De diffŽrents rŽgimes dÕhistoricitŽ en matire de musique

 

JournŽe consacrŽe au premier volume Ē Musiques du XX” sicle Č de lÕEncyclopŽdie Musiques dÕActes-Sud

6 mai 2004, Ens

 

Franois Nicolas

 

 

On se demandera de quel partage des temps (passŽ | prŽsent | futur) relve, au seuil dÕune encyclopŽdie dŽclarŽe Ē pour le XXI” sicle Č, ce volume consacrŽ aux Ē musiques du XX” sicle Č.

Examinant pour ce faire les contributions de Jean-Jacques Nattiez qui encadrent ce volume, et dialoguant avec la catŽgorie de Ē rŽgime dÕhistoricitŽ Č (cf. Franois Hartog et Jacques Rancire), on proposera de distinguer en matire musicale quatre rŽgimes : le rŽgime musicologiste-historien, le rŽgime musicologiste-encyclopŽdiste, le rŽgime musicien et le rŽgime musical.

Exemples ˆ lÕappui, on tentera ainsi dÕorienter les dŽcisions aujourdÕhui ˆ prendre en matire dÕhŽritage musical.

 

––––––––

 

Ē Dis-moi comment tu traites le prŽsent et je te dirai quelle philosophie tu es. Č

Charles PŽguy (Note conjointe sur M. Descartes)

 

Ē Notre hŽritage nÕest prŽcŽdŽ dÕaucun testament. Č

RenŽ Char (62” feuillet dÕHypnos)

 

Il sÕagira ici pour moi de lire ce volume en mÕinterrogeant sur lÕhistoricitŽ en matire de musique : non pas lÕhistoriographie — conue comme Žcriture de lÕhistoire, comme construction de lÕhistoire en la racontant — mais lÕhistoricitŽ conue comme pensŽe dÕune insertion historique de la musique, pensŽe des dimensions historiques de la musique, pensŽe de la manire dont la musique a ˆ voir avec lÕhistoire.

 

Cette journŽe dՎtude sÕinsre en effet dans notre sŽminaire annuel et prolonge donc notre vaste question : Ē Peut-on penser la musique avec/sans/contre lÕhistoire ? Č. Comment cette encyclopŽdie relance-t-elle notre question ? Comment plus prŽcisŽment cette encyclopŽdie relance-t-elle la question sur laquelle jÕavais terminŽ mon intervention en novembre dernier : celle des rŽgimes dÕhistoricitŽ ?

Ē RŽgimes dÕhistoricitŽ Č

Chez Franois Hartog

JÕavais clos mon intervention sur la notion de rŽgime dÕhistoricitŽ chez Franois Hartog qui nommait ainsi une sorte dÕexpŽrience du temps en amont de toute manire de faire lÕhistoire, une condition de possibilitŽ pour lÕhistoire tenant ˆ un mode de conception du temps (premire caractŽristique) avec cette caractŽristique supplŽmentaire que cette conception se dŽclarait prioritairement dans un rapport au prŽsent. Un rŽgime dÕhistoricitŽ, ici, cÕest une manire dÕadosser lÕHistoire ˆ une conception du temps dont le foyer est une conception du prŽsent.

Notre sŽminaire, depuis, a accueilli une intervention de Jacques Rancire qui a rŽpondu ˆ mon intervention en dŽployant une autre conception du rŽgime dÕhistoricitŽ. JÕen rappelle le principe car cÕest ˆ cette acception du rŽgime dÕhistoricitŽ que je me rŽfŽrerai ici (de prŽfŽrence ˆ celle de Franois Hartog).

Chez Jacques Rancire

Un rŽgime dÕhistoricitŽ, pour Jacques Rancire, cÕest le nĻud dÕun partage des temps et dÕune distribution possible/impossible. CÕest donc trois choses :

1. une distinction passŽ/prŽsent/futur, distinction qui, en gŽnŽral, nÕa pas nŽcessitŽ de se constituer, comme chez Franois Hartog, ˆ partir du prŽsent ;

2. une distinction possible/impossible ;

3. une articulation des deux au sens o la sŽparation possible/impossible non seulement nÕest pas la mme au passŽ, au prŽsent et au futur mais au sens o le partage des temps est pensŽ comme distribution des possibles.

En fait un rŽgime dÕhistoricitŽ, cÕest une logique de pensŽe qui gŽnre ˆ la fois un partage des temps et une distribution des possibles — par exemple si lÕon considre que le passŽ se diffŽrencie du prŽsent par le fait quÕil ne serait plus possible de le modifier —.

Une autre caractŽristique intŽressante des rŽgimes dÕhistoricitŽ chez Jacques Rancire, cÕest quÕils ne sont plus eux-mmes historicisŽs. Jacques Rancire dŽshistoricise les rŽgimes dÕhistoricitŽ de Franois Hartog lesquels sont, pour ce dernier, rattachables ˆ tel ou tel moment (en particulier ce quÕil appelle aujourdÕhui le prŽsentisme). Pour Jacques Rancire au contraire, un rŽgime dÕhistoricitŽ nÕest pas exactement un rŽgime Ē historique Č au sens chronologiquement assignable ˆ une pŽriode : par exemple son rŽgime Ē moderne Č ne dŽsigne pas une sŽquence chronologiquement isolable mais un mode transversal ˆ diffŽrentes sŽquences chronologiques, pouvant coexister avec dÕautres (le postmodernisme, pourquoi pasÉ).

DÕo ma question : ce concept de rŽgime dÕhistoricitŽ peut-il nous aider ˆ penser les diffŽrents types de rapports de la musique ˆ lÕhistoire non pas comme succession mais comme coexistence simultanŽe ? DÕo ma lecture de ce premier volume ˆ la lumire de cette question.

*

Ma lecture ne sera pas systŽmatique mais diagonale, et symptomale. Le genre Ē encyclopŽdie Č de lÕouvrage y incite : par dŽfinition, une encyclopŽdie est une rŽcapitulation des savoirs, et donc ˆ ce titre une totalisation inconsistante, non parce que chaque savoir le serait sŽparŽment mais parce que leur assemblage lÕest forcŽment : une encyclopŽdie doit recenser sur toute question des figures de savoirs incompatibles entre elles (recenser par exemple la totalitŽ de ce qui sÕest dit de John Cage ne peut quÕempiler des contradictions). Il nÕy a donc pas de sens ˆ exiger dÕune encyclopŽdie quÕelle assure une consistance des savoirs rŽcollectŽs. La seule chose quÕon puisse lui demander est une consistance formelle dans le choix des savoirs retenus, dans la qualitŽ formelle plut™t que dans le fond ou le contenu.

Ė ce titre, cette encyclopŽdie assure une relative homogŽnŽitŽ dans la qualitŽ des propos soutenus et on ne peut que saluer ce parti. Mais on ne saurait exiger dÕelle une cohŽrence de ces propos ce qui contraint toute lecture ˆ en tre une coupe.

Ma coupe aujourdÕhui sera celle des Žcrits de notre invitŽ, Jean-Jacques Nattiez. CÕest donc ˆ partir de ses trois articles que je vais interroger les diffŽrents rŽgimes dÕhistoricitŽ quÕil est possible de thŽmatiser en matire de musique.

RŽgime encyclopŽdiste

Commenons par une lecture trs ŽlŽmentaire.

La couverture du volume articule trois signifiants :

— Ē encyclopŽdie Č, qui dŽsigne un prŽsent indexŽ par des savoirs ;

— Ē pour le XXI” sicle Č, qui dŽsigne un futur ;

— Ē musique du XX” sicle Č, qui dŽsigne un passŽ.

DÕo une premire configuration o le prŽsent est thŽmatisŽ comme lieu du savoir (il sÕagit dans ce livre dÕun Žtat actuel des savoirs), savoir sur le passŽ (XX” sicle) en vue du futur (XXI” sicle). Le prŽsent est ici une transition entre passŽ (XX”) et futur (XXI”), un instant mobile o il y a lieu de se demander : que peut-on y savoir ? Il y a donc une continuitŽ passŽ — prŽsent — futur qui passe par un prŽsent du savoir.

Se dessine lˆ un croisement dÕun partage des temps et dÕune distribution du possible qui se fait sous le thme du savoir puisquÕil sÕagit de se demander : que peut-on savoir aujourdÕhui (au prŽsent donc) sur le passŽ, Žventuellement sur le prŽsent (mais si le prŽsent est un instant plut™t quÕun moment, cela nÕa gure de sens), et sžrement pas sur le futur (on peut le deviner, le pressentir, pas le savoir). Un tel nĻud constitue un rŽgime dÕhistoricitŽ que jÕappellerai encyclopŽdiste, dans notre cas musicologiste-encyclopŽdiste. Son dessein propre — constituer un savoir actuel (au sens de lÕinstant prŽsent) sur le passŽ et sans prise vŽritable sur le futur — peut tre figurŽ ainsi :

––––––––––]< ]  ?

passŽs] savoir actuel] futur connaissable

RŽgime historien

Ceci dit, les diffŽrentes contributions de Jean-Jacques Nattiez vont thŽmatiser un peu autre chose que ce strict rŽgime encyclopŽdiste. Ses trois articles mettent en effet au travail trois nouvelles questions :

1. Comment situer cette encyclopŽdie par rapport aux histoires du genre encyclopŽdique ?

2. Comment raconter lÕhistoire (en lÕoccurrence celle du XX” sicle) ?

3. Peut-on raconter le futur (en lÕoccurrence celui de la premire moitiŽ du XXI” sicle) ?

La transformation par rapport au mode encyclopŽdiste tient aux points suivants :

1. Le passŽ a dŽsormais pour enjeu dՐtre moins objet dÕun savoir que sujet dÕun rŽcit. La cible est ici moins la production de savoirs que la construction dÕun rŽcit.

2. Le futur est considŽrŽ dŽsormais moins comme destination des savoirs actuels (encyclopŽdie Ē pour Č le XXI” sicle) que comme lieu o se racontera notre prŽsent : cf. un certain Hans-Jakob Zanetti, en fin de volume, racontant au prŽsent de 2045, notre futur procheÉ

3. Le prŽsent dŽsormais est le lieu moins de rŽcollection des savoirs que dՎlaboration des rŽcits.

On a donc ici un nouveau mode de partage des temps dont une des caractŽristiques, par rapport au mode encyclopŽdiste prŽcŽdent, est que le prŽsent sÕy articule diffŽremment au futur puisque le rŽcit au prŽsent peut dŽsormais sՎtendre — en prŽdiction — jusquÕau futur.

Ce nouveau partage des temps sÕarticule ˆ une nouvelle distribution du possible quant ˆ la possibilitŽ mme de raconter chacun des temps distinguŽs : le passŽ est racontable selon un critre de vraisemblance alors que le prŽsent est irracontable (puisque sans Žpaisseur propre) tandis que tout rŽcit du futur se dispose sous un principe dÕirrŽalitŽ. De plus, un interdit pse sur ce type Ē historien Č de rŽcit, lÕinterdit majeur de lÕhistorien, son pŽchŽ capital : lÕanachronisme.

Ce nouveau rŽgime dÕhistoricitŽ, je lÕappellerai historien, en lÕoccurrence musicologiste-historien et jÕen figurerai ainsi le dessein propre :

––––––––––>] >[----- >

passŽ simple] instant prŽsent [futur simple

Soit deux rŽgimes en extŽrioritŽ

JÕai ainsi dressŽ le rapide portrait de deux rŽgimes dÕhistoricitŽ auxquels jÕai donnŽ en partage le nom de musicologiste. QuÕont-ils en vŽritŽ en partage ?

1. Le prŽsent est dans les deux cas un instant mobile, sans le dŽploiement temporel immanent ˆ un moment.

2. Ce prŽsent instantanŽ est dŽlimitŽ par le passŽ.

Ces deux aspects sont figurŽs dans les deux schŽmas prŽcŽdents

1. par lՎtroitesse de lÕintervalle du prŽsent ;

2. par lÕexistence dÕun crochet tournŽ vers la gauche — Ē] Č — cl™turant le passŽ et dŽlimitant par lˆ le prŽsent.

En fait ces deux rŽgimes partagent dՐtre en extŽrioritŽ par rapport ˆ la musique (ce point va sՎclairer par contraste avec les deux rŽgimes dÕhistoricitŽ qui vont suivre). Cela sÕindique dÕores et dŽjˆ dans le fait que savoirs comme rŽcits, sÕils se font bien ici au prŽsent, portent cependant essentiellement sur le passŽ, sur un passŽ sŽparŽ de lÕinstant prŽsent en ceci que le passŽ est connaissable ou racontable quand le prŽsent ne lÕest pas. Dans les deux cas, la musique quÕil sÕagit de savoir ou de raconter est Ē du passŽ Č : Žtant objet de savoir ou matire ˆ rŽcit, elle est constituŽe en extŽrioritŽ par rapport ˆ qui produit savoirs et rŽcits.

RŽgimes en intŽrioritŽ

Je voudrais ˆ partir de lˆ montrer que ces deux rŽgimes dÕhistoricitŽ ne sont pas en matire de musique les seuls. Ces deux rŽgimes dÕhistoricitŽ ont bien sžr leur lŽgitimitŽ, leurs propres raisons dՐtre. Mais on peut Žgalement en pratiquer dÕautres.

Je voudrais y introduire par les deux autres questions kantiennes qui viennent complŽter le Ē Que puis-je savoir ? Č du rŽgime encyclopŽdiste et qui sont : Ē Que mÕest-il possible dÕespŽrer ? Č, Ē Que dois-je faire ? Č

La rŽponse ˆ ces deux questions dans le champ de la musique va me conduire ˆ caractŽriser deux autres rŽgimes dÕhistoricitŽ qui, cette fois, seront en intŽrioritŽ et que jÕappellerai respectivement rŽgime musicien et rŽgime musical.

Ces deux rŽgimes en intŽrioritŽ ont en partage :

1. que le prŽsent y devient un moment ;

2. que le prŽsent y devient le centre : non seulement lÕorigine de lÕinvestigation mais sa cible mme.

Au total, lÕenjeu de ces rŽgimes devient dŽsormais la constitution dÕun moment prŽsent sous lÕhypothse quÕun instant actuel (comme dans les deux rŽgimes en extŽrioritŽ) nÕy suffit pas : Ē Un prŽsent fait dŽfaut, faute que la foule ne dŽclare. Č (MallarmŽ).

On a donc ici un retournement : ce nÕest plus le passŽ qui configure le prŽsent, qui le prŽdispose, qui lui donne sens mais cÕest un prŽsent qui dŽcide son passŽ. La maxime de ce retournement est fournie par le 62” feuillet dÕHypnos (RenŽ Char) : Ē Notre hŽritage nÕest prŽcŽdŽ dÕaucun testament. Č. Le passŽ ne lgue nul hŽritage, et tout hŽritage est dŽcidŽ au prŽsent, Ē hŽritage Č voulant ici dire : conditions sur le prŽsent, conditionnement agissant sur ce quÕil y a ˆ faire. DÕo une transformation radicale dans le partage des temps passŽ/prŽsent/futur.

RŽgime musicien

Examinons ce nouveau partage des temps dans le rŽgime que jÕappellerai musicien car il concerne le musicien plus que lÕĻuvre, lÕintellectualitŽ musicale plus que la pensŽe musicale ˆ lÕĻuvre.

Concernant le passŽ

Le passŽ nÕest plus ce qui conditionne le prŽsent (car ce qui conditionne le prŽsent est au prŽsent, dans la situation prŽsente) mais ce qui est tenu — au prŽsent — comme impuissant, saturŽ, inactif.

On a donc ici une conception non chronologique du passŽ :

„ Par exemple, dans la conception musicienne que jÕai du prŽsent musical, Schoenberg appartient ˆ ce prŽsent quand Cage relve de son passŽ (en raison de la stŽrilitŽ de sa sophistique).

„ Autre exemple : pour le prŽsent de lÕintellectualitŽ musicale, Jean-SŽbastien Bach et son Ē Soli Deo Gloria Č [1][1] me semble au prŽsent quand la conception romantique de la Ē musique absolue Č me semble au passŽ.

Concernant le prŽsent

1. Le prŽsent est un moment qui se dŽploie chronologiquement si bien que le moment contemporain conjoint ici trois couches :

— un prŽsent antŽrieur (qui nÕest pas le Ē prŽsent du passŽ Č de St Augustin),

— un prŽsent actuel,

— un prŽsent postŽrieur.

2. Le prŽsent, dans ce rŽgime musicien, est indexable au projet de forcer un impossible : ce nÕest pas la rŽalisation, le dŽploiement dÕune possibilitŽ lŽguŽe par le passŽ ; le prŽsent est constituŽ par le projet de rendre possible ce qui ne lÕest pas (par exemple, pour Schoenberg, le projet de faire de la musique avec une sŽrie de douze sons, ce qui nÕavait alors rien dՎvident).

Ce forage sÕaccompagne alors dÕinterdits (qui ne sont pas des impossibles) puisque le prŽsent dŽclare ici des interdits (lÕinterdit du ton, ou du thŽmatisme, ou de la carrure rythmique, etc.).

Concernant le futur

Le futur est dŽsormais scindŽ :

— Pour partie, le futur appartient au prŽsent (comme prŽsent postŽrieur) — demain est du futur chronologique mais pas du futur sŽparŽ du moment prŽsent car demain est embrassŽ dans lÕimmŽdiat de mon projet prŽsent —. Le futur simple est donc incorporŽ au prŽsent.

— Le Ē vrai Č futur devient le futur antŽrieur : ce qui pourra se dire de ce moment prŽsent non pas demain mais quand ce projet (qui fait moment prŽsent) aura ŽtŽ accompli, quand ce prŽsent aura saturŽ ses hypothses de travail.

Espoir et espŽrance

Cette transformation du futur peut tre assignŽe ˆ une diffŽrence entre espoir et espŽrance :

— lÕespoir est rapport de lÕinstant prŽsent au futur simple : il est Ē espoir Č quÕun demain apporte ce que lÕinstant prŽsent nÕapporte pas ;

— lÕespŽrance est la conviction que le moment prŽsent dŽploie ce qui est dŽjˆ lˆ, le Ē pas dŽjˆ gagnŽ Č (Rimbaud), la victoire singulire mais ˆ valeur universelle (St Paul), lÕaction restreinte (MallarmŽ).

 

DŽtaillons un peu le rŽgime musicien en prenant pour exemple le sŽminaire sur le prŽsent de la musique contemporaine coorganisŽ cette annŽe ˆ lÕEns avec le CNSMDP et lÕIrcam.

Le prŽsent de la musique contemporaine est rŽflŽchi comme convergence (mais nullement congruence) de trois questions dÕampleur chronologique trs diffŽrentes :

— un cycle cinquantenaire (celui de lÕaprs-guerre) affŽrent ˆ la question du sŽrialisme et maintenant clos au titre de ce que le sŽrialisme est dŽsormais du passŽ ;

— un cycle sŽculaire (celui du XX” sicle) en gros marquŽ par la question : comment composer une musique qui soit ˆ la fois atonale, athŽmatique et amŽtrique ? ; ce cycle peut tre tenu, ˆ la diffŽrence du prŽcŽdent, comme non clos, non saturŽ et donc ˆ poursuivre au prŽsent ;

— un cycle millŽnaire (celui du second millŽnaire) en gros marquŽ par la constitution dÕun monde de la musique basŽ sur une Žcriture musicale singulire (solfge) ; ce cycle est-il saturŽ ou convient-il de le continuer en inventant de nouvelles modalitŽs dՎcriture musicale ? La question est ici : quel prŽsent dŽlimite ici quel passŽ ?

Mes propres rŽponses sont ici celles-ci :

1. Tenir le sŽrialisme comme dŽsormais un passŽ pour la composition.

2. Continuer de tenir que thme, ton et carrure sont du passŽ pour la composition.

3. Continuer de tenir quՎcriture musicale et autonomie du monde de la musique sont du prŽsent pour lÕintellectualitŽ musicale.

Je ne prŽtends pas faire consensus avec ces rŽponses personnelles. Je veux seulement relever que de tels types de rŽponses font torsion chronologique du partage des temps passŽ/prŽsent/futur puisque du passŽ chronologique lointain peut tre tenu pour du prŽsent toujours actif quand du passŽ chronologique beaucoup plus proche peut tre tenu pour dŽpassŽ.

Je voudrais illustrer ces torsions chronologiques propres au rŽgime musicien et donc aux intellectualitŽs musicales par le tableau suivant qui inscrit lՎcart entre lÕordre chronologique Ē historique Č — en lÕoccurrence celui dÕapparition des grandes intellectualitŽs musicales ˆ partir de Rameau — et lÕordre chronologique interne ˆ une intellectualitŽ musicale singulire (la mienne en lÕoccurrence) —. O lÕontogense dÕun musicien pensif diffre de la phylogense du genre Ē intellectualitŽ musicale ČÉ

En gras : les antŽcŽdents musiciens qui apparaissent Žgalement dans la gŽnŽalogie musicale (voir plus loin)

Je figurerai ainsi le rŽgime musicien dÕhistoricitŽ :

-------- [––––––––––– [<ÉÉ

  passŽ composŽ] moment prŽsent] futur antŽrieur

 

antŽrieur – actuel – postŽrieur (

contemporains

Au total, lÕHistoire appara”t, dans ce rŽgime dÕhistoricitŽ, comme une double contextualisation : contemporanŽitŽ des pensŽes (historicitŽ) et conditionnement matŽriel du monde de la musique par un Žtat gŽnŽral des sociŽtŽs humaines (historialitŽ).

RŽgime musical

Il sÕagit ici plut™t dÕun nouveau mode de rapport ˆ lÕhistoire (que dÕun rŽgime dÕhistoricitŽ ˆ proprement parler) car ce mode concerne avant tout le prŽsent : ce mode ne conna”t pas en effet un vŽritable partage des temps car il est le mode propre des Ļuvres musicales, donc de la pensŽe musicale proprement dite. Ici pas de passŽ car les Ļuvres nÕont pas vraiment de pensŽe du passŽ, mais seulement dÕun prŽsent antŽrieur, dÕun prŽsent actuel et dÕun prŽsent postŽrieur. Les Ļuvres nÕont donc pas de rapport vŽritable ˆ lÕhistoire (il nÕy a pas dÕhistoire musicale pour les Ļuvres). LÕĻuvre musicale se pose avant tout la question kantienne : Ē Que dois-je faire ? Č ; elle constitue au prŽsent une gŽnŽalogie.

Pour donner un exemple de gŽnŽalogie musicale, je prŽsenterai ci suit lÕarbre gŽnŽalogique de mes opus :

En gras : les opus charnires et les principales influences musicales

Les flches ˆ deux sens (Ē) indiquent lÕexistence de rŽtroactions : quand les influences Žclairent en retour lÕinfluenantÉ

Reste cet enracinement dÕordre historique que constitue lÕarchŽologie musicale cÕest-ˆ-dire la manire dont les Ļuvres musicales sÕenracinent objectivement et subjectivement dans un Žtat matŽriel du monde de la musique en projetant par exemple de musicaliser tel ou tel type de sonoritŽs (en particulier aujourdÕhui Žlectroacoustiques).

Je figurerai ainsi ce rŽgime proprement musical :

[–––<>–––]

passŽ [PrŽsent] futur

RŽcapitulation

Au total, on a donc, en matire de musique, les 3 (+1) rŽgimes dÕhistoricitŽ suivants :

 

RŽgime musicologiste-encyclopŽdiste

––––––––––]< ]  ?

passŽs] savoir actuel] futur connaissable

 

RŽgime musicologiste-historien

––––––––––>] >[----- >

passŽ simple] instant prŽsent [futur simple

 

RŽgime musicien

-------- [––––––––––– [<ÉÉ

  passŽ composŽ] moment prŽsent] futur antŽrieur

 

antŽrieur – actuel – postŽrieur (

contemporains

 

Mode musical

[–––<>–––]

passŽ [PrŽsent] futur

 

Et lÕon synthŽtisera leurs propriŽtŽs selon le tableau suivant :

3 (+1) rŽgimes

 

 

RŽgimes

en extŽrioritŽ

en intŽrioritŽ

 

musicologiste-historien

musicologiste-encyclopŽdiste

musicien

[ musical]

 

Acteur

Le musicologiste

Le musicologiste

Le musicien

(pensif de prŽfŽrence)

LÕĻuvre

 

Production

de sens-rŽcit

(cf. Ē intrigue Č)

de savoirs

dÕĻuvres

de musique

(cf. Ē beautŽ Č)

 

Rapport ˆ lÕHistoire

Ē Tout Č en relve.

Elle est savoir sur le passŽ

Elle relve dÕune contextualisation : historicitŽ/historialitŽ

Elle transpara”t comme gŽnŽalogie et archŽologie

Le partage des temps

se fait ˆ partir du passŽ

se fait ˆ partir du prŽsent

nÕexiste pas

Partage

des

temps

Le passŽ est

un passŽ simple

la cible (savoir du passŽ)

un passŽ composŽ

une absence

Le prŽsent est

un instant

(lÕinstant actuel)

la base

(savoir au prŽsent)

un moment contemporain

(antŽrieur-actuel-postŽrieur)

la prŽsence

(Ē une certaine gravitation des causes essentielles Č)

Le futur est

un futur simple

(celui de lÕespoir)

hors-champ

(car hors-savoir)

un futur antŽrieur

(celui de lÕespŽrance)

inexistant

La distribution des possibles

Elle se fait par la chronologie :

— interdit de lÕanachronisme pour le passŽ,

— impossibilitŽ de raconter le prŽsent,

— irrŽalitŽ de tout rŽcit du futurÉ

Elle opre selon ce que lÕon peut ou non savoir (connaissables | inconnaissables)

Elle joue :

— au prŽsent comme forage dÕun impossible (et donc dŽplacement de la distribution Ē lŽguŽe Č) ;

— comme conditions (archŽologiques et historiales) de possibilitŽ ;

— par distribution activable | inactivable (car saturŽ)

[ Elle nÕexiste pas]

 

(Questions de Kant)

[ QuÕest-ce que lÕhomme ?]

Que puis-je savoir ?

Que mÕest-il possible dÕespŽrer ?

Que dois-je faire ?

 

(Char)

Le testament configure lÕhŽritage, le passŽ lgue un prŽsent.

Il y a legs de savoirs

Ē Notre hŽritage nÕest prŽcŽdŽ dÕaucun testament. Č

Ni hŽritage, ni testament

Conclusion

Pour conclure, je ferai les trois remarques suivantes :

— Le volume quÕon examine aujourdÕhui croise un rŽgime encyclopŽdiste et un rŽgime historien. On pourrait dire quÕil croise une historiographie et une forme de mythologie (via la constitution en rŽcit de savoirsÉ). Ė ce titre, cette Ē encyclopŽdie historienne Č a peut-tre pour destin propre de devenir un mythe.

— Il nÕy a pas ˆ proprement parler de monographie concevable du prŽsent car une monographie se dŽploie nŽcessairement en extŽrioritŽ (voir Ē le recul Č exigŽ) or le prŽsent nÕexiste quÕen intŽrioritŽ.

— la pierre de touche, ici comme dans bien dÕautres questions musicales, est le partage (subjectif) entre intŽrieur/extŽrieur.

––



[1][1] Ė ne pas confondre avec le Ē Ad majorem Dei Gloriam ČÉ