Dimanche 20 mars 2022 (17h-19h) : sixième leçon de maths modernes

 

Théorie des quaternions (Hamilton, 1843) :

Qu’est-ce que s’orienter ? Dans quel type d’espace ? Comment s’y diriger ?

 

Salle des Quatre Chemins (du théâtre de la Commune)

41, rue Lécuyer - 93300.Aubervilliers

 

François Nicolas

 

 

 


Problématisation

Intellectuelle

À l’heure où le monde contemporain s’oriente selon la perspective d’une guerre généralisée, tant extérieure entre blocs impériaux qu’intérieure aux différents pays, il est plus que jamais nécessaire de se demander : qu’est-ce que « s’orienter » et de quoi a-t-on intellectuellement besoin pour ce faire ?

En ce point, les mathématique modernes nous fournissent un nouveau trésor de pensée : la théorie des quaternions, établie par Hamilton à partir de 1843 (et donc en contemporanéité inattendue avec l’orientation politique élaborée à partir de 1844 par Marx et Engels).

Mathématique

On abordera cette théorie mathématique en partant des trois questions techniques suivantes.

1)   Une question d’algèbre : pourquoi les triplets de ℂ[j] (adjonction de « j » au corps ℂ des complexes) ne peuvent faire corps et pourquoi faut-il donc augmenter les dimensions des espaces algébriques non pas selon une progression arithmétique {1, 2, 3…} mais selon une progression géométrique {20=1, 21=2, 22=4, 23=8…} ? Autrement dit, pourquoi faut-il étendre (opération qualitative) par adjonction plutôt que simplement généraliser (opération quantitative) par ajout ?

2)   Une question de géométrie : pourquoi, pour s’orienter dans un espace vectoriel 3D, vaut-il mieux recourir à une quatrième dimension (d’un autre type : numérique), apte à paramétrer et synthétiser l’ensemble ?

On examinera la parenté de ce problème avec la pseudo-métrique de l’espace-temps « dx2+dy2+dz2-c2dt2 » par Minkowski (1907).

On rapprochera également le problème des singularités inorientables en 3D (telle « la boulue chevelue ») du problème mécanique dit de « blocage du cardan ».

3)   Une question d’intrication mathématique : pourquoi les deux questions précédentes s’avèrent-elles deux faces (algébrique et géométrique) d’une même question mathématique ?

Théorie mathématique

I. Algèbre : formalisation des quaternions

On partira d’une perspective algébrique : ayant étendu le corps ℝ en corps ℂ=ℝ[i] par l’adjonction de i, comment étendre à son tour le corps ℂ en un nouveau corps, et par quelle adjonction ℂ[x] ?

Une fois clarifié pourquoi les triplets x+iy+jz ne peuvent former un corps ℂ[j], on examinera la solution apportée par Hamilton : celle des quaternions s+ix+jy+kz et de leur corps ℍ=ℂ[j,k].

Les conditions auxquelles les nouvelles grandeurs adjointes j et k doivent satisfaire (i2=j2=k2=ijk=-1 et borroméanité ij=k, jk=i, ki=j) imposent alors un prix à payer pour cette nouvelle extension : la non-commutativité de la multiplication (qq’≠q’q).

Mais ce prix a lui-même sa contrepartie positive en l’existence d’une nouvelle opération que seule la non-commutativité justifie : la conjugaison quaternionique qVq-.

Cette opération 4D de type nouveau va déboucher sur une propriété imprévue : sa capacité à formaliser les rotations dans un espace vectoriel en 3D.

II. Géométrie : interprétation des quaternions

Pour ce faire, on va interpréter géométriquement (de manière donc intramathématique) l’algèbre des quaternions :

·     de même que la multiplication complexe formalise algébriquement la géométrie des ampli-rotations dans le plan ℂ (en 2D donc), de même la conjugaison quaternionique formalise algébriquement la géométrie des ampli-rotations dans l’espace ℍ (en 4D) ;

·     mais la conjugaison quaternionique unitaire vient également formaliser algébriquement la géométrie des rotations dans l’espace vectoriel 3D inclus dans ℍ (corrélativement à son invention des quaternions, Hamilton invente également les vecteurs, un quaternion étant la somme paradoxale d’un scalaire et d’un vecteur !).

On débouchera ainsi sur cette propriété décisive pour nos problèmes d’orientation : l’espace des conjugaisons quaternioniques unitaires est isomorphe à l’espace 3D des rotations vectorielles.

III. Analyse : fonctions quaternioniques

Pour prendre le temps d’interpréter intellectuellement l’espace propre de ces grandeurs de type nouveau et la dialectique quaternions 4D /vecteurs 3D, on renverra l’étude de l’analyse quaternionique à l’année prochaine.

Interprétation intellectuelle de cette théorie

À partir de cette théorie mathématique, il s’agira pour nous d’en tirer différentes conséquences intellectuelles en matière d’orientation dans la pensée.

1)   On dégagera comment caractériser les espaces vectoriels en 3D dans lesquels il s’avère possible de s’orienter.

2)   On qualifiera ensuite les différents gestes de pensée dont procède l’acte de s’orienter dans de tels espaces.

3)   On analysera également les différentes manières corrélativement offertes à la sophistique postmoderne pour désorienter les consciences individuelles et collectives.

4)   On explorera enfin différentes situations concrètes susceptibles d’opérer comme modèles interprétatifs pour une telle problématique d’orientation.

Au total, il s’agira de s’approprier cette leçon mathématique : pour orienter une intervention dans un espace vectorisé à trois dimensions, il vaut mieux plonger ce 3D dans un espace étendu 4D en sorte d’y diriger sa pensée.

A) Dans quel type d’espace de pensée s’orienter ?

On le reverra avec la géométrie riemannienne : tout espace n’est pas orientable [1], mais s’il l’est, il l’est alors de deux façons duales et de deux seulement [2] (binarité essentielle : toute orientation s’inscrit dans une adversité).

Concernant spécifiquement un espace vectoriel 3D, s’y orienter implique les opérations suivantes :

·     le considérer comme espace de trois possibilités orthogonales (et non plus d’une seule comme dans le cas des grandeurs complexes) ;

·     dans cet espace 3D des possibles, nouer borroméennement (ij=k, jk=i, ki=j) les différentes possibilités et les intriquer (ijk=-1) aux effectivités ;

·     adjoindre, à cet espace 3D des possibles, une quatrième dimension d’un type numérique (et non plus vectoriel), apte à paramétrer l’ensemble des possibles comme à s’autoparamétrer elle-même en sorte de constituer ainsi un espace 3+1=3.1=4D étendu doté, de manière endogène, d’une mesure synthétique d’effectivité.

B) Se repérer, se situer, se diriger

S’orienter dans un tel espace 4D implique alors de

·     s’y repérer (en adoptant un repère d’orientation) ;

·     s’y situer (en établissant la position de départ) ;

·     s’y diriger (en décidant une direction d’intervention).

Ainsi, c’est une chose d’être passivement orienté dans un espace vectoriel 3D (telle une aiguille aimantée dans un champ magnétique) ; c’en est une tout autre que de s’orienter activement selon un projet d’intervention (dialectisant effectivités et possibilités et, pour ce faire, réorientant régulièrement la direction stratégique adoptée), ce qui nécessite alors de penser l’espace initial 3D de manière étendue (3+1=3.1D), i.e. selon une Idée globalement directrice.

C) Comment la sophistique contemporaine s’acharne à désorienter les consciences

L’époque s’attache à désorienter les consciences au moyen de différents sophismes, explicitables à la lumière de ce qui précède.

En allant de la plus globale à la plus locale, on distinguera quatre méthodes de désorientation.

·     Rabattre l’espace d’intervention, intérieurement dialectisé entre effectivités et possibilités, en un simple espace réaliste tenu tel quel pour habitable, au moyen d’une assimilation indue de ℍ à ℝ4 (analogue à la réduction « réaliste » de ℂ à ℝ2).

·     Réduire (vers le bas, par projection indue) ou noyer (vers le haut, par immersion confuse) le nombre des dimensions pour les espaces dans lesquels l’humanité entreprend collectivement de s’émanciper en sorte d’enfermer celle-ci dans des espaces où elle n’a plus d’autre horizon pragmatique que la survie animale.

·     Dénigrer la binarité (celle qui opère au principe de tout repère d’orientation) selon la maxime nihiliste : « plutôt vouloir la désorientation et vivre sans boussole qu’assumer la rigueur d’une orientation binairement adverse ! »

·     Prétexter la juste nécessité de repères locaux [3] pour défaire la nécessité corrélative de coordonner stratégiquement l’inévitable prolifération des ajustements locaux.

D) Trois modèles de subjectivités concrètes

À cette lumière, on examinera trois situations, possibles « modèles » pour une telle « théorie » de l’orientation :

·     situation cinématographique selon le surprenant « axiome du montage x+3=1 » de Jean-Luc Godard (Cahiers du cinéma, octobre 2019) ;

·     situation existentielle concernant la possibilité pour un sujet individuel d’orienter son existence en vérités (i×j×k militantisme politique × composition musicale × études mathématiques) en paramétrant synthétiquement l’effectivité de cette existence subjective selon un amour sexué ;

·     situation politique du monde contemporain confrontant deux orientations stratégiques pour l’humanité (capitalisme/communisme) en paramétrant les effectivités de leurs trois directions vectorielles respectives (i×j×k propriété-travail × pays-peuple × monde-humanité) selon leur modalité organisationnelle propre (État / organisations politiques de masse).


 

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Documentation

·       Romain Vidonne : Groupe circulaire, rotations et quaternions (ellipses, 2001)

·       Andrew J. Hanson : Visualizing Quaternions (Morgan Kaufman, 2006)

·       Luis Fernando Arean Alvarez : Hamilton. Les fondations de la mécanique (coll. Génies des mathématiques, 2019)

·       Henri Paul de Saint Servais : Quaternions, rotations, fibrations

http://analysis-situs.math.cnrs.fr/Quaternions-rotations-fibrations.html

 


 

Sites internet : https://www.lacommune-aubervilliers.fr/saison/21-22-cours-de-mathematiques-modernes

                 http://www.entretemps.asso.fr/Nicolas/mathsmodernes

Chaîne Youtube : https://www.youtube.com/playlist?list=PLfaS0zIQOD6T8l_q5vI7dttEMc_YkdeeF

Liste de discussion : mathsmodernes@framalistes.org



[1] D’où que tout espace ne soit pas (intégralement) politisable ou sexualisable : songeons ici à celui du monde-Musique

[2] qui découlent directement du signe « plus » ou « moins » (±) attaché au déterminant de toute matrice d’orientation…

[3] On examinera en détail la légitimité de ce point avec la géométrie riemannienne qui adjoint un atlas aux surfaces…