Hegel et la musique de son temps
Sur le livre d’Alain Patrick Olivier Hegel et la musique (Champion, 2003)
(Samedi d’Entretemps, Ircam, 27 novembre 2004)
Comment philosophie et musique se croisent-elles dans
l’œuvre de Hegel, et autour d’elle ?
*
Ce livre est d’un grand intérêt, d’abord pour les circonstances
qu’il nous restitue, et en particulier pour ce moment des années 1820 où les
rapports entre musique et philosophie apparaissent si intenses.
Restituons le tableau général que nous dresse A. P. Olivier.
• Il y a d’abord les grands cours d’esthétique de
Hegel. Sans y être en chef de file, la musique y trouve sa place.
• Point remarquable : la philosophie de Hegel
retient l’attention directe des grands compositeurs de son temps :
— c’est Schumann confiant à un ami le compte rendu de la
philosophie de la musique de Hegel en première page de sa revue [1] ;
— c’est Mendelssohn suivant à Berlin les cours de Hegel en
1827 [2] ;
— ce sera Liszt saluant l’esthétique de Hegel [3].
• Dans l’autre sens, les philosophes non seulement pensent
à partir de la musique (Alain Patrick Olivier nous rappelle que Schopenhauer a
écrit Le Monde comme volonté et représentation en même temps que Hegel écrivait son Encyclopédie des sciences philosophiques) mais ils suivent l’actualité musicale avec
attention : ainsi la reprise de la Passion selon saint Matthieu en 1829 se fait en présence de Hegel aux côtés de
Schleiermarcher et Heine ! [4]
Hegel apparaît attentif à la musique de son temps, capable
par exemple de modifier sa position de philosophe (et pas seulement de
mélomane) sur la virtuosité à la découverte de Paganini cette même année 1829
La transformation est d’importance ; on passe de
l’énoncé :
« le pianiste s’intéresse souvent plus au mouvement de
ses doigts, le violoniste au travail le plus épuisant de l’archet, qu’à la
musique » [5]
à ceux-ci :
« Dans la virtuosité, l’instrument perd le droit d’être
un organe extérieur ; il devient l’organe vivant de l’artiste. » [6]
« Ce mystère merveilleux qu’un tel instrument puisse devenir un organe
animé » [7]
Ainsi la virtuosité devient géniale et musicale quand
l’instrument-outil devient organe du corps du musicien, quand le corps à corps
musicien-instrument génère un nouveau corps « collectif » se
traduisant dans ce moment où l’instrument apparaît organe du corps musicien…
• On découvre également, à la fin de cette décennie,
une singulière conjonction de nouvelles déterminations :
— C’est d’abord Hegel décrétant « la mort de
l’art » : l’art continuerait
certes de vivre comme ensemble de disciplines mais il serait désormais mort
pour la vie de l’Esprit proprement dit. Alain Patrick Olivier nous suggère ici
que pour Hegel, la question concernant la musique n’est pas tant
« est-elle ou n’est-elle pas une pensée ? » mais plutôt « quel
rapport a-t-elle au concept ? ». Hegel suggère en effet que la
musique serait une sorte de « pensée-ferveur » [8],
forme infra-conceptuelle, en deçà de ce qui est requis en matière de vie de
l’esprit.
— Ces années, qui sont aussi celles des dernières sonates
pour piano de Beethoven et de ses derniers quatuors, voient le déploiement
parmi les musiciens d’une double scission, née dans la décennie précédente et
qui ne fait ensuite que s’accuser : d’une part entre musiciens amateurs et
professionnels (Rosen inscrit ici l’Hammerklavier – 1818 – comme principal repère), d’autre part entre auditeurs
profanes et initiés.
— conséquence directe de cela : le virtuose devient un
personnage médiateur entre les deux partages, un biais entre musiciens professionnels
et auditeurs profanes. Alain Patrick Olivier nous rappelle l’attention de Hegel
a cette dimension de la virtuosité, qu’il critique sévèrement avant de
découvrir le nouveau parti qu’un Paganini peut en tirer.
— À ce titre ces années sont celles de l’apparition d’un
nouveau type de virtuosité qui amène Hegel à approfondir sa compréhension de la
virtuosité musicale en y ajoutant la « virtuosité géniale ».
— Enfin l’année 1829 voit la résurrection de Jean-Sébastien
Bach grâce au jeune élève de Hegel, Felix Mendelssohn rejouant pour la première
fois depuis la mort du Cantor la Passion selon saint Matthieu. Comme rappelé, Hegel est dans le public, aux côtés
de Schleiermarcher et de Heine [9].
Cette résurrection, comme l’on sait, marque une date dans
l’histoire de la musique, non seulement en ce qu’elle ressuscite la musique de
Bach mais parce que s’affirme là, sans doute pour la première fois avec cette
évidence, que la musique est autonome aussi en ceci qu’elle décide de ses
généalogies, à distance de toute linéarité chronologique et par là qu’elle a
puissance de résurrection.
Ce moment-1829
conjoint donc des bouleversements internes à la musique comme d’autres internes
à la philosophie tout en offrant le visage d’un nouage étroit entre musiciens
et philosophes. Un tel type de nouage entre grands philosophes et grands
compositeurs n’est somme toute pas si courant dans l’histoire de l’humanité
qu’il ne suffise à faire signe.
Signe vers quoi ? Signe vers un nouage cette fois non
plus seulement des musiciens et des philosophes mais bien de la musique et de
la philosophie comme telles, et c’est ici que le livre déploie son projet
singulier, projet nourri d’un réexamen des transcriptions disponibles de l’Esthétique en sorte d’y faire attentivement la part de ce qui
relève de Hegel et celle de ce qui y fut ajouté par des élèves soucieux de
« corriger » [10]
ce qui leur semblait difficilement tenable dans les positions de leur maître.
*
Un nouage entre musique et philosophie, cela peut se concevoir
de deux manières : selon que l’acteur de ce nouage est un musicien ou un
philosophe.
I. Dans le premier cas, on
a affaire à une intellectualité musicale se référant à une philosophie donnée —
Alain Patrick Olivier nous rappelle qu’aucun musicien ne l’a véritablement fait
à l’égard de Hegel, lors même cependant qu’un Robert Schumann avait bien
conscience de la nouveauté de son entreprise philosophique et qu’à l’inverse
Wagner a choisi de le faire à l’égard de Schopenhauer (qu’il me soit permis à
cette occasion d’indiquer qu’à mon sens cette référence de Wagner à
Schopenhauer relève d’une logique proprement mythique, d’une rationalité mythologique
au sens où Claude Lévi-Strauss nous a appris à la caractériser, c’est-à-dire au
prix de considérables torsions et simplifications de la philosophie
considérée). Hegel semble n’avoir conditionné la pensée d’aucun musicien et
Alain Patrick Olivier nous rappelle qu’il faut plutôt chercher une influence
explicite du côté des musicologues allemands [11].
II. La seconde manière de
nouer musique et philosophie relève du travail spécifique du philosophe et
c’est essentiellement ce versant que notre auteur explore dans ce livre.
Là encore, on peut grosso modo distinguer deux manières de
rapporter la philosophie à la musique (grosso modo, car j’exclus ici une
troisième voie, celle de l’essai qui dans certains cas, tel celui d’Adorno,
semble essentielle).
• II.1. La première des deux voies proprement
philosophiques pour se rapporter à la musique est celle de la définition :
il s’agit pour le philosophe de définir ce qu’est la musique, ou, plus
exactement, ce qu’est la musique pour sa philosophie. Ceci chez Hegel va
prendre la forme particulière de définir la place qu’occupe la musique dans son
vaste Système. Alain Patrick Olivier nous en rappelle ici le principe :
« la musique a pour détermination intérieure la pure intériorité
comme telle qui se manifeste précisément comme intériorité. » [12]
• II.2. Le grand intérêt du livre dont nous
discutons aujourd’hui est de ne pas s’être arrêté à cette problématique philosophique
de la définition et d’avoir exploré une autre hypothèse. Alain Patrick Olivier
pose en effet cette question : « Dans quelle mesure Hegel est-il
parvenu à penser la musique de son temps ? » [13]
ce qui ouvre à cette autre manière pour la philosophie de se nouer à la
musique : tenter de penser philosophiquement la musique de son temps non
plus pour la définir mais pour saisir conceptuellement ce qui d’elle pourrait
constituer un « esprit du temps »,
un Zeitgeist.
*
Relisons succinctement ce livre à la lumière de cette hypothèse.
Il s’agit donc de supposer que le rapport de Hegel à la
musique de son temps n’est pas qu’un rapport d’agrément, que Hegel se rapporte
à la musique autrement qu’il ne se rapporte à l’œnologie et que ses goûts en
matière de musique n’équivalent pas à des goûts en matière de gastronomie à
mesure du fait que ces goûts musicaux ont peut-être quelque chose à voir avec
sa manière philosophique propre de « penser la musique de son
temps ».
Si par exemple Hegel apprécie Paganini mais pas Spontini, ce
n’est pas seulement parce que le premier sait faire de la musique avec un
violon quand l’autre aurait pour cela besoin de 38 trompettes pimentées de
quelques éléphants (!) pour s’assurer de son public [14],
mais c’est aussi parce que se joue là quelque prescription philosophique.
Concernant Paganini, on l’a vu : il en va d’une conception
du corps musical comme synthèse entre l’outil instrumental et le corps du
musicien, l’index de cette synthèse étant pour Hegel le moment où l’instrument
devient proprement « organe »
de l’âme musicale…
De même, si Hegel aime Rossini mais pas Weber, la musique
vocale italienne plutôt que la musique instrumentale allemande, l’hypothèse
serait qu’il en va ici d’une « théorie philosophique de la
mélodie » [15],
la mélodie constituant aux yeux de Hegel ce que la musique de son temps offre à
penser à la philosophie.
Le nom « mélodie », de catégorie musicale, devient ainsi un concept philosophique qui va
concentrer l’existence musicale concrète (autant dire l’existence musicale
comme telle puisque pour Hegel la musique ne relève pas de l’abstraction du
concept), une existence basée sur l’harmonie et le rythme que le philosophe va
nommer liberté :
« La mesure, le rythme, l’harmonie pris pour-soi ne sont
que des abstractions, qui ne possèdent aucune valeur musicale prise isolément,
mais parviennent à une véritable existence musicale uniquement au sein de la
mélodie, comme moments et aspects de la mélodie elle-même. » [16]
Ainsi la musique naît avec la mélodie, laquelle synthétise
rythme et harmonie, le problème pour Hegel étant alors de rendre philosophiquement
compte de la mélodie ce qu’il fait par exemple ainsi :
L’harmonie est « la loi de la nécessité qui doit demeurer
à la base » tandis que la mélodie est définie comme « l’âme qui se
laisse aller dans les sons » [17].
Le lien de l’harmonie et de la mélodie apparaît alors comme un « combat de
la nécessité et de la liberté » [18].
Ainsi la théorie philosophique de la mélodie se déploie en l’absence de théorie musicale et s’articule à une théorie philosophique de la voix
(cette « jouissance de soi »), et à une conception philosophique donnant dans la voix la primauté
à sa sonorité :
« Dans la voix des Italiens, [il y a] cette pure sonorité,
sans aucun son secondaire ; la voix d’un oiseau, mais dont on entend
qu’elle s’entend elle-même en tant que voix humaine. Dans les voix allemandes,
quelque chose sonne en même temps, et ce fait de sonner en même temps est le
moment de la subjectivité. Mais, dans une telle voix italienne, il y a encore
la jouissance de soi de la voix. » [19]
En ce point du parcours, il est alors patent qu’Hegel aurait
dû s’en prendre à Beethoven — comme il a pu s’en prendre, pour d’autres
raisons, à Weber — puisqu’il ne saurait trouver en Beethoven cette primauté de
la voix italienne qui lui semble concrétiser la musique véritable.
Or, Alain Patrick Olivier y insiste, le silence d’Hegel à
l’égard de Beethoven, son exact contemporain, est assourdissant. L’auteur nous
rappelle : Beethoven est doublement contemporain de Hegel : d’un
point de vue chronologique certes (ils sont nés tous deux en 1770) mais aussi
par sa dialectique musicale qui s’accorde très directement à la dialectique
hégélienne.
Comment alors interpréter ce symptôme de Hegel : son
silence sur Beethoven ?
Alain Patrick Olivier nous avance finalement une nouvelle
hypothèse : Hegel aurait parlé de Beethoven mais sans le dire : il
l’aurait fait en effet dans ses écrits philosophiques qui ne concernent pas la
musique :
L’auteur recommande en effet d’« utiliser des catégories
logiques de Hegel et pas seulement des catégories esthétiques » [20].
Pour lui, « si une esthétique hégélienne du beethovénisme existe, elle
ne doit pas être recherchée dans les cours d’esthétique, mais plutôt dans la Logique ou la Phénoménologie de l’Esprit. » [21].
Cette directive me semble juste : pour examiner la pertinence
d’une philosophie à la musique, la contemporanéité (Zeitgeist) entre musique et philosophie,
il ne faut pas s’enfermer dans ce que cette philosophie a dit de la musique. Ou
encore : une philosophie n’explicite pas forcément son principe possible
de contemporanéisation avec la musique. Il faut donc l’en dégager.
Il y aurait donc une analogie entre Hegel et Beethoven qui
renverrait à cet esprit du temps que j’aime à nommer « contemporanéité »,
analogie dont le philosophe prénommé Georg Wilhelm Friedrich n’était pas
forcément conscient.
Le problème est alors que cela conduit à caractériser cette
contemporanéité entre la philosophie de Hegel et la musique de Beethoven par le
biais de la dialectique et donc en un certain sens d’une logique.
Donner une telle valeur à la seule logique ne pose pas forcément
de problème à un art : Nietzsche a relevé que ce qui est nommé forme en dehors de l’art devient contenu dans l’art ce qui ici s’assigne au fait que la
dialectique musicale est bel et bien le fond même des œuvres beethovéniennes,
nullement une modalité d’exposition. À l’inverse, ce que la musique tient pour
son fond est tenu de l’extérieur
pour un vide : c’est assez
exactement ce que Hegel suggère en cette citation (non authentifiée) : « la
musique est l’art de la rêverie creuse »
[22],
« creuse » pouvant s’entendre
ici comme pure forme.
Si une telle compréhension de la contemporanéité comme
simple logique pose problème, c’est donc moins à la musique qu’à la
philosophie : de quelle manière la dialectique hégélienne serait-elle
séparable du reste de sa philosophie ? Le faire serait voir cette
dialectique comme forme séparable d’un contenu, isolable de la vie même de
l’esprit, ce qui n’a guère de sens philosophique.
Cette difficulté s’accuse dans le cas de Hegel puisque pour
lui le présent dont il s’agit en matière d’esprit, le présent auquel se mesure
le principe même d’une contemporanéité possible, d’un « esprit du
temps », c’est celui de la mort de
l’art : or, comme Alain Patrick Olivier nous le rappelle, pour Hegel
« la thèse de la mort de l’art est l’une des conditions de la
philosophie. » [23].
Ainsi, si Beethoven était bien contemporain de la dialectique
hégélienne, ce serait considérer qu’il n’y a donc pas eu « mort de
l’art » et donc, qu’en un sens, alors à préciser, les deux propositions
hégéliennes, l’une en matière de dialectique, l’autre en matière d’esthétique,
seraient dissociables puisque l’une serait en quelque sorte validée par Beethoven
en même temps que ce même Beethoven invaliderait l’autre.
Le livre d’Alain Patrick Olivier me semble laisser cette
question ouverte, si ce n’est béante.
*
Quoique non-philosophe, et donc avec toutes les précautions
d’usage pour quelqu’un venant se mêler de questions sur lesquelles ses
compétences sont limitées, je suggérerais pour ma part de revenir en ce point
sur l’hypothèse de départ : celle d’un Hegel tentant de penser la musique
de son temps [24],
ce qui reviendrait à considérer que si le silence de Hegel sur Beethoven fait
symptôme (Alain Patrick Olivier écrit [25] :
« la question du rapport à Beethoven est le point névralgique de notre
enquête »), c’est un symptôme avant
tout pour le musicien (éventuellement pour le mélomane Hegel) plutôt que pour le
philosophe.
Mon hypothèse partirait de ce constat : si Hegel fait silence
sur Beethoven, c’est parce que son esthétique est incompatible avec l’existence
même de Beethoven comme grand compositeur : il est possible pour Hegel de
tenir que Rossini, Weber, Paganini ne convoquent pas la pensée, qu’ils sont du
temps de la mort de l’art mais ce serait bien plus difficile de le dire pour Beethoven.
Précisons à cette occasion : Paganini, on l’a vu, convoque
la pensée philosophique mais non pas comme une pensée musicale à laquelle le
philosophe devrait se rapporter mais plutôt comme objet à penser philosophiquement, comme pensée qui
n’arrivant pas au concept peut être relevée par la philosophie. Ou encore : il s’agit pour
Hegel de penser à partir de
Paganini, sachant que penser à partir de la musique est bien autre chose que
penser la musique…
L’hypothèse philosophique serait donc celle-ci : Hegel
n’aurait pas « raté » Beethoven, tout simplement car il ne l’aurait
jamais « visé ». Il ne l’aurait jamais visé parce qu’il n’aurait
jamais eu exactement pour but philosophique de donner raison philosophique à la
musique de son temps. Et il n’aurait jamais eu pour but philosophique de rendre
raison de la musique de son temps car, dans son travail consistant à dégager
philosophiquement ce qu’était « son temps », il ne partait nullement
de la musique, encore moins de la musique de son temps (comme Adorno, par
contre, a pu le faire). Pour Hegel, le temps était celui de la mort de l’art –
donc celui de l’incapacité désormais de l’art de conditionner la pensée -.
Ainsi son temps était précisément celui où la philosophie n’était plus
conditionnée par l’art. Sa tache philosophique n’était donc pas de saisir
philosophiquement la nouveauté musicale radicale de son temps mais bien de
définir la musique par un concept situable dans son Système.
C’est donc dire que, paradoxalement, ce livre m’a convaincu
non du caractère hégélien de la dialectique beethovénienne (en ce point Alain
Patrick Olivier prend fortement appui sur Adorno — sur ses analyses propres de
la dialecticité beethovénienne — au nom d’une analogie « inversée » [26]
entre Hegel et Beethoven d’un côté, Adorno et Schoenberg de l’autre — Adorno
serait parti de Schoenberg comme Hegel ne serait pas parti de Beethoven —
analogie qui me semble discutable), ni du caractère beethovénien de la
dialectique hégélienne (voir cet étrange énoncé : « Si le rapport
entre la philosophie et la musique dépasse la simple « analogie »,
c’est parce que la musique (beethovénienne) ne se contenterait pas d’emprunter
des traits d’identité contingents avec la philosophie (hégélienne), mais serait
le concept logique lui-même
présenté sous une forme musicale. » [27] :
que voudrait dire en effet qu’un concept musicalement présenté ?), mais m’a plutôt convaincu de ce que le nouage
philosophes-musiciens des années 1820 n’a pas conduit à un nouage véritable
entre philosophie et musique, la voie de la définition philosophique qui en fin
de compte est à mon sens celle de Hegel étant classiquement tenue par les musiciens
comme musicalement insignifiante (les musiciens ne sauraient reconnaître leur
art dans une définition philosophique, d’ailleurs nullement destinée à les
convaincre).
Dit autrement : ce dont Hegel s’empare positivement
dans la musique de son temps (Rossini, Paganini…) n’a pas la consistance, la
radicale nouveauté suffisante pour interroger vraiment la philosophie en son
cœur. En ce sens le désintérêt de Hegel à l’égard de Beethoven atteste plutôt
de la cohérence de son propos proprement philosophique plutôt que de ces
« limites » qu’aime à voir
Alain Patrick Olivier :
« Cette limite de la compréhension musicale de Hegel
avec Beethoven […] est d’autant plus regrettable qu’il existe une analogie
profonde entre la démarche philosophique de Hegel et la démarche musicale de
Beethoven. » [28]
Il s’agissait pour Hegel de donner philosophiquement place
et rang à un art du passé qu’il n’y avait nullement lieu pour lui de
ressusciter car cet art était maintenant simplement offert à la jouissance,
sous la forme d’un matériau vocal dont les Italiens étaient devenus les maîtres
puisque, comme l’écrit Hegel, « en Italie, chacun possède une voix. » [29].
*
Le mérite singulier de ce livre serait ainsi de nous avoir
fait explorer la voie d’une hypothèse (celle d’un Hegel pensant la musique de
son temps) que le livre réfute finalement, contre son gré, nous indiquant
ainsi, comme par un raisonnement par l’absurde, que toute philosophie, fut-ce
la plus grande d’entre elle, n’a pas pour vocation de penser la totalité
(imaginaire) des pratiques de son temps.
Ce faisant, ce livre de philosophie — outre le grand intérêt
de nous faire parcourir les nervures de la pensée hégélienne — ne nous a
nullement fait perdre notre temps en ceci : il me semble faire
philosophiquement signe vers la musique et les musiciens (notons la singularité
d’un livre de philosophie édité dans une collection musicologique…). Il me sied
en effet qu’un philosophe mette ainsi en scène chez Hegel un désir proprement philosophique de penser la musique de son temps, la musique somme
toute « contemporaine » car ceci suggèrerait qu’un tel désir
philosophique, toujours vif, rendrait aujourd’hui envisageable une alliance
avec les musiciens pensifs,
soucieux, à leur titre propre de musiciens, de la philosophie contemporaine.
–––
[1] p. 13
[2] p. 55
[3] p. 13
[4] p. 63
[5] p. 78
[6] p. 79
[7] p. 80
[8] p. 180
[9] p. 63
[10] p. 234
[11] Au demeurant comme si la musicologie allemande s’était constituée à l’ombre de la thèse hégélienne de la mort de l’art et donc de la musique…
[12] p. 137
[13] p. 17
[14] p. 106
[15] p. 168
[16] p. 166
[17] p. 169
[18] p. 170
[19] p. 69
[20] p. 234
[21] p. 243
[22] p. 93
[23] p. 254
[24] p. 17
[25] p. 18
[26] p. 249
[27] p. 244
[28] p. 252
[29] p. 72