mode est d'aller chercher des pseudo-solutions dans les musiques extra-européennes. Ce son évidemment des cultures que j'admire profondément, mais je ne suis pas sûr de les comprendre aussi profondément que je les admire, et je ne suis pas sûr que ceux qui veulent à tout prix injecter dans notre musique occidentale des disciplines extra-européennes les comprennent tellement mieux que moi. Nous avons des structures mentales qui nous viennent du fond des âges, de notre civilisation, de notre tradition, et l'on ne s'en débarrasse pas si facilement. Il est évident que certains apports, venant d'autres traditions, peuvent nous enrichir, mais il m'est insupportable d'entendre démolir la musique occidentale sous prétexte que les autres ont fait mieux que nous. Sauf pendant un court entracte, l'époque romantique, toutes nos disciplines occidentales sont sous le signe d'une coordination des efforts entre les scientifiques et les musiciens. Depuis la naissance de la polyphonie, vers le dixième siècle, la musique est un acte de réflexion en même temps que de sensibilité. Je ne voudrais pas marcher sur les brisées de mon ami Pierre Barbaud et de son ouvrage "Musique, discipline scientifique", mais je prétends qu'il faut aller vers une sorte de richesse totale. Je dois préciser que par "scientifique" je n'entends surtout pas ni "technologie" ni "ingénierie", mais un désir de connaissance, une soif de chercher un ordre supérieur de l'esprit et de la sensibilité.

 

G.L. : Votre génération a été essentiellement marquée par la découverte de l'École de Vienne. Est-ce l'esprit de rigueur que le sérialisme vous proposait qui vous a séduit avant tout ?

 

M.P. : Indiscutablement oui. Vers 1945, la génération à laquelle j'appartiens a ressenti un immense besoin de rigueur face à un certain laisser-aller de nos prédécesseurs. Nous nous posions notamment des problèmes de langage musical, et le système sériel représentait précisément une très grande rigueur dans la réflexion purement musicale. Entre 1945 et 1955 environ, l'École de Vienne a été pour nous quelque chose d'extraordinaire, mais nous savions qu'un jour ou l'autre il faudrait songer à dépasser ces techniques; il s'agit là d'une toute autre question.

 

G.L. : C'est à cette époque, Michel Philippot, que vous écrivez votre Opus 1 cette Sonate pour piano que Claude Helffer, toujours au service de ses contemporains les plus immédiats, avait créée puis enregistrée.

 

M.P. : Cette œuvre a été écrite en 1946 et Claude Helffer l'a jouée précisément en 1947, ce qui représentait de sa part un acte de courage car cette Sonate qui me semble aujourd'hui facile, avait paru à l'époque incompréhensible. D'ailleurs, je tiens à dire ici que cette petite Sonate ne peut pas être mise sur le même rang que la grande Sonate que mon ami Jean Barraqué écrivait au même moment et que je considère peut être comme l'œuvre dominante de cette époque.

 

G.L. : On constate d'ailleurs qu'il y a 25 bonnes années entre votre première Sonate et la seconde, et cette fois ce fut Anna-Stella Schic qui en assura la première audition.

 

M.P. : Je dois aussi faire l'éloge d'Anna-Stella Schic, car elle m'a étonnamment prouvé qu'il y a quelquefois une communauté entre un interprète et le compositeur. La compréhension a été immédiate, pour preuve c'est que j'approuve entièrement son enregistrement à la Radiodiffusion Suisse romande alors qu'il a été réalise avant même que j'aie pu en discuter avec elle.

 

G.L. : Les précisions biographiques que vous nous donniez quant à la découverte de l'École de Vienne en 1945 me laissent à penser que, comme un certain nombre de vos contemporains, vous y avez été initié, entre autre, par René Leibowitz.

 

M.P. : Bien sûr. A cette époque, et je n'étais pas le seul dans ce cas, je me sentais tellement perdu dans une crise du langage musical, qu'ayant entendu parler de Schoenberg et de l'École de Vienne, j'ai pensé qu'il devait y avoir là quelque chose à connaître. J'ai alors envoyé une lettre assez timide à Leibowitz, qui m'a répondu fort gentiment en m'invitant à venir le voir. C'est ainsi que j'ai travaillé avec lui, en même temps que beaucoup de jeunes compositeurs dont une grande partie s'est brouillée avec lui par la suite, pour des raisons assez étranges d'ailleurs. En toute justice et en toute honnêteté, il faut dire qu'à cette époque deux personnages ont eu une importance considérable dans l'enseignement musical : René Leibowitz et Olivier Messiaen. Parmi les compositeurs qui ont maintenant mon âge, il est difficile de trouver quelqu'un qui n'ait pas été l'élève de l'un, de l'autre, ou des deux.

 

G.L. : Vous disiez tout à l'heure que la décennie 19451955 fut pour vous considérable. Est-ce à dire, qu'en 1955, vous avez pris conscience de devoir réfléchir sur ces dix années passées pour vous diriger ailleurs ?

 

M.P. : Oui. Et pour le comprendre il faut avoir conscience, qu'avant 1945, il y a eu en France la terrible parenthèse de la guerre durant laquelle l'École de Vienne est passée presque totalement inaperçue. Entre 1945 et 1955, cette École de Vienne a été pour beaucoup d'entre nous une sorte de panacée universelle. Schoenberg avait dit qu'il allait donner à la musique des bases pour cent ans, et nous avions effectivement l'impression que cela pouvait durer longtemps. Puis nous nous sommes aperçus que l'adoption de ces techniques de pensée impliquaient un dépassement, car le danger se révélait être celui d'un académisme sériel. À cette époque, il a effectivement existé un académisme dodécaphonique, des œuvres que l'on ne joue plus. Il fallait à tout prix s'évader de ce danger, et c'est autour de 1955 que nous nous sommes aperçus qu'il fallait faire quelque chose de plus ou quelque chose d'autre, car le temps passait très vite.

 

G.L. : A vous écouter, je pense tout à coup à votre œuvre la plus récente qui n'est donc pas, pardonnez moi, mise en situation à cet instant de notre conversation : "La, toute la, rien que la". Derrière ce titre, l'idée sous-jacente ne serait-ce pas la musique ?

 

M.P. : Non. Le titre est tout simplement celui choisi par François Le Lionnais, l'auteur du texte. C'est un ami très cher parce que c'est un de ces esprits universels dont nous parlions tout à l'heure. Au sein de l'OULIP0 - "l'Ouvroir de littérature potentielle" - il a voulu, à titre de gageure, écrire un sonnet dans lequel il n'y ait aucun verbe, aucun substantif et aucun adjectif. Dans "La, toute la, rien que la" il pensait évidemment à "la vérité". Pour ma part, j'ai voulu construire une musique qui soit également une gageure puisque tout le début est une sorte de divertissement autour de la note "la". Plus sérieusement, je tente aussi de résoudre le problème, important aujourd'hui, de l'association des sons électroacoustiques et des sons instrumentaux traditionnels, en l'occurrence une clarinette, un percussionniste et une chanteuse à la voix d'ailleurs admirable, qui est Christiane Legrand. Avec cette _uvre, nous sommes bien au-delà de l'école dodécaphonique de 1955, et pourtant je puis dire qu' elle participe d'un certain esprit sériel.

 

G.L. : J'en viens maintenant à votre fonction d'enseignant, celle de Professeur de Composition au Conservatoire National Supérieur de Paris. J'aimerais savoir si vos élèves agissent par rapport aux hommes de votre génération comme vous agissiez vous-même, à leur âge, face aux musiciens de la génération qui vous précédait. Par rapport à la musique d'aujourd'hui, quelle est l'attitude de ces jeunes gens ?

 

M.P. : Il faut d'abord préciser qu'au C.N.S.M. il y a trois classes de composition et que les élèves choisissent avec quel professeur ils vont travailler. D'autre part chaque classe n'a droit qu'à un nombre très limité d'élèves; c'est normal, on ne peut pas enseigner la composition à une classe de quarante élèves. J'ai donc peu d'élèves et je dis parfois, cela semble une boutade mais c'est une profonde vérité, que dans l'ensemble j'en ai de moins en moins mais qu'ils me paraissent être de plus en plus forts. Ils ont un très grand esprit de rigueur et j'ai parfois l'impression de me retrouver aux environs des années 1950 où, pour prendre une expression déjà vieille "les jeunes hommes en colère se rebellaient contre une certaine facilité". Cette facilité, quelle est-elle ? Eh bien, il faut être franc, ce sont par exemple les dernières œuvres de Stockhausen ou de Cage qui montrent une certaine complaisance vis-à-vis de soi-même. Mes élèves réagissent contre cela avec énormément de vigueur et de sérieux, ils sont d'ailleurs beaucoup plus sévères que moi et je n'ose pas citer d'autres compositeurs qu'ils examinent avec l'intransigeance de la jeunesse. Cette sévérité peut être parfois un peu dure, mais je dois reconnaître qu'il y a souvent là beaucoup de perspicacité. Je n'ose d'ailleurs pas prétendre que mes élèves approuvent ma musique, mais je pense qu'ils approuvent une certaine démarche et un certain sérieux vis à vis de la pensée musicale. L'enfer musical étant pavé de bonnes intentions, ils approuvent au moins les intentions.

 

G.L. : Pour vous, Michel Philippot, qu'est-ce que la musique ?

 

M.P. : C'est une question à laquelle je suis autant heureux qu'embarrassé pour répondre. Mais je peux dire, pour me faire un peu comprendre, que la musique représente pour moi l'une des activités les plus extraordinaires de l'être humain. Elle implique à la fois une activité de l'esprit et de ce qu'il est convenu d'appeler "le cœur ", la sensibilité. La musique est une discipline globale. D'une part elle met en jeu les facultés les plus intellectuelles; contre ceux qui voudraient m'attaquer sur ce point, j'appelle comme témoins à décharge les dernières œuvres de Beethoven dont je peux démontrer qu'elles sont extrêmement intellectuelles. D'autre part, la musique remue profondément ce que nous avons de plus essentiel en nous sur le plan de la sensibilité et même de l'affectif. La musique est donc pour moi une activité pour laquelle je nourris les plus grandes ambitions dans le sens où l'entendait le mathématicien Jacobi lorsqu'il disait que l'on devait "travailler pour l'honneur de l'esprit humain".

 

G.L. : Vous venez de faire appel à Beethoven. Alors, quel est l'impératif premier auquel doit se plier un compositeur d'aujourd'hui s'il veut donner à la musique qu'il réalise cette raison d'être ? Que faut-il faire pour ne pas redire ce qui a déjà été fait ?

 

M.P. : Ne pas redire c'est assez facile : on peut faire n'importe quoi et dire que cela ne s'est jamais fait; excluons tout cela. Ce qui est essentiel c'est d'être aussi conscient que possible de sa propre tradition. Permettez-moi une citation de Jaurès qui peut s'appliquer à l'esthétique de la même manière qu'à la politique : "Un peu d'internationalisme éloigne de sa patrie, beaucoup d'internationalisme en rapproche". Je veux dire qu'il faut se défier de la mode des musiques extra-européennes, nous devons évidemment les accepter avec la plus grande ouverture d'esprit mais, en même temps nous devons rester conscients de notre propre tradition que je fais remonter sans aucune hésitation à Pythagore et au Pythagorisme. L'Histoire, avec un grand H, nous apprend comment nos grands prédécesseurs ont agi en leur temps, face aux problèmes qui étaient les leurs. Aujourd'hui, nos problèmes ne sont évidemment plus les mêmes et les méthodes d'autrefois ne peuvent donc plus être appliquées. Mais, en revanche, en regardant l'attitude d'esprit de nos prédécesseurs nous pouvons peut-être apprendre comment résoudre les questions actuelles. Je pense donc qu'il faut connaître le maximum de choses sur la musique, de façon à continuer dans le sens d'une tradition dans laquelle il faut aller plus loin. S'imaginer que l'on peut faire quelque chose de nouveau en faisant un pas à côté de la tradition, c'est tout simplement quitter un sentier pour aller s'enfoncer dans quelque marécage. Ce marécage peut certainement être provisoirement moelleux, on peut s'y plaire, mais je ne crois pas que ce soit la bonne méthode. A tout moment de l'histoire de la musique, on a l'impression de se trouver dans une impasse au fond de laquelle permettez-moi d'être imagé il y a un mur. Il faut abattre ce mur et se servir de ses pierres pour construire le chemin qui ira plus loin. Il ne faut surtout pas croire que l'on peut sortir d'une impasse en allant à côté ou en dehors d'une certaine tradition.

 

G.L. : C'est cela la rigueur de l'architecte musicien que vous êtes. Les pierres, I'une après l'autre assemblées donneront peut-être ce que vous espérez tout à la fois de semblable et de différent à ce qui a été fait auparavant, de juste et de reconnu.

 

M.P. : Je ne prétends pas du tout y parvenir moi-même, mais je suis persuadé que quelqu'un y parviendra. Je suis sûr que cette tradition humaine, au sens planétaire, continuera. J'ai la plus grande confiance dans les ressources de l'esprit et du cœur humains.

 

G.L. : J'en viens à un autre aspect de votre curiosité polyvalente : vous avez été lié aux tentatives de musique concrète et électroacoustique. Dans ce domaine, les technologies ne cessent de se transformer, de se perfectionner, à un rythme tel que je crains fort que ceux qui y ont accès n'aient pas le temps d'appréhender les outils parce que continuellement sollicités par d'autres. Ne pensez-vous pas qu'on en arrive à une course folle risquant d'aboutir à une totale absence de rigueur ?

 

M.P. : Ce danger existe effectivement, mais il n'est tout de même pas sans remède. Prenons la comparaison du cinéma : il est étonnant de constater la quantité d'excellents films des premières années, ceci parce que les auteurs avaient à se battre avec une technique insuffisante relativement à leurs ambitions. Lorsqu'est apparu le cinémascope, on a vu fleurir une énorme quantité de "navets" parce que les réalisateurs ne saisissaient pas encore l'ensemble de cette technique, ce qu'elle supposait comme changements; même dans leurs conceptions esthétiques, leurs ambitions étaient en-dessous de la technique. C'est la même chose dans le domaine de la musique : lorsque de nouvelles matières sonores nous sont livrées à profusion par les artifices électroacoustiques, on a tendance à croire qu'une belle sonorité est déjà de la musique, ce qui n'est malheureusement pas vrai. Relativement à la pensée du compositeur, il faut que les moyens électroacoustiques soient aussi insuffisants que l'étaient les instruments traditionnels. L'ambition doit rester musicale, orientée vers l'exigence d'une organisation sonore et non pas se contenter d'une simple exposition des sons.

 

G.L. : Pour conclure, Michel Philippot, que pensez-vous de la place et du rôle tenus par le compositeur dans la société ? Que pensez-vous surtout de l'attitude des pouvoirs, et j'insiste sur le pluriel, vis à vis du créateur ?

 

M.P. : Je crois que qui dit pouvoir dit un certain conformisme. Par définition un pouvoir est à tendance conservatrice, il est rarement quelque chose de très dynamique, même lorsqu'il se déguise derrière une agressivité concernant les affaires étrangères ou un certain impérialisme extérieur. Devant l'avancée de l'homme, et j'entends bien l'esprit de l'homme, le pouvoir est généralement conservateur. Or, un créateur est précisément le contraire d'un conformiste et d'un conservateur, et je ne pense pas qu'il puisse se sentir tellement à l'aise aussi longtemps qu'il y aura des pouvoirs. Je ne voudrais pas passer pour anarchiste, et je comprends bien qu'un certain équilibre économique est indispensable, mais ce qui doit être préservé c'est une certaine attitude non conformiste du créateur vis-à-vis des idées reçues qui sont généralement celles des pouvoirs. D'ailleurs, les dictateurs qui ont voulu prendre le pouvoir absolu ne s'y sont guère trompés, on n'a jamais condamné les musiques soi-disant révolutionnaires. La pop music en est à l'heure actuelle un exemple frappant : elle n'est jamais attaquée par les pouvoirs alors qu'elle est une des plus grandes entreprises capitalistes faisant d'énormes bénéfices. En revanche, Hitler a organisé des expositions d'art dégénéré, il a condamné Schoenberg, Mendelssohn, Bartok, Paul Klee etc... A la regrettable époque stalinienne, Jdanov avait précisément condamné ce qu'il y avait de meilleur dans la musique soviétique. Donc les dictateurs, eux ne s'y trompent pas, alors il serait dommage que les gens qui souhaitent un certain progrès de l'esprit humain s'y trompent.

Transcription (réaménagée) de François Leclère.


A bâtons rompus

 

Michel Philippot

 

SUR LE SÉRIALISME

Il y a une grande différence entre le dodécaphonisme et le sérialisme, entre la technique sérielle et le principe sériel auquel je reste tout à fait fidèle. Cela peut paraître une boutade mais je peux démontrer que toute musique est sérielle ou mauvaise, il suffit de penser au "Clavier bien tempéré" de Bach. Dans son "Introduction à la méthode" de Léonard de Vinci", Paul Valéry a écrit un excellent texte dans lequel, sans le savoir, il expose ce qu'est ce principe sériel. C'est étonnant, il y emploie même le mot "série" :

 

<< À un point de cette observation ou de cette double vie mentale, qui réduit la pensée ordinaire à être le rêve d'un dormeur éveillé, il apparaît que la série de ce rêve, la nue de combinaisons, de contrastes, de perceptions, qui se groupe autour d'une recherche ou qui file, indéterminée, selon le plaisir, se développe avec une régularité perceptible, une continuité évidente de machine. L'idée surgit alors, (ou le désir), de précipiter le cours de cette suite, d'en porter les termes à leur limite, à celle de leurs expressions imaginables, après laquelle tout sera changé. Et si ce mode d'être conscient devient habituel, on en viendra, par exemple, à examiner d'emblée tous les résultats possibles d'un acte envisagé, tous les rapports d'un objet conçu, pour arriver de suite à s'en défaire, à la faculté de deviner toujours une chose plus intense ou plus exacte que la chose donnée, ou pouvoir se réveiller hors d'une pensée qui durait trop. >>

 

SUR LES MODÈLES MATHÉMATIQUES

Relativement à l'utilisation de modèles mathématiques, il y a deux attitudes d'esprit. La première, qui correspond à ce que fait Xénakis, consiste à prendre un modèle mathématique et à le transposer dans le domaine de la musique. Si l'on se réfère à la théorie de l'information, ceci pose un difficile problème général : un niveau d'ordre dans un domaine déterminé reste-t-il pertinent une fois transposé dans un autre domaine ? La seconde attitude correspond beaucoup plus à la mienne : je me pose d'abord un problème musical et je recherche ensuite quels sont les modèles mathématiques qui peuvent me permettre de le résoudre. Parfois, je peux réutiliser des modèles déjà existants comme, par exemple, les lois de probabilités dans la "Composition pour orchestre n·4"(1980) ou, comme dans mon deuxième quatuor à cordes (1982) la théorie des graphes. Mais il peut s'agir aussi de modèles arithmétiques beaucoup plus anciens comme ceux des grands Maîtres de la polyphonie du XVIème siècle, en particulier la fameuse "Tabula mirifica arcanae contrapunctis revelant" de Athanasius Kircher. Mais, le plus souvent, ces modèles mathématiques n'existent pas et il me faut les inventer. J'essaie alors de voir ce qui est formalisable ou non, je recherche des lois sur les proportions, des règles sur les rythmes, des manières d'utiliser le principe sériel, des rapports mathématiques dont l'application serait susceptible de déterminer une émotion esthétique. Il s'agit parfois d'une recherche très abstraite qui peut déborder le domaine de la musique, c'est ainsi qu'il m'arrive d'aller vers la peinture. Pour moi, l'utilisation de modèles mathématiques est une continuation directe de la pensée sérielle, au sens très large du terme.

 

COMPOSITION ET INFORMATIQUE

Une étape importante dans mon évolution a été marquée par les premières utilisations de l'informatique, ceci dans le sens d'une recherche d'une cohérence du langage musical lui-même, et non en vue d'un travail sur le son. Cela date de 1960 avec la "Composition pour double orchestre". Dans le même esprit, mais mieux réussi je crois, j'ai écrit, trois ans après, un hommage à Pascal pour le troisième centenaire de sa mort. Cette _uvre s'appelle "Transformations triangulaires" parce qu'elle est évidemment fondée sur le triangle de Pascal.

 

LA THÉORIE DE L'INFORMATION

La théorie de l'information m'a beaucoup influencé à un point tel que, lorsqu'aujourd'hui j'écris une pièce, j'en tiens compte mais sans en être vraiment conscient. Il y a d'ailleurs une seule œuvre pour laquelle j'ai utilisé cette théorie assez rigoureusement : la "Pièce" pour dix instruments qui date de 1961, il s'agissait d'une commande de I.B.M. J'y avais vraiment planifié les moments où il y aurait beaucoup d'information et ceux où il y en aurait moins; j'avais également fixé un débit maximum d'information à ne jamais dépasser. A la sortie du concert de création, j'ai alors été confronté à une situation très drôle : alors que cette _uvre, je dois le reconnaître, fut composée assez froidement, Antoine Goléa est venu me trouver et m'a dit : "Mon cher, bravo! Vous vous humanisez !"

 

SUR LA MUSIQUE CONCRÈTE ET ÉLECTROACOUSTIQUE

D'une part, j'ai écrit trois "Études" de musique concrète, en 1951, 1958 et 1962, et, d'autre part, deux pièces intitulées "Ambiance" n·1 et n·2, respectivement réalisées en 1959 et 1960 (la première était une commande de Michel Guy pour sonoriser un grand salon d'horticulture). Pour moi, il n'y a pas, d'un côté la musique concrète ou électroacoustique et, de l'autre côté, la musique instrumentale. Les matériaux électroacoustiques n'appartiennent qu'au domaine de la lutherie, ils sont tout simplement des sons; il s'agit donc de les organiser. Cette exigence d'organisation doit pour moi être aussi grande que pour une œuvre d'orchestre. Je sais qu'aujourd'hui la confusion entre son et musique est largement répandue, mais je me suis toujours opposé à Pierre Schaeffer quand il disait "qu'un beau son c'est déjà de la musique". Je considère que l'organisation prime sur le matériau, comme le disait Boris de Schloezer "la musique est un langage qui n'exprime que lui-même". La cohérence d'une grammaire est indispensable et je suis sur ce point en total accord avec Schoenberg quand il affirmait que "la forme est ce qui donne sa logique et sa cohérence au langage musical".

 

SUR L'UNITÉ ET LA DIVERSITÉ

Il y a là deux problèmes symétriques que j'image en prenant deux exemples anciens. La Fugue était une forme monothématique fondée sur son sujet (ce n'est d'ailleurs pas tout à fait vrai puisqu'il y avait aussi, toujours, un contre-sujet). Avec ce peu de matériaux, la difficulté était de ne pas être ennuyeux, d'obtenir une certaine variété. Symétriquement, il y avait la forme Sonate, en principe bithématique (en réalité, la transition avait aussi une fonction très importante). Cette fois, la difficulté était de réaliser une unité. Sur ce point, la Symphonie en sol mineur de Mozart est un exemple extraordinaire : a priori, le premier et le second thème n'ont rien à voir l'un avec l'autre, mais, par la transition qui les relie, ils deviennent inséparables et provoquent ainsi un étonnant sentiment d'unité. Donc, avec le polythématisme, la difficulté c'est d'obtenir une unité, et avec le monothématisme c'est d'obtenir la variété. Mais il y a d'autres méthodes : celle, par exemple, qui consiste à donner beaucoup d'information dès le début (certaines œuvres de Debussy sont ainsi conçues) pour ensuite répéter des éléments, en diluer d'autres, l'auditeur comprenant après. Ce qui est très important c'est l'économie de moyens, à ne pas confondre, évidemment, avec le "minimalisme" qui me fait à la fois sourire et me mettre en colère. Pour moi, la composition c'est mettre le maximum d'information dans le minimum de notes, alors que les "minimalistes" mettent le minimum d'information dans le maximum de notes.

 

SUR LES CONSÉQUENCES D'UNE IDÉE

Quand on a écrit la première page d'une œuvre et qu'on l'analyse, on s'aperçoit que les relations qu'on a créées entre les événements impliquent des obligations pour la suite. La deuxième page doit se justifier par rapport à la première. Mais on peut aussi, comme Haydn, passer brusquement à autre chose, avoir l'air de transgresser brutalement ce que l'on vient de faire pour provoquer de nouvelles relations dont les fonctions s'éclairciront dans la suite. Mais on ne peut pas continuellement ajouter de nouvelles relations sans tomber dans l'incohérence.

 

SUR LES QUATUORS À CORDES

J'ai écrit plusieurs quatuors à cordes que j'ai laissés assez longtemps dans mes tiroirs avant d'en laisser sortir un; on ne peut composer pour cette formation sans penser à Beethoven. J'ai aussi énormément d'admiration pour le quatuor de Debussy qui est beaucoup plus complexe que celui de Ravel. La manière dont les mêmes éléments sont utilisés dans les quatre mouvements crée une grande originalité de la forme.

 

SUR LES TITRES DES ŒUVRES

Beaucoup de mes œuvres portent simplement le titre de "Composition". C'est difficile à expliquer mais, par tempérament, je suis très attaché, même presque prisonnier, de la "musique pure", notion qui n'existe que dans la civilisation occidentale et qui est née avec l'invention de la polyphonie. J'ai donc une certaine répugnance à donner des titres. Ceci n'est pas sans importance quand on sait, par exemple, qu'une des implications de la révolution culturelle Chinoise est de ne pas jouer la musique sans titre. D'ailleurs, dans notre civilisation occidentale même, il y a eu énormément de conflits entre les musiciens et la hiérarchie catholique romaine, simplement parce que les musiques étaient faites de telle sorte qu'on ne comprenait pas les paroles. Il y a eu, à l'époque de l'École Notre-Dame, des évêques de Paris qui ont condamné les orchestres. Il faut se souvenir aussi de Jean XXII et de l'encyclique de Pie X. Mais les protestants ne furent pas en reste, Calvin fit refaire le psautier huguenot à Goudimel de manière à ce qu'on puisse comprendre les paroles.

 

SUR LES "HOMMAGES" ET SUR LES POÈTES UTILISÉS

La liste de mes _uvres est assez régulièrement jalonnée par des pièces rendant hommage à ceux que je considère comme mes pères et mes frères intellectuels : Pascal (1963), Jean Barraqué (1973), Newton (1977), Evariste Gallois (1983). Quant aux poètes, j'ai d'abord utilisé du Guillaume Apollinaire, c'est très ancien puisque c'était en 1948, j'étais encore élève de Leibowitz. Puis il y a eu François Le Lionnais qui m'avait demandé d'écrire sur un de ses poèmes (1976). Quant à la "Cantate du café" (1978), elle est le résultat de l'amitié avec le très grand écrivain brésilien Guillerme Figueiredo.

 

SUR LE SILENCE DES ANNÉES 1965-1971

Ce silence compositionnel s'explique simplement par mes autres activités, et non pas par des problèmes théoriques liés à la musique. Pendant cette période, j'ai cumulé les fonctions de sous-directeur de la Radiodiffusion (responsable de toutes les émissions sauf des informations) et de directeur de la musique de l'O.R.T.F. (pour la radio et la télévision). Ces dernières années, depuis 1990, j'ai également moins composé parce que j'ai été chargé d'organiser un tout nouvel enseignement aux métiers du son. Ce qui me passionne c'est de créer, et pas seulement dans le domaine de la composition. En 1976, j'ai aussi été très heureux d'être appelé au Brésil pour y fonder et y diriger le Département de Musique de l'Université d'État de Sao Polo.

 

Propos recueillis en Janvier 1994 par François Leclère et Nicolas Papadimitriou.


ESPACE ET MOUVEMENT MUSICAL : La technique compositionnelle de Michel Philippot

(à propos du Deuxième Quatuor à cordes et de Contrapunctus X)

 

Nicolas Papadimitriou

 

La technique compositionnelle de Michel Philippot, très variée d'une œuvre à l'autre, montre tout de même sa principale préoccupation : celle de la création d'une musique bâtie sur une multitude de niveaux, en d'autres termes d'une musique polyphonique, opposée aux musiques monodiques (même avec plusieurs voix) ou encore aux musiques sans réelle perspective sonore.

Se situant par ses œuvres et par ses écrits théoriques dans la tradition occidentale de musique pure (Absolut Musik), il compose des œuvres où l'on peut détecter deux axes : l'écriture contrapuntique et la variation thématique.

Ces deux axes, autour desquels s'articule son œuvre, sont les deux éléments principaux d'une pensée musicale très claire : il faut créer une multitude de niveaux (écriture contrapuntique) définissant ainsi un espace (et non pas une surface) dans lequel le matériau musical se transforme, oscillant entre la Cohérence (les éléments musicaux se suivent dans une relation de ressemblance, donnant ainsi l'impression de la continuité) et la Variation (les mêmes éléments se différencient subtilement, dans un processus d'éloignement progressif, renouvellent ainsi l'intérêt de l'auditeur).

C'est ainsi que Michel Philippot arrive à composer des œuvres dont la thématique se fond avec la forme (Osmose entre thématique et forme) et la bidirectionnalité contrapuntique avec le mouvement musical.

 

L'Osmose entre Thématique et Forme : Deuxième Quatuor à cordes

 

Arnold Schönberg a pendant longtemps cherché "le principe qui puisse servir de règle". S'il est arrivé, au début des années vingt, à élaborer son "système de composition avec les douze sons de la gamme chromatique", il n'a pas cessé de rêver à une forme où tout serait à la fois thème et développement. La série des douze sons était conçue dans ce but, mais les œuvres de la période néoclassique (c'est Charles Rosen qui le caractérise ainsi) et surtout de la fin de sa vie, montrent bien que Schönberg était trop lié à la tradition thématique. Son Troisième quatuor à cordes en est la preuve.

Comme il a été souvent dit, je pense que la forme la plus originale de Schönberg est celle du monodrame Erwartung , en pleine période expressionniste, où il approche plus que jamais cet idéal de fusion entre l'exposition thématique et son développement. Cela peut paraître curieux mais quand il a inventé le dodécaphonisme, il s'est éloigné de cette conception d'une forme où l'horizontal serait en parfait équilibre avec le vertical, conception que justement la série de douze sons aurait pu lui permettre.

Michel Philippot a adopté dans ses débuts la technique sérielle (la Sonate pour piano de 1947) mais très vite il cherche à réaliser ce rêve schönbergien. Dans l'analyse qui suit, de son Deuxième Quatuor à cordes, j'essaierai de montrer de quelle façon il parvient à construire une forme où tout est à la fois thème et développement.

 

ANALYSE (1)

L'œuvre comporte 321 mesures. Elle est divisée en dix parties de longueurs et de tempi différents, séparées par des doubles barres de mesure :

I· Partie : mes. 1-70

II· Partie : mes. 72-96

III· Partie : mes. 97-128

IV· Partie : mes. 129-158

V· Partie : mes. 159-181

VI· Partie : mes. 182-205

VII· Partie : mes. 207-221

VIII· Partie : mes. 222-261

IX· Partie : mes. 262-299

X· Partie : mes. 300-321

Un groupe de notes (39) est exposé sur 3 mesures (mes. 1-3. Voir ex. 1). La valeur de ces notes (à l'exception de la dernière : ré#) est exclusivement la croche. Ce groupe sera repris plusieurs fois dans le déroulement de l'œuvre, chaque fois modifié, mais néanmoins reconnaissable. Une note pivot, le ré#, est omniprésente, seule ou à l'unisson :

- la première fois au troisième temps de la mesure 3, jouée par le Violon 1 (blanche)

- à la fin de la mesure 18 (unisson)

- à la mesure 19 par le Violon 2

- à la fin de la mesure 41 par le Violon 1

- à la fin de la mesure 82 par le Violon 1

- aux mesures 95-96 par le Violon 1

- à la mesure 129 par le Violon 1

- à la mesure 155 par le Violon 2

- à l'unisson : mesure 156

- aux mesures 180-181 par le Violon 2

- à la mesure 207 par le Violon 1

- à la mesure 215 par le Violon 2

- à la mesure 290 par l'alto

- dernière apparition du ré# à la mesure 320 au violoncelle puis à l'unisson sur le quatrième temps.

On pourrait parler d'un développement en variation continuelle du groupe de notes du départ, qui n'a pas le caractère d'un thème articulé, mais qui sera à la fin mémorisé malgré ces transformations continues.

Le style de l'écriture est très contrapuntique, dans le sens véritable du contrepoint (Punctus contra punctum). Les imitations ne sont pas strictes, pour garder une atmosphère de fluidité où tout se ressemble sans jamais être la même chose.

La présence du ré#, seul ou à l'unisson, marque parfois l'apparition du dit groupe de notes (ou sa fin), parfois les changements des tempi (et par conséquent les parties distinctes).

Le compositeur évite la forme "thème et variation" avec une technique remarquable et très originale :

- En effet son "thème" n'est pas un thème. Il n'a rien d'une phrase motivique, articulée, qui puisse être mémorisée tout de suite. Son uniformité du point de vue des valeurs de notes et de leurs hauteurs qui ne suivent aucune organisation évidente, me fait l'appeler situation musicale. Il est remarquable tout de même de voir l'orchestration chercher à donner un minimum de forme et une valeur musicale à cette situation.

- Il n'y a pas de véritables variations (puisqu'il n'y a pas de thème) mais un processus de transformation continue.

- Ce groupe de notes voyage, en se transformant tout au long de l'œuvre, de façon discrète. Pourtant, le ré# demeure, comme point de repère - et de départ - assez perceptible.

- C'est à la fin que l'on s'aperçoit du caractère spécifique de la forme de l'œuvre. L'originalité de cette forme nous pose un sérieux problème de classification. La cohérence obtenue avec un maximum de variation n'est tout à fait évidente qu'à la fin, quand la mémoire profonde est mise en marche. A la réécoute de cette œuvre, on s'aperçoit que le processus de sa composition ressemble à une série de variations en écho à un thème, qui est omniprésent mais sans jamais apparaître véritablement !

Comme conclusion à cette analyse je présente quelques procédés de composition du Deuxième quatuor à cordes de M. Philippot, qui m'ont été communiqués à l'occasion de mes cours avec le compositeur, alors mon maître :

- Les trente-neuf notes du groupe exposé dans les mesures 1-3 sont tirées au sort de façon non exhaustive jusqu'à ce que le total chromatique soit présent. La dernière note ainsi sortie est le ré# (mes.3, Violon 1).

- Ce groupe de 39 notes est transformé petit à petit selon les lois de Ressemblance (R), Distance (D) et les possibilités de relations entre les différentes notes sont exploitées dans un "graphe orienté", à l'aide des "chemins hamiltoniens".

Je donne ici quelques définitions, les explications et le développement de ces procédures ayant été présentées dans un article de M. Philippot (2).

 

Ressemblance [R]

1- a R a ([a] ressemble à [a])

2- si a R b _ b R a (si [a] ressemble à [b], cela implique que [b] ressemble à [a]

3- si a R b et b R c a R c (si [a] ressemble à [b] et [b] ressemble à [c], cela n'implique pas que [a] ressemble à [c]).

 

Distance D

1- a D a = O (la distance entre [a] et [a] est nulle)

2- a D b = b D a (la distance entre [a] et [b] est égale à la distance entre [b] et [a])

3- a D c + c D d _ a D d (la distance entre [a] et [c] ajoutée à la distance entre [c] et [d] est supérieure ou égale à la distance entre [a] et [d]).

 

O1O111 / O111O1 : Distance de Hamming = 2

 

Le Chemin Hamiltonien est le chemin qui, dans un graphe orienté, passe une fois et une seule par chacun des points du graphe.

Pour rechercher un chemin hamiltonien, il faut utiliser un algorithme spécial qui porte le nom de Little.

 

Sur quoi se fonde le mouvement musical de ce Deuxième Quatuor à cordes ?

Ce qui est certain est l'absence d'une dialectique entre consonance et dissonance traditionnelles. Elle a été remplacée par une dialectique de dosage d'informations autour d'un point de repère : le ré#, qui sert de pôle d'attraction, non plus comme une "tonique", mais comme indicateur de changement dans le flot de notes ; changement qui est perçu comme une nouvelle direction du mouvement.

Dans ce processus, la définition d'une dissonance, donc d'un axe de tension autour duquel s'articule le temps musical (tension - résolution) est très subtile. En effet, ce qui pourrait être perçu comme dissonance une fois pourrait bien devenir une consonance aussitôt après.

La technique est bien connue depuis Erwartung : dosage graduel d'information (évolution vers le complexe), saturation (trop d'informations, donc immobilité - stabilité), apparition du ré#, changement de direction et de la quantité / qualité d'informations).

Le Deuxième Quatuor à cordes de Michel Philippot représente bien, à mon avis, les limites dans l'emploi d'une dissonance globale, au delà desquelles il serait très risqué de s'avancer. C'est pour cela que je le présente ici, exemple typique d'une nouvelle définition de la dissonance comme facteur de mouvement dans le processus compositionnel.

 

Symétries et mouvement musical : Contrapunctus X

 

Contrapunctus X (composé pour le bicentenaire de l'École Polytechnique) est une œuvre pour orchestre de chambre (flûte, hautbois, clarinette, basson / cor, trompette, trombone / quintette à cordes). Elle est l'exemple typique d'une écriture contrapuntique, comportant des symétries parfois cachées, parfois évidentes. Son titre, outre la référence à l'École Polytechnique (X), indique justement son caractère symétrique (bâti sur deux axes et un point), avec des lignes articulées en contrepoint renversable, rétrogradé, en miroir etc...

Contrapunctus X comporte trois parties :

A : mes. 1 à 67 (la noire à 72)

B : mes. 68 à 94 (la noire à 6O)

Coda : mes. 95 à 112 (la noire à 72)

La phrase initiale (une série de douze sons) jouée par le hautbois aux mesures 1 et 2 est superposée à sa rétrograde à la clarinette (cf. ex. 2), donnant tout de suite le caractère de l'œuvre. Cette double exposition du total chromatique (2 x 12 = 24) est suivie par une vertigineuse démonstration de toutes les possibilités de l'écriture contrapuntique. Il faut signaler la fin de l'œuvre, où le total chromatique se présente verticalement, en forme d'accord.

Contrapunctus X rappelle aussi Erwartung et son mouvement musical bâti sur l'opposition entre parties opaques et parties transparentes.

Consciemment ou non, Michel Philippot "filtre" le total chromatique par bandes de registre et / ou couleurs orchestrales, créant un mouvement lui-même articulé autour de zones d'une grande densité :

[a]- mes. 23-24

[b]- mes. 46-48

[c]- mes. 95-97

[d]- mes. 103-105

Alors que les deux premiers zones (a et b) montrent une symétrie (mes. 23/46 ; 24/48), les deux autres (c et d) sont à l'origine d'une accélération de plus en plus évidente, produite par l'effet psychologique de densification de la texture musicale. Cette accélération est plutôt perçue comme l'annonce d'une conclusion globale de l'œuvre qui arrive en effet 5 mesures après la zone [d] et freine le mouvement musical sur l'accord du total chromatique de la mesure 111, sorte de point d'orgue culminant.

Ces courtes analyses ne prétend en révéler ni l'œuvre de Michel Philippot, ni sa technique compositionnelle, d'ailleurs très variée d'une œuvre à l'autre. J'ai plutôt essayer de montrer quelques préoccupations esthétiques de l'auteur et son attachement à cette source de rigueur et de perfection dont parle Léonard De Vinci : "Qui méconnaît la suprême certitude des mathématiques se repaît de confusion, et ne réduira jamais au silence les bavardages des sophistes qui font un bruit perpétuel".


DOCUMENTATION

 

Commentaires des oeuvres

(Michel Philippot)

 

1947 : SONATE POUR PIANO N·1

J'étais encore élève de Leibowitz quand, en 1947, j'écrivis cette Sonate. Le mouvement unique contient, en résumé, les mouvements traditionnels, y compris un petit scherzo qui est fait à partir des éléments du deuxième thème. Toujours traditionnellement, le premier mouvement commence avec deux thèmes séparés par une transition. La forme est donc tout à fait classique. L'écriture est dodécaphonique sérielle. La première audition de cette Sonate fut donnée par Claude Helffer en 1948.

 

1951-1982 : ÉTUDES N· 1, 2, 3 ET 4 DE MUSIQUE ÉLECTROACOUSTIQUE (CONCRÈTE).

En 1951, cette musique appelée encore "concrète" en France, "music for tape" par les anglo-saxons, avant de s'appeler "musique électroacoustique" puis, "acousmatique" pouvait encore figurer dans les recherches dites d'avant-garde... ; les choses ont donc bien changé... Ce qui sépare rigoureusement mes quatre Études de ce qu'étaient, à l'époque, les conceptions de Pierre Schæffer est le fait que la partition (ou, si l'on préfère, le plan d'architecture) était d'abord écrite, composée, avant que commence la réalisation du travail en studio. Il s'agit donc de musiques qui furent pensées d'abord, exécutées ensuite. C'est ainsi que l'on peut, dans l'Étude N·1, retrouver une forme qui s'apparenterait à celle de la fugue. Dans l'Étude N·2, la recherche purement acoustique est plus poussée mais toujours en relation avec le projet de construction strictement musicale. Il ne s'y trouve que des sons de synthèse, réalisés avec des moyens qui étaient encore rudimentaires (nous sommes encore en 1957) lesquels sont conçus uniquement en fonction de la place qu'ils doivent occuper et du rôle qu'ils doivent tenir dans la composition. L'Étude N·3 s'apparenterait plutôt (de loin) à une forme Sonate parce qu'il s'y trouve une opposition entre deux thèmes. Enfin, l'Étude N·4, la plus récente (1982), expose une sorte de développement continu.

 

1959 : AMBIANCE N·1

En 1959, Michel Guy n'était pas encore le Ministre de la Culture qu'il allait devenir sous le septennat de Giscard d'Estaing. À l'occasion d'une exposition botanique et florale organisée au CNIT, il me commanda une musique d'ambiance pour le stand où étaient représentées les productions de sa famille. C'est ainsi que s'explique le titre. Il s'agit donc d'une musique de circonstance. J'imaginais à la fois le bruit des pas des visiteurs sur le gravier, celui des gouttes d'eau qui venaient vivifier les plantes et celui, purement imaginaire, de la croissance des dites plantes. Le matériau acoustique de base est celui du verre qui se brise "au ralenti". Grâce à un microphone ultra-sensible, j'avais pu enregistrer le bruit du verre qui "craque" avant de se briser vraiment. Le rythme de ces craquements étant ensuite repris par montage, j'avais pu parvenir à une relative cohérence de l'œuvre.

 

1960 : COMPOSITION POUR DOUBLE ORCHESTRE

Écrite en 1959, cette œuvre fut créée en 1960 par l'Orchestre National de la RTF placé sous la direction de Hermann Scherchen à qui elle est dédiée. A cette époque, j'étais fasciné par Anton Webern et je subissais donc fortement son influence. Je crois que, à l'écoute, cette influence se discerne clairement. Mais c'est aussi une des premières œuvres dans lesquelles j'utilisais des techniques inspirées par l'informatique. C'est pourquoi le diagramme de sa composition a été présenté par mon ami Iannis Xenakis dans l'édition anglaise de son ouvrage "Musiques Formelles". Le titre peut paraître trompeur car l'exécution de l'œuvre ne nécessite pas l'effectif de deux orchestre mais seulement celui d'un seul divisé en deux. Mon intention était de profiter de la technique stéréophonique (encore jeune !) pour arriver à une meilleure définition de la polyphonie. Quelques années auparavant, en 1954, j'avais, en tant qu'ingénieur du son, procédé à la première diffusion en stéréophonie de l'Orchestre National qui, comme par hasard, était ce jour là déjà dirigé par Hermann Scherchen.

 

1960 : AMBIANCE N·2 (Toast Funèbre)

Un jour, une très excellente comédienne, Nelly Delmas, me fit part de l'admiration qu'elle éprouvait pour le poème de Stéphane Mallarmé "Toast Funèbre" écrit à la mémoire de Théophile Gautier. J'enregistrais donc ce poème tel qu'elle le récitait ; puis, reprenant les consonnes et voyelles du texte, je tentais d'en faire les matériaux sonores d'une construction musicale dans laquelle le texte serait, en quelque sorte, accompagné par lui-même. Comme le résultat était celui d'une ambiance poétique "musicalisée" et que je venais de réaliser l'"Ambiance N·1", je ne fis pas un très grand effort pour trouver un nouveau titre.

 

1965-1973 : PIÈCES POUR VIOLON SEUL

Lorsque j'étais enfant, je voulais apprendre le violon.Mes parents ne me donnèrent que des professeurs de piano que j'arrivais d'ailleurs à décourager rapidement. Il me reste de cela un tempérament de violoniste refoulé. C'est ce qui explique que, pour des raisons différentes par ailleurs, j'éprouve à la fois de l'admiration et de la fascination pour les Sonates et Partitas de Bach comme pour les Caprices de Paganini. Dans chacune de ces pièces, j'ai donc voulu utiliser pleinement les possibilités du violon, y compris lorsqu'on s'efforce d'en faire un instrument polyphonique. Chacune de ces pièces fait donc appel à la virtuosité de l'interprète. Elles sont dédiées aux artistes qui en firent la création : la première à Michèle Boussinot, la deuxième à Lola Benda, la troisième à Devy Erlih et la quatrième à Igal Shamir.

 

1973 : PASSACAILLE

A la mémoire de Jean Barraqué

En 1973, Paul Mefano qui est le chef et l'animateur de l'ensemble 2E2M, organisa un concert à la mémoire de Jean Barraqué. À cette occasion, il me demanda d'écrire une œuvre. Jean Barraqué et moi étions amis. Combien de fois n'avions-nous pas eu des discussions qui, plus que tard dans la nuit, se prolongeaient parfois jusqu'au matin ! Contrairement à certaines apparences, il était beaucoup plus romantique que moi. Il me reprochait, par exemple, de n'être pas assez envoûté par ce qu'il appelait le "délire" de Schumann. Mais nous goûtions en commun la rigueur de Jean-Sébastien Bach. Rien d'étonnant alors que l'hommage que j'ai voulu rendre à cet ami soit une Passacaille.

 

1974 : COMPOSITION N·2 POUR ORCHESTRE à CORDES, PIANO ET HARPE

C'est en 1973 que fut donnée la première audition de cette _uvre par l'Orchestre de Chambre de l'ORTF (tragiquement détruit peu de temps après) dirigé par le regretté André Girard et avec, comme solistes, Anna-Stella Schic au piano et Alice Lautmann à la harpe. Cette audition mettait fin à un silence de dix ans. En effet, lorsque j'étais directeur de la musique de l'ORTF, j'avais interdit qu'aucune de mes œuvres soit jouée ou diffusée par cet organisme. Je considérais que je n'avais pas le droit d'utiliser l'argent des contribuables, dont j'étais responsable, pour servir ma propre musique. Devenu fin 1972 conseiller scientifique, je me retrouvais donc être un compositeur comme les autres. L'écriture de cette œuvre est pensée en fonction de l'effectif de l'Orchestre de Chambre auquel elle est dédiée : huit premiers violons, six seconds, quatre alti, quatre violoncelles et deux contrebasses. L'écriture est donc celle d'un contrepoint très dense puisque, dans certains passages, il existe vingt quatre voix réelles. Cette particularité fit que, ultérieurement, cette œuvre fut parfois programmée avec les Métamorphoses de Richard Strauss où il existe des passages à vingt trois voix réelles. Je me suis toujours senti très honoré par ce voisinage.

 

1976 : LA, RIEN QUE LA, TOUTE LA.

Christiane Legrand est mieux qu'une chanteuse : c'est une musicienne. Et sa voix possède à la fois la justesse et la souplesse d'un instrument dont la facture aurait atteint la perfection. Elle m'avait demandé d'écrire quelque chose pour elle. Par ailleurs, François Le Lionnais qui, en plus de ses très vastes connaissances scientifiques, aimait pratiquer la poésie au sein de l'OULIPO (Ouvroir de Littérature Potentielle), avait écrit un sonnet dans lequel il s'était interdit l'emploi de tout substantif. Par exemple, il manque, dans le titre, le mot "vérité". Il m'avait demandé de mettre ce sonnet en musique. Je le fis donc, ce qui me permit de faire plaisir à deux amis à la fois : Christiane Legrand et François Le Lionnais. Avec un tel titre, il était trop tentant de faire une sorte d'invention autour de la note LA. Ce que je fis.

 

1976 : PIÈCE POUR VIOLONCELLE SEUL (Hommage à Watteau).

Cette œuvre me fut demandée pour être exécutée au cours d'une exposition Watteau qui avait lieu à l'Hôtel de la Monnaie de Paris en 1977. Tout ce qu'on peut en dire a déjà été dit au sujet des Pièces pour violon seul : vénération pour les Suites de Bach, respect de l'instrument, confiance en la virtuosité de l'interprète etc... L'œuvre est dédiée à Jacques Wiederkehr qui en donna la première audition.

 

1976 : COMPOSITION POUR PIANO N·5

Claude Helffer avait aussi donné la première audition de trois pièces pour piano intitulées Compositions N·1, 2 et 3. Peu de temps après (ce devait être en 1953) je reniais ces pièces parce que je me rendais compte qu'elles manquaient d'authenticité : je m'étais laissé influencer par certaines modes de l'époque. En un mot, je m'étais montré faible. En 1977, à la demande des Éditions Ricordi Brésil, j'écrivis trois nouvelles Compositions pour piano. La forme qui peut paraître la moins éloignée de celle de la Composition N·5 serait peut-être celle d'un thème et variations ; encore que, après avoir été exposé une première fois, le thème ne serait pas terminé et la suite serait exposée plus tard. L'impression générale est celle d'une alternance entre des parties "harmoniques", c'est-à-dire dont l'écriture est très verticale, et des parties plus mélodiques. Cette pièce est dédiée à Claude Helffer.

 

1977 : RHAPSODIE POUR FLÛTE ET CLAVECIN

Cette pièce fut écrite pour Jean Noël Saghaart qui était en 1978 (et qui est resté, je pense) le très excellent flûtiste solo de l'Orchestre de l'État de Sao Paulo, et dont l'épouse est claveciniste. On sait qu'il n'existe pas de règles pour ce qui s'appelle rhapsodie, sinon de donner libre cours à son imagination, de ne craindre ni la variété ni les contrastes et, si possible, de ne pas ennuyer l'éventuel auditeur. Ce dernier est le seul qui puisse juger de la réussite ou de l'échec de ce genre d'œuvre.

 

1978 : CANTATE DU CAFÉ

En 1979, j'étais professeur et expert pédagogique à l'Université Fédérale UNIRIO de Rio de Janeiro et j'avais comme recteur le grand écrivain, théâtrologue et poète brésilien Guilherme Figueiredo. Nous avions décidé de faire quelque chose ensemble et, un jour, il dicta à mon épouse, par téléphone, un petit poème qu'il venait d'écrire, qui était rédigé moitié en français et moitié en portugais et qui relatait l'histoire de l'implantation du café au Brésil. Reposant sur une base historiquement vraie, cette histoire met en scène une marquise française, Madame d'Orvilliers, et un portugais, le sergent Palheta. Il est amusant de savoir que, encore aujourd'hui, il existe deux marques de café aux noms de d'Orvilliers et de Palheta... On venait de m'offrir une flûte de Pan bolivienne et j'étais séduit par la gamme assez étrange qui était la sienne. Je décidais donc d'utiliser cette gamme pour construire cette petite cantate dont la seule prétention est d'être, sinon amusante, du moins aussi peu ennuyeuse que possible. Il ne s'agit pas du tout d'un "retour à la tonalité" mais seulement de l'utilisation d'un mode indien de Bolivie.

 

1978 : DOUZE PARAPHRASES VARIATIONS sur une mélodie d'Erik Satie, en forme d'exercices de style.

1979 : DOUZE PARAPHRASES VARIATIONS sur un thème brésilien, en forme d'exercices de style.

Lorsque j'enseignais au Brésil, en 1978 (comme cela m'arriva aussi ensuite en France), j'avais à faire à une résistance de certains étudiants face à la difficulté d'apprendre l'ensemble des techniques d'écriture musicale sous prétexte qu'il était inutile de savoir ce qui ne se faisait plus, et avec l'illusion que la "créativité" (terme qui avait été récemment mis à la mode) pouvait remplacer le savoir. J'étais et reste personnellement d'accord avec l'opinion de Grétry lorsqu'il disait : "Pour faire un chef d'œuvre il faut de la science et du génie. Celui qui n'a que la science n'a rien. Celui qui n'a que le génie a tout mais, sans la science, il ne pourra jamais s'en servir". J'expliquais donc à mes élèves qu'un compositeur digne de ce nom devait être LIBRE, et que la liberté ne s'acquerrait qu'avec la connaissance de toutes les techniques d'écriture puisque seule cette connaissance permettait ensuite le libre choix. L'idéal de la liberté est en effet de pouvoir dire : "je peux faire ce que je veux" au lieu de dire : "je veux faire ce que je peux". Déjà au XVIe siècle, Luther disait en parlant de Josquin des Prés : "Josquin avec les notes fait ce qu'il veut, les autres font ce qu'ils peuvent". Je disais donc à mes élèves : "connaissez tous les styles. Vous pourrez ensuite, en toute liberté, imaginer le vôtre". Et, tout naturellement, mes élèves me répondaient : "connaître tous les styles, ce n'est pas possible". Je leur ai donc répondu : "pour vous montrer que c'est possible, je vais vous le faire".

Le Gouverneur de l'État de Sao Paulo qui avait créé l'Université dont il m'avait demandé d'organiser le Département de Musique et qui fut, par ailleurs, l'un des artisans de la redémocratisation du Brésil, qui m'honorait de son amitié, aimait beaucoup la première Gymnopédie d'Erik Satie. C'est donc la mélodie de cette dernière que je choisis pour écrire des variations qui lui rendraient hommage. Je lui offris la partition à l'occasion de l'un de ses anniversaires.

Étant revenu passer quelques mois en France, je reçus les critiques auxquelles il faut toujours s'attendre de la part de ses compatriotes : "vous n'avez pas traité tel ou tel compositeur..." et, surtout : "vous n'avez pas osé imiter l'inimitable Fauré" (je tiens à préciser que Fauré est loin d'être difficilement imitable mais il a existé en France une véritable idolâtrie fauréenne qui fit, en réalité, beaucoup de tort à ce grand musicien victime de ses trop stupides adorateurs). À partir d'un thème populaire brésilien, recueilli par Villa Lobos, j'écrivis donc douze nouvelles variations dont l'une, bien sûr, dans le style de Fauré. Les styles utilisés sont, pour les variations sur un thème d'Erik Satie : Guillaume de Machaut, Roland de Lassus, Frescobaldi, J.S. Bach, Mozart, Beethoven, Chopin, Liszt, Wagner, Debussy, moi-même (le plus difficile), et Duke Ellington ; et pour les variations sur un thème populaire brésilien : Perotinus magnus, Gesualdo, Rameau, Scarlatti, Haydn, Schubert, Schumann, Brahms, Fauré, Schönberg, moi-même, et Johann Strauss.

Si, à l'origine, mon intention avait été seulement pédagogique, il se révéla très vite que le résultat se trouvait être également humoristique. Finalement, le public s'amusait...

 

1980 : COMPOSITION POUR ORCHESTRE N·4

Il s'agit d'une commande de l'État. Cette Composition fut créée en 1980 par l'Orchestre de l'État de Sao Paulo sous la direction du compositeur grâce à l'amabilité et à la gentillesse du chef titulaire Eleazar de Carvalhao. Comme pour la plupart de mes œuvres, j'ai choisi de ne lui donner aucun titre. Cela traduit la première de mes préoccupations qui est de respecter la musique dite "pure" (absolute Musik) laquelle doit exister pour elle-même et non au travers des rêveries subjectives qui auraient été provoquées par un titre plus ou moins poétique. Une deuxième préoccupation, et non des moindres, était de parvenir à écrire une musique dans laquelle, selon l'expression de Schönberg, "tout serait thème et tout serait développement". Ce genre d'idéal n'est pas facile à approcher si l'on veut conserver à son discours un minimum de cohérence. J'estime n'avoir, dans cette Composition, pas totalement réussi à l'atteindre (je ferai mieux, plus tard, avec mon deuxième Quatuor à Cordes) mais m'être tout de même suffisamment avancé sur son chemin. Après tout, il est sans doute plus important de marcher que d'arriver.

 

1982 : QUATUOR À CORDES N·2

Dès que j'eus conscience de ma vocation de compositeur, c'est-à-dire vers l'âge de dix huit ans, j'eus l'ambition d'écrire un quatuor à cordes car je sentais qu'il s'agissait de l'une des formes les plus élevées de la musique occidentale. Mais comment avoir cette audace lorsqu'on connaît les quatuors de Beethoven. Je fis trois tentatives, la première en 1948... et je rangeais aussi pudiquement que possible ces dites tentatives dans un tiroir dans lequel je les laisserai jusqu'à ce que j'aie le temps de les retravailler entièrement. En 1976, j'eus, peut-être à tort, l'impression que le quatrième quatuor que je venais d'écrire pouvait ne pas me faire trop rougir de honte. Ce quatrième quatuor devint donc le premier. Dans le Quatuor N·2 qui est donc, en réalité le cinquième, j'ai essayé de réaliser ce qui était une des idées de Schönberg à savoir : parvenir à une forme dans laquelle tout serait thème et tout serait développement. Ce genre d'ambition implique, évidemment, qu'il n'y ait qu'un seul mouvement. En ce qui concerne l'écriture, j'ai utilisé certains modèles mathématiques qu'il serait superflu d'expliquer ici (on n'a pas besoin d'expliquer un traité d'harmonie pour faire entendre du Mozart) et dont, par ailleurs, l'explication serait ennuyeuse pour tous ceux qui sont d'honnêtes auditeurs et non des techniciens. Je tiens toutefois ces explications à la disposition de qui souhaiterait les entendre (prévoir environ quatre heures de conversation...). L'œuvre est dédiée à la mémoire de Jean Claude Bernède.

 

1983 : CARRéS MAGIQUES (HOMMAGE à ÉVARISTE GALLOIS)

L'année 1982 était celle du cent cinquantième anniversaire de l'assassinat (déguisé en duel) de ce génie mathématique que fut Évariste Gallois, créateur avec le jeune norvégien Niels Henrik Abel de la théorie des groupes (3

). Pour honorer sa mémoire, Radio France passa commande d'une œuvre à quelques compositeurs. Il se trouve que, au cours des années soixante, Pierre Barbaud avait montré d'une manière très simple que l'ensemble des notes de la gamme chromatique muni de l'opération que nous appelons habituellement "transposition" constituait un groupe au sens mathématique du terme. L'idée pouvait donc être exploitée pour cet hommage à Évariste Gallois. Il est facile de comprendre qu'une transposition peut être représentée par un nombre: celui des demi-tons dont est transposée la note originale. Par exemple, une transposition à la quinte supérieure sera représentée par 7 (il y a sept demi-tons entre do et sol) et l'unisson sera représenté par zéro. Les diverses transformations des lignes mélodiques ou des accords, des thèmes ou des motifs peuvent donc être représentées par des suites de nombres sur lesquels on peut procéder à des opérations. Il se trouve que, lorsqu'on dispose ces suites de nombres en tableaux comparables, par exemple, à la table dite de Pythagore, ces tableaux ont toutes les propriétés de carrés magiques. D'où la justification du titre, et la satisfaction du devoir de respect dû à Évariste Gallois.

 

1984 : CONCERTO POUR VIOLON, ALTO ET ORCHESTRE

En 1984, le remarquable altiste qu'est Michel Laléouse m'avait demandé d'écrire pour lui un concerto dans lequel il pourrait jouer de l'alto et du violon. Il souhaitait montrer sa virtuosité pour les deux instruments. Je conçus aussitôt après une nouvelle version dans laquelle le rôle du violon était augmenté. Cette nouvelle version demande donc la présence de deux solistes. C'est à eux que l'œuvre est dédiée. D'abord Jean-Claude Bernède à qui je rends hommage et qui, hélas, devait nous quitter quelques années plus tard et Michel Laléouse lui-même. La forme de ce Concerto est moins originale que celles d'autres de mes œuvres ; sans qu'il s'agisse le moins du monde d'un retour à la classique forme sonate, la recherche du "panthématisme" y est moins poussée. Plusieurs motifs mélodico-harmoniques peuvent éventuellement être perçus comme étant des thèmes. L'orchestre n'a pas vraiment un rôle d'accompagnement : on peut le considérer lui aussi comme un soliste. Disons un soliste polycéphale. La création de ce Concerto avec Jean Claude Bernède et Michel Laléouse comme solistes eut lieu en 1987. Le nouvel Orchestre Philharmonique de Radio France était placé sous la direction du chef brésilien Flavio Chamiss.

 

1984 : QUINTETTE POUR FLÛTE, CLARINETTE, VIOLON, VIOLONCELLE ET PIANO.

Ce Quintette fut écrit à la demande de l'Atelier Musique de Ville d'Avray. Une fois de plus, je me mettais à la recherche d'une forme dans laquelle il deviendrait impossible de dissocier ce qui serait thème et ce qui serait développement. Mais il est impossible d'obtenir un discours logique et cohérent si, quelque part, quelque chose ne se répète pas : il ne peut y avoir de logique sans mémoire. Le problème (qui est posé depuis bien longtemps) reste donc de savoir comment on peut dire toujours la même chose sans jamais se répéter... Cela, en musique, est loin d'être un paradoxe. Regardez donc le deuxième mouvement de l'op. 111 de Beethoven et vous comprendrez ce que je veux dire. Mais en citant Beethoven, je ne veux faire aucune comparaison. Je désigne seulement un idéal.

 

1986 : CONCERTO DE CHAMBRE POUR PIANO ET SIX INSTRUMENTS (flûte, clarinette, basson, violon, alto et violoncelle).

Il fut écrit pour l'ensemble de musique de chambre que Jean Claude Bernède dirigeait à Evreux et pour Anna Stella Schic comme pianiste. Il y est recherchée la fusion la plus totale entre le piano soliste et les autres instruments, ce qui veut dire que le piano est un soliste mais que les six autres le sont également. A la mesure 159, on peut remarquer (ce qui n'arrive pas souvent, y compris à moi-même) une courte, très courte, citation de l'Ode à Napoléon de Schönberg. J'aime ainsi, souvent, rendre hommage à ceux que je considère comme mes maîtres. Car, comme le disait justement le dit Schönberg, le mieux qu'un compositeur puisse espérer arriver à faire est de se montrer digne de ses grands prédécesseurs.

 

1987 : COMPOSITION POUR CLAVECIN

C'est Béatrice Berstel qui m'avait demandé cette pièce et qui l'a créée en 1987. Sur la forme en général, je ne puis rien dire de plus que ce que j'ai déjà dit à propos d'autres œuvres au sujet d'une sorte de dialectique thème-développement. En revanche, en ce qui concerne l'écriture, je peux dire que ce fut passionnant pour moi d'adapter à l'instrument la polyphonie que je souhaitais. En effet, un intervalle donné, et surtout une quinte, ne sonne pas du tout sur un clavecin comme sur un piano. Et quand je parle de la quinte, je devrais dire "les" quintes, car un clavecin n'est jamais et ne doit pas être accordé selon le tempérament strictement égal. Il y a là, si l'on écoute bien, la source d'une certaine délectation auriculaire.

 

1988 : COMPOSITION POUR BASSON ET PIANO

Il s'agit tout simplement d'une commande du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris pour le concours de basson. Il fallait donc utiliser au mieux les possibilités instrumentales en dosant, au fil des notes, ce qui était relativement facile et ce qui était difficile. Je pense que le résultat ne fut pas trop mauvais puisque, à ce jour, je n'ai encore été agressé par aucune des candidats de ce concours de basson, ni même par leur professeur.

 

1994 : CONTRAPUNCTUS X

Il s'agissait d'honorer le deuxième centenaire de l'École Polytechnique. La lettre X en est le symbole. Mais cette lettre a d'autres particularités. Si elle partage avec H et O le fait de rester semblable à elle même lorsque lui est appliquée une transformation symétrique par rapport à un axe horizontal, vertical, ou par rapport à un point situé en son centre, elle est la seule à rester inchangée après une rotation de 90· (/2). De là, la tentation de rendre hommage à l'École Polytechnique en pratiquant toutes formes de contrepoint et notamment des canons par mouvement contraire et rétrograde dans lesquels existent aussi ces types de symétrie. Certains me diront que ce genre d'exercice intellectuel est opposé à ce qu'ils appellent musique. J'en conviens. Mais je préfère placer mon idéal, aussi modestement que ce soit, dans l'Offrande Musicale, l'Art de la Fugue, la Sonate op. 106, les Variations Diabelli etc...plutôt que dans la soif d'un succès immédiat dont je laisse profiter mettez les noms que vous voulez

 

1994 : MÉDITATION pour douze instruments.

Cette œuvre, qui est la dernière que j'ai écrite, est une commande de Radio France. Le titre "Méditation" doit être compris dans son sens rigoureusement et authentiquement bouddhiste. Ce qui veut dire que l'on doit être loin des rêveries vaseuses et des contemplations fumeuses. C'est donc à l'opposé de ce que la plupart des occidentaux imaginent sur le bouddhisme. Je cite, pour me faire comprendre, un court passage de l'excellent livre que Alexandra David-Néel (une de mes cousines éloignées) a consacré à ce sujet 4

: "Le mysticisme de la doctrine orthodoxe est étayé par une éducation de l'esprit conçue dans un sens absolument rationnel... Certes, il n'a pas manqué de gens plus tentés par les faciles rêveries et le mystérieux apparent des états hypnotiques que par la sévérité, l'aridité peut-on dire de la culture en conformité avec les préceptes primitifs... Il n'en demeure pas moins que le système de méditation inspiré par la doctrine originelle tend à faire, avant tout, des esprits clairvoyants, en pleine possession de moyens de perception au fonctionnement irréprochable." D'où mon effort en direction d'une écriture de plus en plus rigoureuse. "L'expression, disait Zarlino en 1558, est la récompense de la perfection". Mais qui peut prétendre y atteindre facilement ?

 

*

 

JEAN-SÉBASTIEN BACH : LES HUIT CANONS DE L'OFFRANDE MUSICALE.

Il m'est arrivé souvent d'être irrité en entendant certaines versions de l'Offrande Musicale dans lesquelles on eut tellement le souci de restituer une "vérité interprétative" (comme disent certains cuistres) que se trouvait littéralement gommée la simple vérité musicale. Par exemple, il faut avec ce genre de versions, dont circulent un certain nombre d'enregistrements, faire un énorme effort d'attention pour percevoir la beauté contrapunctique, tant cette dernière est masquée par les crescendi-diminuendi et les instrumentations nuageuses. Je saisis ici l'occasion de rendre hommage à Jean Guillou qui, dans sa transcription pour orgue, a su garder tout l'intelligibilité du texte. C'est aussi vers ce maximum d'intelligibilité que j'ai voulu me diriger. Pour faire différemment, plus et mieux, il faut le génie de Webern et tout le monde ne l'a pas.

 

Pietro LOCATELLI : Sonata XII opera sesta a violono solo e basso.

En 1944, après la libération, deux de mes amis avaient organisé, à Reims, une société de concerts dont le but était de faire connaître et aimer les musiciens du XVIIIe siècle (bien avant, comme on le voit, la mode des baroqueux). Eux et moi allions copier de nombreuses partitions à la Bibliothèque Nationale ou à celle du Conservatoire. Souvent, il me revenait l'agréable tâche d'avoir à réaliser les basses continues. C'est ainsi que je restais un jour ébloui devant l'extraordinaire originalité harmonique d'un concerto de Locatelli "A l'imitazione da corni da caccia". Enthousiasmé, je copiais ensuite douze sonates du même compositeur et fis la réalisation de leur basse. Montrant ces sonates à Igal Shamir, il fut particulièrement séduit par la douzième. Je révisais donc ma réalisation et la trouvais mauvaise. Je l'avais faite quand je n'avais encore que dix neuf ans et aucune expérience. Je repris donc tout du début et Igal Shamir, accompagné par Anna-Stella Schic, en donna une première exécution dans un concert dont le bénéfice était destiné à l'Université israëlienne Bar Ilan. Que les baroqueux me pardonnent : j'ai respecté l'esprit de la partition sans essayer de retrouver ce qu'ils appellent une "vérité interprétative" au sujet de laquelle, d'ailleurs, personne ne possède aucune preuve véritable puisque l'enregistrement n'existait pas. De plus, comme le dit très pertinemment Pierre Boulez, les gens qui veulent absolument une interprétation "d'époque" devraient être en mesure de fournir aussi un public également "d'époque". Je me suis donc permis de donner au seul piano ce qui était partagé entre le violoncelle et le clavecin (basse et continuo). J'estime n'avoir pas trahi l'esprit de l'_uvre, bien au contraire. Et si quelque baroqueux vient me chercher querelle, je lui conseillerai d'essayer de devenir lui-même compositeur pour mieux comprendre ses collègues d'hier et même, peut-être, ceux d'aujourd'hui.

 


Œuvres

(à l'exclusion des oeuvres pédagogiques et des musiques de scène ou de film)

 

1947 : Sonate pour piano n·1 (Éd. Billaudot)

 

1948 : Quatre mélodies sur des poèmes de Guillaume Apollinaire pour soprano et piano (inédit)

 

1949 : Ouverture pour orchestre de chambre (Éd. Bœlke & Bomart, New York)

 

1951 : Étude de musique concrète n·1 (G.R.M. - I.N.A.)

 

1957 : Variation pour 10 instruments (Éd. Bœlke & Bomart, NY)

 

1958 : Étude de musique concrète n·2 (G.R.M. - I.N.A.)

 

1959 : Ambiance n·1, musique concrète (G.R.M. - I.N.A.)

Composition n·1 pour orchestre à cordes (Éd. Billaudot)

 

1960 : Composition pour double orchestre (Éd. Billaudot)

Ambiance n·2, musique concrète (G.R.M. - I.N.A.)

 

1961 : Pièce pour 10 instruments (Éd. Bœlke 1 Bomart, NY)

 

1962 : Étude de musique concrète n·3 (G.R.M. - I.N.A.)

 

1963 : Transformations triangulaires - Hommage à Pascal pour 12 instruments (Éd. Billaudot)

 

1965 : Composition pour violon seul n·1 (Éd. Billaudot)

 

1971 : Sonate pour orgue (Éd. Salabert)

 

1973 : Sonate pour piano n·2 (Éd. Salabert)

Passacaille pour 12 instruments - Hommage à Jean Barraqué (Éd. Billaudot)

 

1974 : Composition n·2 pour orchestre à cordes, piano et harpe (Éd. Billaudot)

 

1975 : Composition pour piano n·4 (Éd. Ricordi-Brésil)

Octuor (Éd. Salabert)

Composition pour violon seul n·2 (Éd. Bœlke & Bomart NY)

 

1976 : Composition pour violon seul n·3 (Éd. Bœlke & Bomart NY)

"La, rien que la, toute la" sur un poème de François le Lionnais. Partition inédite, bande magnétique G.R.M.-I.N.A.

Composition pour violoncelle seul n·1 (Éd. Bœlke & Bomart NY)

Composition pour piano n·5 (Éd. Ricordi Brésil)

Quatuor à cordes n·1 (Éd. Bœlke & Bomart NY)

 

1977 : Composition pour piano n·6 (Éd. Ricordi Brésil)

Septuor. Hommage à Newton (Éd. Billaudot)

Rapsodie pour flûte et clavecin ou piano (inédit)

 

1978 : Cantate du café sur un poème de Guillerme Figueiredo. (inédit)

Douze paraphrases-variations sur une mélodie d'E. Satie, en forme d'exercices de style, pour piano (Éd. Salabert)

 

1979 : Douze paraphrases-variations sur un thème populaire brésilien en forme d'exercices de style, pour piano (Éd. Novas Metas Sao Paulo)

 

1980 : Composition pour orchestre n·4 (Éd. Salabert)

 

1982 : Quatuor à cordes n·2 (Éd. Salabert)

 

1983 : Carrés magiques, pour orchestre. Hommage à Évariste Gallois (Éd. Salabert)

 

1984 : Concerto pour violon, alto et orchestre (Éd. Salabert)

Quintette pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano (Éd. Salabert)

 

1985 : Quatuor à cordes n·3 (Éd. Salabert)

 

1986 : Quintette pour quatuor à cordes et piano (Éd. Salabert)

Concerto de chambre pour piano et six instruments (Éd. Salabert)

 

1987 : Composition pour clavecin (Éd. Salabert)

 

1988 : Quatuor à cordes n·4 (Éd. Salabert)

Composition pour violon seul n·4 (Éd. Salabert)

Composition pour basson et piano (Éd. Salabert)

Quintette de cuivres (inédit)

 

1989 : Ludus Sonoritatis (pour 8 instruments) (Éd. Salabert)

 

1990 : Composition pour violon et piano (inédit)

 

1994 : Contrapunctus X (pour 10 instruments) (inédit)

Méditation (pour 12 instruments) (Éd. Billaudot)


Discographie

 

Musique électroacoustique :

Étude n·1 Disque Ducretet-Thomson (Collection UNESCO) 320 C 102

(réalisé en 1952)

Ambiance n·1 Disque BAM (La Boîte à Musique) 070

(réalisé en 1959)

Ambiance n·2 - Texte "Toast Funèbre" de Stéphane Mallarmé - récitante Nelly Delmas.

Disque BAM 071

(réalisé en 1960)

Étude n·3 Disque CANDIDE 31025

(réalisé en 1962)

 

Musique de Chambre, Musique instrumentale :

Sonate pour orgue - Jean Guillou.

Disque Philips 6504 039

(réalisé en 1971)

 

Pièce pour violon seul n·2 - Lola Benda. Ministère de l'Éducation et de la Culture du Brésil.

Disque MEC FJA 95

(réalisé en 1978)

 

Douze Paraphrases-Variations sur une mélodie d'Erik Satie et douze Paraphrases-Variations sur un thème populaire brésilien, en forme d'exercices de style - Anna Stella Schic (piano).

Disque RGE (Brésil) 303 1020

 

Quatuor à Cordes n·2 - Quatuor ENESCO.

Disque REM 311060

(réalisé en 1988)

 

Quintette pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano - Atelier Musique Ville d'Avray.

Disque AVA 881

(réalisé en 1988)


Bibliographie

Cette bibliographie ne contient pas :

1) Les articles uniquement circonstanciels

2) Les critiques et comptes-rendus de concert ou de disques

3) Les émissions radiophoniques

4) Les textes uniquement pédagogiques

5) les simples transcriptions de conférences

 

1950 : Possibilités d'une Dynamique Musicale. Cahiers d'Étude de Radio Télévision - Flammarion

1952 : L'École de Vienne - Revue du CDMI (Centre de Documentation Musicale Internationale)

1953 : Les prophéties imprudentes - Revue Belge de Musicologie

1954 : Musique et Acoustique - Cahiers de la Compagnie Renaud Barrault - Julliard

1954 : Liberté sous condition - Domaine Musical n·1

1955 : Histoire et perspective de la réverbération - Cahiers d'Étude de Radio Télévision - Flammarion

1956 : Électronique et techniques compositionnelles - Entretiens d'Arras, Visages perspectives de l'art moderne - CNRS

1956 : Problèmes de la réverbération - Cahiers d'Étude de Radio Télévision - Flammarion

1956 : Anton Webern - Journal des Jeunesses Musicales de Belgique

1957 : Vers une musique expérimentale - Revue Musicale Éd. Richard Masse

1958 : Acoustique - Cahiers d'Étude de Radio Télévision

1960 : Le devoir d'humanité - Gravesaner Blätter - Lugano

1960 : La musique et les machines - Cahiers du Festival de la Recherche 1960, Éd. RTF

1961 : Ordre, désordre et composition musicale - Médiations n·1

1961 : Contemporains et modernes - Médiations n·2

1961 : La recherche musicale à la RTF - Journal des Jeunesses musicales

1961 : Où allons nous - Itinéraires Éd. Harmonia Mundi

1961 : Un machine imaginaire - Gravesaner Blätter - Lugano

1962 : Stéréophonie et perception musicale - L'Onde Electrique n·420

1962 : Métamorphoses phénoménologiques (à propos des "Fondements de la musique dans la conscience humaine" d'Ernest Ansermet) - Critique.

1962 : Le jazz, la musique concrète et le culte de la personnalité - Les Cahiers du Jazz

1963 : Le Monde comme représentation sans volonté - Revue d'Esthétique

1963 : Beaucoup de bruit pour quoi ? - Critique

1963 : Le rôle ambivalent de l'audience "cultivée" - Actes du colloque du Centre d'Études des Communications de Masse in Communication

1964 : Pierre Boulez aujourd'hui, entre hier et demain - Critique

1964 : A la recherche de la haute-fidélité - La Revue du Son

1964 : Aspects psycho-sociologiques de la haute-fidélité - Conférences du Festival International du Son

1965 : Igor Stravinsky - Éd. Seghers

1965 : La Musique et la Radiodiffusion - in "Un siècle de radio et de télévision" Éd. ORTF et Oroductions de Paris

1966 : L'illusoire expression (à propos de Stravinsky) - Réalités

1966 : A propos des mécanismes de création esthétique - IVe Congrès International de médecine cybernétique. Cybernetica, Namur

1966 Indestructible nouveauté - Revue belge de Musicologie

1967 : Quelques questions à propos de la radiodiffusion et de la haute-fidélité en stéréophonie - Revue du Son n· 172, 173

1967 : Vingt ans de musique (1947 - 1967) - Revue d'Esthétique

1967 : La musique et les musiciens - Harmonie

1967 : Musique et cybernétique - in Dossier de la Cybernétique Éd. Marabout Université

1968 : La créativité musicale et le sentiment religieux - Encyclopédie des Musiques Sacrées Éd. Labergerie

1969 : La musique et l'électricité - Encyclopédie de l'Électricité Éd. Larousse

1969 : Poésie et vérité - Conférence du Festival International du Son

1970 : Muss es sein - L'Arc, numéro Beethoven

1972 (-1994) : Contribution à l'Encyclopaedia Universalis. Rédaction et tenue à jour des articles suivants : Air (musique), Arrangement, Atonalité, Composition musicale, Gamme, Musique (consommation musicale), Orchestre, Polyphonie, Ravel, Satie, Sonate, Stravinsky, Xenakis

1973 : La lucidité de René Leibowitz - Critique n· 317

1975 : Arnold Schönberg and the language of music - Perspectives of new music

1976 : Entretien avec Georges Léon (édité en ce volume)

1976 : Ear, Heart and Brain (A critical celebration of Milton Babbitt) - Perspectives of new music

1976 : La radio comme moyen de création et d'expression - Union Européenne de Radiodiffusion, Rencontre de Teneriffe

1979 : Diabelli Diabolico (en portugais) - Éd. Novas Mestas, Sao Paulo

1981 : Vingt ans avant, vingt ans après (à propos de Iannis Xenakis) - in "Xenakis" Éd. Stock

1981 : De quelques anomalies contemporaines, ou : la raison du plus fort est rarement la plus juste - Publication de Radio France

1982 : Défense et illustration du langage musical - Communication à l'Académie des Beaux Arts

1983 : A propos d'une recherche d'algorithmes en composition musicale - IRCAM, séminaire sur le concept de recherche en musique

1983 : Autour de l'année Rameau - Universalia (Encyclopaedia Universalis)

1983 : A propos des cahiers de terminologie. N'oublions pas l'essentiel - Medias et Langage n·18

1983 : Des musiques de jazz - Préface pour le livre de Lucien Malson - Éd. Parenthèses

1983 : Les musiques méconnues du Brésil - Conférences du Festival International du Son

1984 : La musique dite "atonale" - in Précis de Musicologie Éd. Presses Universitaires de France

1987 : A propos d'algorithmes en composition musicale (Compte rendu d'une expérience) - Colloque international de Marseille "Structures musicales et assistance informatique"

1989 : Lumières et chimères. L'œuvre scientifique de la Révolution Française - Revue de l'Association des Écrivains Scientifiques en France

1990 : Technique d'artiste et art de technicien - Préface pour "Les techniques du son" Tome 3 Éd. Fréquences

1990 : La musique après la guerre (de 1945 à 1985) - in Cours d'histoire de la musique Tome 4 Éd. Leduc

1991 : Participation au Vocabulaire des Musiques de notre temps Éd. Minerve. Articles suivants : Aléatoire, Algorithmique, Hasard, Irractionnel, Paramètre, Périodicité, Stochastique

1992 : Hommage à François le Lionnais - Revue de l'Association des Écrivains Scientifiques de France

1994 : Essai d'une réponse (non stupide) à une question intelligente - Actes du colloque "Les différents arts face aux sciences" Laboratoire Musique et Informatique de Marseille

1994 : À bâtons rompus - Propos recueillis édités en ce volume


1 Partition Salabert

2 "À propos d'algorithmes en composition musicale. Compte-rendu d'une expérience". Colloque international Structure musicale et assistance informatique, 4 juin 1988.

3 Essayons d'expliquer simplement et en quelques mots ce qu'est un groupe. Il faut pour cela un ensemble et une opération. Prenons, par exemple, l'ensemble des nombres entiers positifs et négatifs et pour opération l'addition. Nous devrons constater les propriétés suivantes :

1/ Lorsqu'on effectue l'opération, le résultat sera toujours un élément de l'ensemble. En effet, un nombre entier + un nombre entier = un nombre entier (observons que c'est vrai pour l'addition et la multiplication mais faux pour la division).

2/ Il existe un élément neutre. Pour l'addition, c'est zéro. Il est évident que 3 + 0 = 3.

3/ Chaque élément a son symétrique. Le symétrique de 3 est -3. On a évidemment: 3 + (-3) = 0.

4/ Le fait que l'on réunisse différemment les éléments auxquels on applique l'opération ne change pas le résultat. Cela s'appelle l'associativité. Par exemple: 3 + (4 + 7) = (3 + 4) + 7.

5/ Enfin, mais ce n'est pas obligatoire, l'ordre dans lequel on effectue l'opération peut être indifférent. C'est la commutativité. Par exemple; 3 + 4 = 4 + 3. Cette propriété existe bien pour l'addition et la multiplication mais pas pour la division.

4 in "Le Bouddhisme du Bouddha". Ed. du Rocher, 1977.