Questions d'un musicien à des analystes

(en vue d'un éventuel séminaire Musique / psychanalyse

à la suite du Samedi d'Entretemps du 21 octobre 2000 sur Max Graf: L'Atelier intérieur du musicien)

 

 

François Nicolas

(novembre 2000)

 

 

1. Psychanalyse des oeuvres musicales ?

Sous l'hypothèse que les sujets musicaux sont des oeuvres, non des " personnes ", une psychanalyse des oeuvres musicales - et non pas (plus ?) des musiciens - est-elle concevable ?

Comment, à cette lumière, examiner différentes questions, telle en particulier celle du corps : corps de l'oeuvre, corps à l'oeuvre...

 

2. Que vaut la différence des sexes en musique ?

Si la différence des sexes a puissance restreinte et non pas intégrale, jusqu'où prévaut-elle dans le champ musical et en particulier a-t-elle ou non puissance au regard des oeuvres musicales ? De quelle manière ?

Exemple : pour ma part, j'ai avancé (cf. Quarto, n° 65, 1998) l'idée que la différence des sexes, telles que Lacan la thématisait dans ses mathèmes de la sexuation, pouvait trouver sa pertinence au regard de l'écriture musicale, très précisément du rapport sexué des musiciens à l'écriture musicale. Mais ceci ne prend nullement position sur la pertinence de la différence des sexes au regard des oeuvres musicales, ne serait-ce que parce que leur propre rapport à l'écriture (plus généralement à leur partition) n'a rien à voir avec celui, évoqué dans l'article, des musiciens à l'écriture : la question porte sur le champ musical, non sur la pratique musicienne.

 

3. Ecoute musicale et écoute analytique

La catégorie d'écoute est en partage entre les deux disciplines. De quelle manière fait-elle pont ou plutôt malentendu ? Est-ce une catégorie permettant de passer de l'une à l'autre de nos deux disciplines ou n'est-elle pas plutôt le lieu spécifique d'une impasse ?

De ce point de vue, comment un musicien peut-il entendre l'écoute psychanalytique ?

- Quel rôle exact joue ici l'attention flottante ?

- Dans l'écoute analytique, s'agit-il au bout du compte d'entendre quelque chose ? Quel est dans ce cas le rapport entre écouter et entendre ? Pour indication, l'écoute musicale me semble valoir en soi (écouter pour écouter), non pour " entendre quelque chose "...

- Quelle structure formelle à l'écoute analytique ? Est-ce une relation à 2 ou à 3 ? Pour prendre des catégories traditionnelles, l'écoute analytique est-elle une relation réflexive, symétrique, transitive ?

Pour indication succincte, je soutiendrais par exemple que l'écoute musicale est une relation à 3 (musique, oeuvre et musicien), non à 2, qu'elle est une relation non réflexive (en musique, on ne s'écoute pas), non symétrique (on n'écoute pas qui vous écoute) et non transitive (écoutant B, A n'écoute pas ce qu'écoute B).

Soutenant qu'en musique l'écoute à proprement parler ne se dialectise pas à l'écriture (l'écoute musicale est conditionnée par l'existence d'une écriture mais elle ne s'y rapporte pas en tant que telle : ce qui se dialectise c'est soit écriture et perception, soit partition et audition), qu'en est-il en psychanalyse d'une éventuelle dialectique entre écoute et écriture (du rêve, par exemple) ? Plus généralement, l'écoute analytique se dialectise-t-elle, et avec quoi ?

- Et encore : des différences comme celles qu'on peut faire en musique entre écriture et notations, entre perception, audition et écoute ont-elles une pertinence dans le champ psychanalytique ?

 

4. La catégorie de voix

Comment prendre mesure de l'abîme que constitue cette catégorie " partagée " par nos deux disciplines ?

S'il est vrai, comme l'avance François Regnault (Conférences d'esthétique lacanienne) qu'il y a deux voix, la voix qui parle et la voix qui chante, mais aussi que " la voix comme objet a n'appartient nullement au registre du sonore " (Jacques-Alain Miller), comment penser (caractériser à tout le moins) cet abîme ?

Réintroduire en ce point la dimension sonore dans la voix " analytique " ne suffit nullement à " retrouver " la musique : voir le point suivant. Cela ne fait sans doute que mieux cerner la faille, le gouffre, ou le saut nécessaire entre deux ordres disjoints de la pensée.

 

5. Sonore et musical

Il semble que l'intérêt de la psychanalyse pour la musique procède selon la progression suivante : intérêt pour la dimension proprement sonore du discours, puis prise en compte de l'existence d'une organisation spécifiquement sonore alors qualifiée de musicale, d'où une approche de la musique faisant axiomatiquement l'économie de la catégorie d'oeuvre, ce à quoi j'opposerai ceci :

- le musical ne fait pas la musique (ce n'est pas, à proprement parler que ce soit, à l'inverse, la musique qui fasse le musical mais plutôt qu'il n'y ait pas " le " musical, que " musical " doive rester un adjectif, non un substantif) ;

- on ne passe d'ailleurs pas du sonore au musical (le Traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer illustre exemplairement cette impossibilité).

Soit on pose un " il y a la musique ", tel un axiome d'existence, soit on n'arrive jamais, par déduction, à la musique et on reste dans " le musical " (inconsistant), ou les musiciens (hors sujet...).

 

6. Psychanalyse & musique

Finalement, pourquoi les analystes (la psychanalyse ?) s'intéresseraient-ils à la musique (non aux musiciens...) ? Quelle est l'origine analytique de cet intérêt ? Quels en sont les enjeux proprement analytiques ? En particulier, comment sont-ils intelligibles à partir du lieu (la cure) et de l'acte proprement analytiques (le transfert...) et non pas comme désir d'omniprésence (omnipuissance) du discours analytique ? (" Peut-être la musique n'est-elle d'aucun usage en psychanalyse " F. Regnault, op. cit. p. 23).

 

S'il est vrai que " le sujet psychanalyse et musique n'a jamais donné grand chose de bon " (id.), peut-être est-il cependant possible de l'inverser et de lui ôter sa conjonction en sorte que le sujet " musique / psychanalyse " lui, éclairant à tout le moins l'impasse, mette au jour les délimitations immanentes de ces deux singularités par frottement longitudinal des catégories homonymes, une fois dépassés le malentendu d'une passe (d'un transfert - ! - de catégories) et le heurt frontal consécutif du " ça ne passe pas ! ".