Le musicien in-individuel (Musique et psychanalyse)

A propos du livre de Max Graf : L'atelier intérieur du musicien (Buchet / Chastel, 1999)

Samedi d'Entretemps - Ircam, 21 octobre 2000

 

 

François Nicolas

 

Par ce livre, nous apprenons que la musique était là, à la fondation de la psychanalyse, dans la Vienne de Freud, comme elle était déjà là à la fondation conjointe de la philosophie et des mathématiques, dans la Grèce de Parménide et Pythagore.

Si la musique est là, aux côtés de la psychanalyse naissante, en la Vienne du début du siècle, c'est moins au titre des musiciens éminents qui oeuvraient alors en ce lieu qu'à celui, moins connu et que nous révèle ce livre, de la théorie musicale ou, plus exactement, de ce que j'appelle intellectualité musicale.

La musique était là, au lieu même de la fondation de la psychanalyse, lieu de pensée (Freud) plus encore que lieu géographique (Vienne), la curieuse figure de Max Graf en témoigne.

Ceci suffit-il à attester d'une rencontre, d'une fécondation réciproque (comme il y en eut en Grèce au VI° siècle avant J.-C.), d'une " copulation " pour reprendre le mot avancé dans la présentation de ce livre par François Dachet (1) ?

Du côté de la psychanalyse, ce livre n'a pas été lu. Du côté de la musique, semble-t-il guère plus. Que penser alors de cette existence inapparue, à tout le moins non relevée ?

Deux hypothèses :

1) Si ce livre n'a pas été lu par les psychanalystes d'alors, c'est peut-être que l'apport de ce livre à la théorie psychanalytique n'a nulle évidence.

2) Si ce livre n'a guère été mieux lu par les musiciens, c'est peut-être qu'ici parle d'eux un étrange musicien, barré dans son rapport intime à la musique, et qui plus est par Johannes Brahms en personne, c'est du moins ce qu'on nous rapporte. (2)

 

D'où une première question : le livre de Graf apporte-t-il à la psychanalyse, et si oui de quelle manière ?

 

D'où ensuite une remarque : il s'agit ici moins d'un livre portant sur la musique que d'un ouvrage traitant des musiciens. Le titre de l'ouvrage est particulièrement explicite : il s'agit d'examiner l'atelier intérieur du musicien, la manière dont le musicien fait (ou peut faire) la musique. Ce souci à l'égard du musicien, ce désir de visiter son atelier intérieur n'a à mes yeux nulle évidence et je soupçonne alors ce désir de Max Graf d'être corrélé à son sur-moi brahmsien lui interdisant d'ouvrir le sien... Que Graf dénie cette interprétation (en amorçant son livre par le souci de démontrer que l'artiste n'est pas un homme d'une nature écartée) ne suffit bien sûr nullement à dissiper mon soupçon. Mais laissons-là les considérations hypothétiques sur la personnalité de l'auteur pour prendre mesure de cette thèse manifeste du livre : c'est le musicien qui fait la musique, singulièrement le compositeur qui la crée (bien plus que l'interprète qui la joue) et c'est ce faire la musique (plus encore qu'un faire de la musique) qui pour Graf mérite investigation.

Le point sur lequel je voudrais m'interroger aujourd'hui est alors celui-ci : est-il si évident que c'est le musicien qui fait la musique, et ne vaudrait-il pas mieux considérer, à l'inverse, que c'est la musique qui fait le musicien ?

Je voudrais me demander, vous demander, s'il est vrai que la psychanalyse doit être rangée d'un bloc dans la première voie ou si sa position s'avère ici plus diversifiée.

 

D'autres repères semblent confirmer que les psychanalystes feraient leur cette conviction que les musiciens font la musique. Lacan, par exemple, déclarait ceci : " On n'est pas musicien à la façon de mon petit chien qui devient rêveur quand on met certains disques. Un musicien est toujours musicien de sa propre musique " (3)

 

Du côté de la thèse inverse, je ferai volontiers comparaître Karl Marx qui écrivait, dans ses manuscrits de 1844 : " C'est d'abord la musique qui éveille le sens musical de l'homme " (4) Ainsi, pour le jeune Marx, la musique apparaît comme conditionnante plutôt que comme conditionnée.

Je ferai également comparaître Mallarmé : " Telle, une réciprocité, dont résulte l'in-individuel, chez la coryphée et dans l'ensemble, de l'être dansant, jamais qu'emblème point quelqu'un. [...] Le jugement, ou l'axiome, à affirmer en fait de ballet ! A savoir que la danseuse n'est pas une femme qui danse, pour ces motifs juxtaposés qu'elle n'est pas une femme, mais une métaphore [...] et qu'elle ne danse pas, suggérant, [...] avec une écriture corporelle " (5)

Mallarmé me semble ici penser du même côté que Marx : la danseuse est produite par la danse plutôt qu'elle ne produit la danse... La danseuse est une femme dansée plus que dansante ! Et l'on pourrait paraphraser : le musicien est produit par la musique, le musicien est un homme musiqué plutôt que musiquant. Le musicien est in-individuel, ce que j'entends en particulier ainsi : Il n'y a pas d'individu préexistant à la musique qui viendrait, en un second temps, se mettre à musiquer. Le musicien est fait par la musique non pas comme individu mais comme support corporel transitoire de la musique. (6)

Rien là, me semble-t-il, de l'énoncé de Lacan : " un musicien est toujours musicien de sa propre musique ". Mais peut-être faut-il entendre cet énoncé autrement que je ne le fais...

 

Graf et Lacan, Marx et Mallarmé : je convoque ici ces noms propres pour configurer un partage de pensée qui me semble éclairer le livre qui nous occupe cette matinée.

Le livre de Graf opte pour la première option avec des arguments qui ne me semblent guère convaincants et qui, à tout prendre, mériteraient plus ample investigation psychanalytique : pourquoi, par exemple, retenir si facilement l'idée d'un sujet individuel (Ludwig van Beethoven, ou Amadeus Mozart) unifié autour de la pratique musicale lors même qu'on le reconnaît a minima scindé entre conscient et inconscient ? A quel titre finalement mettre ensemble Amadeus, mari de Constance, et Mozart, compositeur, comme étant un seul et même " sujet " ? Est-ce exactement au titre de la psychanalyse ? Celle-ci n'aurait-elle pas des titres singuliers à donner foi à cette déclaration de Grillparzer citée par Graf : " En moi vivent en fait deux êtres complètement séparés " (7) ?

Bien sûr, Graf répondrait aussitôt : "Mais cette séparation, c'est précisément celle du Grillparzer conscient et de son inconscient !" C'est cette équivalence, précisément, que je voudrais interroger. N'est-il pas recevable que vivent en un même " soi " apparent deux êtres complètement séparés, mettons Amadeus et Mozart pour désigner du prénom le mari et du nom de famille le compositeur ? On pressent, ici encore, la réponse qu'aurait fournie Graf : "Ils ne sauraient compter pour deux puisqu'ils partagent le même inconscient." D'où qu'il faille alors pour Max Graf que l'inconscient, déclaré commun à Amadeus et Mozart, soit en capacité minimale de musique.

Pour dire les choses rapidement, mon impression est que Max Graf, voulant concilier découverte de l'inconscient et expérience musicale, voudrait musicaliser l'inconscient, désirerait le doter de capacités musicales aptes à le rendre acteur de musique. Le désir propre de Max Graf, ou du moins de l'auteur de ce livre, serait que l'inconscient du compositeur soit apte à faire de la musique, fût-ce de manière très rudimentaire ou primitive.

 

Pour cela Max Graf prend d'abord acte de ce que le musicien n'est pas conscient de toute son activité musicale, qu'il est pour partie agi plutôt qu'agissant lorsqu'il est en rapport avec l'activité musicale - et je lui accorde aisément ceci. Mais Max Graf fait ensuite un nouveau pas puisque ce qui agit ainsi le musicien, Graf va le nommer inconscient pour le faire alors équivaloir à l'inconscient freudien.

Il me semble nécessaire d'interroger ce recouvrement : le lieu qui agit " inconsciemment " le musicien, singulièrement le compositeur (dont, au passage, il est ici exclusivement question sous la figure du " musicien "), ce lieu est-il exactement ou exclusivement l'inconscient de l'individu ou ne pourrait-il être nommé tout autrement comme étant la musique ? Je n'envisage nullement ce faisant de mettre la musique en position d'inconscient collectif mais seulement de prendre au sérieux l'assertion selon quoi la musique fait le musicien, le musicien est musiqué plus encore que musiquant, le musicien est agi par la musique d'une manière qui excède sa conscience propre.

 

Pourquoi introduire cette autre voie ?

D'abord parce que la voie qu'explore Graf me semble assez vite buter sur des tautologies et sur des questions indécidables peu fertiles.

- Des tautologies ?

Par exemple celle-ci : " La création artistique vient toujours d'une organisation interne achevée, et celle-ci est autant un don de la nature que le fruit d'un travail soigneux. La vie psychique élémentaire et la vie psychique consciente doivent se compléter. " (8)

- Des questions indécidables ? Lisons-le : " Je pose la question : Don Juan serait-il devenu Don Juan si Mozart n'avait pas été alors profondément bouleversé par la mort de son père ? " (9) Mais comment remonter de l'oeuvre au créateur ? C'est une question de poïétique rétrograde qui est indécidable. Et l'on a ici le sentiment qu'il n'est pas véritablement requis de décider ce point, car le fait de décider pour ou contre cette assertion ne tire guère à conséquences...

 

La thèse " la musique fait le musicien " me semble prendre meilleure mesure de ce qu'est la musique.

Pourquoi ? Essentiellement parce qu'elle sépare et distingue ce qui relève de la musique et ce qui relève du musicien. Ce qui relève de la musique, nommons-le par l'épithète musical si bien qu'on distinguera soigneusement ce qui est qualifiable de musical et ce qui le sera de musicien. Les oeuvres, par exemple, sont musicales, et non pas musiciennes. Et les oeuvres peuvent être dites dotées d'un inconscient si l'on accepte par exemple de registrer à ce nom leur partition musicale : si l'oeuvre existe non comme stricte partition mais comme dynamisme sonore et sensible dont il y a lieu de dire qu'il est intelligible en tant qu'écoute de la musique, alors il y a également lieu de dire que cette existence sensible, que cette dynamique d'écoute par l'oeuvre elle-même, a la partition pour inconscient puisque logique d'écoute et logique d'écriture sont radicalement disjoints. Il y aurait alors sens à soigneusement distinguer inconscient musical (celui de la 40° symphonie par exemple) et inconscient musicien (celui d'Amadeus, singulièrement du mari scatologue et puéril).

De même - j'ai bien conscience de ne pas démontrer ici mes propositions mais seulement d'exposer leur possibilité - il y aurait lieu de distinguer le corps musical et le corps musicien... La liste s'allonge aussitôt : l'espace musical n'est pas l'espace musicien, le temps musical n'est pas le temps musicien, l'écoute musicale n'est pas l'écoute musicienne, la pensée musicale n'est pas la pensée musicienne (10), l'écriture musicale n'est pas exactement l'écriture musicienne..., tout ceci à mesure de ce que l'oeuvre musicale n'est pas l'individu musicien et que l'oeuvre musicale doit être pensée comme sujet de la musique et non pas objet du musicien. Il y aurait donc un inconscient musical à l'oeuvre qui ne serait nullement l'inconscient du compositeur.

 

On pourrait alors se demander également : L'atelier musical est-il bien l'atelier musicien ? L'atelier musical, celui où se fait l'oeuvre musicale, c'est à l'évidence le musicien. Sous ces hypothèses, le musicien doit en effet être conçu comme étant lui-même l'atelier musical. Mais dans ce cas, existe-t-il à proprement parler un atelier (du) musicien ? Peut-être qu'en vérité le musicien n'a pas d'atelier, étant lui-même un atelier : l'atelier de l'oeuvre (11).

La thématique de l'atelier du musicien, ce lieu où ce dernier pénètrerait en vue de créer une oeuvre, si elle se conforme à une vision du monde positiviste, n'a pas nécessairement grande existence et, en vérité, n'ouvrant guère à la pensée, n'est guère susceptible de nous apprendre grand chose. (12)

Pour soutenir cette existence, Graf doit d'ailleurs recourir à une autre thématique, qui devient de plus en plus insistante au fil de son ouvrage : celle de la " mise en forme ".

Je le cite :

- " Ce combat de fugues, on peut l'appeler un fantasme, une formation qui provient de l'univers des sensations subjectives et qui articule en notes une expérience de la vie affective. " (13)

- " Les épreuves par lesquelles Beethoven est passé, il les a élaborées musicalement. " (14)

- " Fantasmes ou visions provenant d'expériences personnelles, [...] expériences vécues qui poussent pour venir au jour dans des constructions artistiques " (15).

- " Une riche activité de mise en forme intérieure a précédé le moment de la conception artistique. Pour l'artiste, l'inconscient a rêvé, fantasmé et mis en musique. " (16)

- " Mise en forme inconsciente " (17)

- " La mise en forme artistique est un événement intérieur. " (18)

Mise en forme ? Il y aurait donc une préexistence de contenus affectifs qui viendraient ensuite s'incarner dans la chair des sons. Mais cette vision des choses ne signe-t-elle pas le fait que précisément Graf n'était pas compositeur ? Nietzsche a dit sur ce point l'essentiel : " On n'est artiste qu'à ce prix : à savoir que ce que tous les non-artistes nomment forme, on l'éprouve en tant que contenu, en tant que la chose même. De ce fait sans doute on appartient à un monde à l'envers : car désormais tout contenu apparaît comme purement formel - y compris notre vie. "

 

De ces différentes considérations, je tire une hypothèse : la psychanalyse peinerait à s'intéresser à la musique car elle ne saurait guère s'intéresser aux oeuvres musicales qu'en les rapportant à leur géniteur.

Y a-t-il place pour une psychanalyse des oeuvres musicales, non plus des musiciens ? Que voudrait dire alors une clinique psychanalytique ? Un transfert ? Un analysant et un analysé ? Existe-t-il quelque chose comme une situation d'analyse entre oeuvres, comme un transfert entre oeuvres ? Et que voudrait dire qu'une situation clinique entre oeuvres ?

L'entre-oeuvres existe musicalement. Il dispose pour cela d'un lieu de pensée privilégié qui est le concert. Mais peut-on penser ce qui se passe durant un concert entre les oeuvres qui y sont présentées comme relevant, dans certains cas du moins, d'une situation clinique ? Il est vrai qu'il existe des concerts d'une facture tout à fait singulière, où une oeuvre peut par exemple en racheter une autre en éclairant sa part musicalement vivifiante lors même qu'isolée, cette même oeuvre pourrait sembler mortifère. Mais enfin, il paraît difficile d'induire de là l'existence d'une psychanalyse des oeuvres où telle oeuvre singulière occuperait la place d'analyste (19).

S'il fallait parler de psychanalyse musicale et non plus musicienne, c'est cependant dans cette voie aride et un peu saugrenue qu'il faudrait pouvoir s'engager.

 

Eviter cette voie conduit immanquablement à réassocier étroitement oeuvre et géniteur (compositeur en l'occurrence), à relier strictement oeuvre et poïétique (ou genèse), voie qui n'est finalement qu'une manière parmi d'autres de dissoudre le contenu de pensée proprement musical de l'oeuvre, intelligible du point de son site musical effectif qui est son rapport à d'autres oeuvres, pour privilégier l'expérience du musicien. Et le musicien, quand il est pensé non plus comme fait par la musique mais comme l'engendrant, donc comme prenant nécessairement appui en dehors de la musique pour la créer, ce musicien est ramené à son état d'individu, affecté par épouse et maîtresses, argent et affects. Rien là susceptible d'accroître l'intelligibilité de son activité créatrice car nul n'expliquera sur des bases extra-musicales comment ce gamin facétieux a pu devenir musicien génial. Il faut toujours présupposer que la musique existe pour envisager qu'elle ait pu saisir cet individu donné et le rendre musicien.

Contre ce que je viens de prôner, on parle souvent de contextualiser, ou recontextualiser l'oeuvre. Je veux bien, mais de quel contexte s'agit-il alors ? D'un contexte musical ou d'un contexte musicien ? Le contexte musical ? Dans ce cas, d'accord, car il s'agit bien de saisir une oeuvre dans une situation musicale marquée par d'autres oeuvres. Le contexte musicien ? Celui-ci reste à mon sens subordonné aux enjeux musicaux.

 

Je décrirai ainsi le cheminement de Graf : il cherche une sorte de point d'Archimède pour rendre compte de la création musicale, c'est-à-dire un point extérieur à la musique qui rendrait compte de l'existence de la musique. Ce point d'Archimède, il va le chercher logiquement du côté du musicien, non du côté de l'oeuvre. Et il pense alors le trouver dans l'inconscient freudien. Mais ce point, extérieur il est vrai, est-il susceptible de porter le monde de la musique ? Ne fonctionne-t-il pas plutôt comme un asile d'ignorance qu'on remplit à volonté des questions auxquelles on ne sait répondre ?

Qu'un tel point d'Archimède soit ineffectif, il me semble qu'on en trouve trace dans cet étonnant rabattement final auquel procède Graf entre atelier intérieur et enfance, où l'inconscient devient l'opérateur d'égalisation, le médiateur de cette curieuse synonymie.

Je cite Graf :

- " On peut caractériser l'artiste comme étant celui qui, même comme homme mûr, conserve inentamée son âme d'enfant. " (20)

- " Les avatars de la vie qui poussent l'artiste à se mettre à l'oeuvre n'auraient pas la puissance de se lier aux arts s'ils n'étaient pas une réminiscence de l'expérience vécue de l'enfance. " (21)

- " L'âme des grands musiciens comme ce tous les autres artistes est une âme d'enfant. " (22)

- " Ce que nous avons nommé l'inconscient n'est rien d'autre que cette âme d'enfant. C'est la plus ancienne partie qui constitue la vie psychique, la couche préhistorique. " (23)

- " Ce que les artistes cherchent, c'est leur enfance. [...] Toutes les oeuvres artistiques sont des accomplissements de rêves de jeunesse. " (24)

- " Ce que nous avons nommé l'atelier intérieur de l'artiste, c'est en fait la chambre d'enfants, que hante un homme mûr avec de vieux jouets qu'il a amoureusement conservés. " (25)

Ce serait sans doute faire de la psychanalyse de boulevard que d'indexer cette insistance sur ce que l'on pressentir du père du " petit Hans ".

Mais enfin, comment comprendre comme une apothéose une telle chute de l'entreprise ?

 

En fin de compte la question posée en ouverture de ce livre par François Dachet me semble rester ouverte : " En fonction de quelle nécessité la psychanalyse devrait s'intéresser à la musique ? " (26)

" Parler de la musique dans le fil musical présente de réelles difficultés. " ajoute-t-il (27). On a vu que le fil musicien posait sans doute moins de problèmes mais ne fournissait guère de réponses plus recevables.

Ma proposition serait de renouer le dialogue, un peu raté à Vienne au début de ce siècle, entre psychanalyse et musique en lui donnant aujourd'hui pour terrain d'épreuve les oeuvres musicales, leur écriture et leurs corps, pour les mettre en rapport non plus tant avec les musiciens, qui n'en sont que les supports fugitifs, qu'avec la musique elle-même, ses exigences de pensée, son régime propre d'existence, ses configurations logiques...

On pourrait retourner la question de François Dachet et poser celle-ci : en fonction de quelle nécessité la musique devrait-elle s'intéresser à la psychanalyse ? A cela, je donnerai en conclusion quelques réponses :

1) C'est pour le coup le musicien, non la musique, qui est susceptible de s'intéresser au dialogue avec les psychanalystes, singulièrement celui que j'appelle, empruntant à Victor Hugo ce qualificatif, le musicien pensif.

2) Le musicien pensif aimerait entendre - écouter, peut-être... - des psychanalystes traitant d'oeuvres musicales (non des musiciens !) et mettant en rapport ces oeuvres avec la musique, avec son espace propre de pensée, plutôt qu'avec les individus ayant traversé cet espace et qui furent, le temps de cette traversée, des musiciens in-individuels.

3) Il faut penser que les catégories qui semblent en partage entre pensivité musicienne et réflexion psychanalytique sont en fait des leurres plutôt que des zones de passage effectif. Ce qui serait intéressant de penser - et de penser alors doublement : selon les deux faces de la rencontre - serait de penser comment cela rate au point même où l'on croit partager, de penser l'impasse au point même d'une passe apparente.

Eclairer la faille au point le plus proche d'un mot partagé qui partage musiciens et psychanalystes, faire jouer cette faille latéralement et non plus frontalement, frotter donc les deux bords, c'est dans cet esprit qu'il m'a semblé judicieux de prendre l'initiative de cette matinée.


Notes