Quand l’algèbre mathématique aide à penser (et pas seulement à calculer) la combinatoire musicale…

Samedi 15 février 2003, Ircam

(Séminaire Mamux)

 

François Nicolas            

 


Je voudrais interroger les manières dont la combinatoire musicale peut s’arrimer à l’algèbre mathématique.

 

Toute une école de pensée, en particulier dans les années cinquante du XXème siècle, a proposé de prolonger le geste « sériel » de Schoenberg en recourant à une algébrisation systématique de la matière musicale. Les principaux noms de cette entreprise sont bien connus : Milton Babbitt, Pierre Barbaud, Michel Philippot… Cette orientation, transférant la charge des calculs musicaux à la combinatoire mathématique, a connu un regain de jouvence avec le développement de l’informatique musicale.

Si cette mathématisation de la combinatoire musicale n’est pas sans mérite (j’en use en abondance), elle n’est pas non plus sans péril : elle suggère qu’une certaine rigueur algébrique pourrait être gage de cohésion musicale, qu’une certaine cohérence des déductions algébriques pourrait valoir pertinence pour un développement musical. Où faire alors passer la frontière entre un usage spécifiquement musical de cette algèbre et un fétichisme des nombres, une servilité face aux mathématiques ? La réponse ne va guère de soi : certains soutiennent ainsi depuis longtemps que la musique, incapable de penser entièrement par elle-même, serait intrinsèquement subordonnée à la mathématique et devrait donc faire ultimement valider ses idées par son tuteur mathématique. Deux brèves citations pour exemplifier cette position :

·       Thomas d’Aquin d’abord : « La musique s’en remet aux principes qui lui sont livrés par l’arithmétique. » [1]

·       Leibniz ensuite : « La musique est subalterne à l’arithmétique » [2]

Aujourd’hui que l’informatique musicale multiplie les occasions de plier la musique aux lois de l’encodage et du calcul numériques, il nous revient plus que jamais, à nous musiciens, de tracer le fil d’une autonomie de pensée musicale qui ne récuse cependant pas une alliance féconde avec la pensée mathématique.

 

*

 

Pour traiter de cette voie en m’inscrivant dans le thème obligé de cette journée, je partirai de quelques remarques faites par Michel Philippot à l’occasion d’un hommage rendu en 1976 à Milton Babbitt [3].

 

Philippot, s’en prenant à une mécompréhension vulgaire de l’idée romantique d’inspiration qui conduit à ce qu’il appelle « un véritable nihilisme musical » [4], y propose de prendre appui sur ce que les mathématiques nous apprennent en matière combinatoire.

Il relève ainsi l’intérêt de ce qu’il nomme « les modèles mathématiques » [5] et dont il trouve l’archétype dans ce qui pour Milton Babbitt constitue « un système musical » [6]. Si la création d’un système musical fait bien partie intégrante de l’activité compositionnelle [7], le propre de Milton Babbitt — selon Michel Philippot — serait de généraliser l’idée musicale de série, non pas comme Boulez — c’est-à-dire en étendant la combinatoire sérielle à tous les paramètres  du son — mais en élargissant l’idée même de série jusqu’à la notion de structure [8]. Philippot, explicitant ce qu’il entend par structure, décrit alors une structure algébrique sur un ensemble mathématique et en vient ainsi à valider l’hypothèse de Babbitt selon quoi la notion même de composition musicale équivaudrait à celle de structuration algébrique totale [9] : « l’idée de système musical est équivalente à celle de structure au sens mathématique du terme », écrit-il donc [10]. Ainsi « la conception d’une sérialisation totale » viserait à généraliser les systèmes mathématiques et conduirait par exemple à la notion de structure de groupe [11].

Précisant qu’« à travers l’histoire, les modèles mathématiques ont été un puissant instrument pour développer l’imagination musicale » [12], Philippot suggère cependant que cette équivalence entre musique et mathématiques ne signifie pas identité mais vaut seulement comparaison (« la transposition peut être comparée à l’opération arithmétique d’addition » [13]). Il précise cette autonomie relative en indiquant que si « une telle structure de groupe garantit un niveau minimum d’organisation musicale, cela cependant n’y suffit pas. En réalité la structure [mathématique] de groupe peut être comparée à une sorte d’enveloppe dans laquelle des règles spécifique[ment musicales] de logique et de cohérence peuvent être alors placées. » [14]. Philippot conclut alors sur cet énoncé : « la cohérence d’un système musical donné est proportionnelle à la quantité de ses contraintes mais indépendante de leur nature. » [15].

 

 

Deux remarques sur ses propos.

 

1) Première remarque

S’il est vrai qu’on distingue la logique de la mathématique par le fait que la première ne s’occupe que de la forme des énoncés sans se soucier de l’existence réelle des identités qu’ils convoquent, il faut alors tenir que Philippot formule la thèse suivante : la logique musicale trouverait sa formulation dans la mathématique. [16]

Ou encore : si l’on peut distinguer formes logiques de l’être et contenus d’être effectifs  (ou existences réelles), alors la mathématique constituerait à proprement parler la logique musicale — je dis bien : la mathématique tout entière (donc l’arithmétique, l’algèbre, la théorie des groupes, etc.) et non pas la seule logique mathématisée —.

Cette thèse me semble éminemment problématique. Ma conviction fondamentale est la suivante : la pertinence des rapports mathématiques—musique n’a rien de mystérieux si l’on veut bien admettre que les mathématiques pensant l’être en tant qu’être, ce que les mathématiques pensent vaut universellement pour tout être, pour toute forme d’être et donc en particulier pour les êtres musicaux : dit grossièrement le fait que 2+5=5+2=7 vaut aussi bien pour des notes et des croches que pour des voitures ou des galaxies. Ceci se dit plus subtilement — dans un langage philosophique — ainsi : les mathématiques étant l’ontologie [17], elles valent pour tout étant.

Il n’y a donc pas lieu à mon sens de s’étonner d’une certaine mathématisation de la musique, ni de s’en offusquer. Le point que je veux aujourd’hui réfléchir tient plutôt au statut donné par les musiciens à cette application des mathématiques à la musique (à cette application de l’être en tant qu’être à l’être en tant qu’étant musical) : la manière dont ceci est réfléchi, thématisé par le musicien n’est pas indifférente pour lui et il faut bien ici comme ailleurs se battre sur les mots s’il est vrai, comme chacun en fin de compte le sait fort bien, que céder sur les mots, c’est alors avoir cédé sur les idées.

Que, contrairement à ce que formule Philippot, l’application des mathématiques à la musique concerne l’ontologie et l’ontique, non la logique, laisse alors grand-ouverte la question de savoir ce qu’est la logique musicale — je me suis déjà longuement expliqué sur ce point ; je n’y reviendrai pas aujourd’hui [18] —.

Aujourd’hui, je poserai seulement la question suivante : selon quelle logique proprement musicale telle ou telle « application » des mathématiques à la musique pourra-t-elle être considérée par le musicien comme pertinente ou comme proprement insensée ?

 

2) Seconde remarque

Philippot, comme Babbitt, tend à rabattre un système musical sur une structure mathématique. Plus exactement, Philippot opère la série de réductions suivantes : composer, c’est composer un système, donc des structures dont l’intelligence nous est donnée par la mathématique, essentiellement par l’algèbre ; soit les enchaînements suivants :

composer ® système ® structure ® mathématique ® algèbre

Remarquons : on descend cette chaîne selon un ordre de causalité sans se soucier ensuite de la remonter, sans trop s’occuper donc de savoir ce que le point d’arrivée de cette chaîne (l’algèbre mathématique en l’occurrence) a pu perdre en cours de route de la composition musicale posée à l’origine, a pu effacer de la nature proprement musicale des objets ainsi traités… D’où une porte ouverte à tous les obssessionnels de l’algèbre car cette chaîne « déductive » suggère qu’on pourrait remonter ce cours c’est-à-dire manipuler des structures algébriques en sorte d’en déduire des systèmes dont la mise en œuvre musicale vaudrait ipso facto composition

 

Mon commentaire sur le débat Philippot-Babbitt s’arrêtera à ces deux remarques. Je ne souhaite pas rouvrir ici le vaste débat des rapports entre mathématiques et musique : nous l’avons exploré pendant un an dans le cadre du séminaire mamuphi et un prochain livre édité par l’Ircam va cet été mettre en circulation les termes de ce débat.

 

*

 

Je voudrais aujourd’hui me demander plutôt de quelle manière l’algèbre mathématique nous aide à penser la combinatoire musicale.

Qu’elle nous aide à la calculer est évident, et c’est bien à ce titre que tout un chacun y recourt ordinairement : l’informatique musicale y fait ainsi ses bénéfices. Mais je pose la question suivante : l’algèbre mathématique aide-t-elle à penser, et pas seulement à calculer la combinatoire musicale ?

 

Pour thématiser cette question qui engage une pensée des rapports entre mathématiques et musique, je recourrai une fois de plus à la théorie mathématique des modèles qui est une manière intra-mathématique de réfléchir les rapports entre mathématiques et un autre domaine d’expérience qu’elles-mêmes.

 

Petite remarque préalable.

Il est a priori trois grands types de méthode pour penser les rapports entre mathématiques et musique :

1) Un type proprement mathématique. Je privilégie ici la théorie mathématique des modèles (qui fait classiquement partie de la logique mathématique) mais on pourrait en aborder d’autres.

2) Un type de méthode qui serait proprement musical. À dire vrai, je n’en connais guère. Je peux seulement indiquer que toute une part de mon travail de compositeur — cette part pensive que j’appelle intellectualité musicale — tend à le constituer, à l’inventer, à le produire.

3) Reste un type qui serait proprement philosophique. Il s’agirait cette fois d’examiner de quelle manière mathématiques et musique sont en pensée contemporaines, de quelle manière ces deux disciplines se conditionnent réciproquement, etc.

Je privilégierai aujourd’hui la première méthode car c’est elle qui offre l’avantage d’être le mieux formalisée.

 

Je résumerai le fonctionnement de la théorie mathématique des modèles au moyen du petit diagramme suivant :

Un modèle [19] est formalisé par construction d’une théorie ad hoc ; puis les résultats de cette théorie sont interprétés dans le modèle ce qui tend à mettre au jour des réalités inaperçues dans le modèle. Cette dynamique rend compte de l’intérêt du détour théorique, en particulier en termes de puissance de calcul. Le diagramme suivant illustre ce mouvement :

On se demande s’il existe d’autres objets musicaux tels que a. Le détour par la théorie permet de générer d’autres objets mathématiques tels que A : par exemple B. L’interprétation de B dans le champ musical pointe alors l’objet ß recherché.

Pour donner un exemple concret de ce mouvement : quand je me demande s’il existe d’autres séries dodécaphoniques « tous intervalles » que la série de Berg {la, la#, sol#, si, sol, do, fa#, do#, fa, ré, mi, ré#}, la formalisation mathématique du problème — la série des intervalles se formalisera numériquement ainsi : {1, 10, 3, 8, 5, 6, 7, 4, 9, 2, 11, 6} — va me permettre de calculer les 1928 formes numériques équivalentes qui s’interprèteront alors comme 519 séries dodécaphoniques tous intervalles différentes.

Ainsi la théorisation permet de déduire une série de résultats lesquels, par interprétation dans le modèle, élargissent alors le champ des objets musicaux susceptibles d’entretenir des rapports intéressants avec l’objet posé au départ.

 

Cet usage de l’algèbre mathématique théorisant une combinatoire musicale en vue de calculer toutes les solutions d’un problème posé en termes musicaux est le plus ordinaire. Il n’y a pas lieu de le critiquer bien sûr. On peut simplement se demander dans ce cas dans quelle mesure cet usage principalement calculatoire de la théorie mathématique permet ou non de mieux comprendre le problème musical posé, permet ou non de penser plus avant la combinatoire musicale et pas seulement d’y calculer ; soit : comment mieux calculer la combinatoire musicale permet-il de mieux la penser ?

Si l’on se reporte par exemple à l’article mentionné précédemment de Michel Philippot, qu’est-ce que le détour par les structures algébriques — en particulier par la structure de groupe — permet aux yeux même de Philippot de mieux penser quant à la musique ? À relire l’article sous cet angle, pas grand chose n’est en vérité dégagé, et ce manque n’est pas sans importance à mes yeux : il me semble un défaut, inclinant le musicien à adopter la thèse de Thomas d’Aquin et de Leibniz plutôt qu’à doter la musique d’une autonomie de pensée…

 

Il ne me semble donc pas indifférent pour le développement à long terme du monde de la musique comme monde autonome de pensée, non comme champ ludique sans enjeu parmi bien d’autres, que le musicien s’astreigne à réfléchir ces calculs que la formalisation mathématique lui offre généreusement : il importe que cette réflexion, que la mathématique poursuit pour son propre compte dans le champ par exemple de la théorie des modèles, la musique le fasse aussi pour son compte propre sans en déléguer la responsabilité à la philosophie. Il en va là de l’existence ou non d’une intellectualité musicale, et l’on peut penser que de cette existence dépend qu’il y ait ou non dans les temps qui viennent les musiciens aptes à répondre aux défis posés par ces temps à la musique…

 

 

Pour contribuer à élargir le déploiement d’une telle intellectualité musicale, je voudrais illustrer un autre usage possible de la théorie mathématique non plus cette fois pour mieux calculer tel ou tel problème posé en termes de combinatoire musicale mais directement pour mieux penser ce problème comme tel. J’illustrerai ce nouvel usage du diagramme suivant :

L’idée est la suivante : on se demande quel rapport musical il peut y avoir entre les deux objets musicaux a et ß. Pour cela, on va formaliser mathématiquement ces deux objets (d’où les deux objets mathématiques A et B) et on va alors se demander quel rapport mathématique il peut y avoir entre A et B (partie gauche du diagramme). Si l’on arrive alors à produire ce rapport mathématique (double flèche du second diagramme), on escompte que celui-ci va suggérer un rapport équivalent, d’ordre cette fois musical, entre a et ß (soit la double flèche en pointillé).

 

Je vais donner deux exemples concrets de cette démarche, prélevés dans notre espace de travail du jour c’est-à-dire engageant des problèmes de combinatoire musicale :

·       la formalisation d’un renversement rétrogradé comme ruban de Möbius ;

·       une interprétation musicale des pavages apériodiques de Penrose.

Ces deux exemples de combinatoire ont, comme vous allez le voir, pour caractéristique significative d’être moins des cas de construction progressive (allant d’éléments soigneusement sélectionnés aux petites parties qu’il est possible de former à partir d’eux puis à des regroupements encore plus vastes) que des cas où formalisation et interprétation portent d’emblée sur des ensembles constitués, où combinatoire musicale et algèbre mathématique opèrent sur des sous-ensembles, des familles de parties plutôt que sur de simples éléments, des problèmes donc où la relation qui importe est celle d’inclusion plus que d’appartenance, bref des situations relevant de la topologie algébrique plutôt que de l’algèbre topologique…

 

Examinons ces deux situations de pensée.

 

I. Renversement rétrogradé et ruban de Möbius

L’histoire musicale présente de nombreuses situations où le renversement d’une structure musicale horizontale (ligne mélodique, série des hauteurs, etc.) s’associe à sa rétrogradation.

Pour en donner un seul exemple, voici un canon de Mozart qui se joue simultanément par deux instrumentistes se faisant face et lisant un même partition de part et d’autre d’une seule table :


 


Il n’est pas tout à fait strictement la rétrogradation d’un renversement mais l’esprit de la combinatoire musicale est bien celui-ci. Le canon obtenu est d’abord à l’octave puis à la tierce ou la sixte…

 

Voici un exemple plus strict de renversement rétrogradé. Je l’extraie d’une des mes œuvres : Passage II (1985) pour trois flûtes :


Passage II (pour trois flûtes, 1985 – Éd. Jobert) : mesures 33-48


Cette fois les opérations combinatoires sont très strictes, aux altérations près. Pour les mettre en valeur, voici une seconde présentation de la partition, dépouillée cette fois de toute notation en sorte de la réduire à ses seules notes — je les ai parfois réorthographiées (un si bémol devenant par exemple un la #) et allégées de leurs altérations en sorte de mettre en évidence la propriété combinatoire de ce passage — :



Si vous repliez le second système sur le premier (selon un pli horizontal) vous obtenez alors une superposition exacte qui indique que ce second système est bien la reprise du premier selon une inversion générale du haut et du bas comme de l’avant et de l’après.

 

Par-delà la dimension ludique de cette combinatoire, y a-t-il là une visée musicale quelconque ou ceci reste-t-il un simple jeu sans enjeu ?

Dans Passage II, en tous les cas, l’enjeu est le suivant : cette rétrogradation renversée prend place au centre de la pièce et compose un moment de basculement général du discours musical dont on ne saisit plus bien, quand on le parcourt à l’audition, s’il est encore développement ou répétition, s’il est une avancée ou un retour en arrière. Bref ce passage ainsi composé et placé là, au centre de l’œuvre, constitue un moment de vacillation dans la perception d’une progression temporelle, un moment de désorientation de l’oreille dans le temps.

Pour mieux en comprendre la structure interne, il faut ici, comme je l’ai indiqué, le retourner pour le déchiffrer par transparence à l’envers : cette opération géométrique délivre la vérité combinatoire ce passage car il indique qu’il s’agit là tout simplement d’une bande de Möbius qui se trouve parcourue une première fois la tête en haut et une seconde fois la tête en bas. L’ensemble de ce passage peut ainsi être conçu comme la circulation sur une bande de Möbius de huit mesures de long, le second système ne représentant alors qu’un second tour parcouru à l’envers du premier.

 

Finalement cette combinatoire musicale de Passage II peut se formaliser ainsi :

En quoi le fait de nommer « ruban de Möbius » ce renversement rétrogradé apporte-t-il quelque chose ou s’agit-il seulement là d’une sorte de snobisme consistant à rebaptiser des réalités somme toute vulgaires, en croyant ainsi les anoblir ?

Ce que je veux rapidement vous montrer c’est que cette formalisation mathématique de la combinatoire musicale va délivrer une compréhension plus profonde de l’effet musical visé, une compréhension ontologique et non plus seulement la constatation empirique d’une propriété.

 

Je suivrai pour cela le travail d’Albert Lautman [20] qui propose de distinguer propriétés intrinsèques et propriétés extrinsèques d’un être.

·       Il appelle propriétés intrinsèques d’un être (ou propriétés internes, propriétés de structure) les propriétés de cet être indépendantes de sa position dans l’espace. Elles appartiennent donc en propre à cet être et constituent ce que Lautman appelle une analytique.

·       Les propriétés extrinsèques (ou propriétés d’insertion, propriétés de situation), elles, traduisent la solidarité d’un être et de l’univers au sein duquel il est plongé et constituent ce que Lautman appelle une esthétique.

Dans quel cas ces deux types de propriété sont-elles ou ne sont-elles pas indépendants ? Comment peut-on concevoir une interaction des unes sur les autres ? Lautman donne ici deux exemples de démarches philosophiques :

·       Leibniz incarne la voie qui intériorise les propriétés extrinsèques en les projetant en propriétés intrinsèques. Leibniz tente en effet de réduire les rapports que la monade soutient avec toutes les autres monades en propriétés internes, enveloppées dans l’essence de la monade individuelle. D’où une sympathie universelle qui se projette en chaque monade, laquelle représente exactement l’univers à sa manière.

·       À l’opposé Kant postule une stricte distinction sans réduction possible des unes aux autres en remarquant l’incongruence de figures symétriques qui ne sont donc pas superposables (telles les mains gauche et droite). Ces différences entre ces figures résultent en fait de la différence des places qu’occupent ces corps dans l’espace sensible et non pas d’une différence dans les propriétés internes de ces corps. D’où, selon Kant, une distinction entre la raison qui ne peut que caractériser de façon abstraite les propriétés intrinsèques des corps géométriques (raison analytique donc, pour reprendre les termes de Lautman) et l’intuition sensible (ou intuition qu’on pourrait dire esthétique) qui appréhende la position dans l’espace de ces corps et se réfère à l’orientation de l’espace entier.

Sur cette base, Lautman examine les propriétés mathématiques de l’anneau de Möbius et relève la dualité suivante :

·       d’un côté la bande de Möbius est unilatère (elle a un seule face) ;

·       d’un autre côté, elle est inorientable.

Il se demande alors s’il y a un lien mathématique entre ces deux types de propriété sachant que le fait d’être non-orientable constitue une propriété intrinsèque de cette bande quand le fait d’avoir un seul côté constitue pour cette même bande une propriété essentiellement extrinsèque (par exemple dans un espace non euclidien, une telle bande peut être bilatère !). On se trouve donc ici apparemment face à une stricte distinction des propriétés, un étroit cloisonnement entre propriétés intrinsèques de structure et propriétés extrinsèques de situation.

Or — surprise mathématique — on démontre que dans un espace orientable à n dimensions, il y a pour une variété à n-1 dimensions équivalence entre le fait d’être bilatère et le fait d’être orientable et, réciproquement, équivalence entre le fait d’être unilatère et le fait d’être non-orientable. Donc les propriétés géométriques de relation se laissent ici dans une très large mesure exprimer en propriétés algébriques intrinsèques et l’on voit ici s’évanouir la distinction kantienne d’une esthétique et d’une analytique.

Dit plus simplement, concernant notre bande de Möbius musicale plongée dans l’espace ordinaire euclidien à trois dimensions, il y a bien corrélation ontologique entre propriétés extrinsèques (maniées par l’écriture et la partition) et propriétés intrinsèques (appropriées par l’oreille qui parcourt cette bande au fil d’une écoute constamment locale et immergée dans le flot musical) c’est-à-dire empiriquement entre la symétrie inversée pour l’œil et la désorientation pour l’oreille.

 

Je ne m’étends pas sur les conséquences théoriques de tout ceci, en particulier pour articuler soigneusement la différence entre aspect extérieur d’une œuvre et ce que j’aime appeler son inspect (c’est-à-dire sa forme telle que saisie de l’intérieur même de son déroulement) [21]. Je veux seulement relever que la formalisation mathématique permet de saisir pourquoi une opération d’écriture (ou combinatoire extrinsèque consistant à rétrograder et inverser) est ontologiquement associable à une propriété intrinsèque, cette fois de perception sonore et non plus de déchiffrage visuel.

La formalisation mathématique n’a pas ici pour vertu de faciliter le calcul musical mais, permettant au musicien de comprendre le pourquoi d’un effet, elle lui permet de mieux penser ce qu’il fait artisanalement. Elle peut alors le conduire non seulement à entreprendre de nouveaux calculs combinatoires de ce même type mais, plus encore, à imaginer ce que pourrait vouloir dire que de plonger cette même partition dans un espace cette fois non euclidien.

Je laisse ici ouvert ce champ prospectif : je veux simplement relever l’effet dynamisant pour l’imagination musicienne que peut avoir la pensée formalisée.

 

II. Pavage de Penrose et composition musicale

Venons-en à mon second exemple de combinatoire (toujours associée à la manipulation de parties musicales plutôt qu’à un engendrement élémentaire) pour montrer cette fois comment une formalisation mathématique peut ouvrir la possibilité d’une existence musicale ; le détour par l’algèbre mathématique élargit ici la pensée musicale en donnant droit à certaines formes de pratiques compositionnelles : celles qui vont du global au local, qui agissent en peuplant un espace global préformé de parties prélevées dans une famille donnée. L’exemple canonique en musique contemporaine est celui de Stockhausen qui, à l’inverse de la pratique du développement d’un Boulez générant le tout à partir d’une combinatoire élémentaire, vise plutôt à occuper une totalité pré-délimitée par mise en jeu d’entités elles-mêmes pré-formées. On peut également trouver trace d’un tel type de préoccupation chez un Jean-Sébastien Bach entreprenant par exemple de composer un choral pour orgue sur la base d’un cantus firmus préexistant qui lui fournit moins un thème à développer (cas des fugues dont le sujet est prélevé dans la tête d’un cantus firmus) qu’une longue mélodie, structurée en diverses parties, l’enjeu compositionnel devenant alors d’organiser l’œuvre autour de ce vaste conduit en sorte qu’il la traverse de part en part. Soit une école compositionnelle qu’on pourrait appeler celle de l’occupation (Bach-Stockhausen…) face à celle du développement (Beethoven-Boulez…).

Vous vous doutez bien que, si je m’intéresse à cette problématique compositionnelle de l’occupation (qui va du global au local, à l’inverse du développement procédant de la partie vers le tout), c’est parce que mon propre travail compositionnel se nourrit prioritairement de cette dynamique : comment occuper un espace pré-dimensionné de gestes pré-existants plutôt qu’à l’inverse jusqu’à quelles dimensions pousser le développement de telle idée séminale) ?

Les pavages de Penrose vont ici nous fournir matière à penser.

 

La géométrie étudie les différentes manières de paver le plan. On peut ainsi recouvrir le plan avec deux formes simples (des « cerfs-volants » et des « flèches » [22] dont les proportions géométriques sont fixées selon le nombre d’or et que l’on ne convient d’assembler que selon certaines règles spécifiées) qui conduisent à un pavage non périodique (non périodique voulant dire : qui ne se répète pas). Voici deux exemples d’un tel pavage dit de Penrose.


 

 

 

 


La mathématique [23] démontre alors les deux résultats suivants :

1. Il existe une infinité de manières différentes de paver le plan avec ces deux tuiles (manières différentes voulant dire : on ne peut passer de l’une à l’autre par glissement du plan sur lui-même).

2. Par contre tout découpage fini se retrouve dans toutes les manières. C’est dire qu’il est proprement impossible de montrer une région (si montrer veut dire exhiber un extrait du pavage, comme le fait notre dessin) qui ne se retrouverait dans toutes les manières. Aucun moyen donc pour l’œil de savoir qu’il n’y a pas une seule manière de paver mais bien une infinité. Notre œil, attaché au fini, ne saurait suivre ici la raison dans sa compréhension de l’infini.

Ces résultats mathématiques éclairent déjà un point musical capital : l’écoute musicale, relevant d’une pensée corrélant le sensible à l’intelligible, se lève au point [24] où le sensible ne se cantonne plus au régime du perceptible pour s’ouvrir à un nouveau principe d’intelligibilité ne relevant plus du montrable mais inaugurant la rationalité musicale d’infinités non représentables. Ou encore : de même que dans les pavages de Penrose la raison sait ce que l’œil ne saurait voir, de même en musique l’écoute « intelligente » entend au-delà de ce que l’oreille perçoit.

 

Mais je voudrais convoquer ces pavages pour d’autres propriétés, plus combinatoires.

Le point qui m’importe est le suivant : on démontre qu’il existe une isomorphie locale de ces pavages c’est-à-dire que chaque échelle de pavage correspond biunivoquement à un autre pavage apériodique du même type mais à une échelle immédiatement supérieure et à une échelle immédiatement inférieure selon certains principes précis de composition/décomposition des tuiles. Le schéma suivant illustre le mouvement de composition des tuiles conduisant à de plus vastes tuiles de mêmes formes :


Tuiles « cerfs-volants » et « flèches » :

Changement d’échelle des tuiles :

 

Changement d’échelle du pavage :


Le point remarquable est alors le suivant : on montre que si on se donne à la fois un jeu de tuiles d’une échelle donnée et une forme globale qu’il s’agit de recouvrir par les premières, on ne saurait y arriver par ajout successif de tuiles élémentaires, par extension progressive d’un noyau initial et que le seul moyen d’y parvenir est de suivre un plan global d’occupation de cet espace pré-défini.


Remplissage d’une « roue » :


Vous le comprendrez intuitivement : la loi d’isomorphie locale mentionnée précédemment va impliquer un travail de décomposition plutôt que de composition c’est-à-dire va circuler d’un plan global fixant les quelques tuiles de grande échelle aptes à recouvrir notre forme pré-définie pour ensuite les décomposer en des échelles progressivement plus petites de tuiles jusqu’à arriver à l’échelle minimale des tuiles. Vous voyez l’équivalent avec notre problème musical : la composition ici doit être avant tout une décomposition, disons une analytique progressivement déployée à partir d’une proposition initialement synthétique.

Si vous opérez à l’inverse, par combinaison de proche en proche des tuiles d’échelle minimale, vous aboutirez nécessairement à un trou que vous ne pourrez combler avec votre outillage si bien que prolonger éventuellement votre développement au-delà de ce trou ne pourra plus se faire qu’en le contournant.


Trou « essentiel » :


Les mathématiciens ont exploré la forme de ces trous et ont démontré qu’il y avait 61 formes différentes pour ceux de ces trous qui s’avèrent « essentiels » [25].

 

Petite digression

Tout ceci, qui nous intéresse pour la composition musicale — j’y reviendrai —, intéresse également les cristallographes. Ceux-ci étudient en effet les cristaux naturels générés par concrétion progressive à partir d’un noyau et avaient exploré ainsi les différentes formes de pavage de l’espace. L’idée s’était naturellement imposée que dans la nature les cristaux ne pouvaient n’être donc que périodiques puisque leur dynamique même de constitution était à la fois progressive (allant du plus petit au plus grand) et homogène. Or les cristallographes ont découvert des structures naturelles apériodiques pour lesquelles l’impératif précédemment indiqué s’appliquait parfaitement : comme on ne peut générer de tels pavages de proche en proche mais qu’il faut un plan d’ensemble pour arriver à paver sans trou le volume avec les cristaux élémentaires les plus basiques, ceci voudrait-il donc dire qu’un architecte se tenait ici en embuscade, dirigeant secrètement l’édification du cristal en fonction de la taille à atteindre ? L’existence de ces quasi-cristaux (ou structures cristallines apériodiques) constituerait-elle ainsi une preuve de l’existence de Dieu, tout du moins d’un dieu du cristal ?

L’élucidation de ce mystère tient au fait qu’il est très facile de générer une structure apériodique à partir d’une structure entièrement périodique : il suffit simplement que cette dernière soit d’une dimension supérieure à la première et que la première en soit une projection particulière.

Pour illustrer ce point il suffit de voir qu’une droite traversant un quadrillage régulier se verra striée d’intervalles périodiques si elle croise ce quadrillage en aux deux points. Mais si cette droite ne rencontre qu’un point de tout ce quadrillage (ce qui est simplement dire que sa pente est réglée par un rapport irrationnel), alors les segments qui y seront découpés par le quadrillage seront apériodiques.


Apériodicité par projection diagonale d’une périodicité


Dans le cas des quasi-cristaux considérés (en trois dimensions), l’apériodicité du pavage s’obtenait par projection d’une structure périodique dans un espace à cinq dimensions.

 

Revenons à l’interprétation musicale de notre composition/décomposition.

La théorie mathématique des pavages apériodiques de Penrose rend à mon sens raison de ce point : il n’est pas vrai que la composition musicale soit essentiellement développement. Elle peut être aussi — elle doit être également — occupation. Ou encore : elle n’est pas seulement conquête de nouveaux territoires mais peut-être aussi — doit être également — peuplement de territoires découverts. Soit les deux grandes voies compositionnelles que j’ai appelées celles de Beethoven-Boulez et celle de Bach-Stockhausen (rappelons au passage que le jeune Boulez indexait le Clavier bien tempéré à un « manifeste d’occupation » de l’espace tonal tempéré qui était offert à Bach par son époque sans qu’il ait eu besoin de le conquérir. J’ajouterai que les forces que Bach convoquait pour cette occupation était celles de la polyphonie et du contrepoint et qu’il disposait ainsi musicalement à la fois d’un espace stratégique et des forces aptes à l’occuper…).

Dans la problématique compositionnelle du développement, le lien entre idée de base (geste initial, thème de départ…) et forme engendrée est capitale : c’est ici le thème qui engendre la forme. Dans la composition conçue comme occupation d’une forme, comme prise de possession d’un espace, comme appropriation d’un lieu, comme emprise sur une intervalle de temps, comme contrôle exercé sur une vaste durée, le lien est tout autant étroit entre matériau de base et forme globale si bien que l’inspiration du compositeur consiste en vérité à se donner le couple singulier des deux, un peu comme Beethoven se donnait à la fois un thème et la grande forme symphonique qu’il serait en état de générer [26]

Ainsi l’algèbre mathématique (ici cette manière très moderne d’algébriser la géométrie) donne-t-elle à penser sur la combinatoire musicale par-delà les cas — les plus nombreux, il est vrai — où elle l’aide à calculer.

Il me semble nécessaire d’en revenir à cette manière de voir les choses si l’on souhaite prolonger l’alliance mathématiques—musique sans retourner à la manière dont une certaine application de l’algèbre à la combinatoire musicale a pu servir de paravent pour dissimuler une indigence de pensée proprement musicale.

Et je terminerai sur cette remarque : rehausser la dimension de pensée de la mathématique et pas seulement sa puissance incomparable de calcul me semble une ressource dont ne sauraient se priver les musiciens qui ne se satisfont pas d’un état purement artisanal de la composition musicale.

 

–––

 

 

 


Bibliographie de François Nicolas sur Musique et mathématiques

 

Musique et mathématiques

·       “Partages d’écriture : Mathématique et Musique sont-elles contemporaines ?” Cahiers du CREM (n° 1-2, 1986)

 

·       “Nombre, note et oeuvre musicale” Actes de la 3° ICMPC (Liège, 1994)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/nombre.html

·       “Musique, mathématiques et philosophie : que vient faire ici la philosophie ?” (Ircam, 7 octobre 2000, Séminaire Entretemps

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/MathMusPhi.html

·        “Y a-t-il une connivence singulière entre musique et mathématiques ? Évaluation critique” (Bobigny, janvier 2003)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/Bobigny.html

·       “Penser la musique avec les mathématiques ?” (Livre collectif à paraître aux éditions Ircam, 2003)

www.entretemps.asso.fr/Seminaire/mamuphi.html

Logique musicale

·       “Qu’est-ce qu’une logique musicale ?” (décembre 1999, Forum Diderot, Ircam)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/Diderot/LogiqueDiderot.html

·        “Qu’espérer des logiques musicales mises en œuvre au XX° siècle ?” - in “Musique contemporaine / Perspectives théoriques et philosophiques” (dir. I. Deliège et M. Paddison - Mardaga, 2000)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/LogiqueBruxelles.html

·       “Questions de logique : écriture, dialectique et stratégie musicales” - paru en anglais (Questions on logic: writing, dialectics and musical strategies) chez Springer-Verlag in Mathematics and Music, 2002

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/QuestionsDeLogique.html

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/QuestionsOfLogic.html

Musique et informatique

·       “Musique et ordinateur : quelques questions” Entretemps (n° 10, 1992)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/ETS10.html

·       “Le problème de la double écriture (traditionnelle et informatique)” in Analyse et création musicales (L’Harmattan, 2001) et le cahier d’analyse sur Dans la distance (Marc Battier – Ircam, 1997)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/DLDcahier.html

Divers

Lettres musicale et mathématique

·       “De l’instance de la lettre dans la musique” (Quarto, n° 65 : Les Lettres de la jouissance, 1998)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/DEA.html

Audition musicale et intégration mathématique

·        “La troisième audition est la bonne (De l’audition musicale conçue comme une intégration) ” Musicæ Scientæ (n° 2, 1997)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/Audition3.html

Diagonales musicale et mathématique…

·        “Le style diagonal de pensée : une volonté musicale non constructiviste” in Musique, rationalité, langage — Cahiers de philosophie du langage n° 3, L’Harmattan, 1998)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/SDP.html

Albert Lautman

·       “Quelle unité pour l’œuvre musicale ? (Une lecture d’A. Lautman)” Conférence Horlieu  (Lyon, 1996)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/Lautman.html

Michel Philippot

·       “Ce doit être ! (Essai sur les écrits de Michel Philippot)” in Michel. Philippot (Éd. Entretemps, 1994)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/Cedoitetre.html

·       “Michel Philippot, un nom qui demeure” Bulletin de l’Association Michel Philippot (n° 1, 1996)

www.entretemps.asso.fr/Philippot/bulletin1.html

·       “Michel Philippot et la recherche musicale” in Radios et télévision au temps des événements d’Algérie (L’Harmattan, 1999)

Iannis Xenakis

·       “Le monde de l’art n’est pas le monde du pardon” Entretemps (n° 6, 1988)

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/Xenakis.html

––––––

 



[1] Voici la citation complète : « La doctrine sacrée est une science. Mais, parmi les sciences, il en est de deux espèces. Certaines s’appuient sur des principes connus par la lumière naturelle de l’intelligence : telles l’arithmétique, la géométrie et autres semblables. D’autres procèdent de principes qui sont connus à la lumière d’une science supérieure : comme la perspective de principes reconnus en géométrie, et la musique de principes qu’établit l’arithmétique. Or, c’est de cette dernière façon [hoc modo] que la théologie est une science. Elle procède en effet de principes connus à la lumière d’une science supérieure, qui n’est autre ici que la science même de Dieu et des bienheureux. Et comme la musique s’en remet aux principes qui lui sont livrés par l’arithmétique, ainsi la doctrine sacrée accorde foi aux principes révélés par Dieu. » [Sicut musica credit principia sibi tradita ab arithmetico, ita sacra doctrina credit principia revelata sibi a Deo] (Somme théologique ; Dieu — tome premier, question 1, article 2, conclusion).

[2] Voici la citation complète : « La musique est subalterne à l’arithmétique et, quand on sait quelques expériences fondamentales des consonances et dissonances, tout le reste des préceptes généraux dépend des nombres, et je me souviens d’avoir un jour fait une ligne harmonique divisée en telle sorte qu’on y pouvait déterminer avec le compas les compositions, différences et propriétés de tous les intervalles de musique. » Phil., VII, 170 — cité par Michel Serres dans Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques  (page 474, note 1 — Puf, 1968).

[3] Ear, heart, and brain dans Perspectives of new music (Sound and words : a critical celebration of Milton Babbitt at 60 — Spring-summer 1976)

[4] p. 47

[5] p. 50

[6] p. 51

[7] p. 52

[8] p. 53

[9] p. 53,

[10] p. 55.

[11] p. 58

[12] p. 54

[13] p. 56

[14] p. 59

[15] p. 60. Philippot présente cet énoncé comme étant un théorème (le « théorème Philippot »…) sans expliciter dans quelle axiomatique cet énoncé peut être démontré…

[16] Précisons bien ici le raisonnement.

1) Philippot pose l’équivalence : cohérence/système=forme/contenu.

2) Je convoque l’équivalence : forme/contenu=logique/mathématiques c’est-à-dire logique/ontologie.

3) M’autorisant de ce que pour Philippot d’un côté en musique cohérence et système sont « équivalents » à ce qu’ils signifient en mathématiques, et d’un autre côté mathématiques et logique mathématique ne sont guère dissociées, j’en déduis alors que pour lui la cohérence d’un système musical est mathématiquement formulable (c’est-à-dire pour lui formulable moins en termes stricts de logique mathématisée qu’en termes de mathématiques proprement dites : algèbre…).

[17] Thèse philosophique d’Alain Badiou…

[18] Voir la bibliographie annexée…

[19] Rappelons qu’en logique mathématique le « modèle » n’est pas comme, dans le sens courant employé par Philippot-Babbitt, un modèle réduit ou une maquette mais le « canon » empiriquement fourni qu’il s’agit de copier, d’imiter, de formaliser, de théoriser…

[20] Cf. son livrep ublié chez 10/18

[21] Cf. ma récente conférence à l’ENS-Ulm (décembre 2002)

[22] « Kites » and « darts »

[23] Voir [Grünbaum & Shephard] et [Connes]

[24] J’appelle ce point moment-faveur ou  moment favori…

[25] c’est-à-dire pour les trous (d’un pavage intégral du plan) qui s’avèrent incomblables par aucune tuile de base. Ils ont montré plus précisément encore (cf. Grünbaum & Shephard p. 566…) que pour 60 de ces formes de trous, il n’y a qu’une manière de recouvrir le plan qui incorpore cette forme de trou.

[26] Par exemple les esquisses de ses thèmes, son travail pour donner aux mélodies initialement couchées sur le papier la force génitrice d’un thème…