DÕune longue marche de la modernitŽ musicale, ˆ la lumire de lÕalgbre galoisienne

(sŽminaire mamuphi, 20 janvier 2018)

 

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Franois Nicolas

 

[ Introduction ˆ lÕatelier mamuphi  sur Galois, le samedi 7 avril 2018 ˆ lÕIrcam]

 

RŽsumŽ........................................................................................................................................... 1

Attendus......................................................................................................................................... 4

De lÕalgbre en mamuphi É..................................................................................................... 4

DÕune singularitŽ algŽbrique dans la thŽorie de GaloisÉ.................................................. 4

DÕune puissance de pensŽe spŽcifiquement moderneÉ...................................................... 5

DÕune mutation rŽussie par la modernitŽ mathŽmatique dans les annŽes 60.................. 6

De trois pŽriodes dans les diffŽrentes modernitŽsÉ............................................................ 6

Un exemple.................................................................................................................................... 7

Une Žquation............................................................................................................................. 7

Cinq racines inconnues ˆ cependant classer......................................................................... 8

OpŽrations sur un regroupement dŽfini mais indŽterminŽ................................................ 9

Correspondance de Galois..................................................................................................... 10

Alliage de six gestes galoisiens de pensŽe............................................................................... 11

1. RŽdupliquer............................................................................................................................ 11

2. Renverser................................................................................................................................ 11

3. Dualiser.................................................................................................................................. 12

4. ƒtendre................................................................................................................................... 12

5. Adjoindre............................................................................................................................... 12

6. Renoncer................................................................................................................................ 12

Un alliage................................................................................................................................. 12

Annexes........................................................................................................................................ 13

DÕune mŽlancolie mathŽmaticienne prŽcŽdant lՎvŽnement-Galois................................ 13

DÕun nŽcessaire renoncementÉ........................................................................................... 13

Douze moments mathŽmatiques o ce qui fut soustrait se convertit en affirmation.... 14

 

RŽsumŽ

Les mathŽmatiques modernes naissent autour de 1830 avec la thŽorie de Galois [1], qui rŽvolutionne lÕalgbre en repensant lՎquation polynomiale comme correspondance entre corps (de rŽsolution) et groupes (de permutations) de ses racines. Ce faisant, Galois rŽsout une crise algŽbrique des Žquations irrŽductibles (qui, par bien des points, sÕapparentait ˆ lÕantique crise arithmŽtique des nombres irrationnels [2]) et arrache ainsi les mathŽmatiques [3] au climat dŽsabusŽ qui y dominait depuis un demi-sicle [4] pour les engager sur ce que Grothendieck nommera, un sicle et demi plus tard, Ē une longue marche Č, toujours en cours. [5]

 

Quel type de modernitŽ mathŽmatique Žmerge ainsi dans les Ē extensions et groupes de Galois Č ? Comment, en algbre, configurent-elles lÕopposition du classique et du moderne ? [6] Ce renversement  de lÕalgbre (o dŽsormais le polyn™me structure le produit de ses zŽros en groupe stable au lieu de le disperser en rŽsolutions individuelles) peut-il intŽresser aujourdÕhui de tout autres types de modernitŽs, ensablŽes dans leurs propres saturations, ˆ commencer par la modernitŽ musicale, engagŽe par Schoenberg, mise ˆ mal aprs 1968 par la postmodernitŽ et, depuis la mort de Carter et de Boulez, tenue pour forclose par la plasticitŽ contemporaine de la performance, du mixage et de la numŽricitŽ ? [7] Ė quelles conditions serait-il possible de reprendre la longue marche de ces modernitŽs (politiques, artistiques, amoureusesÉ) aux points mmes o une mŽlancolie rŽsignŽe [8] les a abandonnŽes ?

 

LÕhypothse sera quÕun certain style galoisien de pensŽe peut ici nous Žclairer, nous guider et nous encourager. Nous en thŽmatiserons, pour ce faire, les caractŽristiques suivantes : rŽduplication (de lՎnonciation), renversement (de la problŽmatique), dualisation (des corrŽlations), extension (dÕensemble), adjonction (ŽlŽmentaire) et renoncement (circonscrit), soit au total le faisceau de six gestes :

1.     RŽdupliquer (ou dialectiser) lՎnoncŽ du problme dans son Žnonciation : Galois, en Žtablissant la pensŽe algŽbrique dans ce quÕelle ne connait pas de lÕinconnue sans plus la cantonner ˆ ce quÕelle peut en conna”tre (cÕest-ˆ-dire ˆ lՎquation formalisant les relations connues de lÕinconnue), dispose ainsi lՎnonciation algŽbrique sous le signe mme de lÕinconnaissable quÕelle Žtudie. [9]

2.     Renverser (ou retourner) lÕordre du problme en sorte de ressaisir le point o lÕon bute comme la ressource dÕo repartir : Galois Ē groupe Č les racines algŽbriquement indiscernables pour mieux travailler la structure mme de leur ambigu•tŽ. [10]

3.     Somme toute, dualiser (ou rŽciproquer) les deux faces du problme en les saisissant dans lÕunitŽ dialectique de leur opposition, dans lÕambigu•tŽ duale de leur sŽparation [11] : Galois, prolongeant lÕalgŽbrisation cartŽsienne de la gŽomŽtrie, gŽomŽtrise lÕalgbre des polyn™mes en sorte quÕon puisse interprŽter et formaliser chacune en lÕautre. Cette dualitŽ (ou rŽciprocitŽ) des r™les [12] est au cĻur de la dimension fonctorielle de la Ē correspondance de Galois Č : fonctorialitŽ (contravariante) entre extensions de corps et rŽductions de groupes. [13]

4.     ƒtendre, soit sortir de lÕimpasse par le haut en crŽant de nouvelles notions qui autorisent lÕextension du domaine de travail : Galois, reliant la rŽsolubilitŽ de lՎquation ˆ son corps de rŽsolution, explore les extensions de corps (donc de la situation constituante) qui vont autoriser de nouvelles possibilitŽs.

5.     Pour mettre en Ļuvre cette extension, adjoindre : Galois invente ce faisant la mŽthode si puissante de lÕadjonction-extension. [14]

6.     Last but not least, accepter de payer le prix du nouvel espace Žtendu en renonant ˆ ces premires motivations quÕil devient rŽtroactivement possible de caractŽriser comme une sorte de stade juvŽnile de la discipline : ainsi Galois dŽfŽtichise [15] le millŽnaire dŽsir algŽbrique de rŽsolubilitŽ. [16]

 

Au total, Galois contribue ainsi ˆ lÕhistoire mathŽmatique de ces rŽvolutions o une notion de prime abord privative se retourne en socle affirmatif pour de nouveaux Žlans : lÕinconnu (Al-Khaw‰rizm”), lÕirrŽductible (Galois), lÕirrationnel (Dedekind), lÕinfini (Cantor), le non-euclidien (Riemann), lÕinvariant (Klein), lÕincomplŽtude et lÕindŽcidable (Gšdel), lÕirrŽgulier (Hironaka), lÕindiscernable (Cohen), lÕinfinitŽsimal (Robinson, Conway), le non-commutatif (Connes), etc., toutes notions qui font bien sžr Žcho ˆ lÕinconscient (Freud). [17]

 

Tout ceci ne constitue-il pas une Žtonnante ressource mamuphique pour ceux qui, ne cŽdant pas sur leur dŽsir de modernitŽ musicale [18], devront, t™t ou tard, reconvertir la dimension soustractive et ascŽtique de sa sŽquence fondatrice (a-tonalitŽ, a-thŽmatisme et a-mŽtricitŽ) en la figure affirmative et expressive dÕune troisime sŽquence [19], extrayant par le haut la composition moderne de son enlisement constructiviste (sŽrialisme) ?

Attendus

Il sÕagit dÕouvrir ici un nouveau vaste chantier mamuphi sur la thŽorie de Galois, de sa naissance jusquՈ nos jours.

De lÕalgbre en mamuphi É

Un prŽcŽdent travail sur la thŽorie de Cohen (forcing) avait mis en Žvidence une gŽnŽalogie ascendante CohenGalois, explicitŽe par Paul Cohen au dŽbut de son exposition du concept de forcing [20] : Ē La situation est analogue ˆ la construction de lÕextension dÕun corps formŽe en adjoignant la racine dÕune Žquation irrŽductible Ä(x)=0. Č

SÕengager cependant dans un travail algŽbrique au long cours pose, ˆ mon sens, un problme spŽcifique ˆ mamuphi  : lÕalgbre est en effet le lieu de ce que RenŽ Guitart appelle Ē la lettre aveugle Č, autant dire le lieu dÕun calcul peu stimulant pour des intellectualitŽs non mathŽmatiques.

Ainsi dans la Ē pulsation gŽomŽtrie-algbre Č (R. Guitart), lÕintellectualitŽ musicale sÕinspire-t-elle plus volontiers de la gŽomŽtrie – disons : de la figure gŽomŽtrique et du diagramme.

La musique dispose en effet de sa propre algbre (elle sÕappelle solfge), de ses propres lettres (elles sÕappellent notes), disons : de son propre ordre symbolique par formalisation littŽrale si bien que, sauf ˆ dŽlŽguer ses calculs ˆ lÕalgbre (voie de lÕinformatique musicale), la musique a un imaginaire plus naturellement tournŽ vers le gŽomŽtrique, le figural, le diagrammatique.

Il est vrai cependant que mamuphi  est lÕunitŽ dialectique de deux voies :

1.     la voie de lÕapplication : celle o un problme musical trouve sa rŽsolution par application mathŽmatique ;

2.     la voie des raisonances thŽoriques : celle des correspondances, des analogies, Žventuellement des fonctorialitŽs.

LÕalgbre correspond plus naturellement ˆ la voie-application car le calcul y est plus central -  lÕalgbre nÕest-elle pas le site paradigmatique du calcul mathŽmatique (mme si, comme on va voir, Galois rŽvolutionne cette caractŽrisation de lÕalgbre) ?

 

ƒtudier la thŽorie de Galois fait exception ˆ cette rŽserve mamuphique concernant lÕalgbre car il sÕagira pour nous, dans un premier temps, dÕen Žtudier surtout la naissance (tout comme jÕai pu Žtudier la naissance de lÕalgbre en gŽnŽral dans ce qui pouvait encore sÕappeler lŽgitimement Ē monde arabe Č - Bagdad, 830 – ce qui mÕa amenŽ ˆ soutenir que la langue arabe avait constituŽ le berceau de lÕalgbre).

ƒtudier la naissance dÕune thŽorie, cÕest en effet non pas tant sÕen saisir pour examiner ce quÕelle Žclaire en aval dÕelle-mme quÕexaminer ses conditions dՎmergence, lՎclairer donc du point de son amont : comment a-t-elle pu se constituer, par quels gestes de pensŽe ?

Il va donc sÕagir pour nous, au moins dans un premier temps, dÕexaminer la thŽorie moins dans son dŽveloppement dŽtaillŽ et la sinuositŽ de ses dŽmonstrations que dans ses audaces constituantes, ses courages de pensŽe, ses Žlans pour dŽpasser les obstacles.

DÕune singularitŽ algŽbrique dans la thŽorie de GaloisÉ

LÕintŽrt spŽcifique de cette thŽorie de Galois est en effet que les obstacles vont sÕavŽrer tre Ē franchis Č sans quÕils soient pour autant effacŽs ou dissous : ici les Žquations algŽbriques qui font obstacle ˆ la rŽsolution par radicaux vont bien rester dŽfinitivement irrŽductibles, irrŽsolubles donc ! Mieux, la thŽorie va dŽmontrer que lÕobstacle est bien infranchissable Ē par radicaux Č, que les racines de lՎquation irrŽductible vont bien dŽfinitivement rester Ē hors-champ Č de lÕalgbre des nombres rationnels. Mais, en montrant que lÕobstacle est ainsi bien rŽel, en dŽmontrant le point de rŽel de lÕimpasse, la thŽorie va subsumer la situation donnant forme au problme. Elle ne va donc pas effacer lÕimpasse ; elle ne va pas dŽtruire ou percer le mur qui la barre ; ce nÕest pas non plus que la thŽorie va sortir de lÕimpasse en sautant, tel Icare, par-dessus le mur pour mieux ensuite le laisser derrire soi, lÕabandonner ˆ son sort dÕobstacle localisŽ, le dŽlaisser comme terrain inappropriŽ de jeu, comme dŽdale stŽrile pour la pensŽe. CÕest plut™t quÕen comprenant le rŽel de cette impasse, lÕimpossible ˆ franchir, la thŽorie va comprendre o situer cette impasse dans le champ global dont elle est lÕimpasse propre.

Ainsi lÕimpasse trouve sa solution en Žtant non pas minorŽe mais majorŽe comme point rŽel dÕune situation globale : lÕimpasse ici, loin dÕappara”tre comme un Žgarement circonstanciel – une erreur dÕaiguillage -, va valoir comme singularitŽ au sens dÕHironaka cÕest-ˆ-dire comme faisant sympt™me ponctuel dÕune structure globale inapparente. LÕimpasse, ainsi comprise comme impasse rŽelle et nŽcessaire, et non plus comme dŽfaut de connaissances ou de mŽthodes, avoue un secret de la situation globale.

 

CÕest ˆ ce titre que, en ces temps dÕimpasse pour bien des pensŽes, cette expŽrience-Galois peut sÕavŽrer, pour nous non-mathŽmaticiens, prŽcieuse.

 

Elle incite dÕabord ˆ distinguer deux sortes dÕimpasses :

-       des impasses conjoncturelle ou impasses par dŽfaut (Ē faute de ceci ou de cela, on nÕa pas encore trouvŽ le moyen de se faufiler Č) ;

-       des impasses structurelles ou impasses de structure, lesquelles ouvrent alors ˆ deux voies possibles :

o   celle de lÕabandon et du dŽplacement procŽdant du diagnostic suivant : Ē la voie Žtant dŽfinitivement bouchŽe, il nous faut aller voir ailleurs Č ;

o   celle dÕune mutation dÕensemble qui associe conversion des dŽsirs, Žlargissement des problŽmatiques et nouvelle vision dÕensemble – je propose de la nommer : passage dÕun stade juvŽnile ˆ un stade adulte de la problŽmatique en question.

Galois est le nom dÕun tel passage, dÕune telle mutation dont tous les mathŽmaticiens aujourdÕhui conviennent de dire quÕelle est la mutation de la mathŽmatique classique en la mathŽmatique moderne.

DÕune puissance de pensŽe spŽcifiquement moderneÉ

Prenons donc la thŽorie de Galois (1830) comme le geste fondateur de la modernitŽ mathŽmatique, un peu comme les Thses sur Feuerbach (1845) et le Manifeste du parti communiste (1848) de Marx le sont pour la modernitŽ politique ou les opus 10 (2” quatuor, 1908) ˆ 21 (Pierrot lunaire, 1912) de Schoenberg le sont pour la modernitŽ musicale.

Notre hypothse de dŽpart sera donc que cette mutation-Galois indexe une puissance spŽcifiquement moderne, qualitativement diffŽrente de la puissance classique, par exemple dÕun Descartes (dont la mathŽmatique - GŽomŽtrie - vient appuyer un Discours de la mŽthode o la raison classique sÕattache ˆ convertir le doute en certitude tout de mme que lÕalgbre classique convertit lÕinconnu en connu pour peu, comme lՎcrit Descartes dans ses Rgles pour la direction de lÕesprit, quÕelle ose Ē lÕartifice de supposer connu ce qui est inconnu Č).

Le trait frappant de cette mutation est quÕelle va libŽrer des forces stratŽgiques ˆ trs grande Žchelle temporelle (celle-lˆ mme que Grothendieck appelle Ē longue marche Č et qui se prolonge depuis bient™t deux sicles).

Cette mutation ouvre donc une nouvelle re – lՏre des mathŽmatiques modernes.

JÕaimerais au passage quÕon mÕexplique ce que de supposŽes Ē mathŽmatiques romantiques Č peuvent bien tre. QuÕil y ait des mathŽmaticiens romantiques, cÕest une chose. Mais quÕil y ait des mathŽmatiques intrinsquement romantiques comme il y a bien des mathŽmatiques intrinsquement classiques et modernes, des musiques ou des pomes intrinsquement romantiques, toutes propositions attestables dans le dŽtail intŽrieur des textes concernŽs, cÕest une tout autre chose !

Le raz de marŽe dŽclenchŽ par cette mutation – raz de marŽe trs lent au demeurant ˆ se dŽclencher mais ensuite dÕautant plus irrŽsistible que ses Žlans contenus se seront longuement accumulŽs – peut, me semble-t-il, se pŽriodiser entre trois Žtapes principales :

1)    lՎtape constituante : celle de Galois ;

2)    lՎtape de la gŽnŽralisation et de lՎlargissement : celle quÕon dira dÕArtin - ici la thŽorie sՎtend ˆ la fois verticalement par abstraction et horizontalement par extension ˆ dÕautres Žquations que les Žquations polynomiales (Žquations trigonomŽtriques, elliptiques, diffŽrentiellesÉ) et ˆ dÕautres objets que les Žquations prŽcŽdentes (gŽnŽralisations du c™tŽ des corps ou des groupes, Žlargissements aux groupes de Galois arithmŽtiques ou gŽomŽtriques, etc.) ;

3)    lՎtape de la mutation interne ˆ la grande mutation-Galois : celle de Grothendieck (nouvelles gŽnŽralisations et Žlargissements – K-algbres, catŽgories de Galois, schŽmasÉ – autorisant une gŽomŽtrisation systŽmatique, via la thŽorie des catŽgories, de cette algbre moderne).

DÕune mutation rŽussie par la modernitŽ mathŽmatique dans les annŽes 60

LÕenjeu principal et ultime du chantier dŽcennal que je propose dÕouvrir [21] serait de caractŽriser les gestes spŽcifiques de ce troisime temps dit Grothendieck, les ressources spŽcifiques de cette mutation interne ˆ la modernitŽ mathŽmatique : lˆ o les gestes constitutifs de la seconde Žtape sont clairement ceux de lÕabstraction formalisante, de la gŽnŽralisation et de lՎlargissement, ceux de la troisime Žtape, sans renier les prŽcŽdents, introduisent des gestes dÕun autre type.

Indiquons dÕores et dŽjˆ un trait frappant [22] de ce troisime temps : Emil Artin (seconde Žtape) a formalisŽ une thŽorie de Galois gŽnŽralisŽe (corps quelconqueÉ) et ainsi aboutit ˆ une exposition concentrŽe dÕune extrme ŽlŽgance et limpiditŽ. Le problme est que, ce faisant, il a serti la thŽorie tel un diamant, fascinant mais corrŽlativement peu accessible aux appropriations particulires de la thŽorie.

O lÕon retrouve le danger de cette dŽviation quÕon dira formaliste [23] qui a contribuŽ ˆ lÕimpasse des secondes Žtapes pour les diffŽrentes modernitŽs : sŽrialisme sans thŽmatisme, structuralisme sans sujet, marxisme-lŽninisme sans liaison de masse, abstraction picturale sans figure [24], etc.

 

Les mathŽmatiques sÕen sont sorties dans les annŽes 60 ˆ la fois en se dŽveloppant comme il est naturel en aval du point dÕarrt – en particulier par ces explorations des groupes de Galois quÕautorisaient les nouvelles puissances informatiques de calcul – mais Žgalement en amont, gr‰ce cette fois ˆ Grothendieck.

 

Arrtons-nous un instant sur ce geste consistant ˆ travailler en amont du point dÕarrt plut™t quՈ simplement et naturellement examiner son aval. Il est caractŽristique de ce troisime temps qui est le n™tre car il est caractŽristique dÕun temps de reprise plut™t que de fondation.

Travailler lÕamont immŽdiat dÕun problme suppose de faire un lŽger pas en arrire pour examiner sous un autre jour le point dÕarrt, pour dŽgager un entour du point o les choses se sont cristallisŽes et figŽes.

Dans le geste en question de Grothendieck (celui, dŽlimitŽ, qui concerne la thŽorie de Galois), il ne sÕagit pas ˆ proprement parler dÕexaminer les Ē conditions de possibilitŽ Č de lÕarrt concernŽ, ni non plus son Ē transcendantal Č (la structuration logique implicite de la situation gŽnŽrale). Mon hypothse serait quÕil sÕagit plut™t de remonter de lՎnoncŽ ˆ sa position dՎnonciation : ici de remonter des ŽnoncŽs algŽbriques Galois-Artin (sur les groupes) ˆ leurs conditions gŽomŽtriques dՎnonciation. Le geste de Grothendieck reviendrait donc ˆ poser quÕavant mme le groupe, en amont de lui, il y a une gŽomŽtrie ˆ lÕĻuvre, un paysage ˆ examiner, cet espace que jÕappelle Ē hors-champ Č du corps constituant, ce lieu spŽcifique que le groupe va venir structurer dans un temps second.

Cette hypothse sera ˆ travailler en dŽtail ; elle intuitionne ce qui pourra, en cette affaire (malgrŽ tout extrmement technique et requŽrant un trs lourd investissement pour sÕapproprier les mathŽmatiques concernŽes), nous intŽresser, nous non-mathŽmaticiens dŽsirer de penser aujourdÕhui telle ou telle modernitŽ spŽcifique ˆ la lumire des mathŽmatiques modernes et ˆ lÕombre de la philosophie de notre temps.

De trois pŽriodes dans les diffŽrentes modernitŽsÉ

Soit une nouvelle hypothse de travail : ces trois pŽriodes de la modernitŽ algŽbrique pourraient Žclairer les problmes aujourdÕhui des autres modernitŽs sÕil est vrai que ce troisime moment de la modernitŽ mathŽmatique fait utile exception dans lÕensablement des diffŽrentes modernitŽs autour de 68.

Il est en effet frappant quՈ bien y regarder, les mathŽmatiques ont rŽussi, ˆ partir des annŽes 60, leur rŽvolution dans la rŽvolution moderne – on peut ici parler dÕun Ē tournant gŽomŽtrique dans la pensŽe Č [25], dŽqualifiant lÕancien dŽtestable Ē tournant linguistique Č du Cercle de Vienne - lˆ o les autres pensŽes non-scientifiques ont massivement ŽchouŽ (ˆ lÕexception notable de la philosophie [26]) :

-       voir, face ˆ la peinture et ˆ la sculpture modernes, lÕhŽgŽmonie de Ē lÕart contemporain Č [27] ;

-       voir le tournant de la musique moderne autour de 68 [28] ;

-       voir lÕensablement progressif des politiques modernes dՎmancipation, puis leur oubli (nostalgique) ˆ partir de la fin des annŽes 70 et finalement aujourdÕhui leur forclusion (mŽlancolique) ;

-       voir en amour, lÕensablement, aprs le moment lacanien, dÕune pensŽe vive de la diffŽrence des deux sexes.

Sur ce fond, la mathŽmatique fait donc exception victorieuse ! Tout projet de relancer les modernitŽs selon une troisime vague stratŽgique ne peut donc quÕutilement tirer parti de son Žcole.

 

Autant de raisons ainsi de nous pencher aujourdÕhui sur la thŽorie de Galois pour en saisir ce que Gerard Manley Hopkins appellerait ses instress (ses intensions), autant dire son mouvement dՎmergence, son Žnergie constituante, son audace subjective.

Tentons pour cela dÕidentifier les instress spŽcifiques de la thŽorie de Galois.

 

Entrons concrtement dans notre sujet par un exemple.

Un exemple

Une Žquation

Partons dÕune Žquation, empruntŽe ˆ Alain Connes [29] :

x5+x4-4x3-3x2+3x+1=0

Son graphe nous indique quÕelle a cinq racines rŽelles :

Description : Macintosh HD:Users:francoisnicolas:Desktop:Capture dÕécran 2017-12-26 à 15.23.42.png

Nommons-les par valeurs croissantes : A, B, C, D, et E.

On peut approcher ces valeurs par calcul numŽrique :

A-1,918986É ;   B-1,309721É ;   C-0,28463É ;   D0,83083É ;   E 1,682507É

 

Par une mŽthode quÕon ne prŽcisera pas ici, on peut savoir que ce polyn™me est irrŽductible et donc quÕaucune des racines A, B, C, D, E ne pourra tre individuellement exprimŽe comme fonction algŽbrique des coefficients de lՎquation.

On dira : lÕensemble (ou regroupement des cinq racines) ={A, B, C, D, E} est dŽfini par le polyn™me [30]  = x5+x4-4x3-3x2+3x+1 mais il nÕest pas pour autant dŽterminŽ si lÕon entend ici par Ē dŽterminŽ Č le fait dՐtre algŽbriquement dŽterminable (cÕest-ˆ-dire par radicaux) de lÕintŽrieur mme de la situation algŽbrique de dŽpart (cÕest-ˆ-dire ici du corps des nombres rationnels , pris comme corps Ē de rationalitŽ Č du problme).

La situation algŽbrique constituante – le Ē corps de rationalitŽ Č - est ainsi faite dÕobjets (les ŽlŽments de cÕest-ˆ-dire les nombres dits rationnels) et dÕopŽrations sur ces objets (celles de lÕalgbre classique – addition/soustraction, multiplication/division, extraction de racines - rŽsumŽes par lÕexpression Ē radicaux Č) qui les maintiennent dans (quÕon appelle prŽcisŽment  Ē corps Č en raison de cette cl™ture sur soi).

On dira que les racines A-B-C-D-E sont toutes hors-champ du corps constituant.

Mais leur ensemble (ou regroupement) , Žtant lui bien dŽfini ˆ partir de par , nÕest pas pour autant quelconque. Il constitue une sorte dÕinconnu dŽfini, tout comme, pour Al-Khaw‰rizm”, x est un inconnu dŽfini pour lՎquation algŽbrique (polynomiale) de base  P(x)=0.

Remarque

La langue franaise diffŽrencie ses articles en distinguant articles dŽfinis/indŽfinis : par exemple, quand on dit en franais Ē homme est naturellement bon Č, homme se dit avec lÕarticle dŽfini (on parle ici du type homme, dŽfini par diffŽrence avec le type animal) lors mme que lÕhomme en question restera indŽterminŽ (gŽnŽrique). LÕarticle, ici, dŽfinit le type sans dŽterminer lÕindividu.

Par contre, la langue arabe diffŽrencie ses articles en distinguant articles dŽterminŽs/indŽterminŽs : si on parle en arabe de Ē lÕhomme Č, cela prŽsupposera quÕil sÕagit ici dÕun homme dŽterminŽ (Al” ou Muhammad), ce qui dans lÕexemple de notre phrase, nÕa pas de sens. Pour dire la mme chose, la langue arabe employera donc ici lÕarticle indŽterminŽ et Žnoncera : Ē dans un homme, il y a la bontŽ. Č

Comme on va le voir, cette dialectique du dŽfini et du dŽterminŽ est au cĻur de notre problme algŽbrique.

 

Galois va travailler non plus comme Al-Khaw‰rizm” sur les relations dŽterminables enserrant lÕinconnue individuelle x (les relations de x ˆ soi-mme – notŽes xn – et ˆ des constantes qui sont algŽbriquement formalisŽes par lՎquation) mais sur les propriŽtŽs dŽfinissables de lÕinconnu collectif (relations de ˆ lui-mme qui vont tre formalisŽes par le groupe algŽbrique).

On voit quÕil y a ici une extension du travail dans lÕinconnu : on peut dŽfinir lÕinconnu sans le dŽterminer. Ainsi, si lՎquation algŽbrique classique travaille lÕinconnue x pour la rendre ultimement connue (son but est la rŽsolution de lՎquation par dŽtermination de son inconnue [31]), pour sa part le groupe de Galois va travailler pour mieux le dŽfinir comme indŽterminable cÕest-ˆ-dire  comme destinŽ ˆ rester inconnu du point de vue de .

Cinq racines inconnues ˆ cependant classer

Revenons ˆ notre Žquation.

Remarquons ceci : mme si aucun individu du collectif des racines nÕest discernable algŽbriquement, le collectif comme tel est algŽbriquement discernable. En effet, on sait que lÕon a :

x5+x4-4x3-3x2+3x+1=(x-A)(x-B)(x-C)(x-D)(x-E)

Et lÕon sait, par dŽveloppement du polyn™me, que lÕon a :

x5

-(A+B+C+D+E)x4

+(AB+AC+AD+AE+BC+BD+BE+CD+CE+DE)x3

-(ABC+ABD+ABE+ACD+ACE+ADE+BCD+BCE+BDE+CDE)x2

+(ABCD+ABCE+ABDE+ACDE+BCDE)x

-ABCDE=0

On en dŽduit donc que

į       A+B+C+D+E=-1

į       AB+AC+AD+AE+BC+BD+BE+CD+CE+DE =-4

į       ABC+ABD+ABE+ACD+ACE+ADE+BCD+BCE+BDE+CDE =3

į       ABCD+ABCE+ABDE+ACDE+BCDE =3

į       ABCDE=-1

Autant donc de connaissances globales sur le collectif .

On se retrouve ainsi face au paradoxe suivant : le collectif des cinq racines est discernable algŽbriquement comme collectif alors quÕindividuellement aucun de ses ŽlŽments (racines) ne lÕest ; le collectif est dŽfini mais aucun de ses ŽlŽments nÕest individuellement dŽterminŽ.

En effet, au stade o nous en sommes, on conna”t certaines relations internes ˆ  - on en conna”t dŽjˆ cinq avec nos formules prŽcŽdentes – mais on ne conna”t bien sžr pas toutes ces relations (si on les connaissait toutes, on connaitrait alors la relation dÕidentitŽ que chacune entretient avec elle-mme et chaque racine serait ainsi dŽterminŽe) : par exemple, on ne conna”t pas AC+BD+CE+DA+EB ou ABD+BCE+CDA+DEB+EAC. On conna”t moins encore AB+CE, AB, A, etc.

LÕidŽe est alors dÕexplorer les propriŽtŽs quÕon peut conna”tre de cet ensemble .

Ce faisant, on va opŽrer algŽbriquement sur lÕensemble inconnu un peu comme Al-Khaw‰rizm” a opŽrŽ sur lՎlŽment inconnu x : la mŽthode algŽbrique a en effet pour noyau fondateur lÕidŽe de traiter lÕinconnu comme sÕil Žtait connu en le nommant pour mieux le formaliser littŽralement.

Face ˆ un problme concret, Al-Khaw‰rizm” traite lÕinconnu comme sÕil Žtait connu en lui donnant un nom propre x en sorte dÕexaminer les relations connaissables de cet x (inconnu fictionnŽ en connu) avec lui-mme (x2) ou avec des quantitŽs connues (constantes). DÕo la formalisation de ce rŽseau de relations connues en un nouvel objet algŽbrique : lՎquation.

En un sens, Galois fait de mme en posant : Ē faisons comme si lÕensemble des racines inconnues Žtait connu, donnons-lui le nom propre et examinons quelles relations cet ensemble entretient avec lui-mme. Č DÕo la formalisation de ce rŽseau de relations connaissables en un nouvel objet algŽbrique : le groupe de Galois.

Attention : ce groupe de Galois nÕest pas lÕensemble des racines (leur regroupement) mais un ensemble structurŽ (on va voir comment) dÕopŽrations sur (celles qui vont le maintenir inchangŽ). [32]

Au total, comme Al-Khaw‰rizm” est passŽ de lÕinconnue ˆ son Žquation (en fictionnant lÕinconnue comme connue), Galois va passer de lՎquation ˆ son groupe ; le travail algŽbrique monte ainsi dÕun cran : inconnuŽquationgroupe.

OpŽrations sur un regroupement dŽfini mais indŽterminŽ

Quelles sont ces opŽrations ?

Ce sont – ce ne peuvent tre – que des permutations Pi sur les ŽlŽments de cet ensemble , cÕest-ˆ-dire sur les racines de lՎquation (ou zŽros du polyn™me).

Le point dŽcisif va tre de montrer que lÕensemble de ces permutations (leur regroupement ={Pi}) nÕest pas seulement un tas, un paquet dÕopŽrations mais a une structure interne particulire, celle prŽcisŽment qui va prendre le nom de groupe : le regroupement (des permutations) vaut groupe au sens technique  (algŽbrique) du terme alors que le regroupement des racines ne vaut pas groupe algŽbrique.

LÕidŽe trs simple est en effet la suivante : si lÕon a deux permutations Pa et Pb des ŽlŽments de qui le maintiennent inchangŽ, alors les combinaisons successives Pa”Pb et Pb”Pa sont Žgalement des permutations maintenant inchangŽ et sont donc des ŽlŽments de .

Vous voyez quÕon a maintenant ˆ faire avec ce groupe ˆ un ensemble dÕun type trs diffŽrent de notre ensemble de dŽpart. ={A,B,C,D,E}. En effet, la somme de deux ŽlŽments du groupe   est toujours un ŽlŽment du groupe   alors que la somme de deux ŽlŽments de - mettons A+B  - nÕa par contre nulle raison dÕappartenir ˆ .

 

On peut ici savoir [33] que le groupe de Galois est stable par lÕopŽration suivante [34] : xx2-2 ce qui revient ˆ dire que si R est racine de P, alors (R2-2) le sera Žgalement :

Empiriquement, on peut tester ce point  sur nos valeurs approchŽes :

A-1,92É ; B-1,31É ; C-0,28É ; D0,83É ; E1,68É

A2≃3,68É ; B2≃1,72É; C2≃0,08É ; D2≃0,79É ; E2=2,83É

C2-2 = A -1,92É

D2-2 = B -1,31É

B2-2 = C -0,28É

E2-2 = D 0,83É

A2-2 = E 1,68É

LÕopŽration fait donc permuter nos cinq racines de la manire suivante :

į       CA

į       DB

į       BC

į       ED

į       AE

Le groupe de Galois sÕavre donc le groupe cyclique suivant :

 

A  B     C       D    

Description : Macintosh HD:Users:francoisnicolas:Desktop:Capture dÕécran 2017-12-26 à 15.42.55.png

A  B     C       D    

Soit :

1

A

B

C

D

E

2

E

C

A

B

D

3

D

A

E

C

B

4

B

E

D

A

C

5

C

D

B

E

A

1

A

B

C

D

E

 

Il vaut donc mieux indexer nos cinq racines rŽelles A-B-C-D-E non plus par ordre croissant (de manire arithmŽtiquement Ē naturelle Č) mais de cette manire A-B-E-C-D en sorte que la permutation {A,B,E,C,D} {E,C,D,A, B} devienne une simple translation. [35]

Notre groupe de Galois est ainsi mis au jour comme groupe (cyclique) des translations, quÕon peut figurer gŽomŽtriquement comme groupe des rotations des sommets dÕun pentagone :

Description : Macintosh HD:Users:francoisnicolas:Desktop:Capture dÕécran 2017-12-26 à 16.25.05.png

Correspondance de Galois

LՎtape suivante est lՎtablissement dÕune correspondance – dite correspondance de Galois – entre corps (de dŽfinition) et groupes (de symŽtries sur les racines).

Elle passe par un traitement en parties doubles :

-       dÕun c™tŽ extensions progressives du corps de dŽpart par adjonctions de racines individuellement dŽterminŽes : ĘK

-       de lÕautre c™tŽ, rŽductions progressives du groupe de symŽtries sur un hors-champ progressivement rŽduit G dont lՎtape ultime est sa rŽduction ˆ la seule permutation identitŽ I.

LÕenjeu sera alors dՎtablir les conditions dÕune correspondance pas ˆ pas entre G et ĘK qui, conduisant  jusquՈ G={I}, conduise dualement K jusquÕau corps Žtendu K[A,B,C,D,E] o toutes les racines deviennent algŽbriquement dŽterminables.

CÕest lˆ la correspondance galoisienne, qui peut tre vue comme un foncteur contravariant (les mouvements corrŽlŽs se font en sens inverse : une rŽduction dÕun c™tŽ est associŽe ˆ une extension de lÕautre) entre la catŽgorie des groupes et la catŽgorie des corps (les deux Žtant intŽrieurement structurŽes par la relation dÕinclusion) : G ĘK

 

Le rŽsultat, somme toute latŽral de cette vaste comprŽhension du problme initial, sera une caractŽrisation prŽcise du groupe de Galois (dÕune Žquation algŽbrique donnŽe) autorisant ou interdisant quÕelle soit rŽsoluble par radicaux.

Alliage de six gestes galoisiens de pensŽe

Revenons maintenant ˆ notre enjeu fondamental : caractŽriser les gestes galoisiens de pensŽe, au principe de cette rŽvolution algŽbrique.

Nous en proposerons six, Žtroitement coordonnŽs : la rŽduplication (de lՎnonciation), le renversement (de la problŽmatique), la dualisation (des corrŽlations), lÕextension (dÕensemble), lÕadjonction (ŽlŽmentaire) et le renoncement (circonscrit).

1. RŽdupliquer

RŽdupliquer (ou redoubler [36] ou dialectiser) lՎnoncŽ du problme dans son Žnonciation : Galois, en Žtablissant la pensŽe algŽbrique dans ce quÕelle ne connait pas de lÕinconnue sans plus la cantonner ˆ ce quÕelle peut en conna”tre (cÕest-ˆ-dire ˆ lՎquation formalisant les relations connues de lÕinconnue), dispose ainsi lՎnonciation algŽbrique sous le signe mme de lÕinconnaissable quÕelle Žtudie. On dira quÕavec Galois lՎnoncŽ algŽbrique devient saisi selon une Žnonciation elle-mme algŽbrique.

Le mathŽmaticien Gustave Verriest formule ainsi [37] les bonds successifs :

Ē En arithmŽtique, on fait des opŽrations dŽterminŽes sur des nombres dŽterminŽes, en algbre [classique] on fait des opŽrations dŽterminŽes sur des nombres non dŽterminŽs, dans la thŽorie des groupes abstraits [algbre moderne], on Žtudie des opŽrations non dŽterminŽes effectuŽes sur des objets non dŽterminŽs. Č [38]

Travailler ce que lÕon ne sait pas de lÕinconnu – ce qui va se dire : travailler les symŽtries du regroupement inconnu ={A,B,C,D,E} – va conduire au fait que lÕinconnu nÕest plus normŽ par le connu, lÕinconnu nÕest plus saisi comme ce qui devant tre connu ne lÕest pas encore, comme ce qui est destinŽ ˆ devenir, t™t ou tard, connu.

Le parallle ici avec lÕinconscient freudien sÕimpose : lÕinconscient nÕest pas un conscient potentiel non encore advenu, un dŽfaut de conscience rŽparable mais la structure mme qui autorise le langage et la conscience. CÕest alors la conscience qui devient sous la norme de lÕinconscient (et non pas lÕinverse) : la conscience devient ce qui nÕest pas inconscient comme, ˆ partir de Dedekind, le fini devient ce qui nÕest pas infini.

Ici ce quÕil y a dÕinconnu en devient lÕeffet de ses propriŽtŽs de symŽtrie, et le connu devient alors ce qui nÕa plus de symŽtries internes. LÕinconnu peut dŽsormais tre saisi en soi et non plus dans une dŽtermination ˆ sՎponger en connu.

2. Renverser

Renverser (ou retourner) lÕordre du problme en sorte de ressaisir le point o lÕon bute comme la ressource dÕo repartir : Galois Ē regroupe Č les racines algŽbriquement indiscernables pour mieux travailler la structure mme de leur ambigu•tŽ (Galois nomme ambigu•tŽ la symŽtrie du regroupement des racines).

Ici le problme nÕest plus le lieu ˆ faire dispara”tre (une fois la solution trouvŽe) mais le lieu de type nouveau dÕo repartir, une fois bien comprise sa structure propre dÕambigu•tŽ.

Verriest ˆ nouveau expose cela dans une grande clartŽ :

Ē Le trait de gŽnie de Galois, cÕest dÕavoir dŽcouvert que le nĻud du problme rŽside non pas dans la recherche directe des grandeurs ˆ adjoindre, mais dans lՎtude de la nature du groupe  de lՎquation. Ce groupe exprime le degrŽ dÕindiscernabilitŽ des racines ; il caractŽrise donc non pas ce que nous savons des racines mais, au contraire, ce que nous nÕen savons pas.  Or, lorsque je veut rŽsoudre une Žquation, ce qui mesure la difficultŽ de cette recherche, ce nÕest pas ce que je sais dŽjˆ des racines mais, au contraire, ce que jÕen ignore. [É] Ce nÕest donc plus le degrŽ dÕune Žquation qui mesure la difficultŽ de la rŽsoudre mais cÕest la nature de son groupe. Č [39]

3. Dualiser

Somme toute, dualiser (ou rŽciproquer) les deux faces du problme en les saisissant dans lÕunitŽ dialectique de leur opposition, dans lÕambigu•tŽ duale de leur sŽparation : Galois, prolongeant lÕalgŽbrisation cartŽsienne de la gŽomŽtrie, gŽomŽtrise lÕalgbre des polyn™mes en sorte quÕon puisse interprŽter et formaliser chacune en lÕautre.

Cette dualitŽ (ou rŽciprocitŽ) des r™les est au cĻur de la dimension fonctorielle de la Ē correspondance de Galois Č : fonctorialitŽ (contravariante) entre extensions de corps et rŽductions de groupes – la rŽduction du groupe G est associŽe ˆ une extension du corps K :

G ĘK

On peut dire quÕil sÕagit ce faisant dÕapprendre ˆ travailler Ē en parties doubles Č, ou ˆ marcher sur deux jambes, ou encore ˆ constituer une mŽdaille ˆ deux faces en sorte que la pulsation de lÕune ˆ lÕautre fasse avancer les choses.

4. ƒtendre

ƒtendre, soit sortir de lÕimpasse par le haut en crŽant de nouvelles notions qui autorisent lÕextension du domaine de travail : Galois, reliant la rŽsolubilitŽ de lՎquation ˆ son corps de rŽsolution, explore les extensions de corps (donc de la situation constituante) qui vont autoriser de nouvelles possibilitŽs.

5. Adjoindre

Pour mettre en Ļuvre cette extension, adjoindre : Galois invente ce faisant la mŽthode si puissante de lÕadjonction-extension.

Rappelons quÕadjoindre est bien plus quÕajouter : on ajoute un ŽlŽment (par ex. Ć2 ˆ ) mais on lÕadjoint si, de plus, on le combine avec tous les anciens ŽlŽments (p, qÉ) pour ainsi composer un corps Žtendu :

[Ć2]={p+qĆ2}

CÕest de cette manire que lÕextension peut constituer un bouleversement radical et global (non pas un rafistolage latŽral ou une rŽforme circonstanciŽe) du domaine de dŽpart, autant dire une rŽvolution.

6. Renoncer

Last but not least, accepter de payer le prix du nouvel espace Žtendu en renonant [40] ˆ ces premires motivations quÕil devient rŽtroactivement possible de caractŽriser comme une sorte de stade juvŽnile de la discipline : ainsi Galois dŽfŽtichise le millŽnaire dŽsir algŽbrique de rŽsolubilitŽ.

Ce geste dÕacceptation circonscrit le point de Ē castration Č qui accompagne nŽcessairement le passage quÕon a appelŽ du stade juvŽnile au stade adulte : il faut renoncer sur un front secondaire pour pouvoir gagner sur le front principal.

Si, comme on lÕa signalŽ plus haut en note, le renoncement ˆ la rŽsolubilitŽ par radicaux nÕest pas anodin pour le dŽsir algŽbrique, ne voit-on pas tout de mme combien le nŽcessaire renoncement des politiques modernes dՎmancipation ˆ toute intŽrioritŽ Žtatique (spŽcifiquement en leur troisime Žtape) est lui-mme difficile.

Un alliage

Au total, le style galoisien de pensŽe coordonnerait Žtroitement le fait de :

   rŽdupliquer lÕinconnu en travaillant une Žnonciation intrinsquement ambigŸe sur lÕinconnu ;

   renverser le problme en travaillant directement un hors-champ dŽfini non plus comme envers (ou complŽmentaire) illimitŽ du champ mais comme son hors-champ, dŽlimitŽ dans une extŽrioritŽ sans limites (ici celle des nombres) ;

   dualiser le problme selon deux faces en correspondance fonctorielle en sorte que le problme devienne explorable au grŽ dÕune marche sur deux jambes, dont lÕintŽrt principal sera de comprendre lՐtre structural du hors-champ - quÕil sÕavre finalement rŽintŽgrable dans le champ des radicaux relve alors ici dÕun intŽrt secondaire ;

   Žtendre le champ constituant du problme posŽ par adjonctions ŽlŽmentaires successives pour mieux Žclairer la dialectique unificatrice du champ et de son hors-champ ;

   renoncer ˆ une conception rŽductrice (Ē juvŽnile Č) de ce que veut dire ŌrŽsoudre le problmeÕ pour avancer une conception plus ample (Ē adulte Č) ce que veut dire le solutionner, sous le signe dŽsormais de sa comprŽhension structurale plut™t que de sa rŽsolution utilitaire par radicaux [41] : la solution du problme nÕest plus nŽcessairement sa rŽsolution (et donc sa dissolution comme problme) ; un problme irrŽsoluble peut tre solutionnŽ.

Annexes

DÕune mŽlancolie mathŽmaticienne prŽcŽdant lՎvŽnement-Galois

Lagrange

Lettre ˆ dÕAlembert du 21 septembre 1781 :

Ē Je commence ˆ sentir que ma force dÕinertie augmente peu ˆ peu, et je ne rŽponds pas que je fasse encore de la GŽomŽtrie dans dix ans dÕici. Il me semble aussi que la mine est presque dŽjˆ trop profonde, et quՈ moins quÕon ne dŽcouvre de nouveaux filons, il faudra t™t ou tard lÕabandonner. La physique et la chimie offrent maintenant des richesses plus brillantes et dÕune exploitation plus facile ; aussi le gožt du sicle para”t-il entirement tournŽ de ce c™tŽ-lˆ, et il nÕest pas impossible que les places de la GŽomŽtrie dans les AcadŽmies ne deviennent un jour ce que sont actuellement les chaires dÕarabe dans les UniversitŽs. Č

Cauchy

Discours Sur les limites des connaissances humaines le 14 novembre 1811 ˆ Cherbourg :

Ē On est tentŽ de croire que les connaissances de lÕhomme peuvent cro”tre et se multiplier ˆ lÕinfini. Č

Ē Cependant si lÕon observe que toute notre intelligence et nos moyens sont renfermŽs entre des limites quÕils ne peuvent jamais franchir, on se persuadera sans peine que nos connaissances sont bornŽes comme nos facultŽs. Č

Ē Que dirais-je des sciences exactes : la plupart paraissent parvenues ˆ leur plus haute pŽriode. LÕarithmŽtique, la gŽomŽtrie, lÕalgbre, les mathŽmatiques transcendantes sont des sciences que lÕon peut regarder comme terminŽes, et dont il ne reste plus ˆ faire que dÕutiles applications. Č

DÕun nŽcessaire renoncementÉ

Gustave Verriest

Ē Si un lecteur non initiŽ Žtait portŽ ˆ croire que la thŽorie de Galois lui apportera de nouvelles formules pour la rŽsolution des Žquations, il irait au-devant dÕune dŽception. Č Ē Le but de la thŽorie de Galois nÕest pas de fournir des formules pour la rŽsolution des Žquations. Č [42]

Ē NÕoublions pas que le but principal de lÕalgbre nÕest nullement de fournir aux calculateurs des mŽthodes pratiques de calcul. Nul ne contestera quÕen trouvant la formule de rŽsolution de lՎquation gŽnŽral du quatrime degrŽ, Ferrari a fait une dŽcouverte extrmement intŽressante et cependant jamais cette formule nÕa servi ˆ calculer pratiquement les racines dÕune Žquation donnŽe du quatrime degrŽ ; cette formule conduit, en effet, ˆ des calculs sensiblement plus longs que ceux quÕexigent les mŽthodes dÕapproximation. Pour le praticien, il nÕest dÕaucun intŽrt de savoir si lՎquation quÕil doit rŽsoudre est ou nÕest pas rŽsoluble par radicaux. La seule chose qui lÕintŽresse est dÕavoir une mŽthode qui lui permette de calculer rapidement les racines avec le nombre voulu de dŽcimales exactes. Č [43]

Olivier Debarre

Ē Les mathŽmaticiens du temps de Galois ont considŽrŽ que ces critres de rŽsolubilitŽ des Žquations de degrŽ premier ne donnaient pas une rŽponse qu'ils estimaient satisfaisante ˆ la question car ces critres nŽcessitaient de conna”tre des informations ˆ priori sur les racines. En fait, ils attendaient plut™t un critre gŽnŽral ne faisant intervenir que les coefficients de l'Žquation et permettant de savoir, par simple inspection de ce coefficient, si l'Žquation Žtait ou non rŽsoluble par radicaux.

La thŽorie de Galois, trs en avance sur son temps, et montrant que le problme Žtait bien plus subtil, ne correspondait pas ˆ ces attentes. Et ce n'est que beaucoup plus tard que le monde mathŽmatique a commencŽ ˆ rŽaliser que la thŽorie de Galois allait bien au-delˆ du problme, somme toute trs artificiel, de la rŽsolution par radicaux des Žquations algŽbriques. Galois avait en fait propulsŽ tout le domaine de l'algbre dans un nouveau monde : celui des groupes, des extensions de corps, et de bien d'autres concepts fondamentaux des mathŽmatiques d'aujourd'hui.

En particulier, de nos jours on s'est rendu compte qu'il est bien plus important de savoir calculer le groupe de Galois d'un polyn™me, plut™t que de savoir s'il est rŽsoluble par radicaux. Č [44]

Douze moments mathŽmatiques o ce qui fut soustrait se convertit en affirmation

MathŽmatiques grecques

1.     lÕirrationnel avec les Grecs le nombre algŽbrique puis rŽel

 

MathŽmatiques classiques

2.     lÕinconnu avec Al-Khaw‰rizm” (830) le rŽsoluble (par radicaux)

 

MathŽmatiques modernes

(PŽriode I)

3.     lÕirrŽsoluble avec Galois (1830) lÕambigu comme symŽtrique

4.     le non-algŽbrique avec Liouville (1844) le transcendant

5.     le non-euclidien avec Riemann (1854)

6.     lÕinfini avec Dedekind (1860) le fini comme non-infini

7.     lÕinvariant avec Klein (1873) le gŽomŽtrique

 

 (PŽriode II)

8.     lÕincomplŽtude et lÕindŽcidable avec Gšdel (1935)

 

 (PŽriode III)

9.     lÕirrŽgulier avec Hironaka (1964) la singularitŽ

10.  lÕindiscernable avec Cohen (1964) le gŽnŽrique

11.  le non-standard / lÕinfinitŽsimal avec Robinson et Conway (annŽes Õ60) le nombre surrŽel

12.  le non-commutatif avec Connes (annŽes Õ80)

 

***



[1] Bibliographie :

„ Ian Stewart : Galois Theory (Third Edition)

„ Antoine Chambert-Loir : Algbre corporelle

„ Olivier Debarre et Yves Laszlo : Introduction ˆ la thŽorie de Galois (www.coursera.org/learn/theorie-de-galois).

La dernire rŽfŽrence (cours en ligne de lÕEns) adopte un mode dÕexposition bourbakiste, celui-lˆ mme dont Stewart, pour sa part, choisit explicitement, dans sa troisime Ždition, de prendre lÕexact contre-pied en partant non plus du cas gŽnŽral pour ensuite le particulariser (dÕabord n dimensions, puis Ē soit n=2 Č) mais, ˆ lÕinverse, en partant du cas le plus simple pour ensuite le gŽnŽraliser (dÕabord 2 dimensions, puis Ē soit 2=n Č), en partant donc ici de et pour ensuite gŽnŽraliser ˆ K et ½. Le second ouvrage occupe une position intermŽdiaire entre ces deux modes contrastŽs dÕexposition.

[2] Tout de mme que lՎquation algŽbrique P(x)=0 sÕavre nՐtre pas toujours rŽsoluble algŽbriquement (cÕest-ˆ-dire par radicaux), lՎquation arithmŽtique a2+b2=n2 sՎtait avŽrŽe pour les Grecs nՐtre pas toujours rŽsoluble arithmŽtiquement (cÕest-ˆ-dire sur les rationnels, les seuls nombres alors existants) : ainsi, si 32+42 lÕest bien (car n=Ć25=5 est rationnel), par contre 12+12 ne lÕest plus (car n=Ć2 est irrationnel).

[3] Au moins ˆ deux reprises (830, Al-Khaw‰rizm” ; 1830, Galois), lÕalgbre a ainsi jouŽ un r™le proprement stratŽgique dans le dŽveloppement et lÕunification des mathŽmatiques toutes entires : en 830, comme crŽation dÕun troisime continent, mŽdiateur entre les continents arithmŽtique et gŽomŽtrie, disjoints depuis la crise des irrationnels (toute grandeur gŽomŽtrique nՎquivaut pas ˆ une quantitŽ numŽrique) et dogmatiquement sŽparŽs par Aristote (les dŽmonstrations ne doivent pas circuler entre les deux) ; en 1830, comme relance, par inversion, du croisement algbre-gŽomŽtrie, au fondement, deux sicles plus t™t, du cartŽsianisme : lˆ o Descartes interprŽtait algŽbriquement la gŽomŽtrie, Galois interprte gŽomŽtriquement lÕalgbre (le Ē groupe de Galois Č a pour paradigme naturel des symŽtries spatiales).

[4] Laplace, 21 septembre 1781 : Ē La mine [de la gŽomŽtrie] est presque dŽjˆ trop profonde, et, ˆ moins quÕon ne dŽcouvre de nouveaux filons, il faudra t™t ou tard lÕabandonner. Č

Cauchy, 14 novembre 1811 : Ē LÕarithmŽtique, la gŽomŽtrie, lÕalgbre, les mathŽmatiques transcendantes sont des sciences que lÕon peut regarder comme terminŽes, et dont il ne reste plus ˆ faire que dÕutiles applications. Č

Pour citations compltes, voir Ē Annexes Č

[5] On peut ainsi dire de lՎvŽnement Ē Algbre de Galois Č ce que Marx dira de lՎvŽnement Ē Commune de Paris Č : Ē la plus grande mesure quÕelle ait prise, cÕest sa propre existence Č.

[6] Rappelons quÕAlbert Lautman thŽmatisait cette opposition du classique et du moderne en mathŽmatique comme Žtant lÕopposition de lÕanalyse et de lÕalgbre.

[7] Le sŽminaire mamuphi consacrera une journŽe (samedi 10 mars 2018) ˆ lÕexamen de cette opposition modernitŽs/contemporanŽisme.

[8] CÕest Michel Foucault qui, ˆ la fin des annŽes 70, en a donnŽ le Ē la Č dŽpitŽ en dŽclarant que, dŽsormais, la rŽvolution politique nՎtait plus dŽsirableÉ

[9] Ce geste galoisien suggre quÕaujourdÕhui, prolonger les diffŽrentes modernitŽs impliquerait de les rŽdupliquer, cÕest-ˆ-dire de constituer une nouvelle conception proprement moderne des modernitŽs et non plus seulement une conception moderniste (qui majore unilatŽralement la rupture du moderne avec le classique) ou classiciste (qui, ˆ lÕinverse, majore unilatŽralement sa continuitŽ avec le classique), contemporanŽiste (celle des visions nihilistes du moderne qui actuellement dŽferlent) ou romantique (voir, par exemple, ce Ē romantisme rŽvolutionnaire Č pr™nŽ ds les annŽes 60 par Henri Lefebvre), voire baroque (tentant, selon une inspiration ultimement religieuse, dÕincorporer la modernitŽ ˆ la tradition de lÕUn et du Tout cosmique). Tout de mme quÕAdorno posait quÕune philosophie de la musique moderne se devait dՐtre une philosophie moderne de la musique (et non pas une philosophie traditionnelle), tout de mme que la mathŽmatique pose quÕune reprise de lÕalgbre moderne (galoisienne) se doit dՐtre une reprise moderne de lÕalgbre (sÕentend : axiomatisŽe et gŽomŽtrisŽe), tout de mme un programme de reprise de toute pensŽe moderne se devrait dՐtre un programme moderne, sachant que ce que veut exactement dire Ē programme moderne Č pourrait ici sՎclairer dÕun examen comparŽ des diffŽrents programmes mathŽmatiques depuis Galois : ceux de Klein (Erlangen, 1872), de Hilbert (1900), de Langlands (1967), de Grothendieck (Esquisse dÕun programme, 1984)É

[10] En un certains sens, ce geste Žtend le geste mme de lÕalgbre sÕil est vrai, comme lՎcrivait Descartes dans sa GŽomŽtrie, que Ē faire venir une Žquation pour rŽsoudre un problme Č, cÕest Ē le considŽrer comme dŽjˆ fait Č.

[11] Galois, traitant lÕambigu•tŽ non plus comme nŽgativitŽ en impasse mais comme structure positive de dŽpart, inverse le sens des infŽrences et ce faisant les dualise (au sens catŽgoriel du terme o lÕon passe dÕune catŽgorie ˆ sa duale par inversion des morphismes).

Quelques dŽcennies plus tard, Dedekind inversera (dualisera) de mme ses encha”nements pour fonder les nombres rŽels par coupures des rationnels : {nombre rationnel coupure} {coupure nombre rŽel}.

[12] Cette rŽversibilitŽ fait Žcho avec ce que Lautman appelle Ē rapports dÕexpression ou dÕimitation Č.

[13] Le couplage au principe de cette fonctorialitŽ permet de remplacer lՎtude directe de lÕextension par lÕanalyse de son groupe de Galois.

[14] 130 ans plus tard, Paul Cohen sÕinspirera explicitement de ce geste galoisien pour Žtendre, par forcing, une situation de dŽpart en lui adjoignant un ŽlŽment gŽnŽrique. Ce faisant, Cohen construira un systme de nomination par polyn™mes quÕon peut concevoir comme des sortes de polynoms (voir  exposŽ mamuphi du 27 mai 2017)

[15] Olivier Debarre (2015) : Ē Les mathŽmaticiens du temps de Galois ont considŽrŽ que ces critres de rŽsolubilitŽ des Žquations de degrŽ premier ne donnaient pas une rŽponse qu'ils estimaient satisfaisante ˆ la question. [É] La thŽorie de Galois, trs en avance sur son temps, [É] ne correspondait pas ˆ ces attentes. Et ce n'est que beaucoup plus tard que le monde mathŽmatique a commencŽ ˆ rŽaliser que la thŽorie de Galois allait bien au-delˆ du problme, somme toute trs artificiel, de la rŽsolution par radicaux des Žquations algŽbriques. Galois avait en fait propulsŽ tout le domaine de l'algbre dans un nouveau monde [É]. De nos jours on s'est rendu compte qu'il est bien plus important de savoir calculer le groupe de Galois d'un polyn™me plut™t que de savoir s'il est rŽsoluble par radicaux. Č

Pour citation complte, voir Ē Annexes Č

[16] Pour mesurer lÕampleur du renoncement galoisien, rappelons que lÕalgbre a tirŽ son nom propre du mot arabe Ē rŽduction Č (al-jabr) pour constituer ainsi ses Žquations dans lÕhorizon de cette rŽductibilitŽÉ ˆ laquelle Galois lÕincitera, un millŽnaire plus tard, ˆ renoncer. QuÕun tel renoncement, nŽcessaire ˆ la refondation de lÕalgbre, ait dž prendre des dŽcennies nÕest que trop naturel, tout comme de nos jours le nŽcessaire renoncement de la politique Žmancipatrice de lՎgalitŽ ˆ son ancienne prŽtention scientifique (matŽrialisme historique) ne saurait sÕopŽrer en un Žclair – il est vrai que lui manque encore la face affirmative, extensive et enthousiasmante, dÕune recomposition galoisienne.

[17] Dans chacun de ces cas (revoir en Ē Annexes Č une liste de douze moments), le nŽgatif concernŽ devient sympt™me dÕune possibilitŽ de type nouveau qui ne peut voir le jour dans le cadre du dispositif existant si bien que le travail de conversion du nŽgatif sÕapparente ici ˆ lÕaveu dÕun secret longuement gardŽ : la symŽtrie de groupe que lÕirrŽductibilitŽ de lՎquation recouvre (Galois), la singularitŽ ˆ portŽe globale que lÕirrŽgularitŽ apparente dissimule (Hironaka), etc.

[18] ceux-lˆ donc qui nÕenvisagent nullement de devenir Amfortas, capitulant face au Klingsor contemporain et, qui sÕattachent, tel Gurnemanz avant que lՎvŽnement-Parsifal ne vienne ressusciter la subjectivation-Kundry, ˆ transmettre la flamme par quelque Ļuvre dÕentretempsÉ

[19] Ce nouveau moment moderne devra trouver comment sÕinspirer du Ē tournant gŽomŽtrique Č engagŽ par les mathŽmatiques dans les annŽes 60 : il est en effet frappant quÕau moment mme o bien des modernitŽs sÕenlisent, celle des mathŽmatiques, par contre, engage sa propre mutation ˆ grande Žchelle. Ainsi, si la constitution des modernitŽs face aux classicismes peuvent sՎclairer de la mathŽmatique de Galois, la continuation de ces modernitŽs face au contemporain devra sans doute sՎclairer de la mathŽmatique de Grothendieck et de Langlands (le Ē programme de ce dernier, symptomalement datŽ de 1967, ne suggrerait-il pas que le temps des programmes pourrait tre revenu pour les diffŽrentes pensŽe modernes : non plus certes, comme dans les annŽes 20, les programmes esthŽtiques des avant-gardes mais plut™t des programmes stratŽgiques de travail ?)

[20] Set Theory and the Continuum Hypothesis (Benjamin/Cummings, p. 113)

[21] Il concernerait la troisime dŽcennie mamuphi (tout a commencŽ, je le rappelle, fin 1999)

[22] Je dois ˆ Pierre Cartier dÕavoir attirŽ mon attention  sur ce point lors de la discussion mamuphi de cet exposŽ.

[23] Appelons ici Ē dŽviation formaliste Č ou Ē formalisme Č une conception rŽductrice de la formalisation qui prŽtend la dispenser de toute interprŽtation, qui sÕautorise des pouvoirs de sa nŽcessaire cohŽrence pour pr™ner univoquement  une syntaxe Žconomisant toute sŽmantiqueÉ

[24] Le figural de Klee nÕest pas plus un figuratif (et cÕest bien pour cela que Boulez sÕy intŽressait de prs dans les annŽes 80 o il tentait dÕinventer un thŽmatisme de type nouveau, apte ˆ sortir le sŽrialisme de son impasse formaliste qui niait les lois de la perception comme le formalisme nie celles de lÕinterprŽtation sŽmantique) quՈ lÕenvers, la formalisation nÕest nŽcessairement un formalismeÉ

[25] Ce tournant concerne mathŽmatique (Grothendieck), logique (Girard) et philosophie (Badiou).

[26] Voir ici, exemplairement, la philosophie dÕAlain Badiou – nÕest-ce pas dÕailleurs pour cette raison prŽcise que tous ceux qui font commerce de la pente nihiliste contemporaine se coalisent aujourdÕhui pour lÕostraciser de lÕUniversitŽ ?

[27] Deux emblmes du nouvel Ē art contemporin Č ont ŽtŽ dÕun c™tŽ la Biennale de Venise accordant fin 1964 son Grand Prix de la peinture  au pop-art de Rauschenberg, et dÕun autre c™tŽ la crŽation en France dÕArt Press fin 1972.

[28] qui concerne simultanŽment rien de moins que Boulez, Stockhausen, Berio, Zimmermann, Pierre Henry, le free-jazzÉ

[29] https://www.youtube.com/watch?v=qrpp1Mh8EDo

[30] Il faut ici entendre un polyn™me comme une sorte de nom algŽbrique (de polynom) donnŽ ˆ lÕensemble des racines quÕil dŽfinit.

[31] CÕest ce quÕAl-Khaw‰rizm” appelle Ē rŽduction Č et Ē comparaison Č. Ce qui, chez Galois, va remplacer la rŽduction (passage de part et dÕautre du signe Ē = Č) et la comparaison (simplification des mon™mes  de mme ordre) dÕAl-Khaw‰rizm” va tre les -automorphismes du corps Žtendu [A,B,C,D,E] cÕest-ˆ-dire les symŽtries selon le hors-champ qui restent indiscernables de lÕintŽrieur de .

[32] En ce point, le mŽmoire originaire de Galois ne distingue pas encore clairement groupement des racines en un ensemble et groupe des opŽrations sur cet ensemble (celui quÕon dira ultŽrieurement des automorphismes)É

[33] On verra comment lors de lÕatelier.

[34] On parle ici de Ē gŽnŽrateur Č du groupeÉ

[35] CÕest sans doute lˆ ce que Galois appelait Ē classer les opŽrations suivant leur difficultŽ et non suivant leur forme ČÉ

[36] Au sens ici prŽcis dÕun redoublement de lՎnoncŽ sur lՎnonciationÉ

[37] Leons sur la thŽorie des Žquations selon Galois (1939, rŽŽd. Gabay 1997)

[38] Appendice. La thŽorie de Galois

[39] Appendice. La thŽorie de Galois

[40] Ē Aucune valeur nÕest spŽcifiquement humaine si elle nÕest pas le rŽsultat dÕun renoncement et dÕune conversion. Č Bachelard (LautrŽamont)

[41] Les mathŽmaticiens Verriest et Demarre (voir annexe) font dÕailleurs remarquer quÕil y a quelque fŽtichisme ˆ focaliser le dŽsir mathŽmatique sur les formules dÕune rŽsolution par radicaux : la rŽsolution numŽrique (par valeurs approchŽes des racines) est en gŽnŽral beaucoup plus rapide et dÕune plus grande utilitŽ pour le calcul. Si le groupe de Galois est donc solution du problme posŽ par lՎquation algŽbrique, cÕest au titre du travail algŽbrique quÕil autorise, travail dual, ˆ deux faces, puisque la manire mme dont ce travail dŽmontre lÕirrŽsolubilitŽ algŽbrique crŽe les nouvelles notions qui vont constituer la solution effective du problme.

[42] PrŽface

[43] Appendice. La thŽorie de Galois

[44] https://www.coursera.org/learn/theorie-de-galois/lecture/efQvs/video-3-le-cas-des-equations-de-degre-premier