Généalogie, archéologie, historicité et historialité musicales

Séminaire « Musique et histoire »

(ENS, 8 novembre 2003)

 

François Nicolas

 

 

Argumentaire

 

 

 

Il s’agira de proposer une manière de penser la musique contemporaine avec/sans/contre « L’Histoire ».

 

Après avoir situé cette préoccupation dans la conjoncture musicale actuelle, on commencera par distinguer quatre composantes du monde de la musique directement concernées par une investigation de type historique :

·    les œuvres musicales,

·    les intensions musicales (ou projets à l’œuvre),

·    les styles musicaux,

·    les situations musicales.

On soutiendra ce faisant que le musicien, tant individuellement que collectivement, loin d’être l’objet central de ces investigations, n’en est que le promoteur : c’est parce que le musicien est un visiteur du monde de la musique plutôt qu’un acteur que la question d’une historicité musicale se pose à lui, non à l’œuvre.

D’où l’insertion de ce souci d’historicité dans l’intellectualité musicale que déploie le musicien pensif là où l’œuvre musicale peut souverainement l’ignorer.

 

On avancera que l’intellectualité musicale doit réfléchir les quatre composantes précédentes :

1) contre l’historicisme ; ce qui se dira : contre les problématiques de genèse et de réception musiciennes des œuvres, contre l’archivisme des projets musiciens, contre l’historicisme des fonctions musicales, contre l’acculturation des situations musicales dans les sociétés humaines ;

2) et sans l’historiographie ; ce qui se dira : sans chronologie concaténant les œuvres selon les vies des musiciens, sans récit conférant « sens » aux concaténations précédentes, sans anamnèse restituant les contextes musiciens, sans annales reconstituant les circonstances sociales de la vie musicienne.

 

On proposera a contrario de penser historialement la musique avec les quatre dimensions suivantes :

·    Une généalogie (subjective) des œuvres ; son enjeu sera de dégager leurs intensions.

·    Une archéologie (objective) des intensions à l’œuvre explicitant leurs conditions musicales de possibilité dans des situations musicales particulières ; son enjeu sera de dégager les « contenus de vérité » des intensions musicales.

·    Une historicité des styles musicaux explicitant leurs conditions non musicales de possibilité dans d’autres formes de pensée que musicales ; son enjeu sera de dégager les contemporanéités momentanées de pensée.

·    Une historialité des situations musicales ; son enjeu sera de dégager les articulations circonstancielles entre lieux de pensée.

 

Ce parcours méthodologique s’illustrera d’exemples prélevés dans le dernier ouvrage de Charles Rosen : La génération romantique ;

 

On achèvera ce parcours par l’examen des interdépendances entre les quatre dimensions précédemment distinguées, ce qui engagera la question plus ardue des différents « modes de présent » — ou articulation d’un présent projetant un futur et déterminant rétroactivement son passé — susceptibles d’investir les conjonctures musicales. Pour en clarifier les enjeux, on confrontera cette notion de « mode du présent » à celle d’épistémè (M. Foucault) comme à celle de « régime d’historicité » (F. Hartog).

 


I.      Précisions

I.1.     Exposé de méthode

Exposé de méthode plutôt que de conjoncture (voir autre séminaire) ou de résultats (voir le travail de cette année). En particulier, je terminerai sur une hypothèse de travail concernant la caractérisation possible de « modes de présent » : ce sera une piste plutôt qu’un point abouti.

I.2.     Exposé aventureux

Exposé un peu provocateur, car hérétique sur les rapports de la musique à l’histoire. L’enjeu de mon travail est le contemporain, pas seulement ce qu’on appelle « la musique contemporaine » mais le principe même d’un contemporain possible, c’est-à-dire d’un temps présent pour la pensée musicale et pour les autres pensées. Un contemporain, un présent de la pensée n’est nullement garanti. C’est toujours le résultat d’un travail. Or ce travail ne fait pas bon ménage avec le travail de l’historien.

Exposé aventureux, imprudent : ne se limite pas au pré carré musicien et s’aventure sur les terrains de l’histoire, d’une autre discipline… J’aurais pu partir de l’analyse d’un cas — cf. travail, je crois de Gilles — ; j’ai voulu, plus ambitieusement, traiter généralement du problème. À mes risques et périls…

I.3.     Rapport contradictoire à l’histoire

Cf. Kierkegaard : « Il faut écarter l’histoire. Il faut établir la situation de la contemporanéité. » [1] Soit ; pour établir une contemporanéité, il faut écarter l’histoire.

Cette directive me semble juste. Je la reprends à mon compte.

Que veut dire alors écarter l’histoire si ce n’est pas plonger dans l’ignorance, ou dans l’indifférence absolue au passé, à ce qui a déjà été fait, à ce qui nous précède ou du moins à ce qui est susceptible d’être traité par nous comme nous ayant précédé ?

On découvre en ce point cette sorte de tenaille que le propos introductif à ce séminaire a voulu thématiser :

• d’un côté l’historicisme, qui nous dicterait la maxime formulée par Paul Veyne « Tout est historique et tout dépend de tout. » [2] ;

• de l’autre le post-modernisme qui prescrirait la dissolution de toute figure contraignante de l’histoire au profit d’une actualité constamment mobile.

Comment ne pas récuser l’importance des déterminations historiales (comme un certain post-modernisme voudrait nous le faire croire) tout en concevant un monde de la musique qui affirme une autonomie d’existence par rapport à de supposés impératifs historiques (les non moins supposées « lois de l’Histoire », celles qui sont censées « trancher », on ne sait trop comment) ?

I.4.     Soin terminologique

Circuler entre ces deux écueils impliquera un soin terminologique. D’où ce qui prendra peut-être la forme de contorsions lexicales : historial, historique, historiciste, historien, et les substantifs qui vont de pair : histoire, historicité, historialité, historicisme, etc. Il me faut jouer de cette palette de nominations pour tenter d’ajuster au plus près mon propos : donner droit en musique aux dimensions historiales sans pour autant s’aligner sur un dictat historicisant.

II.   Introduction

II.1.  Un étau

Nous sommes aujourd’hui pris dans un étau.

II.1.a.   La branche « histoire » de l’étau

D’un côté l’histoire nous livre une situation musicale saturée : nous venons après des chefs-d’œuvre, après surtout une entreprise amitieuse qui a contribué à une forte contemporanéité de pensée (le sérialisme) et qui a épuisé son dynamisme propre.

Cet avant à proprement parler ne nous prescrit pas de tâches. En ce sens, nous ne sommes pas dans un post-sérialisme. Mais cet « avant » nous surplombe, non comme une menace mais comme une exigence d’être à sa hauteur en termes d’ambition musicale. D’où une conscience historique forte du moment présent, et surtout de ce que cette séquence actuelle n’est précisément pas « un moment présent ». « Un présent fait défaut », en musique aussi. Et déclarer un présent ne conduira certainement pas à refaire un x-isme quelconque prenant la relève du sérialisme.

Il y a donc à la fois le poids d’une détermination historique et la conviction que la détermination historique qui s’exerce sur notre état actuel ne saurait être de même nature que celle qui a prévalu dans la séquence antérieure, celle du sérialisme, celle dont parle Deliège dans son dernier livre.

Il y a donc à la fois

autorité de l’histoire qui nous lègue un état donné des questions musicales (questions harmoniques, nouvelles synthèses, transformation de l’écriture musicale, nouvelles frontières du monde de la musique, nouvelle articulation pensée/calcul musicaux, écoute/perception, Forme, contemporanéité de la pensée musicale et des autres pensées, pensivité musicienne et intellectualité musicale, etc.), état dont on ne saurait ignorer le conditionnement historique, ce qu’on fait nos prédécesseurs, ce sur quoi ils ont buté.,

       et en même temps déqualification de l’histoire à nous fixer nos tâches car il ne s’agit pas à proprement parler de continuer mais d’inventer un nouveau pas. Et ce nouveau pas ne procédera pas d’une recomposition-récollection de l’existant : il impose un nouveau geste de pensée.

L’histoire nous livre à une condition dont nous ne saurons sortir grâce à elle. L’histoire nous lègue des questions mais nous savons qu’il va nous falloir avancer en répondant plutôt à d’autres questions qui ne nous sont pas encore posées, en particulier par l’histoire, questions qu’on ne comprendra sans doute que rétroactivement, une fois des réponses trouvées, posées, affirmées, une fois un nouveau présent ainsi « déclaré ».

Nous devons donc tenir compte de l’histoire en même temps que nous savons ne pas pouvoir, ne pas devoir faire fond sur elle pour déclarer le nouveau pas.

Cette ambivalence de l’histoire — il nous faut une conscience historique pour considérer notre situation actuelle en même temps que cette conscience historique est impuissante à nous guider dans le nouveau pas à inventer — se retrouve dans le rapport de la musique à son extérieur, c’est-à-dire aux autres pensées que musicales, au « chaosmos ». À la fois nous savons ce dont la musique est redevable aux autres univers de pensée que le sien, et nous savons donc que la musique doit pour exister entretenir des alliances avec d’autres domaines, et en même temps nous savons que le pas à franchir ne saurait venir que de l’intérieur du monde de la musique. Là aussi, les autres disciplines de pensée — philosophie, mathématiques, physique, autres arts, etc. — surplombent la musique sans pouvoir (devoir) prétendre l’orienter, la guider, laissant donc la musique seule face à son destin, en toute autonomie.

Comment entretenir des rapports avec d’autres disciplines sans considérer que ces disciplines sauront nous guider mais plutôt en visant à ce que ces rapports renforcent la conscience de l’autonomie musicale et consolident notre détermination à créer, de l’intérieur même du monde de la musique, les nouveaux gestes de pensée ?

De même qu’il nous faut travailler avec d’autres disciplines, confronter nos orientations à celles d’autres pensées tout en sachant qu’il s’agit là d’adjuvants, de stimulants, non de solutions puisqu’il s’agit de consolider l’autonomie musicale et non pas s’en sortir en mixant musique et mathématiques, en hybridant musique et vidéo, en métissant musique et philosophie, de même il nous faut travailler dans la conscience historique de notre « entre-temps » sans pour autant considérer que l’histoire peut, à quelque titre que ce soit, nous orienter, sans qu’un « sens de l’histoire » puisse nous dicter quelque irréversibilité.

En un certain sens, cette conscience historique qu’il nous faut avoir ne nous délivre nulle puissance de pensée. Ce n’est pas pour autant que cette conscience historique constituerait pour nous une impuissance mais seulement qu’elle ne saurait constituer le chiffre de la nouvelle puissance qu’il s’agit pour nous d’inventer.

Cela constitue le premier élément de l’étau, celui que j’appellerai « le surplomb historique sans puissance ».

II.1.b.   Seconde branche

D’un autre côté, l’époque nous chante les sirènes du pur et simple actuel, de la fleur quotidiennement renouvelée. Elle nous dit : « ne prends pas ce temps pour un entre-temps car il est bien plutôt la fin de l’histoire, la fin de l’idée même de prescription historique possible, il est la délivrance de tout surplomb ». Ce temps serait la fin de l’histoire non pas tant comme son terme mais plutôt comme la mort de sa puissance propre. Il y aurait une mort de l’histoire comme il y eut pour Hegel une mort de l’art et pour Nietzsche une mort de Dieu : non pas que le temps s’arrête, ou que les pratiques musicales n’existent plus, ou que plus aucun être religieux n’invoque une transcendance mais seulement que ces pratiques puissent désormais se poursuivre en toute innocence à l’écart de toute pensée. De même que l’art serait devenu, après Hegel, réductible aux pratiques culturelles, de même que la foi serait, après Nietzsche, réductible aux pratiques religieuses, de même la fin de l’histoire disposerait qu’il n’y a plus que des chronologies sur lesquelles marquer le renouvellement quotidien des éphémères.

S’il est vrai que le nouveau pas qu’il nous faut, à nous musiciens, inventer ne saurait venir que de nous, et s’il est vrai que ce nouveau pas ne saurait être produit par récollection de ce qu’il y a aujourd’hui, autant dire de ce que l’histoire nous a légué, alors il est également vrai qu’il nous faut examiner cette actualité à la loupe pour y discerner les germes possibles d’un nouveau geste.

Mais on retrouve ici le même type d’ambivalence que celui précédemment relevé à propos de l’histoire. Certes il nous faut une attention vierge au nouveau, il nous faut scruter ce qui arrive et qui n’est pas sous la forme d’une prolongation, d’une continuation mais précisément on ne saurait le faire sans rester armé d’une solide conscience critique, faute de quoi on se retrouverait purement et simplement ballotté par les modes successives, lesquelles ne sont nullement ces nouveaux pas attendus mais plutôt le piétinement sur place de qui a récusé toute ambition.

Ainsi cette attention au neuf possible — qui n’est pas le nouveau éphémère de chaque nouvelle journée — ne saurait procéder de l’intérieur même de cette situation et doit donc se présenter comme un résultat historiquement acquis par la séquence antérieure, résultat à soigneusement protéger car il constitue l’outil déterminant pour discerner le vraiment neuf du simple nouveau dans sa répétition indéfinie.

Appelons ce second élément de l’étau « le renouvellement incessant sans véritable neuf ».

 

Notre entre-temps actuel serait donc pris dans l’étau d’un surplomb historique sans puissance et d’un renouvellement incessant sans véritable neuf en sorte qu’il nous faudrait tenir compte de l’histoire sans miser sur elle en même temps qu’être sur la brèche du jour neuf sans s’appuyer sur lui.

II.2.  L’étau de l’historicisme et du post-modernisme

Dans le texte introductif à ce séminaire, écrit le printemps dernier, cet étau prenait la forme un peu différente de l’historicisme et du post-modernisme.

Historicisme désignait cette logique selon quoi l’histoire dicterait ses tâches au présent et y ferait le tri implacable entre ce qui du présent est digne de constituer un passé pour le futur et ce qui doit partir à la poubelle, aux célèbres « poubelles de l’histoire »…

Doter l’histoire d’une telle capacité suppose bien sûr une conception singulière de l’histoire : il lui faut des lois, et une logique, et des acteurs, et des opérations propres, etc.

Face à cela, post-modernisme désignait l’effervescence de l’actualité, ce régime de bulles constamment renouvelé en toute insouciance et du passé et du futur, un hédonisme de l’instant qui ne s’encombre d’aucune autre loi que celle de ce plaisir puis de cet autre puis de cet autre encore, ad libitum… Et il est vrai qu’il nous faut aussi savoir avancer ainsi : un pied aveugle après l’autre, jour après jour, car une œuvre musicale s’édifie aussi — à certaines périodes du moins — à ce rythme opaque et sans autre horizon que le geste qui va immédiatement suivre.

 

Vous reconnaissez je pense ainsi les termes même du titre donné à notre séminaire : « penser la musique contemporaine avec/sans/contre l’histoire » : comment penser notre entre-temps contre une histoire envisagée comme puissance déterminante, sans une histoire conçue comme chronologie et annales des actualités mais cependant avec cette histoire qui surplombe notre moment c’est-à-dire conditionne son champ des possibles.

II.2.a.   Pas de « pour »

Vous remarquez qu’il n’y a pas place dans ce schéma pour une position se déclarant cette fois « pour » l’histoire : si « sans » l’histoire s’oppose bien au « avec » l’histoire, par contre le « contre » l’histoire ne trouve pas son vis-à-vis dans un « pour ». Disons, en première approximation du moins, qu’un « pour » l’histoire ne saurait se distinguer d’un historicisme — mais peut-être que de futurs exposés me détromperont sur ce point — si bien qu’autant il semble possible pour un musicien de penser à la fois avec un certain type d’histoire contre un autre type et sans un troisième type, autant il semblerait inconsistant — pour un musicien du moins — d’y ajouter la quatrième détermination de penser pour un nouveau type d’histoire…

 

Je voudrais maintenant tenter de répondre, pour mon propre compte, à cette question intitulant notre séminaire et donc expliciter en quel sens il me semble possible et nécessaire de penser aujourd’hui la musique contemporaine avec, contre, et sans l’histoire.

Pourquoi sans l’histoire ? Car il y a des questions d’ordre historial auquel l’histoire ne répond pas, ne saurait répondre. Par « histoire », j’entends ici la discipline « Histoire », l’histoire des historiens comme écrivait Marc Bloch. Je vais y revenir.

Pourquoi contre l’histoire ? Car pour penser musicalement certaines questions d’ordre historial, il nous faut récuser certaines prétentions historicistes à y répondre. Je vais également y revenir.

J’ai déjà dit pourquoi un musicien ne saurait penser la musique en intériorité en se déclarant pour l’histoire. Par contre il lui revient aussi de le faire avec l’histoire, s’entend avec une certaine conception de l’histoire que je voudrais expliciter.

II.3.  Quelques précisions préliminaires

II.3.a.   « Histoire » se dit en deux sens

« Histoire » se dit en deux sens :

       — en un sens temporel, logico-ontologique : il y a du passé c’est-à-dire de l’existant qui s’est évanoui mais qui laisse des traces. Le présent porte apparence d’existences disparues — mettons les fossiles qu’on exhume de la terre — ;

       en un sens discursif, qui peut être thématisé comme mise en récit du temps.

Il y a donc l’histoire effective, l’histoire comme matière temporelle, et l’Histoire comme effet de discours. L’histoire effective, c’est la dimension temporelle des phénomènes, relativement indépendante de la conscience qu’on peut ou non en avoir. L’Histoire comme discours, c’est celle qu’on raconte, c’est la mise en ordre et en causalité de successions au moyen de discours spécifiques : « Nos ancêtres… »

S’il y a une dimension temporelle et une dimension discursive, il n’y a pas de transitivité entre ces deux dimensions, entre ces deux sens du mot « histoire », entre les choses et les mots, entre le temps logico-ontologique et le récit d’ordre historique, mais articulation possible.

II.3.b.   L’histoire des historiens…

Le principe même des questions posées à ce séminaire est alors : sachant que le monde de la musique, comme tout monde, charrie son propre passé — il y a des parchemins qui moisissent, des instruments qui pourrissent, des musiciens qui ne sont plus là mais laissent des sédiments, etc. —, penser au présent ce monde de la musique implique-t-il un examen de ce passé, et dans ce cas un examen de quel type, et en vue de quoi ?

Le rapport à la discipline « histoire » se corse en ce point de ceci que rappelle avec vigueur Marc Bloch dans son beau témoignage sur le métier d’historien : le récit d’une évolution temporelle, chronologique, son histoire donc (au sens usuel du terme) ne fait pas ipso facto partie de l’histoire comme discipline. Marc Bloch donne ainsi pour exemple l’histoire du système solaire ou celle des éruptions volcaniques comme n’appartenant pas à l’histoire des historiens [3].

On voit la ligne de partage qui s’esquisse ici : c’est bien sûr celle entre nature et cultures : l’histoire de la nature n’appartient pas à l’histoire des historiens. L’histoire des historiens sera « la science des hommes dans le temps » (Bloch [4]), ou celle « de l’homme social » : « L’étude de l’homme social, c’est l’histoire. » (Michelet), « L’histoire est la science des sociétés humaines. » Fustel de Coulanges [5]

M. Bloch : « Nos grands aînés, un Michelet, un Fustel de Coulanges, nous avaient appris à le reconnaître : l’objet de l’histoire est, par nature, l’homme. Disons mieux : les hommes. […] Ce sont les hommes que l’histoire veut saisir. » (51)

 

 

Bref, l’histoire des historiens s’intéresse aux collectifs humains, aux sociétés.

Le monde de la musique produit bien sûr son propre cortège de collectifs humains, de sociétés : les orchestres, les publics, les conservatoires, les sociétés savantes… et ces collectifs sont prélevés en même temps qu’immergés dans de plus vastes collectifs non musiciens : le public d’un concert est prélevé dans la population de la ville où se tient le concert…

Ces évidences fournissent naturellement matière à travailler pour l’historien. Rien là qui puisse surprendre qui que ce soit, rien là non plus qui mériterait de se déclarer contre : ces études historiennes constituent des savoirs qu’il n’y a nulle raison a priori d’ignorer ou dédaigner.

Où se situe alors le problème que j’essaye aujourd’hui d’examiner avec vous ?

Il vient lorsque le savoir d’ordre historique prend la figure d’une subjectivité historienne singulière, subjectivité qui va entrer en rivalité avec les subjectivités plus proprement musiciennes.

Il me faut pour cela préciser deux points :

1. Les rapports entre histoire et historien, entre discipline histoire et figure subjective de l’historien ;

2. Les rapports entre deux figures subjectives : celle de l’historien et celle du musicien que j’appelle pensif (j’aime à prélever ce mot chez les écrivains, singulièrement chez Victor Hugo et chez Natacha Michel [6]).

II.3.c.   Histoire et historien

Michelet écrit en 1869 [7] : « L’histoire […] fait l’historien bien plus qu’elle n’est faite par lui. Mon livre m’a créé. C’est moi qui fus son œuvre. Ce fils a fait son père. »

On a ici deux énoncés, et non un seul :

1. « L’histoire fait l’historien ».

2. « Mon livre m’a créé ».

Je m’accorde au second : « les œuvres nous créent créateurs » dira plus tard Barraqué [8], en écho à Nietzsche : « c’est l’œuvre de l’artiste […] [9] qui invente celui qui l’a créée, qui est censé l’avoir créée » [10] ;

Je porterai par contre quelques réserves sur le premier énoncé : autant je tiens que c’est la musique qui fait le musicien, et non l’inverse, autant l’énoncé de Michelet me semble plus discutable ; il m’apparaît comme un énoncé d’historien quand celui que j’avance — la musique fait le musicien — n’est pas à proprement parler un énoncé de musicien (c’est d’ailleurs pour cela qu’on peut le trouver sous la plume d’un Karl Marx : « c’est d’abord la musique qui éveille le sens musical de l’homme » [11])

Pourquoi mettre ainsi en doute le premier énoncé de Michelet tout en lui accordant volontiers le second ? Parce que je ne pense pas que l’histoire comme discipline soit dotée d’une consistance autonome comme peut l’être la musique. Cette incertitude, je la lis d’ailleurs dans le mouvement de balancier qui a affecté le titre que Marc Bloch voulait donner à son dernier livre, qui n’est paru que de manière posthume : le premier titre envisagé fut « métier d’historien » ou « Comment et pourquoi travaille un historien » puis il est devenu « Apologie pour l’histoire ». Entre le titre définitif donné par Lucien Febvre en 1949 (« Apologie pour l’histoire ») et son sous-titre (« Ou métier d’historien ») se lit me semble-t-il la dynamique réelle de la pensée de Marc Bloch : un historien explique pourquoi et comment il travaille cette discipline singulière qu’il appelle « histoire » et qu’il va tenter, tout au long du livre, de constituer, délimiter (plutôt que définir), valoriser, etc.

Ce livre est admirable en ce qu’il transmet, avive, ranime la passion que nous pouvons tous avoir pour cette discipline, pour les « plaisirs » et « distractions » qu’elle procure [12], et surtout pour ce « comprendre » qui constitue, selon Marc Bloch, le maître-mot de la subjectivité historienne [13].

Mais ce qui est ici frappant, c’est que ce qu’il s’agit pour l’historien de comprendre ne saurait être dit à proprement parler l’histoire car il s’agit toujours bien sûr de comprendre l’histoire de ceci ou de cela, de telle séquence de telle situation, de tel moment de telle autre, etc.

L’historien vise à comprendre non pas l’histoire en général, laquelle n’existe pas, mais l’histoire de France (pour Michelet), ou l’histoire des guerres médiques (pour Hérodote), etc. C’est en ce sens que j’objecte à la thèse de Michelet (l’histoire ferait l’historien), à tout le moins en relevant qu’on ne saurait entendre cette maxime au même sens qu’on peut entendre la maxime de Marx : c’est la musique qui fait le musicien.

Comme dit Henri Marrou : « L’histoire est inséparable de l’historien. » (et non l’inverse…)

Cf. aussi François Hartog : « Si les Grecs ont inventé quelque chose, c’est moins l’histoire que l’historien comme sujet écrivant. » (L’histoire d’Homère à Augustin : Préfaces des historiens — p. 17)

 

Cette hétérogénéité Musique/histoire peut se déclarer très simplement ainsi : il y a un monde de la musique mais il n’y a pas un monde de l’histoire. Il y a une autonomie du monde de la musique, fondée sur une logique singulière ; il n’y pas d’autonomie de la pensée historienne. Et s’il n’y a pas de monde de l’histoire, il n’y a d’ailleurs pas non plus à proprement parler d’histoire du monde — voir le vieux débat historien sur la possibilité d’une histoire universelle —, faute de monde faisant tout…

II.3.d.   Musicien/historien

Lorsqu’on se propose d’articuler musique et histoire — c’est notre propos —, on se retrouve donc embarrassé de ces deux types différents de détermination subjective, embarras qui va immédiatement se projeter dans l’alternative suivante : le projet d’une histoire de la musique (ou de toute contribution locale ou régionale à une telle problématique) relève-t-il du musicien ou de l’historien ?

Ma réponse sera ici péremptoire : il faut nécessairement choisir, car les deux voies sont possibles mais incompatibles entre elles : non seulement il n’y a pas de moyen terme (qui permettrait de faire l’économie d’un choix, d’une décision) mais il n’y a pas à proprement parler complémentarité des deux voies. Il y a plutôt rivalité, une rivalité qui peut rester amicale, respectueuse de l’autre cohérence (car chacune des deux voies possibles dispose d’une consistance logique qui lui est propre) mais cependant rivalité.

Cf. entre traitement musicien ou traitement historien d’une question participant de quelque chose comme une histoire de la musique (ou histoire musicale), il y a le même rapport qu’entre deux décisions axiomatiques au même point indécidable.

Ainsi l’axiome de choix ou l’hypothèse du continu ouvre à trois grandes orientations ontologiques de pensée [14] : constructiviste, transcendante ou générique. Chacune est consistante. Chacune est sans fondement et repose sur le vide d’une décision. On ne peut à la fois soutenir l’une et l’autre.

 

Comment se donne cette nécessité de choisir entre subjectivité musicienne et subjectivité historienne au point où se profile une question relevant de l’histoire musicale, disons une question imposant d’articuler en pensée un rapport entre présent et passé pour le monde de la musique ?

Encore une fois, la simple existence d’une dimension historiale ne suffit pas : « la géologie est, à sa façon, une discipline historique » écrit Marc Bloch [15]. Que par exemple l’étude de l’harmonie tonale soit à sa façon une discipline historique en soi n’induit rien quant à l’appartenance de ce discours à la discipline « histoire » des historiens.

Mon hypothèse de travail va être ici que le musicien subjective les dimensions historiales du monde de la musique tout autrement que ne le subjective un historien et que c’est à ce titre que se pose, pour le musicien, la question qui intitule notre séminaire : s’il s’agit de penser en musicien les dimensions historiales des situations musicales, comment se rapporter aux discours proprement historiens ?

II.3.e.   Homme ou œuvre ?

L’écart entre subjectivités historienne et musicienne peut je crois se discerner au point très précis où Marc Bloch [16] parle de l’historien comme d’un ogre :

« Nos grands aînés, un Michelet, un Fustel de Coulanges, nous avaient appris à le reconnaître : l’objet de l’histoire est, par nature, l’homme. Disons mieux : les hommes. […] Ce sont les hommes que l’histoire veut saisir. […] Le bon historien ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier. » (51)

Ainsi vous posez une question musicale d’ordre historique à un historien : celui-ci va flairer la chair humaine, et prioritairement ce type de chair qui est collective et sociale.

Vous posez la même question à un musicien ? Il va se tourner vers les œuvres, et leurs partitions, et leurs interprétations.

II.3.f.    Contextualiser ou isoler

Pour l’historien, il s’agit ensuite de replonger chaque lambeau de chair dans son contexte social, de restaurer les continuités dans lequel ce lambeau est prélevé, de rattacher ce morceau à des plus vastes corps, les corps sociétaux.

Paul Veyne (Comment on écrit l’histoire. Points/Seuil 1978 - 1971, p. 48) écrit : « Les vies de tous les tailleurs sous Frédéric-Guillaume se ressemblant beaucoup, elle [l’histoire] les racontera en bloc parce qu’elle n’a aucune raison de se passionner pour l’un d’eux en particulier ; elle ne s’occupe pas des individus, mais de ce qu’ils offrent de spécifique, pour la bonne raison que, comme on le verra il n’y a rien à dire de la singularité individuelle, qui peut seulement servir de support ineffable à la valorisation (« parce que c’était lui, parce que c’était moi »). »

Pour le musicien, il s’agit par contre de relever en matière musicale le geste singulier, unique, l’hapax, d’exhausser l’œuvre qu’il a entre les mains et qu’il va jouer en ce qu’elle comporte d’original, de non canonique, de différent de sa voisine immédiate.

L’un flaire la chair humaine pour identifier des filons, des « troupeaux » (cf. Nietzsche…) de chair fraîche. L’autre exhibe la singularité découpée pour faire scintiller ses feux propres.

II.4.  Intellectualité musicale

Il me faut, en ce point de mon exposé, préciser un peu ce qu’il peut en être de ce souci d’histoire pour le musicien, s’entend pour le musicien que j’appelle pensif, celui qui, en sus de faire (de) la musique, s’attache à déployer une intellectualité musicale.

II.4.a.   Penser la musique ?

Cette formule est de commodité. Elle porte une ambiguïté, qui est au cœur de nos difficultés, et qu’on peut formuler ainsi : qui est censé penser ainsi la musique ?

Il faut ici impérativement distinguer deux « penseurs » et clairement discerner le niveau de l’œuvre musicale de celui du musicien.

Pensée musicale

Je soutiens que le plus essentiel du « penser la musique » est le fait des œuvres musicales : les œuvres pensent — c’est ce qui les distingue de simples pièces ou morceaux de musique, c’est ce qui constitue la spécificité de l’art musical par différence avec les simples cultures musicales —, et non seulement les œuvres musicales pensent, mais de plus elles pensent la pensée qu’elles sont : elles sont une pensée de cette pensée. Pour donner une indication de ce que ceci postule, je me contenterai de relever qu’une œuvre musicale non seulement est un projet musical en acte, un désir et une volonté, une enquête en cours, une proposition et sa mise à l’œuvre, mais qu’elle est aussi mesure de sa singularité et de son écart par rapport aux autres œuvres musicales, qu’elle est pensée de l’inflexion qu’elle réalise à l’égard des autres œuvres qui constituent pour elle son référent, etc. Une œuvre musicale, si elle est réellement œuvre et non pas simple morceau de musique, pense la musique en acte non seulement en ajoutant de nouvelles propositions mais en ajustant ces nouvelles propositions à l’angle qu’elles forment avec la trajectoire prolongée par l’œuvre. C’est dire bien sûr qu’une œuvre ne va jamais seule et qu’elle le sait bien : elle ajoute quelque chose (c’est en cela qu’elle est pensée) et elle ajuste cet ajout à l’inflexion qu’il dessine (c’est en cela qu’elle est pensée de cette pensée).

Vous percevez peut-être ici le jeu d’une métaphore mathématique qui m’est chère : celui du calcul différentiel et intégral puisque je compare la pensée musicale d’une œuvre à la prolongation d’une courbe (dessinée par les œuvres qui l’ont précédée) et la pensée de cette pensée ajoutée à la prise en charge par l’œuvre elle-même de sa dérivée…

Pensée musicienne

Le musicien, lui, n’est pas l’acteur proprement dit de ce « penser la musique » : il n’en est que le support, plus ou moins conscient de ce qu’il fait et de ce à quoi il sert. Cette conscience du musicien ne nous intéresse guère ici. Elle relève de sa psychologie, et également de sa sociologie : ce point n’a ici guère d’importance, s’entend : la manière dont le musicien réfléchit la pensée musicale à l’œuvre ici ne discrimine rien.

Il y a cependant une pensée spécifiquement musicienne qui a ici toute son importance et qui touche cette fois non pas à la compréhension musicienne de la pensée musicale mais à la pensée de ce que j’appelle le monde de la musique. Le musicien, acteur de ce monde, est à cheval entre ce monde et les autres mondes, plus généralement entre ce monde et ce qu’on peut appeler le « chaosmos ». L’individu musicien, qui passe son temps à entrer et sortir de ce monde, est confronté à l’existence et à la consistance de ce monde d’une tout autre manière que peut l’être l’œuvre musicale, laquelle est entièrement interne à ce monde si bien que ce monde n’apparaît pas à l’œuvre musicale comme la figure d’un monde mais comme la simple dispersion de tout ce qu’il y a. Dit plus précisément : pour l’œuvre, la musique n’a pas figure de monde mais de simple « il y a ». Pour le musicien, la musique forme un monde. La pensée proprement musicienne — celle qui n’est pas simplement reprise, dans les mots et le langage du musicien, de ce qui est musicalement à l’œuvre sans mots et sans langage — est donc pensée du monde de la musique, ou de la musique comme monde autonome dans le chaosmos.

On distingue donc deux « penser la musique » :

— une pensée musicale, qui est pensée de la musique à l’œuvre : on peut dire que c’est là une pensée de l’œuvre, en entendant alors bien le génitif en son sens subjectif (c’est l’œuvre qui pense et non qui est pensée… par le musicien…) ;

— une pensée musicienne, qui est pensée de la musique comme monde, pensée du monde de la musique : on peut dire ici une pensée du musicien au même sens subjectif que précédemment (c’est le musicien ici qui pense).

Pensitivité musicienne

Mais le musicien tente également, pour son propre compte de musicien, de penser l’œuvre, de ressaisir dans sa langue naturelle la pensée musicale en acte dans les œuvres. C’est bien sûr ce à quoi je me livre moi-même ici, comme musicien pensif. Il faut donc distinguer encore dans la pensée musicienne deux dimensions : ce que j’appellerai

— la part de la pensée musicienne qui se situe en intériorité au monde de la musique, qui de l’intérieur de ce monde et des actes qu’il suscite tente de les réfléchir dans le médium singulier de la langue naturelle — appelons cela pensée musicienne réflexive ;

— la part de la pensée musicienne qui se situe en extériorité, c’est-à-dire examinant ce monde de l’extérieur, comme un objet livré à son regard et qu’il tente de comprendre — appelons cela pensée musicienne examinatrice.

Le musicien pensif est celui qui fait effort de ressaisir dans sa langue cette pensée musicienne, là où le musicien artisan en fait l’économie.

La pensitivité musicienne, je l’appellerai intellectualité musicale : elle désigne cette pensée musicienne qui se déploie à la fois en intériorité et en extériorité au monde de la musique — le musicien n’a pas le choix : il lui faut constamment procéder à ces entrées-sorties — en tant qu’elle ordonne stratégiquement sa pensée propre aux tâches intérieures qui spécifient le musicien par rapport au musicologue, lequel a un discours qui est structurellement en extériorité à ce monde de la musique.

L’intellectualité musicale est musicale et non pas musicienne car sa cible est la musique, non le musicien : le musicien réfléchit la musique et non pas se réfléchit lui-même. La matière de l’intellectualité musicale est la musique, non le musicien. C’est pour cela que cette intellectualité est musicale, et non pas musicienne.

Intellectualité musicale

Cette intellectualité musicale n’est pas forcément théorique. Elle n’est pas philosophique, ou sociologique, ou psychologique. Elle n’est pas non plus à proprement parler musicologique ; la musicologie est savante : elle a la musique pour objet ; l’intellectualité musicale n’a pas à proprement parler d’objet : elle est pensée du musicien qui ne prend ni la musique ni lui-même pour objet. L’intellectualité musicale a la musique pour sujet, non pour objet.

II.5.  Histoire musicale pour les musiciens

Œuvre et histoire

L’œuvre ne connaît pas l’Histoire comme discours.

Elle a rapport à la généalogie (rapport entre œuvres), à l’archéologie (rapport au matériau musical). Elle n’a pas à proprement parler rapport à l’historicité (rapport au matériau non musical) et elle ne saurait connaître l’historialité.

II.5.a.   Premières questions

Ce n’est pas parce que le monde de la musique a une logique autonome qu’il doit pour autant avoir une histoire autonome.

La question d’une histoire de la musique est une question musicienne et non pas musicale. Il n’existe pas d’histoire musicale de la musique et seulement des histoires musiciennes.

II.6.  Sur l’histoire

II.6.a.   Vertus de l’Histoire

·          « Ce qui est composé ici, c’est un acquis pour toujours, plutôt qu’un morceau à écouter sur le moment dans un concours. » Thucydide (83). « Un acquis pour toujours » : cf. penser à hauteur de cet impératif, que nous lègue un historien, le second d’entre les historiens, le « fils » d’Hérodote.

·          Cela nous enseigne qu’il n’y a pas d’absolu au sens étymologique de délié, séparé (Michel de Certeau [17])

·          Généalogie : n’est pas soumise à la loi de « la file indienne » (Bloch [18])

II.6.b.   Impuissance de l’Histoire

·          Une œuvre n’est pas un fait : l’œuvre échappe à l’histoire. L’histoire méconnaît l’œuvre comme l’œuvre méconnaît l’histoire car l’œuvre méconnaît le passé.

·          L’histoire bouche les trous pour créer des continuités. Cf. de Certeau [19] : « l’histoire met des faits là où il y a des lacunes », « le tissage historien avance par le seul geste de boucher des trous ».

·          L’histoire produit du sens en recouvrant la singularité des vérités.

·          « Dans une société, tout se lie et se commande mutuellement. » Marc Bloch (153)

Des dangers de l’Histoire…

·          Cf. Nietzsche et la seconde Considération intempestive.

·          Surtout l’Histoire comme dissolvant les singularités : singularités événementielles (le « ce qui s’est passé » est rattaché aux situations comme à ses conditions d’existence), mais surtout singularités des champs, ou des mondes (toute situation n’étant que relative est en droit rattachable à l’ensemble des autres situations qui l’ont précédée ou suivie, qui l’ont côtoyée…).

Cf. Histoire et social. En musique, ceci donne que « histoire de la musique », pour un historien, devient avant tout histoire des musiciens, des sociétés musiciennes, des genèses et réceptions musiciennes des œuvres, jamais cheminement musical des idées à l’œuvre…

L’Histoire ne voit — ne saurait voir — une œuvre musicale que comme un objet : objet humain, objet social…

Cf. théorie de l’information : le message n’existe pas en soi, hors de son émetteur et de son récepteur.

Pour l’Histoire, la musique est une activité humaine et sociale parmi bien d’autres, une région des activités humaines et sociales…

L’Histoire est sourde au véritable travail musical, l’Histoire ne saurait se mettre musicalement à l’œuvre.

III.          Tableau

III.1.         Quatre aspects

4 dimensions du fait (de la pratique, de la réalité) musical concernent l’histoire : œuvres, intensions, styles, situations.

III.1.a.           Œuvres

L’œuvre est ici prise comme la pointe de la pyramide, non sa base, ce qui aimante l’ensemble du monde de la musique.

« L’histoire musicale d’une œuvre » sera sa généalogie et son archéologie.

III.1.b.          Intensions

L’intension d’une œuvre n’est pas l’intension de l’œuvre mais l’intension à l’œuvre.

Il n’y a pas d’explication de l’intension à l’œuvre par l’intention de l’auteur.

III.1.c.           Styles

Attention : « style » en un sens très particulier et restrictif. Cf. « configuration »

III.1.d.           Situations

Cf. le contexte musical de l’œuvre mais surtout ce qu’elle traite, ce qu’elle traverse, aimante…

III.2.         Quatre dimensions

Quatre projections possibles

III.2.a.           Généalogie

« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » René Char. Une généalogie n’est pas une génération, un engendrement.

Cf. une œuvre n’existe que dans des rapports à d’autres œuvres. Cf. des intensions circulent.

La généalogie d’une œuvre, ce sont d’autres œuvres, et non pas le compositeur qui l’a engendrée. Ce n’est pas sa genèse, sa poïétique.

Généalogie ascendante/descendante. Cf. intégrale et dérivées. La généalogie descendante n’est pas sa réception musicienne, son esthésique.

La généalogie n’est pas calée sur la chronologie. Cf. torsions chronologiques dans les généalogies, sauts chronologiques… Une généalogie n’a pas peur de l’anachronisme (ce qui pour Lucien Febvre constituait le danger le plus grave pour un historien).

La généalogie d’une œuvre, ce n’est nullement son passé : c’est une extension de son présent.

Généalogie : ruptures aussi

Généalogie : subjective ; cf. pour Foucault, la généalogie relève de la stratégie, de l’engagement subjectif.

III.2.b.           Archéologie

On entre ici dans les conditions de possibilité. Archéologie : conditions musicales.

Deleuze : « Les strates sont l’affaire de l’archéologie, précisément parce que l’archéologie ne renvoie pas nécessairement au passé. Il y a une archéologie du présent. » (Foucault, p. 58)

Pour Foucault, il n’y a d’archéologie que des épistémès (là où la généalogie renvoie aux stratégies — voir Il faut défendre la société) : cf. archéologie des savoirs pour une définition des épistémès. Objectivité archéologique et engagement généalogique (tactique des luttes). L’archéologie comme localisation de la généalogie.

Archéologie : objective ; cf. pour Foucault il y a une objectivité de l’archéologie des savoirs (définissant les épistémès).

III.2.c.           Historicité

« Si on appelait historicité pour un auteur l’appartenance à l’épistémè de son époque »… (Cahiers pour l’analyse, n° 9).

III.2.d.           Historialité

Le contexte historique plus général d’une situation musicale donnée.

 

D’où 4 types de discours historiaux. C’est à ce niveau du discours historial, non du fait musical, que se pose la question avec/sans/contre l’Histoire.

Il est clair que ce ne sera pas tout à fait la même « Histoire » avec laquelle on s’accordera, sans laquelle on opérera, contre laquelle on se disposera. Il n’y a pas « une » conception de l’Histoire mais plusieurs, et l’on pourra ainsi se reconnaître à la fois avec l’Histoire (au sens 1), sans l’Histoire (au sens 2) et contre l’Histoire (au sens 3).

Le tableau (voir annexe 1) précise cela.

L’annexe 2 fournit des exemples de contenus musicaux assignables à ces quatre dimensions, contenus prélevés dans le livre de Charles Rosen sur le romantisme.

IV. Différents modes de présent ?

IV.1.          Cf. dimensions interdépendantes

Liens généalogie/archéologie

Cf. liens privilégiés entre œuvres « traitant » des mêmes questions musicales

Liens archéologie/historicité

Liens historicité/historialité

IV.2.          Modes de présent ?

Cf. schème général présent — futur = > passé, mais avec

— plus ou moins d’enveloppement vers le futur : cf. différence entre œuvres de conquête (« avant-garde » : Structures) ou d’occupation (Clavier bien tempéré)

— plus ou moins de projections dans le passé : Le Sacre du printemps/Œdipus Rex

IV.2.a.           Épistémès ?

Cf. proximité/différence avec l’usage par Foucault de ces mêmes termes

Pour Foucault, il n’y a d’archéologie que des épistémès (là où la généalogie renvoie aux stratégies — voir Il faut défendre la société) : cf. archéologie des savoirs pour une définition des épistémès. Objectivité archéologique et engagement généalogique (tactique des luttes). L’archéologie comme localisation de la généalogie.

« Si on appelait historicité pour un auteur l’appartenance à l’épistémè de son époque »… (Cahiers pour l’analyse, n° 9).

IV.2.b.           Régimes d’historicité ?

Cf. François Hartog

Manières d’articuler passé, présent et futur (13)

Régime d’historicité peut s’entendre de deux façons. Dans une acception restreinte, comment une société traite son passé et en traite. Dans une acception plus large, où régime d’historicité servirait à désigner « la modalité de conscience de soi d’une communauté humaine ». (19)

Modes de rapport au temps : des formes de l’expérience du temps. Des manières d’être au temps (20)

Peut-être un régime proprement chrétien d’historicité (21, 69) Cf. une certaine plasticité de l’ordre chrétien du temps, où présent, passé, futur s’articulent sur fond d’éternité. (73)

Le staccato de l’événement (26)

D’où le présentisme (18) : un nouveau régime d’historicité centré sur le présent (22) par opposition au futurisme (209). Cf. le présent s’est étendu tant en direction du futur que du passé. (216) On part du présent et on n’en sort pas. En un sens, il n’y a que du présent : non pas infini mais indéfini. (216) Un présent monstre. Il est à la fois tout et presque rien (217)

Toute histoire présuppose une ou des expériences du temps. (27-28) Cf. rivalité entre musique et histoire concernant le temps : l’œuvre musicale compose un temps qui ne donne pas prise à l’histoire.

Je ne partage pas cette vision de la situation actuelle car je crois préférable de la penser, comme Alain Badiou le propose, comme une actualité sans présent, et donc sans futur et sans passé. Mais par-delà cela, je crois que ceci pointe bien l’incompatibilité du rapport au temps de la musique (non du musicien) et de l’histoire. D’où l’idée de modes musicaux du présent.

IV.2.c.           Modes du présent

L’idée serait la suivante, mais elle n’est pas proprement musicale, et je m’aventure donc de plus en plus loin de mes terres, dans l’espace de la philosophie plus que de l’histoire d’ailleurs :

Il faut compter d’un côté un présent-futur, de l’autre un passé. Il faut compter 2 plutôt que 3 : un présent, c’est un projet, pas un état statique. C’est donc un futur rendu présent.

Il faut tenir que c’est le présent qui déclare son passé, et non pas un passé qui accouche d’un présent.

Le présent est momentané, lacunaire, discontinu… Rien ne garantit qu’il y a tout le temps un présent. Il y a des moments sans présent : le nôtre par exemple.

L’idée de différents modes du présent est alors de différencier les articulations présent-futur/passé selon que

— la séquence du présent existe ou n’existe pas (ex. en musique : maintenant ou en 1958) ;

— la séquence du présent en cours (existante) est à son début, en son cours principal, près de sa fin (ex. pour le sérialisme : 1948, 1958, 1968) ;

— la séquence du présent est nouvelle ou est une résurrection (cf. le Stravinsky néo-classique…).

Il faudrait examiner, dans chaque cas, comment s’articulent présent, futur et passé selon des modalités différentes.

Un mode du présent caractériserait alors un type d’articulation entre généalogie, archéologie, historicité et historialité.

––––––

 


Annexe 1 : Penser la musique avec/contre/sans « L’Histoire » [20]

 

Composantes du monde de la musique

Penser avec quatre dimensions historisantes

Penser contre l’historicisme [21]

Penser sans l’historiographie [22]

Les œuvres

(« histoire » de leurs rapports réciproques)

Généalogie (subjective) des œuvres

Enjeu : les intensions (et les éventuels styles)

Contre la genèse (poïétique des intentions musiciennes) & la réception (esthésique des plaisirs musiciens) des œuvres [23]

Sans chronologie concaténant les œuvres musicales selon les vies musiciennes [24]

Les intensions

(« histoire » de leurs conditions musicales de possibilité)

Archéologie (objective) des intensions dans une situation musicale donnée

Enjeu : les « contenus de vérité »

Contre l’archivisme des conditions musiciennes (projets musiciens…)

Sans récit reliant et donnant « sens »

(« bouchant les trous » [25])

Les styles [26]

(« histoire » de leurs conditions non musicales de possibilité)

Historicité des styles dans de plus vastes styles de pensée

Enjeu : les contemporanéités momentanées de pensées

Contre l’historicisme des fonctions musicales

(cultures et pouvoirs ; sociétés et États ; rites, cultes et jeux)

Sans anamnèse restituant les contextes musiciens

Les situations

(« histoire » de leurs rapports avec le chaosmos)

Historialité des situations musicales

Enjeu : les articulations circonstancielles entre lieux de pensée

Contre l’acculturation des situations musicales dans les sociétés

(« la musique » dans les sociétés…)

Sans annales reconstituant les circonstances sociales de la vie musicienne [27]

Structure temporelle

Temps discontinu et lacunaire [28]

Temps fluide [29]

Temps strié [30]

Le musicien

Visiteur, index mobile du monde de la musique

Élément des sociétés (musiciennes et non musiciennes) prises comme les entités qui comptent

Sa « vie » est mise au cœur de l’historiographie musicale

 

Penser les quatre dimensions historiales de la musique (dimensions enchevêtrées et interdépendantes) contre l’historicisme et sans l’historiographie :

1.        La généalogie (subjective) des œuvres, dégageant les intensions à l’œuvre.

2.        L’archéologie (objective) des intensions à l’œuvre (conditions musicales de possibilité dans des situations musicales particulières), dégageant les « contenus de vérité » des intensions.

3.        L’historicité des styles musicaux (conditions non musicales de possibilité dans d’autres formes de pensée), dégageant des contemporanéités momentanées de pensée.

4.        L’historialité des situations musicales, dégageant les articulations circonstancielles entre lieux de pensée


 

Annexe 2 : « Avec » l’histoire — exemples prélevés dans le livre de Charles Rosen La génération romantique

 

 

 


Généalogie

IV.2.d.    Ruptures généalogiques

• L’idée de présenter dans l’œuvre musicale un absolument inaudible apparaît chez Schumann alors qu’elle était radicalement « banni[e] dans le classicisme viennois » [1]

• La différence entre Bach et Schumann dans le rapport entre écriture et perception [2]

• La différence entre Schumann, Chopin et Liszt d’un côté et Beethoven de l’autre dans le rôle musical de la sonorité [3]

• L’intégration des interruptions « cycliques » par les romantiques, et non plus leur logique suspensive comme chez les classiques viennois [4]

• « Les changements de tonalité radicaux » là où Beethoven « ne s’est jamais autorisé aucun flou chromatique » [5].

IV.2.e.     Généalogie ascendante :

• Le rapport entre l’usage romantique de la pédale et son usage classique [6]

• L’extension par les romantiques de ce que les classiques avaient amorcé (cf. les indications dynamiques) à d’autres aspects de la pratique musicale : résonance, pédale, couleur sonore… [7]

• La systématisation par Schumann de la mise à mal pratiquée par Schubert du rapport traditionnel entre voix et instrument [8]

• L’explicitation par Schumann d’un nouveau rapport entre musique et langage qui restait implicite chez Schubert [9]

• Les antécédents baroques de la technique schumannienne travaillant des motifs récurrents tout au long d’une œuvre [10]

• La précédence de Beethoven et Schubert sur Chopin et Schumann dans l’écriture de miniatures [11]

• Tout le jeu des « citations et souvenirs » [12], y compris les citations « clandestines » telle celle de la VII° de Beethoven à la fin de l’opus 17 de Schumann [13]

• Les contrastes de tempo et de caractère à l’intérieur d’un même mouvement qu’on trouve chez Schumann ont des antécédents dans l’opus 109 de Beethoven [14].

• La précédence de Beethoven dans les modulations en tierces à la place des dominantes [15]

• Les antécédents classiques dans le travail de déplacement rythmique à l’intérieur des modules de quatre mesures (Chopin) [16]

• Les intensions grotesques communes aux œuvres de Schumann, Chopin et Berlioz [17]

• L’inspiration que Liszt trouve pour sa sonate chez Beethoven et Schubert [18].

IV.2.f.      Généalogie descendante :

• La citation de la mélodie de Beethoven à la fin de la Fantaisie opus 17 de Schumann apparaît [19] « comme si la musique de Schumann pouvait […] engendrer une bribe de celle de Beethoven » [20] : Schumann semble ici générer Beethoven plutôt qu’il ne paraît en procéder.

 

 

Intensions

• Nouveaux rapports voix/instrument et langage/musique

• Nouvelle logique cyclique

• Nouvelle logique du souvenir

• Nouvelle logique des contrastes

• Tonalité grotesque

• Transformation de l’opposition (tonale) en glissement [21] ou simple coloration [22], une substitution du continuum chromatique à la stricte hiérarchie des relations diatoniques [23]

• « Fusion du narratif et du lyrique » dans un programme suggéré [24].

 

 

 

Archéologie

• L’examen de la transformation des pianos entre l’époque de Beethoven et la nôtre [25]

• Le retournement par Schumann de certaines fonctions tonales : la sous-dominante, de détente, devient tension ; l’apogée de la tension n’est plus à la fin de l’exposition (opus 17) mais à son début.

• Les œuvres romantiques matérialisent « un nouveau chromatisme, résultant pour l’essentiel des relations par tierces » [26].

• « Le mode mineur, étroitement lié aux troisième et sixième degrés, sera à l’origine de la plupart des transformations harmoniques du XIX° siècle. » [27]

 

Historicité

• « Les rapports entre la musique et l’art, la littérature, la politique et la sphère privée » [28]

• La problématique du fragment et des ruines comme celle du paysage [29] associée au « nouveau sentiment pour la nature » [30]

• Le nouveau rapport entre musique et langage que les lieds de Schumann mettent en œuvre s’articule à l’évolution de la linguistique de cette époque [31].

• La naissance, à la toute fin du XVIII° siècle, de l’idéologie d’avant-garde, favorise l’idéal d’une œuvre inventant son public et non pas s’y soumettant[32].

• Les influences des lettres et des arts, de la musique et de la littérature sont enchevêtrées : c’est plutôt la musique qui à la fin du XVIII° siècle inspire la littérature [33] mais ensuite le sens de l’influence s’inverse. [34]

• « Le goût de l’époque romantique pour les ruines a eu une influence évidente sur le développement du fragment. » [35]

• Le thème musical du souvenir provient de la poésie lyrique du début du XIX° siècle [36]. De même le compositeur de mélodies vient nécessairement après le poète [37].

• Les résonances littéraires du grotesque romantique [38]

• L’inspiration que Liszt trouve pour sa sonate dans le roman néogothique populaire et dans la poésie religieuse et sentimentale de Lamartine [39].

 

Historialité

• L’usage désormais continu de la pédale à partir des années 1820 s’explique par l’importance grandissante des concerts publics [40].

• Le développement du concert public, affranchissant la musique de sa dépendance envers la Cour ou l’Église, promeut le genre instrumental [41].

• La manière dont le nouveau traitement compositionnel du « sonore » prend racine dans de nouvelles possibilités signifiantes et « expressives » : signifier le vent, exprimer des affects, etc.

 

 

Interférences

• Si Schumann retravaille, à la suite de Schubert, le rapport entre voix et instrument (généalogie), c’est aussi parce que la linguistique a pensé autrement la question du langage (historicité).

• Si Schumann et Chopin développe la composition de miniatures (généalogie), c’est bien sûr parce que le romantisme philosophique et littéraire a exalté la problématique du fragment (historicité).

• Si la transformation des pianos joue un rôle dans l’interprétation souhaitable de ce répertoire (archéologie), cette transformation a été rendue possible par les modifications concomitantes du concert (historialité).


 


 



[1] Journal (tome II, p. 261)

[2] Cité par G. Bourdé et H. Martin (Les écoles historiques, p. 332)

[3] p. 50

[4] p. 52

[5] cités par Marc Bloch, p. 51

[6] Voir son livre L’écrivain pensif. Natacha Michel viendra d’ailleurs le 20 novembre prochain à l’ENS pour parler de son œuvre romanesque.

[7] Préface (1869) à L’histoire de France, p. 400

[8] Écrits, p. 252

[9] « ou du philosophe » ajoute-t-il…

[10] Œuvres complètes (volume VIII, p. 368)

En un autre endroit, Nietzsche explicite pourquoi le sens de circulation ne saurait aller de l’artiste vers son œuvre : « On fera bien assurément de séparer à tel point l’artiste de son œuvre qu’il ne sera pas possible de le prendre au sérieux autant que son œuvre. Il n’est en définitive que la condition première de son œuvre, le sein maternel, l’humus, dans certaines circonstances l’engrais, du fumier sur lequel, hors duquel elle pousse, — c’est donc, dans la plupart des cas, quelque chose qu’on doit oublier, si l’on veut prendre plaisir à l’œuvre elle-même. L’étude de l’origine d’une œuvre concerne le physiologiste et le vivisecteur de l’esprit ; jamais, au grand jamais, elle ne concerne les hommes esthétiques, les artistes ! » (Généalogie de la morale, p. 148-149)

[11] Manuscrits de 1844

[12] Voir encore Marc Bloch (p. 39) mais aussi Pline le Jeune : « L’histoire, quel qu’en soit le mode de rédaction, régale. »

[13] « Un mot, pour tout dire, domine et illumine nos études : comprendre. » (p. 64)

[14] Cf. Alain Badiou : L’être et l’événement

[15] p. 52

[16] toujours lui, moins pour son œuvre proprement historique que pour ce beau livre où il traite de la subjectivité historienne, sans recourir comme d’autres derrière une façade d’objectivité neutre et ennuyeuse

[17] p. 17

[18] p. 61

[19] p. 28

[20] À entendre comme la discipline Histoire, celle que Marc Bloch appelle « l’histoire des historiens » (Apologie pour l’histoire, p. 50)

[21] « Il faut écarter l’histoire. Il faut établir la situation de la contemporanéité. » Kierkegaard (Journal, II.261)

[22] La particule « sans » désigne une indifférence : « L’obsession de la moisson et l’indifférence à l’histoire sont les deux extrémités de mon arc. » René Char

[23] Géologie de l’œuvre en un artiste-origine/Destin de l’œuvre en un public doté de goûts

[24] Voir Marc Bloch : « Les échanges entre générations n’opèrent pas, si j’ose dire, à la file indienne. » (Apologie de l’histoire, p. 61)

[25] Cf. l’histoire comme art de « boucher les trous » du texte historique (Cf. G. Boudé & H. Martin parlant de P. Veyne dans Les écoles historiques, p. 350)

[26] Au sens restreint du « style classique »… Voir aussi le concept philosophique de « configuration artistique » (A. Badiou, Petit manuel d’inesthétique)

[27] Sans érudition (« Il n’est pas de pire gaspillage que celui de l’érudition, quand elle tourne à vide. » Marc Bloch Apologie pour l’histoire, p. 91-92) et sans témoignage

[28] Cf. les grumeaux de moments Présent-Futur ®leur Passé (coupures dans des continuités) comme singularités qui n’existent pas toujours.

[29] Cf. un flux Passé ®Présent ®Futur (continuité) comme régularité toujours existante.

[30] Cf. la poussière d’une succession ininterrompue d’instants, « le staccato de l’événement » (F. Hartog, Régimes d’historicité, p. 26)



[1] p. 28

[2] p. 31

[3] p. 58

[4] p. 134

[5] p. 316

[6] p. 35

[7] p. 59

[8] p. 97

[9] p. 105

[10] p. 125

[11] p. 131

[12] p. 144…

[13] p. 149

[14] p. 146

[15] p. 309

[16] p. 339

[17] p. 538

[18] p. 611

[19] p. 151

[20] p. 161

[21] p. 313

[22] p. 319

[23] p. 328

[24] p. 407

[25] p. 22

[26] p. 306

[27] p. 309

[28] p. 10

[29] p. 175

[30] p. 11

[31] p. 105

[32] p. 111

[33] p. 120, 187

[34] p. 121

[35] p. 137

[36] p. 172

[37] p. 183

[38] p. 538

[39] p. 611

[40] p. 45

[41] p. 109