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Comment dvelopper (et non
dconstruire) lÕautonomie si conteste de la musique ?
Cdmc
(27 avril 2004)
LÕautonomie de la musique, lentement conquise depuis le Moyen-åge, se voit aujourdÕhui durement attaque au nom de fonctions (sociales et tatiques, religieuses et ludiques, culturelles et cultuellesÉ) proclames indpassables, fonctions dont — nous dit-on — la musique ne pourrait se dtourner sans se priver des nombreux avantages que procure, en ces temps Ē ralistes Č, le parti de la servitude volontaire et de la mise sous tutelleÉ
En quoi consiste, au seuil du troisime millnaire,
cette ambition singulire de la musique de se normer elle-mme, ambition qui
lui est si fortement dnie ? Ė rebours dÕune Ē dconstruction Č
(douceureusement plaide au nom de la Ē modernit Č du nihilisme),
comment consolider aujourdÕhui cette autonomie de pense et dÕaction :
comment la musique peut-elle — doit-elle — renouveler cette capacit
dÕtre elle-mme sa propre loi ? De quelles nouvelles tutelles lui
faut-il pour cela sÕmanciper ? Quelles nouvelles oprations lui faut-il
conqurir (voir le rle dcisif jou par lÕinvention du solfge dans la
constitution dÕune souverainet musicale de pense) ? Et si lÕautonomie de
la musique nÕest nullement une autarcie, quels en sont, en ces rudes temps de
disette pour la pense, les allis possibles en dehors du seul domaine
musical ?
–
On situera cette problmatique par rapport au Ē rgime esthtique Č qui, pour Jacques Rancire, corrle plutt quÕoppose autonomie et historicisme.
Pour concevoir, rebours, une autonomie musicale qui ne soit pas historicisante, il faudra examiner comment le mot Ē musique Č nomme la fois un monde (le monde de la musique) et une partie de ce monde (la musique comme art de ce monde) ce qui suggrera de ddoubler lÕautonomie musicale en une autodtermination de la musique-monde et une mancipation de la musique-art. On en dduira que toute autonomie musicale suppose un art musical apte aimanter le monde de la musique.
*
Dans quel contexte sÕinscrit cette question dÕautonomie musicale ?
Contextualiser un problme ne revient pas exactement en faire lÕhistoire mais plutt le situer gnalogiquement, le monographier, et une monographie nÕest pas une historiographie.
Notre enjeu sera monographique : il sÕagira de caractriser un moment prsent, de faire ainsi la monographie dÕun prsent.
Pour dployer une monographie de notre
question, il nous faut articuler quatre dimensions :
į
une gnalogie de cette question [1] ;
į
une archologie de cette question dans sa
situation particulire [2] ;
į
une historicit de cette question [3],
cÕest--dire une manire de lÕarticuler dÕautres interrogations relevant de
tout autres champs de pense ;
į une historialit de la situation [4] qui nÕest pas proprement parler son histoire mais son articulation dÕautres situations et globalement ce quÕon appellera le chaosmos (ou vision moderne de lÕancien cosmos) [5].
Rsumons ces quatre dimensions :
|
La
musique |
Autres
penses |
=
temporalits : |
Une question (ou une Ļuvre) |
Gnalogie |
Historicit |
dynamiques |
Situation |
Archologie |
Historialit |
statiques |
LÕhistoricit conditionne la gnalogie comme lÕhistorialit conditionne lÕarchologie et comme lÕarchologie conditionne la gnalogie, chacun de ces conditionnements sÕassociant un effet en retour :
LÕarticulation de ces quatre dimensions compose la monographie dÕune question dans une situation (ou dÕune Ļuvre musicale dans un tat donn du monde de la musique), disons la monographie dÕun moment prsent.
Si lÕon fait lÕhypothse gnrale que lÕhistoire est ce qui sÕintresse au pass sous condition dÕavoir distingu un pass dÕun prsent, ce type de monographie se distingue dÕune historiographie par les manires diffrentes de rapporter pass et prsent (et par consquent prsent et futur) :
Ici, cÕest le prsent qui dcrte un pass, son pass alors que dans lÕhistoriographie, cÕest le pass qui donne sens au prsent, qui le configure et le prdispose, qui dispose une rpartition entre possible et impossible :
Ici le prsent configure son pass : Ē Notre hritage nÕest prcd dÕaucun testament Č (Ren Char). LÕhritage ne procde dÕaucun testament ; lÕhritage est pens tel car dcid tel au prsent. Ē Hriter Č dsigne ici pour nous une manire dÕtre conditionn : il sÕagit donc au prsent de dcider les conditions ou conditionnements quÕil va sÕagir dÕassumer [6].
Ici le pass est lÕinactif, le mort, lÕimpuissant, le satur. Il sÕagit donc dÕune autre conception du pass : non pas ce qui conditionne le prsent (comme dans lÕhistoriographie) mais ce qui est rejet et abandonn par le prsent, soit en fait Ē un Č pass (plutt que Ē le Č pass) cÕest--dire le pass dÕune question (ou dÕune srie dÕĻuvres).
Il sÕagit donc ici dÕune conception non chronologique du pass.
Deux exemples :
— Pour le prsent de la musique contemporaine, je tiens que Schoenberg est de ce prsent mais que Cage relve de son pass.
— Pour le prsent de notre question (autonomie musicale), je tiens que la maxime de Jean-Sbastien Bach Ē Soli Deo Gloria Č est au prsent alors mme que la maxime romantique en faveur dÕune Ē musique absolue Č est pour sa part au pass.
Le prsent est conu diffremment dans un point de vue monographique et dans un point de vue historiographique : dans ce dernier, le prsent est un instant ; dans le premier, le prsent est un moment.
— Dans lÕhistoriographie, le prsent est un curseur sans paisseur coinc entre pass et futur, lÕindex de lÕactuel.
— Dans une monographie, le prsent est un moment dont la logique temporelle nÕest pas chronologique (le temps subjectif nÕest pas le temps Ē physique Č). DÕo des extensions temporelles, des torsions chronologiques. DÕo galement un rapport diffrent du prsent lÕimpossible : le prsent nÕest pas prdispos par une distribution lgue entre possible et impossible puisque le prsent est trs prcisment indexable au projet de forcer un impossible cÕest--dire un terme tenu pour impossible. Et ce projet se matrialise prcisment au prsent (donc rien dÕutopique ici). Ce forage qui instaure du prsent sÕaccompagne dÕinterdits, de rejets (qui sont la contrepartie de toute affirmation) : il ne sÕagit donc pas dÕimpossibles lgus par un pass mais dÕinterdits dclars par un prsent.
Le futur est galement conu diffremment dans les deux orientations :
— Dans lÕhistoriographie, le futur sera la vrit du prsent, et le prsent a pour sens de conduire au futur.
— Dans le point de vue monographique, le prsent, ferm Ē gauche Č vers le pass, est par contre Ē ouvert droite Č et incorpore son futur, le futur simple : demain nÕest ici quÕune extension du moment prsent. Donc ici pas de Ē lendemains qui chantent Č et de Ē grands soirs Č : la figure de la radicalit nÕest plus celle de la table rase et inversement de lÕutopie (promesse ou rve dÕun futur) mais consiste dcrter un pass, le pass du moment prsent.
Si le futur simple est ici incorpor au prsent, le Ē vrai Č futur devient alors le futur antrieur : le futur se dit dsormais : Ē quand ce que je suis en train de faire, dans une continuit des jours dÕhier, dÕaujourdÕhui et de demain, aura t fait et bien faitÉ Č
Rsumons cela selon les deux schmas temporels
suivants :
*
Ces considrations gnrales rsonnent avec la question que Martin Kaltenecker a mise au principe de ce sminaire : de quel prsent relve aujourdÕhui la musique contemporaine ? Cette question enchevtre en effet diffrentes chronologies, une sorte de mille-feuilles temporel tordu, inintelligible si lÕon se contente dÕopposer et sparer le XX” sicle et ce qui lÕa prcd (en posant, par exemple, Schoenberg comme coupure).
Ma thse est ici quÕil y a une vraie radicalit aujourdÕhui vouloir dvelopper lÕautonomie de la musique contre sa dconstruction tendancielle et sa mise sous tutelle. Assumer lÕautonomie musicale, cÕest, comme on va le voir, se tenir pour hritier de mille ans dÕhistoire, singulirement dÕune histoire de lÕcriture musicale car celle-ci va sÕavrer avoir jou un rle crucial en matire dÕautonomie musicale.
Pour prciser la catgorie dÕautonomie, repartons dÕune discussion en cours avec Jacques Rancire. Martin Kaltenecker a mis au cĻur de ce sminaire la problmatique rancrienne de Ē rgime esthtique Č et il se trouve que la question de lÕautonomie joue un rle central dans cette catgorie de rgime esthtique comme en atteste lÕintervention de Jacques Rancire (dans le sminaire 2003-2004 de lÕEns) : Ē Autonomie et historicisme : la fausse alternative Č.
Je voudrais donc repartir des objections de
Rancire ma problmatique pour clarifier ce quÕil en est de lÕautonomie en
matire musicale.
Jacques Rancire mÕobjecte quÕon ne saurait opposer autonomie et historicisme car toutes deux sont des productions singulires de ce quÕil appelle le rgime esthtique lequel nÕa gure plus de deux cents ans dÕge ce qui veut dire que ces deux dimensions, relativement rcentes, se compltent et se renforcent plutt quÕelles ne sÕexcluent.
Rappelons ici le cheminement de Rancire :
— Pour Rancire, un rgime dÕhistoricit est un rapport entre un partage des temps et une distribution du possible et de lÕimpossible.
— Parmi les rgimes dÕhistoricit, le rgime esthtique se distingue partir de la fin du XVIII” sicle dÕun rgime reprsentatif ou potique.
— Jacques Rancire pose lÕautonomie comme tant une libration de lÕart par rapport une problmatique des moyens cÕest--dire comme tant une mancipation des fins expressives : ainsi est autonome un art qui nÕest plus moyen mais dispose de ses propres fins : Ē Un art autonome est un art qui poursuit ses fins propres. Č
— En consquence, les impossibilits affrentes lÕhistoricit des gots du public (lesquels sont dterminants [7] dans le rgime dit reprsentatif) disparaissent : tout devient alors possible en art, dÕo lÕimpossibilit corrlative de discerner lÕart de la duperie [8].
— Il faut donc restaurer de lÕimpossibilit ; ce sera la fonction propre de lÕhistoricisme : une histoire de lÕart va venir prescrire un Ē plus-possible Č — lÕAdorno de la Philosophie de la nouvelle musique [9] va servir ici de modle Jacques Rancire —. En cela, il sÕagit bien ici dÕun Ē rgime dÕhistoricit Č puisquÕun partage des temps est ainsi reli une distribution possible/impossible. En effet lÕimpossible prend ici une forme historicise (celle dÕun Ē plus historiquement possible Č). LÕimpossible nÕest plus socialement constitu (par une volution des gots, attache une transformation gnrale) mais historiquement prescrit sous une modalit propre lÕart autonome considr : Ē Le seul non-possible qui reste est alors la plus-possible Č. Le temps est Ē un principe de slection instituant des impossibilits. Č
— Au total, pour Rancire, Ē lÕautonomie de lÕart ne sÕoppose pas lÕhistoricisme Č mais le suppose, lÕengendre mme. CÕest mme l le propre du schme moderniste, Ē lÕaffirmation moderniste de la mission historique de lÕart autonome Č.
1. Rancire opre par ddoublement de termes : Ē Le musicien se ddouble en un technicien qui peut faire tout ce quÕil veut et un artiste qui, lui, doit faire seulement ce que veut la musique Č. Je tenterai pour ma part de ddoubler la catgorie de musique plutt que celle de musicien.
2. Le raisonnement de Rancire est adoss une conception de lÕautonomie (musicale) centre sur la question des fins propres. Je discuterai cette conception de lÕautonomie en en proposant une autre, centre sur la question des moyens.
3. Rancire suppose que le Ē plus-possible Č relve ipso facto de lÕhistoire puisquÕil relve dÕun partage des temps, dÕune coupure entre pass et prsent (ce qui tait possible ne lÕest plusÉ). On peut tenir pourtant quÕun Ē plus-possible Č est dclarable, dcidable au prsent et non pas ncessairement lgu par un pass historicisant (voir la polarit prcdemment expose de la monographie et de lÕhistoriographie).
4. Le rgime esthtique dÕhistoricit articule le Ē tout est possible Č de lÕautonomie musicale et le Ē plus-possible Č de lÕart historicis selon cette conception des fins propres lÕart autonome qui va sÕaffirmer comme Ē auto-suppression de lÕart Č : Ē lÕautonomie de lÕart se trouve alors norme par une fin qui est lÕpuisement de toutes ses formules, qui est, en bref, lÕauto-suppression de lÕart Č.
Il y aurait ici toute une discussion proprement philosophique engager avec Jacques Rancire. Si je devais le faire, je lÕengagerais selon les concepts de la philosophie dÕAlain Badiou : situations, vnements, sujets, vrits :
— LÕvnement ouvre dans sa situation propre un Ē plus-possible Č qui ne relve nullement de lÕhistoire.
— LÕauto-suppression par saturation
interne relverait dÕune vrit particulire (une
Ē configuration artistique Č) dans un art donn, non de cet art comme
telÉ
Mais je voudrais ici me cantonner des questions musicales, relevant de lÕintellectualit musicale proprement dite et non pas de la philosophie. Je propose donc de revenir une discussion sur le contenu mme de ce quÕon nommera autonomie en musique en procdant un nouveau ddoublement de catgorie : l o Rancire distinguait musicien-technicien de musicien-artiste, je proposerai de distinguer musique-monde et musique-art. La thse de Rancire pourrait alors se reformuler ainsi : Ē lÕautonomie de la musique-monde prescrit lÕhistoricisme de la musique-art Č.
Pour discuter et contester cette thse, il me faut successivement thmatiser :
— la scission de la catgorie de musique en musique-monde et musique-art ;
— la scission de la catgorie dÕautonomie qui en dcoule (je poserai que lÕautonomie de la musique est sa scission dialectique en une autodtermination de la musique-monde et une mancipation de la musique-art) ;
— au total, il sÕagira de penser une
autonomie de la musique comme tant une autonomisation — un processus
plutt quÕun tat acquis et stable — qui certes partage les temps (en
dsignant le pass du prsent dclar) et distribue les possibles et les
interdits (du point du prsent dclar, non dÕun testament du pass) mais qui
cependant se dprend de tout historicisme si lÕon
entend par ce terme le nĻud dÕune distribution possible/impossible lgue par
le pass (ou quatrime sens dÕhistoire pour
Rancire : le Ē temps orient Č) et dÕune contigut gnralise
de toutes les temporalits particulires (ou troisime sens dÕhistoire pour Rancire, cÕest--dire la coexistence ou coprsence des temporalits),
contigut ou connexit qui dans lÕhistoricisme est prcisment lÕespace propre
de lÕhistoire (le quatrime sens en tant le temps), espace dont le nom commun
est Ē socit Č. Ė cela, la problmatique que jÕopposerai affirmerait
a contrario la logique du Ē contemporain Č, logique qui, elle aussi,
part dÕun prsent dclar en pense, pour examiner ce qui des temporalits
existantes sÕy accorde ou non.
Revenons maintenant notre interrogation premire : comment dvelopper aujourdÕhui lÕautonomie de la musique ? Quel est cet aujourdÕhui o lÕautonomie de la musique se trouve controverse en des termes singuliers ?
Commenons par parcourir empiriquement lÕactualit et ses arguments contre lÕautonomie musicale.
į Voici lÕloge de la musique quÕon peut lire, en quatrime de couverture dÕun rcent livre :
Ē Non autonome,
et tirant son plus haut prestige de cette non-autonomie, la musique nÕest pas
le rgne du virtuose mais de lÕhomo cantans ; non pas une technique, mais
un art de vivre. Č [10].
Il est ici question de la musique Ē de lÕAntiquit 1650 Č [11]. Dans cette priode, le chiasme musique/rhtorique dvoile Ē tout un monde [É] dans lequel la musique [É] est une cl de vote Č [12]. En effet il existe alors un Cosmos, un Tout dans lequel la musique prend place et acquiert une place minente [13] en raison de la Ē double alliance originelle Č non seulement des sons et des nombres [14] mais galement des mots et des sons [15].
Ainsi le quadrivium
inscrit lÕlvation de la musique en mme temps que sa subordination aux
nombres : la musique est minente comme ministre du Nombre auprs des
sons, mais elle ne prside pas. La musique est subalterne de lÕarithmtique
ce titre : elle est une Ē propdeutique aux sciences suprmes que
sont philosophie et thologie Č [16].
į Le point de vue prcdent rejoint un vieil loge de la musique quÕon trouve chez Thomas dÕAquin, au dpart de sa Somme thologique :
Ē Parmi les sciences, il en est de deux espces. Certaines sÕappuient sur des principes connus par la lumire naturelle de lÕintelligence : telles lÕarithmtique, la gomtrie et autres semblables. DÕautres procdent de principes qui sont connus la lumire dÕune science suprieure [É] comme la musique [le fait] de principes quÕtablit lÕarithmtique. [É] Comme la musique sÕen remet aux principes qui lui sont livrs par lÕarithmtique, ainsi la doctrine sacre accorde foi aux principes rvls par Dieu. Č [17]
La musique est
rehausse au titre de servante dÕun plus grand quÕelle. La musique est prise
pour modle dÕune subordination : la non-autonomie lui permet de sÕlever
au-dessus de plus subalternes quÕelle.
į Face une musique ainsi subjectivement dispose — Ē dfaut dÕtre autonome, et quitte tre subalterne, visons tre le premier des seconds et avoir plus subalterne que soiÉ Č —, dÕautres disciplines rivalisent pour mettre la musique sous tutelle.
Se prsentent ainsi dÕautres parties des mathmatiques que lÕarithmtique : la gomtrie en particulier, soit sous sa forme ancienne (voir le thme de la symtrie en musique, voir la gomtrie cartsienneÉ), soit sous sa forme moderne (la gomtrie algbrique, par exemple dans les travaux de Guerino MazzolaÉ). Il convient dÕobjecter cela que la validit universelle des mathmatiques pour tout Ē tant Č et donc galement pour les Ē tants Č musicaux ne prescrit nulle tutelle particulire sur lÕart musical [18].
La physique est galement candidate mettre la musique sous tutelle, via bien sr lÕacoustique mais galement lÕorganologie. La matrialisation contemporaine de cette manire de voir se retrouve par exemple chez Pierre Schaeffer qui tente prcisment de dduire le musical du sonore l o lÕautonomie musicale prne plutt une musicalisation des sons qui passe par un saut intransitif.
Il y a aussi une offre de tutelle psychologique, qui sÕenracinerait cette fois dans la perception, conue comme lÕalpha et lÕomga du travail musical de lÕoreille, ce quoi il convient dÕobjecter que le cĻur vivant de la musique tient lÕcoute, laquelle est aussi radicalement dissocie de la perception que lÕest lÕcriture musicale.
Il y a enfin une
candidature propre de la sociologie pour mettre la musique sous tutelle, en
faisant prvaloir les individus et socits musiciennes sur les Ļuvres
musicales, en mettant en avant la capacit dÕun Ē matriau Č
historiquement et socialement form orienter (plus ou moins consciemment) le
travail compositionnel. Face tout cela, il conviendrait dÕexhausser la
logique proprement musicale de pratiques comme celle du concert, mais galement
de scinder le travail dÕun Adorno entre sa part strile de sociologue et sa
part dynamique de philosopheÉ
Bien dÕautres Ē disciplines Č peuvent tre galement convoques pour de semblables mises sous tutelle de la musique : la posie (tutelle rhtorique), le multimdia (tutelle de lÕimage), etc. LÕlment commun toutes ces Ē mises sous tutelle Č consiste poser que les lois de la musique seraient essentiellement extrinsques en mettant pour ce faire en avant moins les lois propres aux Ļuvres musicales que les lois qui structurent son Ē matriau Č ou sa matire propre, les lois disons de lÕinfrastructure musicale (plutt que de sa superstructure) qui seraient essentiellement mathmatiques, physiques, psychologiques ou sociologiques bien avant dÕtre musicales.
Bref, lÕinfrastructure matrielle de la musique instaurerait une quadruple tutelle sur ses lois propres.
Des arguments dÕun autre type sÕlvent contre lÕambition musicale de se doter de ses fins propres. Il sÕagit ici de critiques prenant la forme dÕun loge des fonctions auxquelles la musique devrait se conformer.
En premier inventaire, je propose de distinguer ici cinq fonctions :
La musique ici sert le sacr, ou le religieux. La musique est prsente comme ayant tout gagner tre ordonne au lien dÕinvocation et de prire dÕun au-del.
Ici la musique sert dÕidentifiant aux particularismes et diverses communauts humaines (voir la distinction chez BourdieuÉ) : Ē Dis-moi quelle musique tu aimes et je te dirai quelle tribu tu appartiens Č.
La musique orchestre ici lÕadhsion aux pouvoirs, clbre la soumission lÕtat [19] : musiques des rassemblements officielsÉ
La musique revendique ici lÕabsence dÕenjeux pour valoriser le divertissement, le plaisir sans ide : la musique se targue dÕtre hauteur de la gastronomie et de lÕĻnologie [20]É
La musique sert ici
de libre exercice pour le corps de lÕanimal humain : voir la musique pour
danser, pour rythmer telle gymnastique, etc.
Au total cinq fonctions (rituelle, cultuelle, solennelle, corporelle et de ritournelle) viennent ainsi sÕajouter la quadruple tutelle (mathmatique, physique, psychologique et sociologique) pour prcher la musique les mrites sans gal de la servitude volontaire.
De mme que Lacan nous rappelle que lÕignorance est une passion — une des principales passions de lÕhomme — et nullement un simple dfaut dÕinstruction, de mme Spinoza nous rappelle (voir le livre IV de son thique) que la vritable servitude [21] est toujours une passion.
Nietzsche nous indique que cette servitude volontaire est au cĻur du nihilisme, autant dire au cĻur de notre poque. Notre aujourdÕhui est en effet de plus en plus nihiliste, et ce nihilisme affecte le monde de la musique tout autant que les autres situations. Autant dire que le nihilisme pse sur les musiciens comme tels, sur les musicologues aussi mais galement sur les Ļuvres musicales.
Nietzsche dlivre la fin de sa Gnalogie de la morale le chiffre subjectif du nihilisme : Ē Plutt vouloir le rien que ne rien vouloir ! Č. Il dploie ce faisant un double nihilisme : lÕun, passif : Ē Ne voulons rien pour viter les risques inhrents tout vouloir ! Č [22] ; lÕautre, actif : Ē Plutt que ne rien vouloir, voulons le rien ! Č [23].
Ė ce nihilisme contemporain, il faut objecter quÕil est possible de vouloir quelque chose, en lÕoccurrence la musique, quÕil est possible de vouloir lÕautonomie de la musique plutt que de vouloir le rien ou de ne rien vouloir, ce qui nous ramne notre question : comment renforcer aujourdÕhui lÕautonomie de la musique ?
Clarifions dÕabord quelques catgories.
Musique nomme la fois un monde et une partie de ce monde : lÕart musical.
Il faut garder cet unique nom pour ces deux ralits car il en va de la musique quÕelle nomme cette unit scinde.
JÕentends ici par monde une catgorie non pas sociologique [24] mais mathmatico-logique : celle de topos (soit une situation-univers la fois infiniment vaste, close et auto-norme par un oprateur immanent) [25]. En cette conception, lÕcriture musicale joue un rle essentiel comme mesure immanente des intensits musicales dÕexistence : non pas que nÕexiste en musique que ce qui est crit mais que lÕcriture musicale soit ce qui mesure lÕexistence musicale.
Remarquons quÕ ce titre, la naissance dÕun monde de la musique peut tre historiquement date la constitution dÕune criture spcifiquement musicale, cÕest--dire essentiellement au dbut du second millnaire [26].
Dans un tel monde, il existe toutes sortes de musiques, y compris non crites : soit plusieurs musiques dans un seul monde de la musique.
En dehors de ce monde, on trouve bien sr dÕautres mondes et aussi plus largement ce que jÕappellerai le chaosmos gnral (pour le diffrencier de la figure totalisante du cosmos grec) ou lÕim-monde [27]. LÕenjeu est donc pour le musicien de passer de lÕim-monde sonore au monde musical, du matriau (sonore) la matire (musicale en tant quÕelle est inscriptible).
Il sÕagit ici de spcifier le niveau des Ļuvres musicales, quÕon diffrenciera, dans le monde de la musique, des simples morceaux ou pices de musique. Ce niveau o la musique se configure comme art est celui quÕon indique quand un musicien nonce : Ē l, dans ce morceau, il y a eu de la musique, un peu de musique Č [28].
LÕart musical est ce qui fait vrit sensible de la musique, cÕest--dire beaut : ce qui fait passer des perceptions et auditions une coute musicale proprement dite.
Cet art musical est fondamentalement un, mme sÕil en existe beaucoup de rgions ou configurations diffrentes : il est un car il porte une proccupation commune qui ne dispose nulle frontire comme celle (poreuse et mobile) qui spare lÕart musical des musiques culturelles.
— Au total, musique nomme lÕunit scinde du monde de la musique et de lÕart musical de ce monde.
Il en va du dynamisme musical quÕil y ait l un seul nom [29] car cÕest la musique-art qui la fois fait vrit de la musique-monde (et donc sÕenracine en lui) et lÕaimante, lÕensemence (et donc le nourrit). Toute sparation serait la fin de la musique-art et, par contrecoup, une fragilisation de son monde comme monde.
CÕest cette sparation que vise la dconstruction aujourdÕhui largement entreprise de lÕautonomie musicale puisquÕil y sÕagit la fois
„ de dconstruire lÕĻuvre musicale (en dissolvant sa diffrence dÕavec la pice et le morceau de musique) ;
„ de dconstruire le travail proprement musical pour musicaliser les sons et les instruments (en dissolvant lÕcart entre matire musicale et matriau sonore, entre instruments de musique et autres instruments) ;
„ de dconstruire lÕcriture musicale (en la rabattant sur de simples notations).
Dsautonomiser la musique consiste alors en lÕunit de deux gestes :
— subalterner ou tutelliser le monde de la musique, la musique-monde (voir les quatre tutelles distingues plus haut, qui portent spcifiquement sur la musique-monde) ;
— subordonner ou fonctionnaliser la musique-art (voir les cinq fonctions qui, elles, portent sur la musique-art).
Que veut dire, contre tout cela, dvelopper lÕautonomie musicale ?
Cela voudra dire trois choses :
1. Contre la mise sous tutelle du monde de la musique, dvelopper son autodtermination.
2. Contre la fonctionnalisation de la musique-art, dvelopper son mancipation.
3. Contre la dconnexion de la musique-art et de la musique-monde, consolider, lÕune par lÕautre, autodtermination (du monde de la musique) et mancipation (de lÕart musical).
Pour commencer de dtailler tout cela, quelques dterminations ngatives pralables.
„ LÕautonomie nÕest pas lÕautarcie ou lÕautosuffisance.
— Pour le monde de la musique, ceci rappelle quÕil existe des changes avec dÕautres mondes et avec lÕim-monde du chaosmos.
— Pour lÕart musical, ceci rappelle quÕil sÕenracine dans le monde de la musique (cÕest prcisment ce que je propose dÕappeler archologie).
„ LÕautonomie nÕest pas lÕindpendance car lÕautonomie supporte lÕexistence de dpendances.
— Pour le monde de la musique, ceci rappelle quÕil est conditionn par lÕextrieur, par un tat dÕautres mondes et du chaosmos (cÕest ce que je propose dÕappeler historialit).
— Pour lÕart musical, ceci rappelle quÕil est conditionn par (et donc dpendant de) un tat donn du monde de la musique (archologie) et des autres penses (cÕest que je propose dÕappeler historicit).
„ LÕautonomie nÕest pas lÕabsoluit ou la
puret : la musique autonome nÕest donc pas Ē la musique
absolue Č ou Ē la musique pure Č. DÕailleurs tymologiquement la
notion dÕabsoluit (ab-solus) renvoie celle
dÕautarcie.
On dira donc que lÕautonomie musicale est relative, et non pas absolue, comme elle est dpendante de conditions non musicales (voir son historicit et son historialit) et non pas indpendante, ou inconditionne.
Quelques dterminations positives maintenant.
„ Une autonomie ainsi conue est toujours une autonomisation : un processus subjectif, non un tat objectif acquis.
„ Une telle autonomie est toujours conquise, jamais offerte.
„ Une semblable autonomie est toujours risque, jamais une sincure.
„ Une autonomie est un auto-nomos qui sÕoppose donc lÕide dÕhtronomie. CÕest la fois un monde de la musique qui est loi de lui-mme (voir ici le rle central de lÕcriture spcifiquement musicale) et un art musical libre de lui-mme.
Quelques repres historiques sur cette autonomisation du monde de la musique et de lÕart musical.
Concernant spcifiquement le monde de la musique, je distinguerai grossirement les tapes suivantes :
„ Le monde de la musique sÕest constitu au Moyen-åge, lÕpoque o fut invente une criture musicale proprement dite (solfge) par-del les simples notations antrieures (neumesÉ) : voir lÕinvention de la note de musique, qui a en musique le statut de lettre. DÕo une mancipation par rapport lÕarithmtique, au nombre et au chiffre.
„ Voir partir de l lÕbullition singulire du 14” sicle comme moment de prise de conscience musicale et musicienne de cette nouveaut.
„ Descartes, au dbut du 17” sicle, va prendre philosophiquement mesure de cet vnement (voir les deux traits qui encadrent chronologiquement son Ļuvre : ses Compendium music¾ et Trait des passions). Le 17” est galement un moment-clef (pour lÕhistoricit musicale) en raison de la coupure galilenne en matire de sciencesÉ
„ Le 18” sicle introduit un nouveau conditionnement sur la musique par lÕinvention de lÕacoustique (Sauveur). Paradoxalement, la menace dÕune dconstruction du monde de la musique, via la contestation de la spcificit de son criture, va venir de Rousseau plutt que de Rameau car cÕest bien Rousseau et non Rameau qui va prner la dissolution de la note de musique dans le chiffre mathmatique et donc recommander une arithmtisation de la musiqueÉ
Concernant lÕart musical, je rappellerai simplement les grandes tapes suivantes :
„ Dufay au 15” sicle invente le thme comme figuration subjective au sein mme dÕune pice de musique.
„ Au 18” sicle, trois tapes sont simultanment franchies :
— le thme musical devient conscience de soi et de ses propres possibilits dÕauto-dveloppement ;
— le Clavier bien tempr sÕaffirme comme Ļuvre manifeste de lÕoccupation du nouveau monde de la musique (de la musique faisant monde) par lÕart thmatique ;
— lÕintellectualit musicale se constitue comme telle pour la premire fois avec la figure de Jean-Philippe Rameau.
„ Le 19” sicle voit prvaloir la figure romantique de lÕautonomie artistique. DÕo le thme de la musique absolue, de la musique et de lÕart pris dsormais comme modle gnral pour toute pense. DÕo galement en raction le positivisme (prenant, lui, la science pour modle)É
„ Le 20” sicle ensuite passera par
SchoenbergÉ
Comment dvelopper aujourdÕhui cette autonomie de la musique ?
Le cadre de cette question tant dsormais fix, il nous faut maintenant dtailler nos tches de musiciens. Je le ferai selon les quatre dimensions proposes : gnalogie, archologie, historicit et historialit, en les parcourant cependant dans lÕordre inverse, en progressant en quelque sorte de la base historiale et musicienne vers le sommet musical
Il sÕagit ici des tches concernant lÕautodtermination du monde de la musique. Elles concernent au premier chef ce que jÕappellerai les Ē nouvelles frontires Č du monde de la musique cÕest--dire ces nouveaux territoires quÕil sÕagit pour la musique de conqurir (dÕexprimenter) puis dÕoccuper musicalement.
Cela concerne trois dimensions :
DÕabord lÕcriture musicale.
Il y a aujourdÕhui en musique un problme que je dirai de double criture (criture musicale et criture informatique) qui rvle une crise de la note de musique (dÕo que de nombreux musiciens sÕen prennent aujourdÕhui la lettre de musique et prnent son abandon au profit de pures et simples notations en tablature). Cette proposition me parat tre de servitude : la numrisation de la musique (conue comme crasement de la note par le chiffre) serait son asservissement au nombre [30].
Il y a ensuite la tche (permanente) consistant musicaliser les nouveaux matriaux sonores (et qui touche ce que Jacques Rancire nous rappelait comme tant le dveloppement des forces productives).
LÕenjeu est que lÕart musical comme tel oriente cette musicalisation, selon quatre aspects dterminants pour la musique :
— faire en sorte que ces nouveaux matriaux sonores puissent tre musicalement crits et pas seulement nots ;
— assurer une instrumentalisation proprement musicale des nouveaux instruments (non musicaux) offerts la musique — voir en premier lieu le haut-parleur, lÕordinateur —, sachant quÕun instrument de musique convoque le jeu dÕun corps rayonnant (ce que ne sont ni le haut-parleur, ni lÕordinateur) ;
— se donner les moyens de pouvoir musicalement jouer de ces nouveaux instruments : jouer, en musique, cÕest mettre en jeu un corps corps (entre un instrumentiste et son instrument) qui ne saurait tre une excution mcanique ;
— apprendre musicalement contrler le son ainsi projet : le son musical est trace (du corps corps) projete dans lÕespace concret de la salle de musique. Musicaliser un nouveau type de sonorit, cÕest donc aussi musicaliser son mode de projection spatiale et pas seulement son mode dÕmission [31].
Il faut enfin musicaliser les savoirs empiriques.
JÕentends par l un certain nombre dÕalliances
quÕil convient dÕtablir entre intellectualit musicale et autres disciplines
de pense, les mathmatiques en particulier en sorte quÕune mathmatisation de
certaines rgions du monde de la musique ne devienne pas leur
Ē naturalisation Č (leur rduction un tat de nature
physico-mathmatique)
Au total, dvelopper lÕautonomie musicale, ce sera ici, face au nouveau matriau sonore historialement offert la musique :
„ dvelopper lÕcriture musicale ;
„ dvelopper le jeu musical et musicien ;
„ dvelopper le savoir musicien.
Les tches relvent ici spcifiquement de lÕintellectualit musicale car il sÕagit ici dÕtre contemporain des penses non musicales :
— des penses dÕautres arts : posie, architecture, peinture, danseÉ ;
— des penses des sciences : singulirement des mathmatiques mais galement de la physique et dÕautres ventuellesÉ ;
— des autres penses : politique, amoureuseÉ
— de la philosophie.
Penser avec dÕautres arts et avec les sciences (en particulier la mathmatique), tablir lÕintellectualit musicale dans la contemporanit de ces penses, assurer sa compatibilit avec telle ou telle philosophie [32], autant de ncessits pour consolider lÕautonomie musicale et musicienne en historicit.
Je nÕen dtaille pas ici les contenus spcifiques et me contente dÕindiquer les ttes de chapitre.
„ Il sÕagit ici de sÕmanciper tant de la Ē droite Č fonctionnalisante que de Ē lÕultra-gauche Č romantique (celle de la musique absolue et pure, de lÕart pour lÕart cÕest--dire du jeu sans enjeu, ou de la musique comme jeu de langage).
LÕenjeu est donc ici de produire des Ļuvres musicales capables dÕaccueillir de lÕtranger dÕun autre monde que celui de la musique, du matriau tranger venant visiter le monde de la musique, sans viser pour autant lÕassimiler ni inversement lÕexhausser comme curiosit. Ceci concerne en premier lieu le rapport de lÕĻuvre musicale au texte littraire. La directive me semble ici double : ni le dchiqueter pour mieux le musicaliser en dtruisant son sens propre (attitude de Boulez), ni le mettre au cĻur de lÕĻuvre musicale (disposition du thtre musical). La disposition musicale que je soutiendrai consistera ici scinder la voix parlant un texte.
„ Il sÕagit galement ici dÕtre en capacit de musiques allant visiter dÕautres mondes pour les servir : musiques de cinma, musiques chorgraphiques. Cette musique visitant le cinma ( lÕinverse dÕun texte visitant la musique) peut tre tout autre chose quÕune fonctionnalisation de la musique : plutt son application didactique [33].
„ Il sÕagit enfin de dployer des gnalogies entre Ļuvres grce la pratique essentielle du concert.
„ Au total, consolider lÕmancipation de lÕĻuvre en exhaussant les gnalogies musicales, cÕest aussi et toujours manciper la musique des pseudo-gnalogies proprement musiciennes, celles qui prtendent enchaner lÕĻuvre musicale son gniteur (le compositeur), ses interprtes et ses auditeurs.
Pierre-Jean Jouve : Ē Nous qui avons toujours conu lÕide dÕune ralit autonome de lÕĻuvre dÕart (sans auteur, ni acteur, ni spectateur) pour une certaine gravitation des causes essentielles, nous voyons en Wozzeck un exemple dÕart qui, embrassant tout le rel, surpasse tout le rel — passe en un autre monde. Č [34]
Ē Je nÕaurais jamais crit une ligne si je nÕavais pas pens [É] une ralit autonome de lÕĻuvre dÕart, sans auteur ni acteur ni spectateur, pour une certaine gravitation des causes essentielles. Č [35]
En rsum, je conclurai par cette srie de
directives :
į
Contre la tutellisation de la musique,
dvelopper lÕautodtermination du monde de la musique.
į
Contre la fonctionnalisation de la
musique, dvelopper lÕmancipation de lÕart musical.
į
Contre le nihilisme, consolider
lÕautonomie de la musique en dialectisant art musical et monde de la musique.
į
On peut composer aujourdÕhui avec ce que
lÕon a.
į
On peut penser aujourdÕhui avec ce quÕil
y a.
į
Dvelopper lÕautonomie nÕest pas
seulement exprimenter pour conqurir mais aussi occuper les nouveaux
territoires actuellement disponibles, les musicaliser.
į
Le cĻur de la question relevant
aujourdÕhui de la musique, il sÕagit de compter sur les forces de la musique
tout en dployant des alliances avec les partisans dÕautres autonomies dans
dÕautres domaines de pense.
–––––––––
[1] comme il existe une gnalogie de telle ou telle Ļuvre musicale.
[2] comme il existe une archologie de telle ou telle Ļuvre dans un tat donn du monde de la musique.
[3] comme il existe une historicit de telle ou telle Ļuvre musicale dans une contemporanit dÕautres modes de pense que musical.
[4] comme il existe une historialit de tel ou tel tat du monde de la musique dans un rapport aux autres mondes et plus globalement au chaosmos.
[5] Je distingue ce faisant lÕhistorialit (ou placement dans une histoire) de lÕhistoricit (qui indexe un potentiel producteur dÕhistoire).
[6] Remarquons que ceci constitue trs exactement la dfinition de la libert que donne Rousseau — Ē LÕobissance la loi quÕon sÕest prescrite est libert Č — ce qui nous rappelle quÕil nÕy a de libert quÕau prsent.
[7] Voir le caractre innocent du plaisir dans la conception quÕAlain Badiou appelle Ē classique Č des rapports entre arts et vrit (cf. son Petit manuel dÕinesthtique, Seuil, 1998)
[8] Dans une telle problmatique, lÕart nÕa plus aucun Ē rel Č — Marcel Duchamp sÕest fait le hraut dÕune telle dissolution sophistique —.
[9] Rappelons que ce livre date des annes 40 et fut la premire tentative adornienne de mettre la philosophie sous condition de lÕvnement musical que constituait lÕcole de Vienne. Indiquons que cette premire tentative est philosophiquement peu assure et quÕil faut se tourner vers la Dialectique ngative du mme auteur (vingt ans plus tard) pour trouver cette fois une problmatique philosophiquement plus assureÉ
[10] Musica Rhetoricans, sous la dir. de Florence Malhomme, Presses de lÕUniversit de Paris-Sorbonne, Paris, 2002
[11] op. cit., p. 8
[12] op. cit., p. 7
[13] Dans le quadrivium, la musique se situe ct de lÕarithmtique, de la gomtrie et de lÕastronomie.
[14] La musique sÕaccorde Ē lÕHarmonie du monde Č en accordant son harmonie propre la rationalit du nombre — la musique est dans le quadrivium au titre des nombres sonores, lÕastronomie matrialisant les nombres cosmiques —.
[15] DÕo sa dimension Ē rhetoricans Č qui conjoint Ē ses forces avec celles du Logos Č.
[16] op. cit., quatrime de couverture.
On retrouve ici ce quÕAlain Badiou appelle le Ē schme didactique Č faisant de lÕart un ducateur des vrits extrinsques, qui ne sÕy jouent donc nullement
[17] [Sicut musica credit principia sibi tradita ab arithmetico, ita sacra doctrina credit principia revelata sibi a Deo] (La thologie ; Question 1, article 2)
[18] Cela dcoule simplement du fait que Ē les mathmatiques sont lÕontologie Č (A. Badiou).
[19] Mais tout aussi bien lÕopposition lui, sÕil est vrai que lÕopposition nÕest quÕune inversion.
[20] Soit la dgradation du sensible en sensuelÉ
[21] Ē LÕimpuissance humaine matriser et contrarier les affects, je lÕappelle Servitude : en effet lÕhomme soumis aux affects est sous lÕautorit non de lui-mme, mais de la fortune, au pouvoir de laquelle il se trouve ce point quÕil est souvent forc, quoiquÕil voie le meilleur de lui-mme, de faire pourtant le pire. Č (thique, Seuil, trad. Pautrat, p. 335)
[22] Ē Celui qui sÕessaie lÕindpendance sÕenfonce dans un labyrinthe, il multiplie par mille les dangers inhrents sa vie et dont le moindre nÕest pas que nul ne voit de ses propres yeux o ni comment il sÕgare, sÕisole et se laisse dchirer lambeau par lambeau par quelque minotaure tapi aux cavernes de la conscience. Č Nietzsche (Par-del le bien et le mal, ¤ 29). Ou les dangers de toute libert et les risques de toute autonomieÉ
[23] On reconnatra facilement, en cette opposition des deux nihilismes, la figure actuelle des affrontements (homognes) entre Ē Dmocratie occidentale Č et Ē Terrorisme moyen-oriental ČÉ
[24] Pour une vision sociologique de ce quÕest un monde, voir par exemple Howard S. Becker : Ē Un monde de lÕart se compose de toutes les personnes dont les activits sont ncessaires la production des Ļuvres bien particulires que ce monde-l (et dÕautres ventuellement) dfinit comme de lÕart. Č (Les mondes de lÕart — Art Worlds, Flammarion, 1988, p. 58). Ici le monde est dfini par ses lments, en lÕoccurrence les hommes — on discerne pourtant le cercle vicieux quÕil y a vouloir dfinir le monde de lÕart par les artistes, cÕest--dire par ceux qui se rclamentÉ de lÕart ! —.
[25] Pour plus de dtail sur cette problmatique, je renvoie ma confrence lÕEhessÉ
[26] Ė ce titre, il faut sans doute tenir que la musique grecque ne composait pas un monde propre faute de sÕtre dote dÕune criture indpendante.
[27] La vision moderne (post-cantorienne) est en effet quÕil nÕy a pas de Tout, donc dÕUnivers comme totalisation possible : on ne peut faire Ē tout Č de ce quÕil y aÉ
[28] La musique-art se distingue ici des musiques-cultures en sorte que lÕenjeu est ici art ou cultures plutt que cultures ou march.
[29] Au passage, cÕest aussi ce qui rend compte de cette donne subjective : pour un musicien, la musique ne saurait tre dfinie.
[30] Boulez, ce titre, soutenait mon sens tout fait inconsidrment que toute fixation sur un support vaudrait criture : criture ?, peut-tre !, mais srement pas criture musicale, ce qui est ici tout le pointÉ
[31] Voir, par exemple, le travail men lÕIrcam autour de la TimeÉ
[32] Dans mon cas, avec celle dÕAlain Badiou.
Par contre, je ne pense pas possible dÕassurer une compatibilit de lÕintellectualit musicale ici dploye avec la philosophie dÕAdorno, ne serait-ce quÕen raison de sa vision sociologique de lÕautonomie (par exemple : Ē LÕidal bourgeois de lÕautonomie Č, Quasi una fantasia, p. 225) mais aussi en raison de sa conception du sujet restant prisonnire dÕune problmatique individuelle (Ē LÕart autonome prsuppose lÕautonomie dÕun individu qui nÕest pas socialement autonome Č, id., p. 178).
[33] Voir sur ce point lÕintressant exemple de la Ē musique applique Č au cinma par Hans EislerÉ
[34] Wozzeck, p. 242
[35] O.C., tome II, p. 1161