LĠhŽtŽrophonie musicale : vers une terza pratica ?

Raisonances avec le pome Douze (1918) dĠA. Blok

(SŽminaire Babel, 4 octobre 2014)

 

Franois Nicolas

 

VidŽo : http://youtu.be/S_pbPATWYRk

 

 

Annonce : Plan dĠexposŽ

Cadre gŽnŽral

Comment continuer lĠart musical en assumant les impasses crŽatrices de la modernitŽ au XXĦ sicle ?

Une orientation gŽnŽrale sĠaffirmant entre deux fronts :

Ni table rase Ç rŽvolutionnaire È, ni continuitŽ conservatrice mais extension par adjonction (le paradigme en est prŽlevŽ dans la mathŽmatique : extension algŽbrique par Dedekind et extension gŽnŽrique par Cohen). Ni abandon ni conservation donc, mais refonte globale [1] ˆ lĠŽpreuve dĠune adjonction relativement [2] hŽtŽrogne. Ni nihilisme actif (ultramodernisme : jeu technologique), ni nihilisme passif (traditionnalisme : enjeu narratif) mais rŽaffirmation dĠun possible Žlargissement du monde-MusiqueÉ

 

Hypothses musicales de travail

1.     Il sĠagit dĠadjoindre ˆ la musique un rassemblement de prosodies linguales, diversifiŽes en plusieurs langues, quĠon propose dĠappeler un chÏur babŽlien. Adjoindre nĠest pas simplement ajouter : cĠest incorporer (en lĠoccurrence musicaliser ces prosodies sans raboter leur spŽcificitŽ linguale).

On prŽsentera un exemple concret de ce type de travail sur le pome Le condamnŽ ˆ mort de Jean Genet.

2.     LĠextension musicale souhaitŽe se constituera sous le nom gŽnŽrique dĠÇ hŽtŽrophonie È.

Il sĠagit de reprendre le mme type de geste que celui que Monteverdi, sous le nom de secunda pratica, a engagŽ au dŽbut du XVIIĦ, refondant lĠart musical par adjonction de la mŽlodie tonalement harmonisŽe ˆ lĠancienne polyphonie modalement contrepointŽe.

DĠo lĠidŽe de placer cette entreprise sous le signe dĠune possible terza pratica[3]

 

HŽtŽrophonie

QuĠappellera-t-on ici Ç hŽtŽrophonie È ?

On la distinguera dĠune part de la polyphonie classique (si les deux partagent une pluralitŽ de voix, lĠhŽtŽrophonie traite de voix disparates [4]), dĠautre part du collage post-moderne (le montage hŽtŽrophonique ne se fait pas par prŽlvement de parties-voix prŽalablement existantes, en particulier dans les polyphonies antŽrieures). DĠo la formalisation de ce rŽseau dĠoppositions dans lĠhexagone suivant :

 

Principe de rŽduplication

Une hŽtŽrophonie, pour tre vraiment hŽtŽrophonie, doit se Ç rŽdupliquer È (au sens que Kierkegaard donne ˆ cette notion).

Exemples de rŽduplication

Chez Pascal : parler humblement (et non pas orgueilleusement) de lĠhumilitŽ, douter du scepticisme quĠon pr™ne (et non pas le prcher dogmatiquement[5].

Chez Kierkegaard : soutenir Ç un rapport absolu ˆ lĠabsolu È (et, corollairement, relativiser le relativisme - plut™t que lĠabsolutiser : voir Auguste Compte posant Ç tout est relatif, et cela seul est absolu È) ; Ç veiller au ÒcommentÓ È (sans dissocier donc forme et contenu [6]).

Mais Žgalement : penser de manire contemporaine le contemporain [7], Žnoncer lĠŽnonciation [8], etc. [9]

LĠhŽtŽrophonie doit donc rŽdupliquer son hŽtŽrogŽnŽitŽ dĠassemblage ˆ lĠintŽrieur de chacune de ses voix, lesquelles devront ainsi relever dĠun type nouveau – Ç hŽtŽrophonique È - de voix : une voix intrinsquement composite.

 

Corollaire : lĠhŽtŽrophonie musicale va se jouer tout autant dans la succession chronologique que dans la superposition synchronique.

 

PrŽcision

Le rythme (dont, au demeurant, la poŽsie fait tout autant que la musique grand cas [10]), et corollairement le geste ou le phrasŽ,  ne suffit pas ˆ Ç faire musique È : pour Ç faire musique È, il faut dialectiser le rythme au phŽnomne musical spŽcifique des hauteurs dŽfinies (qui configure la matire mme de la musique, tout de mme que la langue configure la matire mme de la poŽsie [11]). Il sĠagira donc que lĠhŽtŽrophonie envisagŽe soit bien une refonte globale des anciennes catŽgories harmonico-mŽlodiques (voire thŽmatiques [12]) et pas seulement du travail rythmique et gestuel.

 

Deux questions consŽquentes

1. QuĠest-ce que lĠhŽtŽrophonie dĠune linŽaritŽ disparate ?

Pour aborder ce point, on se tournera vers le pome Douze (1918) dĠAlexandre Blok [13] dont on analysera la dimension hŽtŽrophonique (diversitŽ de parlers corrŽlŽe ˆ une diversitŽ dĠŽnonciations[14]. On prendra ainsi mesure du fait que la proposition hŽtŽrophonique peut sĠavancer sous deux modalitŽs duales : musicaliser les langues poŽtiques, ou poŽtiser Ç lĠesprit de musique È (Blok [15]).

2. QuĠest-ce quĠun montage hŽtŽrophonique entre voix hŽtŽrophoniques ?

La refonte hŽtŽrophonique suggre que composer sĠy annonce sous le signe de lĠentrelacement [16] plut™t que du contrepoint, du nouage plut™t que de la construction, de la tresse plut™t que de lĠaccolage, dĠun travail sur les parties musicales plut™t que sur les ŽlŽments, et - en un sens mŽtaphorique - dĠun humour plut™t que dĠune ironie.

On prŽsentera ici une premire Žtape de ce travail de longue haleine : Didon & ƒnŽe [17].

 

Il en va somme toute de Ç justice È [18]É

SĠagissant de composer une compatibilitŽ musicale entre identitŽs diverses et relativement autonomes (il ne sĠagit pas de les Ç intŽgrer È ou de les Ç assimiler È), de crŽer donc un espace commun coordonnŽ et dirigŽ plut™t quĠuniformisŽ ou homogŽnŽisŽ, on rapprochera lĠhŽtŽrophonie visŽe du paradigme idŽologico-politique dĠune justice (hŽtŽrophonique) Žlargie plut™t que dĠune fraternitŽ (polyphonique) restreinte [19].

Introduction

Cadre gŽnŽral

Comment continuer lĠart musical en assumant les impasses crŽatrices de la modernitŽ au XXĦ sicle ?

 

Continuer ? Triple tentation : fuite en avant dans la technologie, retour en arrire et refuge dans une tradition, abandonner !

Remarque 1 – Abandonner nĠest pas une formule rhŽtorique : il y a toujours le choix dĠabandonner la musique, la composition musicale (voir les longs silences de bien des compositeurs, ˆ commencer, ˆ la fin de leur vie, par ceux de Rossini, Ives ou Sibelius – mais il y aussi le suicide, exemplairement – si je puis dire – celui de Bernd Alois Zimmermann aprs son Requiem pour un jeune pote).

Remarque 2 - Les bifurcations subjectives sont toujours triples : on peut rŽpondre Ç oui È, Ç non È, ou rŽpondre par un silence !

DĠo lĠintŽrt pour moi de lĠhexagone des oppositions, fait du croisement de deux triangles.

Ces trois Ç rŽponses È constituent pour moi une manire de cŽder ˆ mon dŽsir de musique : je compose parce que lĠoffre de musique contemporaine ne me satisfait pas ; je nĠy trouve pas la musique que je souhaiterais entendre. Je compose pour ajouter une musique au monde-Musique contemporain.

CĠest en mme temps paradoxal car jĠŽcoute trs trs peu la musique que jĠai dŽjˆ composŽe ! JĠaime - en gŽnŽral (pas toujours !) – la musique que jĠai composŽe mais je ne mĠy complais pas comme je peux me complaire dans la musique de Jean-SŽbastien BachÉ

La musique que jĠai dŽjˆ composŽe me sert essentiellement de tremplin pour en ajouter une autre, pour continuer, pour tracer un sillage, pour dessiner une traversŽe musicale du monde contemporain.

Ne pas cŽder implique de produire de nouvelles affirmations : la simple Ç rŽsistance È nĠy suffit aucunement.

On touche ici aux limites idŽologico-politique du thme de la rŽsistance. Et pour rŽsister durablement, il ne suffit pas dĠun refus ; il y faut un refus motivŽ par la conviction dĠun autre possible. Sinon, la rŽsistance conduit, t™t ou tard, ˆ une rŽsignation.

LĠimpulsion de rŽsister ˆ lĠabjection est premire, primaire. On ne peut sĠen tenir lˆ. Il y faut ensuite le travail dĠune affirmation : affirmation dĠune possibilitŽ que lĠabjection ˆ laquelle on rŽsiste veut prŽcisŽment annuler.

Le point capital est dĠaffirmer de nouveaux possibles : on nĠest pas condamnŽ au monde tel quĠil Žvolue et ˆ lui rŽsister pour retarder les consŽquences dŽsastreuses de cette Žvolution.

On nĠest pas condamnŽ ˆ sortir du monde-Musique (travail sur le son) ou ˆ gŽrer son acadŽmisation (technologique ou traditionnaliste).

Je dirai, de manire un peu provocatrice, et je demande ˆ mes amis du jazz de mĠen excuser dĠavance : le monde-Musique nĠest pas le continent du jazz, lequel, ˆ mon sens, est mort au cours des annŽes 70 quand son grandiose parcours a rejoint celui de lĠimprovisation contemporaine, comme un fleuve-affluent en rejoint un autre, plus vaste, pour sĠy perdre. Soit un parcours plein de pŽripŽties du Blues et du Gospel au Free Jazz dont les derniers leaders – ceux prŽcisŽment qui ont ralliŽ lĠart musical contemporain – sĠappellent Art Ensemble of Chicago, Antony Braxton, Muhal Richard Abrams, Ed Blackwell et Cecyl TaylorÉ

 

JĠaime ˆ distinguer 6 types de subjectivitŽ face au type suivant de question : comment ne pas cŽder sur un dŽsir quand lĠidŽe, au principe du dŽsir en question, est confrontŽe ˆ la disparition de lĠÇ objet È qui la matŽrialisait dans une situation donnŽe ?

Prenons ici lĠexemple dĠun dŽsir que je dirais de rŽvolution – mais lĠon pourrait interprŽter ce mme formalisme ˆ propos de lĠidŽe musique ou poŽsie ou thŽ‰tre T/t, etc.

Je note R lĠidŽe de rŽvolution et r une rŽvolution concrte envisageable dans une situation donnŽe. JĠappelle d(R) lĠidŽe de rŽvolution tenue pour dŽsirable et je note /r sa contemporanŽitŽ avec une situation rŽvolutionnaire concrte r.

Soit donc un prŽsent rŽvolu, devenu donc passŽ, qui fut structurŽ par cette idŽe dŽsirable de RŽvolution d(R) dŽveloppŽe en prŽsence de rŽvolutions alors effectives- je formalise cela : d(R)/r.

Songez ˆ la situation subjective en 68, ˆ lĠŽpoque o les rŽvolutions semblaient lĠhorizon gŽnŽral de lĠŽmancipation politique, ˆ commencer par la RŽvolution culturelle dans le temple mme du Ç socialisme È (cĠest-ˆ-dire toujours du Ç socialisme dĠƒtat È car Ç socialisme È est une catŽgorie de lĠƒtat quand Ç communisme È est une catŽgorie de la politique), cĠest-ˆ-dire en Chine.

Ma question est : que devient ce dŽsir en lĠabsence ultŽrieure de toute perspective rŽvolutionnaire, quand Ç r È a disparu), quand lĠobjet-rŽvolution fixant le dŽsir de RŽvolution sĠest effacŽ de la situation ?

Et je distingue ˆ partir de lˆ 6 modes de subjectivation :

-   deux figures du nihilisme (selon quĠil est actif ou passif) : lĠune pr™ne la renonciation ˆ toute idŽe, ˆ tout dŽsir (avec, en gros, lĠargument suivant : ce genre de dŽsir est dangereux ; on ne saurait affirmer sans courir de risues extravagants ; rŽsignons-nous ˆ la double nŽgation, ˆ la logique du Ç moindre mal È plut™t quĠˆ celle dĠun Bien), et lĠautre pr™ne quĠil nĠy a de dŽsir soutenable que de rien, un rien qui ne saurait en effet tre mis ˆ lĠŽpreuve de sa prŽsence ou de son absence concrtes (ici, il faut un dŽsir – contre le bouddhisme ou lĠataraxie du premier – mais il ne peut y avoir que de dŽsir du rien comme tel : puisquĠon ne va pas clamer Ç Vive le moindre mal ! È, on clamera : Ç Viva la muerte ! È)

-   trois figures subjectives qui, pour moi, sont des menaces subjectives (je ne me sens pas personnellement menacŽ par les deux  nihilismes proprement dits) : la nostalgie, la mŽlancolie et lĠactivisme ; la nostalgie sĠafflige de la permanence de lĠancien dŽsir en lĠabsence mme de tout objet susceptible de le matŽrialiser ; la mŽlancolie est rongŽe par lĠextinction dĠun dŽsir ancien face ˆ un objet toujours prŽsent mais ayant perdu tout son charme et ses promesses ; lĠactivisme, lui, nĠa de cesse de substituer un objet ˆ lĠautre pour mieux prŽserver la flamme menacŽe de sĠŽteindre sans contrepartie – lĠactivisme consomme et bržle dĠincessants nouveaux objets pour ne pas avoir ˆ rŽinterroger le vieux dŽsir, cĠest-ˆ-dire dans notre exemple la vieille idŽe de rŽvolution ;

-   reste alors une figure, que jĠappelle ici celle de la refonte, qui dŽsigne la disposition que je mĠattache ˆ clarifier et suivre dans la pŽriode : celle dĠune refonte de lĠancienne idŽe R en une nouvelle ici notŽe ı (pour dŽsigne, dans ce contexte, la politique). Il sĠagit ici dĠengager une refonte de lĠancienne idŽe pour en dŽgager une potentialitŽ plus vaste jusque-lˆ inaperue ou mal rehaussŽe. Il sĠagit de passer ˆ une nouvelle idŽe, ˆ un nouveau dŽsir – celui de politique Žmancipatrice plut™t que celui de rŽvolution – lequel dŽsir aura certes ˆ sĠŽprouver au contact des nouvelles rŽalitŽs mais ne sera plus Žtroitement dŽpendant, dans son existence mme, de lĠexistence ou non de tels objets concrets – en lĠoccurrence de telle ou telle rŽvolution (victorieuse, prolongŽe, etc.).

Je ne compte pas ici deux figures subjectives supplŽmentaires, quĠil faudrait faire figurer orthogonalement en son centre : le retrait (la disparition, le suicideÉ) et la trahison (la dŽnonciation du dŽsir initial comme tŽratologie).

Mon point est donc ici : refondre le dŽsir de musique selon quelle mutation endogne de son enjeu, en Žvitant

-   le nihilisme passif : le jeu musical sans enjeu (on continue car il faut bien vivre) ; exemples : composer encore des fugues, mais bien sžr pas tonales (ce serait lˆ du nihilisme passif, traditionnaliste : exercices dĠŽcole) – voir Hindemith et Chostakovitch ; jouer les standardsÉ

-   le nihilisme actif : lĠenjeu serait la destruction systŽmatique de la musique (de son Žcriture propre, de ses instruments propres) par promotion dĠartefacts vides de pensŽe (la performance, la simple notation, lĠordinateur, les nouvelles technologies, etc.).

-   la nostalgie de la musique classique (comment ne pas la comprendre ? Il faut sĠen mŽfier comme il convient de se mŽfier de ses propres dŽfauts, ceux-lˆ mme quĠon sait ineffaables) ;

-   la mŽlancolie dĠun dŽsir musical Žteint face aux chefs dĠÏuvre musicaux existants (cĠest la voie dŽpressiveÉ) ;

-   lĠactivisme dĠun remplacement indŽfini des objets : se prendre de passions fugaces et rŽpŽtŽes pour tel ou tel nouveau courant (le spectralisme, la saturation, la dŽconstruction lachenmanienne, la performanceÉ), traverser une Žpoque par ricochets successifs ˆ la surface des diffŽrentes situations rencontrŽesÉ

Pour continuer, il faut donc transformer une affirmation (celle que jĠai formalisŽe ici par la transformation de R en ı et que jĠai nommŽe refonte).

Musicalement, je propose de transformer lĠaffirmation polyphonique en affirmation hŽtŽrophonique.

LĠessentiel, comme on va le voir, est quĠil ne sĠagisse pas dĠune pure et simple substitution (ce serait la logique de lĠactivisme) mais dĠune transmutation qui nĠannule donc pas ce qui est subsumŽ (lĠidŽe de politique nĠannule pas celle de rŽvolution mais la surmonte ; comme on va le voir, lĠidŽe dĠhŽtŽrophonie ne se dresse pas Ç contre È celle de polyphonie mais lĠenveloppe par le haut).

 

Une orientation gŽnŽrale sĠaffirmant entre deux fronts :

Ni table rase Ç rŽvolutionnaire È, ni continuitŽ conservatrice [20] mais extension par adjonction (le paradigme en est prŽlevŽ dans la mathŽmatique : extension algŽbrique par Dedekind et extension gŽnŽrique par Cohen). Ni abandon ni conservation donc, mais refonte globale [21] ˆ lĠŽpreuve dĠune adjonction relativement [22] hŽtŽrogne. Ni nihilisme actif (ultramodernisme : jeu technologique), ni nihilisme passif (traditionnalisme : enjeu narratif) mais rŽaffirmation dĠun possible Žlargissement du monde-MusiqueÉ

 

Adjonction-extension ? Cf. exposŽ mamuphi du 5 avril 2014.

Le travail en jeu peut sĠanalyser comme constitution progressive dĠun rŽseau coordonnŽ de mots, puis de noms, enfin dĠŽnoncŽs.

Tout cet exposŽ sur les vertus extensives de lĠadjonction peut ainsi se concevoir comme lĠadjonction au discours du musicien pensif dĠun seul mot : le mot hŽtŽrophonie, en tant que ce mot peut nommer quelque nouvelle possibilitŽ et autorise dĠŽnoncer sur la future extension visŽe.

Adjonction du mot Ç hŽtŽrophonie È

Pour penser une terza pratica par adjonction et extension, mŽthode, la mŽthode proposŽe estÉ

dĠadjoindre un mot au discours du musicien pensif: le mot hŽtŽrophonie

puis dĠen tirer toutes consŽquences de nomination et dĠŽnonciationÉ

(soit une logique de rŽduplication puisquĠil sĠagit de penser lĠadjonction par une adjonction particulire!)

Remarque : je travaille sur ce type dĠextension par adjonction trs exactement depuis lĠannŽe 2000 car jĠai commencŽ alors par travailler sur lĠidŽe de TimŽe-phonie pour Duelle : adjonction de la TimŽe et effet dĠextension visŽ sur lĠancienne polyphonie.

CĠest donc une problŽmatique dŽjˆ ancienne, qui prend ici un nouveau tourÉ

 

Voir la note 2 : importante.

QuĠen est-il aussi de la question de lĠadjonction-extension en architecture ? JĠen parlais rŽcemment avec lĠun de mes fils qui est architecte et qui travaille sur les questions dĠextension de b‰timents donnŽs : comment la greffe architecturalement pensŽe dĠune nouvelle Ç extension È modifie-t-elle la composition dĠensemble, rŽŽclaire-t-elle lĠancien b‰timent, son site, etc. ?

 

Voir la note 3 : importante

Adjoindre, ce nĠest pas seulement ajouter, et ce nĠest ajouter nĠimporte quoi. Il sĠagit toujours plus ou moins dĠadjoindre une nouvelle espce dans un mme genre.

De ce point de vue, ajouter un film ou des images ˆ la musique nĠest sans doute pas une adjonction susceptible dĠengager une extensionÉ

Pour nous : adjoindre de nouvelles espces de voix – dĠo lĠimportance sur laquelle on va revenir avec notre principe de rŽduplication : lĠhŽtŽrophonie ne saurait se limiter ˆ de nouveaux types dĠassemblage dĠanciens matŽriaux (on dira : lĠhŽtŽrophonie nĠest pas un collage).

 

Hypothses musicales de travail

3.     Il sĠagit dĠadjoindre ˆ la musique un rassemblement de prosodies linguales, diversifiŽes en plusieurs langues, quĠon propose dĠappeler un chÏur babŽlien. Adjoindre nĠest pas simplement ajouter : cĠest incorporer (en lĠoccurrence musicaliser ces prosodies sans raboter leur spŽcificitŽ linguale).

On prŽsentera un exemple concret de ce type de travail sur le pome Le condamnŽ ˆ mort de Jean Genet.

 

Attention : jĠentre ici dans mes hypothses de travail. Je ne prescris nullement que toute hŽtŽrophonie susceptible dĠengager une terza pratica doive tre de ce type !

 

Exemple du pome de Genet. Lecture Ç ordinaire È, puis lecture Ç musicalement rythmŽ et mŽtrŽ È.

LĠenjeu est subtil : le pome doit prŽserver sa prosodie – sa phonologie tant phonŽtique que de phrasŽ – mais celle-ci doit appara”tre Ç musicalisŽe È. Ç MusicalisŽ È ici ne veut pas dire Ç intŽgrŽ È ou Ç assimilŽ È (comme le rŽpublicanisme colonial de ce pays tend ˆ lĠimposer : Ç pas de foulards, et on doit voir votre nombril ! È). Ç MusicalisŽ È veut dire Ç incorporŽ È ˆ ce qui fait musique : ici, le rythme mŽtrŽ.

Du c™tŽ de la musique, lĠimpŽratif catŽgorique est de rendre musicalement justice ˆ lĠautonomie littŽraire du discours accueilli. Autonomie relative, comme le plus souvent, mais autonomie !

 

4.     LĠextension musicale souhaitŽe se constituera sous le nom gŽnŽrique dĠÇ hŽtŽrophonie È.

Il sĠagit de reprendre le mme type de geste que celui que Monteverdi, sous le nom de secunda pratica, a engagŽ au dŽbut du XVIIĦ, refondant lĠart musical par adjonction de la mŽlodie tonalement harmonisŽe ˆ lĠancienne polyphonie modalement contrepointŽe.

DĠo lĠidŽe de placer cette entreprise sous le signe dĠune possible terza pratica[23]

 

Voir ma confŽrence de Belgrade (note 4).

Ici sĠouvre une vaste t‰che : rŽinterprŽter, comme je le propose, la secunda pratica de Monteverdi (dŽbut du XVIIĦ) comme une adjonction-extension.

LĠhypothse est ici : adjonction dĠune mŽlodie dĠun type nouveau (Ç tonalement harmonisŽe È, ce qui suppose bien sžr lĠinvention de la tonalitŽ, effective ˆ la fin du XVIĦ) qui gŽnre une extension de lĠancienne polyphonieÉ

JĠai esquissŽ comment on peut suivre la composition de cette adjonction-extension en suivant fil gŽnŽral proposŽ : crŽation de mots, puis de noms, enfin dĠŽnoncŽs (bien sžr mots, noms et ŽnoncŽs proprement musicaux – et non pas musiciens).

Laissons aujourdĠhui cela pour nous concentrer sur nos t‰ches en matire de terza pratica.

 

HŽtŽrophonie

QuĠappellera-t-on ici Ç hŽtŽrophonie È ?

On la distinguera dĠune part de la polyphonie classique (si les deux partagent une pluralitŽ de voix, lĠhŽtŽrophonie traite de voix disparates [24]), dĠautre part du collage post-moderne (le montage hŽtŽrophonique ne se fait pas par prŽlvement de parties-voix prŽalablement existantes, en particulier dans les polyphonies antŽrieures). DĠo la formalisation de ce rŽseau dĠoppositions dans lĠhexagone suivant :

   

 

Rappel de cette formalisation hexagonale : 4 types de relations ; 3 dĠopposition (donc de Ç nŽgation È), 1 dĠimplication.

En rouge, lĠopposition ou nŽgation classique (alternative).

En bleu, lĠopposition ou nŽgation intuitionniste (incompatibilitŽ).

En vert, lĠopposition ou nŽgation paraconsistante (coexistence).

En noir, lĠimplication ou infŽrence (affirmation subalterne).

Le modle le plus simple de cette formalisation thŽorique est avec {<, >, =} en bleu et {², ³, ­} en vert

 

LĠidŽe ici est que :

-   ce que la polyphonie exclut absolument, cĠest lĠexistence dĠune hŽtŽrogŽnŽitŽ entre ses Ç voix È, cette hŽtŽrogŽnŽitŽ mme que partagent hŽtŽrophonie et collage ; la polyphonie suppose une homologie de ses voix – elles peuvent tre hiŽrarchisŽes (la basse continue des fondamentales, la mŽlodie de la voix supŽrieure, les deux voix intermŽdiaires qui compltent le tissage de la matire harmonique) mais elles sont de facture homogne (elles rŽpondent au mme critre quand ˆ ce quĠest une voix) ;

-   ce que le collage exclut absolument, cĠest que ses diffŽrentes composantes (ou parties) puissent tre subsumŽes comme Ç voix È diffŽrentes dĠun mme ensemble, cette notion mme de Ç voix È que partagent polyphonie et hŽtŽrophonie.

QuĠest-ce alors que lĠhŽtŽrophonie exclurait absolument, qui serait cela mme que partagent collage et polyphonie ?

JĠavais, dans un premier temps (voir lĠannonce de cette sŽance), inscrit Ç parties communes È, pour indiquer que les diffŽrentes parties dĠune polyphonie ou dĠun collage partagent, chacunes de leur c™tŽ, un commun ; mais ce nĠest pas entirement satisfaisant.

Je pourrais inscrire Ç univocitŽ È pour indiquer

á       quĠune polyphonie ou quĠun collage sĠavance dans lĠŽvidence univoque de leur identitŽ globale de polyphonie ou de collage : il est facile de trancher sĠil sĠagit de lĠun ou de lĠautre. Il ne lĠest plus du tout en matire dĠhŽtŽrophonie : Sinfonia de Berio est-il une hŽtŽrophonie ? Plus gŽnŽralement les pratiques italiennes des annŽes 60 : Nono, Maderna... et surtout BŽrio et CalvinoÉ (FrŽdŽric Maintenant) ?

á       que la manire dont lĠhŽtŽrophonie peut faire un est toujours problŽmatique : lĠun de la polyphonie est lĠun de lĠhomogne ; lĠun du collage est lĠun de lĠhŽtŽrogne, aussi nettement comptŽ-pour-un que ne le fait la mathŽmatique par ses parenthses : {un cheval, une table, une lettre, une figure} pose un ensemble. On pourrait ici dire que lĠhŽtŽrophonie Žchappe au fameux principe de Leibniz (pour quĠil y ait un tre, il faut dĠabord quĠil y ait un tre), quĠil est toujours pŽrilleux de dŽcompter Ç une È hŽtŽrophonie, quĠil est plus concevable de penser quĠil y a de lĠhŽtŽrophonie dont une Ïuvre donnŽe va matŽrialiser Ç une figure È et en dŽcouper Ç une tranche ÈÉ

Je pourrais Žgalement inscrire ici Ç non rŽduplication È (au sens que lĠon va donner ˆ ce terme) sĠil est vrai que le collage ne rŽduplique pas ses Ç ŽnoncŽs È dans sa position dĠŽnonciation – le collage travaille par prŽlvements . dans des images ordinaires, non dans de prŽcŽdents collages (chaque partie nĠest pas dŽjˆ en elle-mme un collage). Mais quĠen est-il exactement de la polyphonie ?  Une voix de la polyphonie peut-elle dŽjˆ tre par elle-mme une voix polyphonique (au sens de la voix fusionnant 2 en 1 quĠon trouve chez Bach, Mozart, Schumann, SchoenbergÉ [25]) ? Je ne le pense pas !

Peut-tre vaut-il mieux pour le moment garder ce sommet sans nom (dĠo le x) : lĠenjeu de ce travail Žtant prŽcisŽment dĠarriver ˆ dŽgager le nom qui convient, sachant quĠil y en aura peut-tre plusieurs selon le type dĠhŽtŽrophonie constituŽe.

Notons dĠailleurs que le sommet Ç O È de lĠhexagone A-E-I-O-U-Y est classiquement celui qui se trouve sans nom dans les langues usuelles (voir ce que nous en avait dit Jean-Yves Beziau le 5 novembre 2011) : cĠest une notion qui nŽcessite le plus souvent une pŽriphrase (avec nŽgation) car il nĠy a pas de mot simple pour la nommer – par exemple la notion du Ç pas tous È (aucun ou quelques-uns mais pas tous) si lĠon part de lĠopposition intuitionniste tous ou aucun (le troisime terme Žtant alors quelques-uns mais pas tous) ; mais Žgalement ne pas dire (O) qui nĠest pas taire (E), ne pas montrer (O) qui nĠest pas cacher (E)É

 

Principe de rŽduplication

 

Je propose ce principe. Il ne va pas de soi. On peut ne pas le retenir.

Je suis ici engagŽ dans la constitution intellectuelle et la composition musicale dĠune forme particulire dĠhŽtŽrophonie.

 

Une hŽtŽrophonie, pour tre vraiment hŽtŽrophonie, doit se Ç rŽdupliquer È (au sens que Kierkegaard donne ˆ cette notion).

Exemples de rŽduplication

Chez Pascal : parler humblement (et non pas orgueilleusement) de lĠhumilitŽ, douter du scepticisme quĠon pr™ne (et non pas le prcher dogmatiquement[26].

Chez Kierkegaard : soutenir Ç un rapport absolu ˆ lĠabsolu È (et, corollairement, relativiser le relativisme - plut™t que lĠabsolutiser : voir Auguste Compte posant Ç tout est relatif, et cela seul est absolu È) ; Ç veiller au ÒcommentÓ È (sans dissocier donc forme et contenu [27]).

Mais Žgalement : penser de manire contemporaine le contemporain [28], Žnoncer lĠŽnonciation [29], etc. [30]

LĠhŽtŽrophonie doit donc rŽdupliquer son hŽtŽrogŽnŽitŽ dĠassemblage ˆ lĠintŽrieur de chacune de ses voix, lesquelles devront ainsi relever dĠun type nouveau – Ç hŽtŽrophonique È - de voix : une voix intrinsquement composite.

 

Une hŽtŽrophonie doit donc tre la mise en rapport hŽtŽrogne de voix intŽrieurement hŽtŽrognes. Autant dire quĠune hŽtŽrophonie doit a minima mobiliser pour ses voix diffŽrents types dĠhŽtŽrogŽnŽitŽ : les diffŽrentes voix dĠune hŽtŽrophonie (notons ce point : on conserve la catŽgorie de Ç voix È pour nommer les composantes de lĠhŽtŽrophonie) doivent tre intŽrieurement hŽtŽrognes ˆ des titres divers ; il ne doit pas y avoir homogŽnŽitŽ ou homologie des hŽtŽrogŽnŽitŽs (rŽduplication donc !).

Posons : une hŽtŽrophonie doit engager une hŽtŽronomie de ses hŽtŽrogŽnŽitŽs.

Dans mon propre travail, cette hŽtŽronomie prend a minima la forme dĠune double hŽtŽrogŽnŽitŽ : lĠune dĠordre linguale (pour ce que je vais appeler un chÏur babŽlien), lĠautre dĠordre musicale (pour la partie proprement instrumentale).

 

Corollaire : lĠhŽtŽrophonie musicale va se jouer tout autant dans la succession chronologique que dans la superposition synchronique.

CĠest en ce point que lĠhŽtŽrophonie se sŽpare du collage et sans doute aussi de la polyphonieÉ

 

Il faut donc inventer une hŽtŽronomie du discours lui-mme – si Ç voix È dŽsigne a minima ce qui constitue un discours comme tel -, ici discours Ç musical È et discours Ç littŽraire È.

Rappel : discours nĠest aucunement ici en corrŽlation avec langage.

Je renvoie par exemple au Ç Discours du tableau È du regrettŽ Franois WahlÉ

JĠaccorde une particulire importance ˆ cette structure de discours pour la musique comme art, pour la musique comme pensŽe et pas seulement comme jeu : la musique fait discours du son, discours musical bien sžr (ceci nĠest donc pas une supposŽe dŽfinition de la musique – le musicien nĠa aucunement ˆ dŽfinir la musique !, cĠest mme un de ses traits subjectifs particuliers !).

Discours renvoie ˆ logique, et discours musical renvoie donc ˆ logique musicale : cĠest lĠexistence dĠune logique proprement musicale qui autorise de parler dĠun discours musical.

Et lĠexistence du solfge (cette Žcriture spŽcifiquement musicale) est ce qui matŽrialise la possibilitŽ mme dĠune telle logique discursive spŽcifiquement musicale (sur tout ceci, voir mon monde-Musique).

Pour information, samedi prochain, en ce mme lieu (samedi 11 octobre), je discuterai du premier tome de cet ouvrage avec le philosophe Andrea Cavazzini dans le cadre du sŽminaire mamuphi.

 

PrŽcision

Le rythme (dont, au demeurant, la poŽsie fait tout autant que la musique grand cas [31]), et corollairement le geste ou le phrasŽ,  ne suffit pas ˆ Ç faire musique È : pour Ç faire musique È, il faut dialectiser le rythme au phŽnomne musical spŽcifique des hauteurs dŽfinies (qui configure la matire mme de la musique, tout de mme que la langue configure la matire mme de la poŽsie [32]). Il sĠagira donc que lĠhŽtŽrophonie envisagŽe soit bien une refonte globale des anciennes catŽgories harmonico-mŽlodiques (voire thŽmatiques [33]) et pas seulement du travail rythmique et gestuel.

 

Ceci pour moi, compositeur, est trs important ; il me faut en effet constamment croiser deux soucis, deux hantises, deux nŽvroses : celle du rythme et celle de lĠharmonie.

La premire mĠinterdit les trains de durŽes rŽgulires – sĠil nĠy a pas de travail rythmique local, il nĠy a pas vraiment composition (dĠo lĠimportance pour moi des gestes rythmiques, des Gestalts – le point relve dĠune difficultŽ particulire : on ne produit pas de Gestalt rythmique par simple addition de durŽes, soit trop rŽgulires, soit trop irrŽgulires). La seconde mĠinterdit dĠun c™tŽ les timbres spectraux, de lĠautre les accords neutres : dans les deux cas, il nĠy a pas de discours proprement harmonique.

Composer pour moi, cĠest donc a minima croiser une discursivitŽ rythmique et une discursivitŽ harmonique.

Incontestablement le plus dur aujourdĠhui est la seconde exigence : comment rŽinventer une discursivitŽ harmonique qui ne soit pas tonale ? Le XXĦ sicle, ˆ mon sens, a majestueusement ŽchouŽ sur ce front.

Faut-il rappeler ici que les Žchecs sont Žminemment fŽconds et quĠil faut donc remercier nos devanciers qui ont su produire ces Žchecs que, sans eux, nous ignorerions compltement ?

Je mĠy attaque pour ma part par des techniques harmoniques Ç Žlargies È (on revient ˆ lĠextension) : celle des accords arc-en-ciel ou ·12. JĠessaie dĠinventer pratiquement des encha”nements harmoniques – des sortes de fonctionnalitŽs harmoniques dĠun type nouveau – entre ·12. Pour cela, je ne peux entirement me passer de la question des fondamentales – propriŽtŽ proprement acoustique des accords, dans le cadre dĠun tempŽrament donnŽ (pour ma part, je conserve le tempŽrament Žgal). Il sĠagit donc dĠune extension des fonctionnalitŽs harmoniques adossŽes ˆ la logique des fondamentales, logique qui a trouvŽ dans le cadre tonal un Žpanouissement singulier mais qui ne sĠy rŽduit pas.

Je nĠai pas la thŽorie de tout cela – je ne la cherche pas trop dĠailleurs ; je travaille empiriquement, au cas par cas, en faisant confiance ˆ mon oreille de musicien.

Il sera peut-tre toujours temps plus tard dĠen faire la thŽorie rŽtrospective.

Travail en coursÉ

Deux questions consŽquentes

1. QuĠest-ce que lĠhŽtŽrophonie dĠune linŽaritŽ disparate ?

Pour aborder ce point, on se tournera vers le pome Douze (1918) dĠAlexandre Blok [34] dont on analysera la dimension hŽtŽrophonique (diversitŽ de parlers corrŽlŽe ˆ une diversitŽ dĠŽnonciations[35]. On prendra ainsi mesure du fait que la proposition hŽtŽrophonique peut sĠavancer sous deux modalitŽs duales : musicaliser les langues poŽtiques, ou poŽtiser Ç lĠesprit de musique È (Blok [36]).

 

Lire le pome en franais dans ma Ç translation ÈÉ

HŽtŽrophonie de 8 Žnonciations diffŽrentes : ce nĠest donc pas la polyphonie embo”tŽe du Coup de dŽs (o il nĠy a pas disparitŽ dĠŽnonciation entre les diffŽrentes voix du texte).

1.     I : Žnonciation dĠun individu (identifiŽ ou non) ; ex. PetrouchkaÉ

2.     D : dialogue - entre interlocuteurs (identifiŽs ou non) ; ex. entre Petrouchka et Vanka

3.     C : Žnonciation dĠun collectif (plus ou moins identifiŽ) ; ex. les 12 Gardes Rouges

4.     N : Ç nous È collectif Žnonant un collectif comme tel, Ç rŽdupliquŽ È donc ;

5.     G : Žnonciation gŽnŽrique (ˆ interlocuteur identifiŽ ou non)

6.     S : slogans

7.     B : bruits

8.     R : rŽcitant anonyme

 

2. QuĠest-ce quĠun montage hŽtŽrophonique entre voix hŽtŽrophoniques ?

La refonte hŽtŽrophonique suggre que composer sĠy annonce sous le signe de lĠentrelacement [37] plut™t que du contrepoint, du nouage plut™t que de la construction, de la tresse plut™t que de lĠaccolage, dĠun travail sur les parties musicales plut™t que sur les ŽlŽments, et - en un sens mŽtaphorique - dĠun humour plut™t que dĠune ironie.

On prŽsentera ici une premire Žtape de ce travail de longue haleine : Didon & ƒnŽe [38].

 

Toute premire expŽrience, alors engagŽe sous un autre nom – celui de TimŽe-Phonie - : Duelle  (dŽjˆ allemand, anglais, russe et franais).

 

Deuxime expŽrience, crŽŽe dans des conditions invraisemblables de bricolage et de je-mĠen-foutisme : Didon & ƒnŽe

Ç ChÏur babŽlien È ˆ 3 voix – franais parlŽ, latin en sprechgesang (parlŽ-chantŽ), anglais chantŽÉ

HŽtŽrophonie instrumentale entre les deux pupitres et interne ˆ chaque pupitre (mais les instrumentistes en question ont massacrŽ la partitionÉ).

MalgrŽ tout, quelque chose passe, je crois, ou jĠespreÉ

On y peroit bien, je pense, que lĠun est ici devenu Žquivoque : il y a des Ç moments dĠun È, qui oprent (ou devraient opŽrer, si cĠŽtait tout simplement bien jouŽ – je ne parle pas dĠinterprŽtŽ) comme nouages temporaires, points dĠentrelacement entre brins dĠune tresse (comme on vŽrifie quĠune tresse est ou non nouŽe, quĠun nÏud borromŽen est bien borromŽen en dŽplaant ses brins et en Žprouvant comment ils sĠentrelacent effectivement).

 

Troisime expŽrience : Douze.

Passer ˆ 4 voix dans le chÏur babŽlien. Tester le russe et lĠallemand.

Problme singulier : ces deux langues relvent dĠune mme logique syllabo-tonique. Je nĠai donc, avec ces 4 langues, que 3 logiques phonologiques sur les 4 que je voudrais mobiliser.

Rappel :

(attention : cet hexagone nĠest plus celui dit des oppositions !)

Didon & ƒnŽe puis Douze devraient constituer deux Žtapes prŽalables ˆ la composition de mon vaste ƒgalitŽ Ġ68 o je composerai un chÏur babŽlien de 6 langues (3, 4 puis 6 : je ne pense pas quĠil soit possible de dŽpasser les 6).

Justice

Il en va somme toute de Ç justice È [39]É

SĠagissant de composer une compatibilitŽ musicale entre identitŽs diverses et relativement autonomes (il ne sĠagit pas de les Ç intŽgrer È ou de les Ç assimiler È), de crŽer donc un espace commun coordonnŽ et dirigŽ plut™t quĠuniformisŽ ou homogŽnŽisŽ, on rapprochera lĠhŽtŽrophonie visŽe du paradigme idŽologico-politique dĠune justice (hŽtŽrophonique) Žlargie plut™t que dĠune fraternitŽ (polyphonique) restreinte [40].

 

Tout ceci, qui concerne une possible alliance renouvelŽe entre musique & langues (soit le thme mme de notre sŽminaire), nĠest pas indiffŽrent ˆ la politique au sens large, disons ˆ lĠidŽologico-politique.

1.     Premier temps : ce projet, pour moi, vise ˆ franchir un pas musical.

Je lĠinscris depuis longtemps sous le signe de cette maxime dĠAdorno (philosophe que je nĠapprŽcie gure mais musicien de gožt et de talent) :

Ç LĠart a besoin de quelque chose qui lui est hŽtŽrogne pour devenir art. È

ÒKunst bedarf eines ihr Heterogenen, um es zu werdenÒ.

(LĠart et les arts, 1966).

2.     Deuxime temps : il sĠagit que la musique rende justice aux pomes quĠelle mobilise et quĠelle accueille en son monde.

3.     Troisime temps : ce type de rapport musique-langues peut constituer un Žventuel Ç modle È pour les nouvelles thŽories idŽologico-politiques ˆ lĠÏuvre en ce dŽbut de XXIĦ sicle.

Comment ?

Peut-tre dŽjˆ par la dualitŽ entre fraternitŽ et justice.

Je la dispose ainsi dans un rŽcent essai mathŽmatico-politique :

La fraternitŽ, pour moi, nĠest pas – ne peut tre – universelle : il y faudrait un pre commun, un Dieu le Pre donc !

FraternitŽ se dit dĠun partage subjectif circonstanciŽ : dĠune situation partagŽe selon la mme ligne de partage subjectif, vŽcue et traversŽe selon la mme ligne de combat. FraternitŽ se dit dĠun mme processus subjectif partagŽ.

Justice dŽsigne tout autre chose : une vertu qui nĠest pas sŽparŽe des autres mais qui rŽside prŽcisŽment dans sa capacitŽ ˆ rendre compossible dĠautres vertus, indŽpendantes entre elles.

Justice est ce qui sĠattache ˆ compossibiliser les trois vertus de courage, dĠintelligence et de discipline (sĠentend bien sžr dĠauto-discipline).

Justice dŽsigne ainsi lĠhŽtŽrophonie de trois vertus !

 

JĠinscris cela dans un dernier hexagone – mon dada !

Trois dangers en lĠabsence de justice : lĠillimitation (pas dĠauto-limitation), lĠactivisme (la rŽpŽtition bte), le constructivisme (sans le courage pour affronter le hasardeux, lĠimprŽvisible, lĠinattendu).

 

JĠinscris ici la justice sous le signe de lĠhomme – de lĠindividu masculin – parce que (cĠest un des enjeux du livret de mon Didon & ƒnŽe) je pense que la contradiction hommes-femmes (dont je suis friand et sur laquelle je ne veux pas cŽder mme si tout lĠŽpoque voudrait quĠon lĠabandonne) se joue aussi comme contradiction (non antagonique, cela va de soi) entre justice-homme et amour-femme : je pense quĠune femme sĠattache ˆ compatibiliser dĠautres vertus que ces trois et sous un autre nom que justice : sous celui dĠamour, qui nĠinscrit pas alors pour elle une hŽtŽrophonie (est-ce un type spŽcifique de polyphonie, diffŽrent de celui qui prŽside ˆ la fraternitŽ masculine ? Je laisse ici cette questionÉ).

Entendez-moi bien : je ne dis pas quĠune femme nĠest pas capable de justice pas plus quĠun homme nĠest pas capable dĠamour. Je dis simplement quĠun homme se sent requis de compatibiliser lĠhŽtŽrogne des vertus sous le nom de justice, et quĠune femme sĠattache ˆ constituer lĠamour en puissance gŽnŽrale de rayonnement et de fertilisation.

 

O il sĠavre donc que le sujet est vaste, que chacun est susceptible de lĠaborder selon des raisonances variŽes : tout de mme quĠil ne sĠagit aucunement dans ce sŽminaire de se mettre dĠaccord sur une hŽtŽrophonie donnŽe (celle par exemple que je promeus dans mon propre travail) - la directive est ici clairement Ç que cent hŽtŽrophonies sĠŽpanouissent ! È , tout de mme il ne sĠagit aucunement de sĠunifier sur la portŽe idŽologico-politique quĠon peut reconna”tre ˆ tel ou tel type dĠhŽtŽrophonie.

Le seul point que je voulais souligner ainsi et sur lequel je conclurai est que ce type dĠadjonction-extension est gros de multiples raisonances de types trs divers, que ceci constitue ˆ mes yeux un gage de sa puissance affirmative et donne donc ˆ penser que notre sŽminaire peut se dŽployer selon des chemins trs divers.

 

***



[1] ce qui nĠest pas dire totale : certaines catŽgories doivent tre abandonnŽes (par exemple en musique celle de thme, en politique celle de parti pour la poŽsie ?, le cinŽma ?, le thŽ‰tre ?É ).

[2] Le Ç relatif È est ici capital : ce qui est adjoint doit tre une espce Ç de type nouveau È dans un mme genre maintenu (par exemple un nombre de type nouveau – Ç irrationnel È -  parmi des nombres de type ancien – Ç rationnels È, et non pas une figure parmi des nombres ou des ŽquationsÉ), ici un mme genre Ç musical È (par exemple, on ne passera pas du musical au sonoreÉ).

[3] Voir ma confŽrence : Pour une terza pratica Žtendant le monde-Musique par adjonction dĠhŽtŽrophonies (25 avril 2014 - Twelfth International Conference of the Department of Musicology of the Faculty of Music in Belgrade)

http://www.entretemps.asso.fr/Nicolas/2014/Terza-pratica.htm

[4] Il faudra prŽciser le sens exact de cette disparitŽ, propre ˆ lĠhŽtŽrophonieÉ

[5] Ç Peu parlent de lĠhumilitŽ humblement ; peu de la chastetŽ chastement ; peu du pyrrhonisme en doutant. È

[6] Pas plus que la fin ne justifie les moyens, un Ç contenu È abstraitement fixŽ ne saurait Ç justifier È une Ç forme ÈÉ

[7] Une thŽorie de la musique contemporaine doit tre thŽorie en un sens contemporain du termeÉ

[8] Kierkegaard : Ç LĠultime rŽduplication, qui est de dire : Òmoi, [untel]Ó È

[9] Amusons-nous un instant : tolŽrer lĠintolŽrance, admettre la libertŽ des ennemis de la libertŽ, etc.

[10] Voir par exemple de Jacques Roubaud Description du projet (en particulier sa section VI) – ƒd. nous (2014)

[11] Ç La poŽsie est mŽmoire de la langue È J. Roubaud

[12] Sur ce point, je me sŽpare de Boulez car il me semble que le thŽmatisme renvoie ˆ une conception rŽcusable de la subjectivation comme Ç prise de conscience ÈÉ

[13] Pome au principe dĠun projet de cantate hŽtŽrophonique (en quatre langues : russe, franais, allemand, anglais) en hommage au prochain centenaire de la RŽvolution dĠOctobre. Ce projet se situe entre mon rŽcent Didon & ƒnŽe (en trois langues : latin, franais, anglais) et le futur ƒgalitŽ Ġ68 (en six langues : franais, arabe, latin, russe, allemand et anglais).

[14] On confrontera cette disparitŽ ˆ celle, dĠun type diffŽrent, qui phrase tout autrement Le coup de dŽs de MallarmŽÉ

[15] Tout spŽcialement dans Douze Ç lĠesprit de musique È propre ˆ la RŽvolution bolchŽvique

[16] Voir mon exposŽ : La notion dĠentrelacs, ŽclairŽe par le thŽorme dĠAlexander (12 dŽcembre 2013, Qui-vive, cinŽ 104 de Pantin) http://www.qui-vive.org/decembre2013/Entrelacs.htm

[17] http://www.youtube.com/watch?v=mA7rIV3y9Cg

[18] Justice rendue par la musique aux pomes quĠelle accueille, justice entrelaant des vertus disparates (courage, intelligence et discipline), justice comme figure dĠune humanitŽ collectivement ŽmancipŽe de son animalitŽ naturelle (Badiou : La RŽpublique de Platon).

[19] Dans un cadre non religieux, et sans Dieu-Pre universel, il nĠest de fraternitŽ que restreinte ˆ une situation donnŽe : entre ceux qui la partagent selon un mme procs subjectifÉ

[20] Ç La destruction est un phŽnomne aussi traditionnel que la construction. En dŽtruisant, nous restons les mmes esclaves de lĠancien monde : contrevenir aux traditions, cĠest Žgalement une tradition. È A. Blok (lettre ˆ Ma•akovski - 30 dŽcembre 1919)

[21] ce qui nĠest pas dire totale : certaines catŽgories doivent tre abandonnŽes (par exemple en musique celle de thme, en politique celle de parti pour la poŽsie ?, le cinŽma ?, le thŽ‰tre ?É ).

[22] Le Ç relatif È est ici capital : ce qui est adjoint doit tre une espce Ç de type nouveau È dans un mme genre maintenu (par exemple un nombre de type nouveau – Ç irrationnel È -  parmi des nombres de type ancien – Ç rationnels È, et non pas une figure parmi des nombres ou des ŽquationsÉ), ici un mme genre Ç musical È (par exemple, on ne passera pas du musical au sonoreÉ).

[23] Voir ma confŽrence : Pour une terza pratica Žtendant le monde-Musique par adjonction dĠhŽtŽrophonies (25 avril 2014 - Twelfth International Conference of the Department of Musicology of the Faculty of Music in Belgrade)

http://www.entretemps.asso.fr/Nicolas/2014/Terza-pratica.htm

[24] Il faudra prŽciser le sens exact de cette disparitŽ, propre ˆ lĠhŽtŽrophonieÉ

[25] Voir La singularitŽ Schoenberg, p. 160É

[26] Ç Peu parlent de lĠhumilitŽ humblement ; peu de la chastetŽ chastement ; peu du pyrrhonisme en doutant. È

[27] Pas plus que la fin ne justifie les moyens, un Ç contenu È abstraitement fixŽ ne saurait Ç justifier È une Ç forme ÈÉ

[28] Une thŽorie de la musique contemporaine doit tre thŽorie en un sens contemporain du terme (voir mon monde-Musique)

[29] Kierkegaard : Ç LĠultime rŽduplication, qui est de dire : Òmoi, [untel]Ó È

[30] Amusons-nous un instant : tolŽrer lĠintolŽrance, admettre la libertŽ des ennemis de la libertŽ, etc. (la dŽmonstration se ferait par lĠabsurde : rŽcuser ces maximes est incompatible avec la rŽduplicationÉ).

[31] Voir par exemple de Jacques Roubaud Description du projet (en particulier sa section VI) – ƒd. nous (2014)

[32] Ç La poŽsie est mŽmoire de la langue È J. Roubaud

[33] Sur ce point, je me sŽpare de Boulez car il me semble que le thŽmatisme renvoie ˆ une conception rŽcusable de la subjectivation comme Ç prise de conscience ÈÉ

[34] Pome au principe dĠun projet de cantate hŽtŽrophonique (en quatre langues : russe, franais, allemand, anglais) en hommage au prochain centenaire de la RŽvolution dĠOctobre. Ce projet se situe entre mon rŽcent Didon & ƒnŽe (en trois langues : latin, franais, anglais) et le futur ƒgalitŽ Ġ68 (en six langues : franais, arabe, latin, russe, allemand et anglais).

[35] On confrontera cette disparitŽ ˆ celle, dĠun type diffŽrent, qui phrase tout autrement Le coup de dŽs de MallarmŽÉ

[36] Tout spŽcialement dans Douze Ç lĠesprit de musique È propre ˆ la RŽvolution bolchŽvique

[37] Voir mon exposŽ : La notion dĠentrelacs, ŽclairŽe par le thŽorme dĠAlexander (12 dŽcembre 2013, Qui-vive, cinŽ 104 de Pantin) http://www.qui-vive.org/decembre2013/Entrelacs.htm

[38] http://www.youtube.com/watch?v=mA7rIV3y9Cg

[39] Justice rendue par la musique aux pomes quĠelle accueille, justice entrelaant des vertus disparates (courage, intelligence et discipline), justice comme figure dĠune humanitŽ collectivement ŽmancipŽe de son animalitŽ naturelle (Badiou : La RŽpublique de Platon).

[40] Dans un cadre non religieux, et sans Dieu-Pre universel, il nĠest de fraternitŽ que restreinte ˆ une situation donnŽe : entre ceux qui la partagent selon un mme procs subjectifÉ