Sibelius-Wagner : une généalogie obscure ?
(Colloque
international Jean Sibelius, Paris IV, Institut finlandais)
7 novembre
2007
[
version provisoire ]
Enjeux
Si l’annonce par
Hegel de la mort de l’art est bien connue, il est moins connu que cette annonce
s’accompagne de la prescription suivante : « Dans l’art, il n’y a
rien d’obscur. » (Esthétique).
On pourrait à ce
titre soutenir que pour Hegel l’art qui serait mort — condamnant ainsi la
musique à un état de survie, soit mélancolique (le deuil interminable de sa
grandeur passée), soit sensualiste (les jeux sans enjeux) — serait précisément
celui qui récuse toute puissance créatrice de l’obscur.
D’où l’intérêt de la
proposition philosophique d’Alain Badiou établissant (Logiques des mondes) la puissance subjective singulière de
l’obscur (voir son « sujet obscur »).
Qu’en est-il en
musique des puissances artistiques de l’obscurcissement ? Dans quelle
mesure une telle prise en compte introduit-elle une vision plus ample, plus
diversifiée et par là plus confiante des développements de la musique du XX°
siècle ?
On examinera ce point
à l’occasion de la question suivante : qu’en est-il de la généalogie
Wagner-Sibelius ?
On interrogera cette
généalogie à la lumière du triplet {Schoenberg-Debussy-Sibelius}, empiriquement
attesté par trois Pelléas
quasiment synchrones (l’opéra de Debussy en 1902, le poème symphonique de
Schoenberg en 1903, la musique de scène de Sibelius en 1905) mais qui prend
surtout sens à la lumière de leurs rapports intimes à l’œuvre de Wagner.
On soutiendra ainsi
que ces trois généalogies qui ont en grande partie configuré la musique du XX°
siècle peuvent s’éclairer réciproquement comme généalogies fidèle (Schoenberg), réactive (Debussy) et obscure (Sibelius).
S’agissant ici d’une
intervention dans un colloque consacré à Sibelius, on se concentrera sur
l’examen de la IV° symphonie de Sibelius pour exhausser ce que obscurcissement
inventif veut musicalement
dire. On soutiendra qu’il en va ici de la destinée du corps symphonique comme
tel.
Plan
Un triplet {Sibelius, Debussy, Schoenberg} 3
Trois rapports généalogiques à Wagner 3
La contemporanéité de trois noms propres 4
Trois Pelléas déjà….............................................................................................................. 4
…et l’avenir du grand orchestre symphonique...................................................................... 5
La part créatrice de « l’obscur » 5
Hegel 5
« La mort de l’art », et la survie de
la musique….................................................................. 5
« Il faut bannir l’obscur du domaine de
l’art »..................................................................... 5
Lien des deux énoncés.......................................................................................................... 6
Badiou 6
Sortir de l’historicisme.......................................................................................................... 6
« Le cas Sibelius » 6
Les rapports de Jean Sibelius à Richard Wagner 7
Rappels chronologiques 7
1889..................................................................................................................................... 7
1893..................................................................................................................................... 7
L’été 1894............................................................................................................................ 7
Plus tard…............................................................................................................................ 9
Après coup…........................................................................................................................ 9
« Obscur » ? 9
Précisions.............................................................................................................................. 9
Sibelius/Debussy face à Wagner............................................................................................ 9
Quatre traits distinctifs......................................................................................................... 10
Les rapports de l’Œuvre-Sibelius à l’Œuvre-Wagner 11
Une généalogie musicale manifeste 11
Nombreux détails................................................................................................................ 11
d’ordre harmonique 11
d’ordre instrumental 11
et orchestral 11
d’ordre rythmique 11
d’ordre motivique 11
Influence plus générale....................................................................................................... 12
dans la temporalité
d’ensemble de certaines œuvres 12
dans une certaine
prolifération motivique 12
Distance prise...................................................................................................................... 12
L’enjeu mélodique 12
Le réseau des motifs 12
L’orchestration 12
Unissons 12
Au total............................................................................................................................... 12
Un sujet musical obscur ? 13
Où cela ne se joue pas…...................................................................................................... 13
Un programme de travail : Sibelius l’obscur 13
L’univocité du discours musical.......................................................................................... 13
Univoque/multivoque 13
Univoque ≠ simple 13
Remarque 14
Une purification
obscurcissante… 14
La ressource subjective
de la fascination, de la sidération 14
Comment arriver à
écouter Sibelius l’obscur ? 14
Au total, qu’est-ce qui s’invente en ce
processus de clair obscurcissement ? 14
La musique de film !........................................................................................................... 14
La V° entendue par
Salonen 14
Remarque sur l’écoute 16
Une invention qui n’est
pas rien ! 16
L’espace sonore du grand corps orchestral.......................................................................... 16
Le Timbre 17
Adhérence de l’espace sonore
à sa source orchestrale 17
Pas d’excès de
l’écriture sur la perception 17
Et pourtant un discours
strié de vides 17
car un discours gagé
sur des solides d’un seul tenant 17
Un temps musical arrêté 17
Retour à une disjonction radicale 18
Annexe : Un mathème 19
Mathème du sujet obscur 19
Mathème de Sibélius l’obscur 19
*
Je remercie Antonin Servière de m’avoir invité
à venir traiter devant vous du rapport de Sibelius à Wagner. Sans son amicale
insistance, je n’aurai pas accepté ce qui se présente pour moi comme un
défi : je ne suis pas un spécialiste de Sibelius, je ne suis pas non plus
musicologue ; je suis compositeur, musicien pensif, peu familier de
l’œuvre de Sibelius. Plus encore : je suis familier de ces musiques du xxe
siècle que les amateurs de Sibelius ont fortement tendance (voir ce qui s’est
déjà dit dans ce colloque) à considérer comme une impasse, si ce n’est comme
une monstruosité : disons cette musique qui circule de Schoenberg à Boulez
et se prolonge, bien vivante aujourd’hui sous le nom il est vrai bien vague de
« musique contemporaine ». Le défi de venir parler de Sibelius devant
vous consiste précisément pour moi à arriver à dégager ce qui fait à mes yeux
l’inventivité propre de Sibelius sans pour autant rien concéder de mes propres
convictions musicales et compositionnelles, sans pour autant prétendre adopter
la position consensuelle d’un Sirius qui prétendrait oublier les différends au
nom d’un patrimoine de venu commun.
Je partirai pour ce faire de l’angle qui m’a
été suggéré pour ce colloque : celui de la généalogie Wagner-Sibelius ; mieux : de la généalogie Sibelius-Wagner s’il est vrai que cet ordre souligne qu’en matière généalogique,
l’important tient à qui décide de se tenir pour héritier, puisque, selon la
célèbre formule de René Char, en cette matière comme en bien d’autres « l’héritage
n’est précédé d’aucun testament ».
Difficulté supplémentaire pour cette
intervention : mon sujet - la généalogie Sibelius-Wagner - n’est pas un sujet neuf ; le dossier Sibelius-Wagner est déjà
bien instruit, en particulier par les travaux d’Eero Tarasti et maintenant ceux
d’Antonin Servière.
Je ne prétendrais pas aujourd’hui l’éclairer
de nouveaux résultats analytiques ; mon objectif sera d’un autre ordre. Il
s’agira ici de formuler une hypothèse d’ordre esthétique plutôt qu’analytique sur Sibelius, une hypothèse apte à configurer un
programme d’investigation de son Œuvre.
Je voudrais soutenir devant vous l’hypothèse
de travail suivante : Sibelius se rapporte à Wagner selon un motif
subjectif très particulier que j’appellerai celui de l’obscur. Je distinguerai pour ce faire cette généalogie de deux autres (de
même origine, ou de même cible, selon…) : la généalogie Schoenberg-Wagner (que je nommerai fidèle) et la généalogie Debussy-Wagner (que je nommerai réactive).
Pour constituer cette hypothèse, je procéderai
en plusieurs temps.
—
J’indiquerai d’abord le contexte
proprement philosophique qui configure ce motif de l’obscur et qui accompagne
mon investigation de musicien. Je constituerai ainsi ma question du jour.
—
Je réouvrirai ensuite le dossier Wagner-Sibelius
en examinant
o
d’abord ce qu’il en est du musicien Jean
Sibelius (ses divers écrits et déclarations explicitant bien son tourment
subjectif),
o
ensuite ce qu’il en est de
l’Œuvre-Sibelius (et c’est là que les choses sérieuses se profileront
vraiment).
Je propose donc d’examiner la généalogie
Sibelius-Wagner selon la gerbe qu’elle constitue avec les autres généalogies
Schoenberg-Wagner Debussy-Wagner.
Pour fixer un peu les idées, il me semble
qu’on peut ouvrir ces trois généalogies sur trois opus : les Gurrelieder (1900-1911) pour Schoenberg, Pelléas et Mélisande (1902) pour Debussy, et le projet avorté d’opéra La Construction du
Bateau (1894) de Sibelius.
Ces trois généalogies cependant ne prennent un
tour complet qu’avec des œuvres ultérieures : respectivement avec les Cinq
pièces pour orchestre opus 16 de Schoenberg (1909), Jeux (1912) de Debussy et la IV° symphonie (1911) de Sibelius.
Ce rapprochement de trois généalogies se
rapportant à la même « origine » organise donc en triplet les noms de
Sibelius, Debussy et Schoenberg.
Ce triplet {Sibelius-Debussy-Schoenberg}
pourrait apparaître sous d’autres angles que celui de leurs rapports respectifs
à Wagner.
Rappelons par exemple que tous les trois ont
choisi, au seuil du XX° siècle, d’inscrire leur pas dans une même référence
littéraire à Maeterlinck en composant chacun son Pelléas [1] :
l’opéra de Debussy en 1902, le poème symphonique de Schoenberg en 1903 et la
musique de scène de Sibelius en 1905. [2]
En un certain sens, on pourrait d’ailleurs
soutenir que ce triangle {Sibelius, Debussy, Schoenberg} va configurer une
bonne part de la musique du XX° siècle, en particulier, comme j’y reviendrai,
en matière de grand orchestre symphonique.
Bref, ils sont bien contemporains au sens fort du terme.
Précisons plus avant mon hypothèse
générale : la généalogie Sibelius-Wagner est obscure car elle a été en vérité obscurcie par
« l’héritier » Sibelius selon un certain type d’obscurcissement (qu’il nous faudra préciser et qui tend communément à être nommé mélancolie).
On pourrait ainsi dire qu’il s’agit dans cet
exposé de renommer ce qu’on a pris l’habitude d’appeler chez Sibelius mélancolie en sorte
1) d’inscrire cette mélancolie dans une
problématique musicalement généalogique et non pas psychologiquement individuelle,
2) d’associer cette composante sombre à une
figure musicalement inventive et pas seulement à une impuissance ou à une
stérilité.
Ce faisant, mon hypothèse quant à Sibelius
s’avère d’un enjeu de portée plus considérable car il concerne la place générale
de l’obscur dans la musique, singulièrement dans la création musicale.
Il me faut remonter à Hegel pour en prendre
exacte mesure.
Comme l’on sait Hegel a déclaré la mort de
l’art, et donc aussi de la musique comme art.
Par exemple :
« L’art est et reste pour nous, quant à sa
destination la plus haute, quelque chose de révolu. Il a de ce fait perdu aussi
pour nous sa vérité et sa vie authentiques. » [3]
Entendons bien : cette « mort de
l’art » désigne pour Hegel l’incapacité désormais de l’art de convoquer la
pensée en son intensité maximale ; elle indique, pour Hegel, que ce qui se
poursuit désormais sous le nom d’art ne relève plus exactement de la pensée la
plus haute mais procède d’une pure et simple survie
(qui comme l’on sait n’est pas la vie, en
l’occurrence la vie de l’esprit) organisée autour de deux problématiques :
d’un côté des lambeaux mélancoliques portant le deuil de la grandeur artistique
défunte (les morceaux de musique académique), d’un autre côté des jeux sensualistes
et ironiquement cyniques, sans plus d’enjeux que la gastronomie ou l’œnologie
(les pièces des « musiques actuelles »)…
Relevons le caractère éminemment prémonitoire
du jugement d’Hegel émis au début du XIX° siècle : n’a-t-on pas appris
tout récemment que l’œuvre d’art la plus importante du XX° siècle aurait été…
l’urinoir de Duchamp ? N’est-ce pas là la preuve qu’une grande partie de
l’opinion contemporaine en matière d’esthétique, sombrant dans le nihilisme, a
de fait intériorisé le diagnostic hégélien ?
Mais rien ne nous oblige, bien sûr, à mettre
nos pas dans ceux d’Hegel.
Pour sortir nos pas du chemin tracé par Hegel,
je propose de prendre d’abord mesure d’une autre affirmation moins connue
d’Hegel qu’on trouve également dans son Cours d’esthétique, et qui consiste en la prescription suivante :
« Il faut précisément bannir les forces
obscures du domaine de l’art, car en lui il n’y a rien d’obscur ; tout est
clair et transparent. » [4]
Hegel prend ici pour exemple de ces forces
obscures à bannir de l’art celles qu’il voit à l’œuvre chez Hoffmann ou von
Kleist (en particulier dans son Prince de Hambourg)
– ceci indique bien où Hegel situe la barre séparant l’obscurité de la clarté…
-.
Le point qui m’importe ici est la connexion
qu’on peut établir – qu’on doit à mon sens établir — entre les deux énoncés
hégéliens :
·
un constat : l’art est mort ;
·
une prescription : il faut bannir
l’obscur du domaine de l’art.
Ainsi, l’art qui pour Hegel serait mort serait
cet art qui ne saurait tolérer en lui le travail de l’obscur, ce type d’art qui
refuserait de donner droit à une puissance créatrice singulière de l’obscur.
En ce point, un tout autre geste
philosophique, lui éminemment contemporain, celui cette fois d’Alain
Badiou [5], va nous
indiquer une tout autre voie, en gros celle-ci : si l’art n’est pas
condamné à la survie mélancolique ou nihiliste, si l’art a continué d’être bien
vivant tout au long du XX° siècle, c’est aussi parce que l’art, à l’égal des
autres pensées, sait donner droit aux subjectivités proprement obscures. Soit,
au total, une thèse inverse de celle de Hegel : l’art reste un grand art
bien vivant à mesure (entre autres) du fait que des sujets proprement obscurs
peuvent y intervenir pour leur compte propre de manière créatrice, de façon
inventive et pas seulement négativement.
Cette proposition modifie l’espace mental dans
lequel nous mouvoir : le ciel de la pensée n’est plus, comme chez Hegel,
seulement peuplé de constellations lumineuses mais également de trous noirs. Et
si la voûte céleste continue bien au XX° siècle son expansion sans fin, c’est
parce qu’y interagissent des constellations lumineuses, des gerbes
interstellaires (plus opaques d’être réactivement propulsées) et d’immenses
trous noirs… [6]
Une des vertus de cette approche proprement
philosophique est de nous extraire de toute logique historiciste, celle par
exemple qui a autorisé Adorno ou Leibowitz à annuler la proposition Sibelius. Que de tels jugements soient aussi stériles que la stérilité musicale
qu’ils prétendent vilipender est manifeste. Dois-je ainsi rappeler qu’un
Schoenberg, pour sa part, n’a nullement inscrit son évaluation de Sibelius dans
de telles ornières [7],
lui qui écrivait en 1946 :
« Ce que j’ai écrit de Sibelius et de
Chostakovitch n’exigeait pas le savoir d’un spécialiste. Tout amateur, tout
passionné de musique eût pu conclure comme moi : « Voilà quelqu’un
qui a l’étoffe d’un symphoniste. » » [8]
Relevons qu’il inscrit Sibelius sous l’emblème
de la question symphonique, ce qui, comme j’y reviendrai, semble en effet le
point-clef.
*
La proposition de Badiou a pour grand mérite
de nous ouvrir un espace de pensée non historiciste, où la création artistique,
l’invention des formes et des contenus se répartissent en différents pôles
subjectifs, en gerbes d’œuvres, de différentes natures, référées selon des
trajets subjectifs singuliers à de grands évènements.
Mon hypothèse ici, sera que Wagner constitue
un tel évènement et que la gerbe Schoenberg-Debussy-Sibelius nomme la
constellation contemporaine qui en a procédé.
Parler d’un Sibelius obscur (plutôt que
« mélancolique » [9])
dessine une figure qu’on pourrait légitimement inscrire sous le signifiant du
« cas Sibelius ».
Marc Vignal y procède d’ailleurs en ouverture
de sa biographie dont les tout premiers mots sont les suivantes :
« Le cas Sibelius a ceci de paradoxal et
d’étrange… » [10]
Sans m’étendre ici sur la signification
proprement musicale de l’idée de cas – on sait que
l’expression nous vient de Nietzsche avec son « Cas Wagner » [11]…
-, je proposerai ici d’éclairer les paradoxes du « cas Sibelius »
selon les paradoxes d’une obscurité créatrice et inventive, somme tout selon le
paradoxe d’un clair-obscur que je tiens ici pour
être moins « cette obscure clarté qui tombe des étoiles » [12]
qu’une claire obscurité qui jaillit de la terre ; mieux encore : un
clair obscurcissement (plus exactement, comme on le verra plus loin,
l’aveuglement d’une univocité trop manifeste…).
Concernant les rapports du compositeur Jean
Sibelius à l’œuvre de Wagner, les choses semblent assez bien établies. Restituons
les grandes étapes chronologiques de ces rapports.
Sibelius assiste à Berlin en 1889 à des
représentations de Tannhäuser et des Maîtres
Chanteurs.
Il écrit ceci le 29 septembre :
« Ce fut indiscutablement très puissant.
[…] Cette musique a suscité en moi un mélange de surprise, de déception, et de
joie, etc. Je suis tombé malade les deux soirs, mais soyez sûr que je ne les
oublierai jamais. » [13]
Sibelius élabora en 1893 le projet d’un opéra
intitulé La Construction du Bateau dont les
présupposés sont clairement démarqués des thèses wagnériennes :
« Pour moi, la musique seule, la musique
pure, ne suffit pas. […] La
musique est comme une femme, elle ne peut donner naissance que par l’entremise
de l’homme, et cet homme est la poésie. » [14]
Remarquons au passage que Sibelius, esquissant
l’intrigue possible de cet opéra, décrit ici une jeune femme promettant à son
amoureux
« d’être sienne à condition que, par son
chant, il réussisse à construire un bateau à partir des débris de son fuseau. »
[15]
Cette remarque me semble assez significative
de cette esthétique de Sibelius qui tend à partir du divers pour aboutir à
l’unité, à l’envers du parcours thématique ordinaire comme Ceci Gray a pu le
relever à propos du thème du premier mouvement de la Deuxième Symphonie [16].
Décidé à se mettre au travail sur son opéra,
et pour cela à « s’immerger dans Wagner » [17],
Sibelius se rendit l’été 1894 Bayreuth, équipé de partitions ad hoc.
Il écrit ainsi le 9 juillet :
« J’ai acheté les partitions chant-piano
de Tannhäuser et de Lohengrin et étudie Lohengrin du mieux que je peux. » [18]
Après avoir entendu Parsifal, il écrivit ceci le 19 juillet 1894 :
« J’ai entendu Parsifal. Rien au monde n’a jamais
produit sur moi une telle impression. Au plus profond de moi, tout sanglotait.
Je commençais à me considérer comme une plante desséchée, mais ce n’est pas le
cas. Je ne peux raconter combien Parsifal m’a transporté. Tout ce que je fais me semble froid et faible en
comparaison. Voilà vraiment quelque chose. » [19]
citant à l’occasion le leitmotiv dit de la
Cène qui inaugure Parsifal :
Puis écrivait le 20 juillet 1894 :
« Pour moi, Parsifal surclasse de loin tout
le reste. Pour te donner une idée de l’effet qu’a produit sur moi Lohengrin, sache
qu’après la représentation j’ai songé à mon propre opéra et me suis promené en
fredonnant des extraits. Je suis le seul à y croire. »
« Je compte m’acheter une partition
piano-chant de La Walkyrie pour la comparer à la partition d’orchestre. Je pourrai ainsi mettre
le doigt sur les intentions de Wagner et étudier comment il les a réalisées
concrètement. » [20]
Reparti pour Munich, il rédigeait dès 25 juillet
ses premières réserves :
« À mon avis, [la musique de Wagner] est
trop bien calculée. […] En outre,
ses idées elles-mêmes me semblent manquer de spontanéité, on le remarque
immédiatement, ce qui prive la musique d’une partie de son impact. On ne peut
créer des motifs par force, il faut au contraire les accepter ou les rejeter au
moment où ils présentent. […] Je
suis trop victime de mes humeurs. Exemple cet opéra. L’idée initiale est
superbe, une de mes meilleures. » [21]
De Munich, il repartit pour Bayreuth,
réentendit Parsifal et Tristan puis, à nouveau à Munich, toute la tétralogie (sauf L’Or du Rhin) et les Maîtres Chanteurs, écrivant
ceci :
le 10 août :
« Je suis en plein doute et ne fais que
ruminer. […] Impossible pourtant de renoncer à la musique, […] surtout après m’être vanté de ne jamais
tomber dans la médiocrité. Mais chaque fois que je travaille à fond une scène
de mon opéra, arrive un moment où je me dis que mieux vaudrait y renoncer. »
« Avant hier, j’ai entendu Tristan et Isolde. Rien,
pas même Parsifal, n’a produit sur moi une telle impression. » [22]
le 17 août :
« Hier j’ai vu Le Crépuscule des dieux [et
quelques jours auparavant Siegfried]. C’est merveilleux, mais seulement par endroits. Je suis moins
wagnérien que les autres, et dirai ce que je pense à n’importe qui. J’ai été
faible et lâche, et tenté de me modeler sur les idéaux d’autrui. C’est mal. »
[23]
le 22 août :
« C’est étrange à dire, je ne suis plus
wagnérien. » [24]
C’est suite à cet été wagnérien que Sibelius
renonce définitivement à son projet d’opéra et, plus largement, toute ambition
théâtrale puisque son seul opéra composé restera bref (35’) et d’un seul tenant
(La jeune fille dans la tour, 1896). En vérité
Sibelius a amorcé en cette circonstance son tournant compositionnel du théâtral
vers le purement symphonique.
Comme l’écrit Marc Vignal :
« Avoir dû admettre en ces lieux
« sacrés » [Bayreuth
et Munich] que La Construction du Bateau – un opéra mythologique
pour lequel il avait nourri de grandes ambitions – était un projet mort-né le
marqua profondément, et contribua sûrement à le détourner de Wagner. » [25]
En ce sens comme en d’autres
« On peut prétendre qu’en profondeur,
Wagner est le compositeur qui influença le plus aussi bien Debussy que
Sibelius. » [26]
Voir aussi ce qu’écrit Tarasti :
« Quand Pierre Boulez dit que le seul
compositeur qui ait vraiment prolongé le style wagnérien était Debussy avec son
Pelléas, il
est dommage qu’il ne reconnaisse pas l’existence de la IV° symphonie et
notamment sa connexion à Parsifal. » [27]
Journal du 19 avril 1912 :
« Je vois clairement que l’opéra que
j’écrirai sera sans paroles. Décors uniquement architectoniques, chanteurs
ne chantant que la voyelle « a ». Surtout pas de paroles. Tout
cela marchera très bien, le chant et les couleurs, la musique et les gestes
l’accompagnant. Pas d’intrigue ? ! Ja, Ja ihr Herren ! [Oui, oui mes bons Messieurs !] » [28]
Après coup, une fois son Œuvre définitivement
suspendue, Sibelius dissimulera toute cette histoire en faisant comme si Wagner
n’avait jamais vraiment compté pour lui.
Comme l’indique à nouveau Marc Vignal :
« Un profond sentiment d’infériorité
allait se refléter dans ses opinions plus tardives sur Wagner et notamment son
oubli volontaire, proche de la falsification de ses actes passés, lors de ses
entretiens futurs avec des tiers. »
« Dans son autobiographie Ma vie, il répéta son
désintérêt passé pour Bayreuth et nia avoir étudié les partitions d’opéras de
Wagner. »
« Quand Cecil Gray affirme que l’œuvre de
Sibelius aurait été la même si Wagner n’avait pas existé, il ne fait que
répéter le mythe officiel que Sibelius a lui-même inventé. »
Notons que jusque très tard, Sibelius indexera
son rapport subjectif à Wagner sous le signe de la peur, la peur d’être
influencé, la peur donc d’une généalogie positive qu’il ne savait orienter
créativement.
Voir par exemple ce qu’il déclarait en 1936, à
son biographe Karl Ekman :
« My decided
antagonism to Wagner in my youth was, I fancy, dictated to some extent by the
fear of being subjected to an influence that I had seen taking possession
of so many of my friends, both old and young. » [29]
À quel titre registrer tous ces éléments à une
subjectivation de l’obscur ?
Rappelons notre espace de travail.
1. L’obscur se rapporte, je l’ai indiqué, à ce qu’on nomme communément mélancolie du compositeur, catégorie qui me semble trop psychologique ou
psychiatrique pour pouvoir caractériser une œuvre musicale.
2. Obscur désigne ici un processus (obscurcissement) plus qu’un état (obscurité) : obscur veut donc dire obscurci, mieux
encore : obscurcissant.
3. La détermination négative dont le terme obscur est porteur s’accompagne ici d’une puissance inventive, qui élargit
l’espace et le nourrit de nouvelles réalisations.
Face à Wagner, la comparaison de Jean Sibelius
avec Claude Debussy est éclairante : comme Sibelius, Debussy fut très
fortement influencé par Wagner ; comme lui, il a ensuite renié ses
premiers amours musicaux mais là où Debussy n’a eu ensuite de cesse de
critiquer explicitement Wagner, de le dénigrer – voir par exemple sa formule
aussi fameuse que malhonnête sur les leitmotivs wagnériens comme poteaux indicateurs
-, donc d’en parler en indiquant qu’il s’agissait bien pour lui de tenir compte
du choc-Wagner mais pour procéder tout autrement, Sibelius, lui, a plutôt
effacé toute trace du choc-Wagner au point même que son premier biographe Cecil
Gray a pu de son vivant soutenir que l’œuvre de Sibelius aurait été la même si
Wagner n’avait pas existé…
Pourtant, que Jean Sibelius ait été fortement
marqué entre 1889 et 1894 (de 23 à 28 ans donc) par la musique de Wagner est,
comme on l’a vu, particulièrement évident.
Point plus remarquable, et qui le différencie
à nouveau de Debussy : cette rencontre avec l’Opéra de Wagner l’a amené à
remanier en profondeur son propre projet compositionnel : non seulement à
raturer définitivement le projet d’opéra mythologique auquel il tenait tant
mais, plus encore, à abandonner la perspective de la musique théâtrale pour
embrasser celle de la musique symphonique :
« Mon « classicisme »
intéressera-t-il qui que ce soit ? Il ne correspond en rien au goût du
jour, influencé par le pathos wagnérien et qui pour cette raison m’apparaît
théâtral, et nullement symphonique. » [30]
« Je vois clairement que l’opéra que
j’écrirai sera sans paroles. Décors uniquement architectoniques, chanteurs ne
chantant que la voyelle « a ». Surtout pas de paroles. Tout cela
marchera très bien, le chant et les couleurs, la musique et les gestes l’accompagnant.
Pas d’intrigue ? ! Ja, Ja ihr Herren ! [Oui, oui
mes bons Messieurs !] » [31]
Ainsi Debussy et Sibelius, d’un côté,
partagent d’avoir été soumis non seulement pendant leur jeunesse mais tout au
long de leur vie de compositeur à une influence directe et essentielle de la
musique de Wagner (ils ont récusé assez tôt les conceptions wagnériennes
formulées dans ses écrits mais ils ont continué toute leur vie d’être
perméables aux idées proprement musicales de Wagner comme Robin Holloway l’a
amplement démontré pour Debussy et comme c’est assez manifeste pour Sibelius).
Mais Debussy et Sibelius se partagent
ensuite : là où Debussy va en appeler explicitement contre Wagner d’une
autre conception de l’opéra, Sibelius va en appeler, contre Wagner, d’un déplacement,
prônant une conception symphonique plutôt que théâtrale de la musique. Là où le
premier réagit à Wagner en scindant son espace de l’opéra, le second va
ailleurs – vers la symphonie — en faisant mine d’ignorer désormais le domaine
musical – l’opéra — qui, en vérité, a délimité son nouveau projet.
Résumons les traits constitutifs des
subjectivités obscure et réactive ici en jeu :
—
il y a au principe des deux une très
forte attirance pour Wagner, le choc d’une
rencontre ;
—
il y a ensuite, pour les deux, un
mouvement de retournement subjectif.
—
C’est en ce point que les deux figures se
scindent subjectivement :
On peut aussi
dire : Sibelius fait comme si Wagner n’avait pas eu lieu, et ce
« comme si » oriente paradoxalement son parcours quand Debussy se bat
contre ce qui a eu lieu.
La matrice du sujet obscur conjoint ainsi attirance puis retournement comme pour le sujet
réactif, puis s’en sépare par raturage et déni plutôt que stimulation et rivalité.
|
Réactif |
Obscur |
· premier temps |
Attirance |
|
· second temps |
Retournement |
|
Rapport généalogique (ici à Wagner) |
Opposition stimulante ⇒ élan |
Raturage déprimant ⇒ renoncement |
Scission rivalisante (ici à l’intérieur du genre Opéra) |
Déni déplaçant (ici Opéra↪Symphonie) |
Si le partage réactif/obscur est ainsi
aisément clarifiable du point de vue des individus concernés (des
compositeurs), le point plus difficile mais également plus intéressant concerne
les œuvres musicales. Comment mettre en évidence, par des critères proprement
musicaux, ce qu’œuvre musicale obscure voudrait
dire ? Mieux : comment mettre au jour l’invention musicale dont une
œuvre obscure est spécifiquement capable ? Approprier cela au « cas
Sibelius », tel est donc l’enjeu.
Qu’en est-il d’abord des rapports de l’œuvre
de Sibelius à celle de Wagner ? Les choses ont été déjà bien clarifiées
par Eero Tarasti [32]
mais aussi dans la thèse d’Antonin Servière [33].
Je rappelle les principaux résultats.
De nombreux détails révèlent l’influence
exercée par l’œuvre de Wagner, détails
·
cf. accord de Tristan…
·
cf. travail séquentiel [34]
et modulant [35]
Cf. Eero Tarasti [36]
Cf. Eero Tarasti [37]
Cf. Antonin Servière [38]
Cf. ces unissons, que pourtant il reprochait à
Wagner :
« Regardez son orchestration, cette masse
de divers instruments à l’unisson ! »
Pour qui est familier de l’écriture de Wagner,
la manière qu’a parfois Sibelius de noyer le mètre par un décalage irrégulier
fait directement écho avec cette même pratique chez Wagner, par exemple dans Parsifal.
S’il est vrai (cf. A. Servière) que Wagner n’a
guère influencé Sibelius en général pour le profil si typé de ses thèmes, par
contre (cf. E. Tarasti) certains motifs de la IV° sont étonnamment parents de
motifs wagnériens [39] ;
L’influence musicale de Wagner se fait
également sentir de manière plus générale
La temporalité, sans direction précise, très
ralentie, suspendue de la IV° a pu ainsi être considérée par Tarasti
« comme un épisode de Parsifal qui aurait été
transféré dans un paysage finlandais »
La prolifération motivique chez Sibelius
évoque parfois celle des leitmotivs chez Wagner au point qu’un Ilmari Krohn a
pu entreprendre de classer les motifs de la III° symphonie comme d’autres ont
entrepris de classer les leitmotivs wagnériens (comme l’on sait, Sibelius
rejetait une telle interprétation leimotivique de ses symphonies). Je ne
prétends pas que cette opération ait plus de sens pour Sibelius qu’elle n’en a
pour Wagner mais je relève seulement qu’elle est possible dans les deux cas.
On peut à l’inverse relever les écarts
Wagner-Sibelius, les distances prises par ce dernier d’avec le modèle
wagnérien :
En matière de mélodie, la contraposition de la
mélodie infinie chez Wagner est éclairante. En deux mots,
·
la mélodie infinie wagnérienne est une
enveloppe intérieure qui traverse le réseau orchestral dense en portant
l’étrangeté d’une temporalité exogène (celle du poème) et constituant au total
une sorte de modulation de fréquence de l’orchestre conçue comme modulante et
du poème conçu comme porteuse ;
·
la mélodie sibélienne est par contre
classiquement (comme dans la mélodie accompagnée ordinaire) une enveloppe
extérieure.
En matière de réseau motivique, l’écart avec à
la logique wagnérienne est également manifeste. À nouveau en deux mots,
·
le réseau wagnérien est de même nature
qu’un réseau de nuages : ce qui y importe est moins la différence statique
des formes que la différence dynamique des formations et déformations (voir une
théorie néphologique des leitmotivs wagnériens) ;
·
le réseau sibélien ressemble plutôt à une
stratification de couches géologiques faites de cailloux de toutes tailles et
de toutes natures.
En matière cette fois d’orchestration, il est
clair que Sibelius ne retient pas le souci wagnérien du détail, cet art de la
miniature qu’un Nietzsche avait bien décelé dans l’orchestre wagnérien.
Comme on l’a vu, il n’en retient pas non plus
l’art de la transition : Sibelius est un adepte des ruptures et contrastes
plutôt que des conversions insensibles, des mutations indécidables.
Même ces larges unissons, qu’il reprochait à
Wagner pour mieux les lui reprendre,
« Look at his
orchestration, that mass of different instruments in unison !
Wagner reminds me of his former friend and later antagonist Nietzsche, who
always suggests a butler who has been created a baron. » [40]
il les traite à rebours de Wagner : pour
celui-ci les unissons constituent de préférence un point de départ destiné à
s’ouvrir bine vite tel un éventail (le prélude de Parsifal, en ce point, est exemplaire) quand pour Sibelius les unissons
constituent plutôt un point d’arrivée quand ils ne configurent pas tout
simplement le moment de la fin de ses opus…
Au total, il est clair que l’ensemble de
l’Œuvre sibélienne n’est pas disposé à l’ombre de Wagner mais certaines œuvres
attestent clairement par contre clairement de l’influence déterminante de
Wagner : ainsi la généalogie musicale Parsifal→IV°
symphonie ne fait pas plus de doute que chez Debussy la généalogie Tristan/Parsifal→Pelléas ou Parsifal→Jeux.
À partir de là, quel sens y a-t-il à
caractériser cette généalogie musicale si ce n’est comme obscure du moins comme
obscurcissante ?
J’indiquerai d’abord où, à mon sens, cela ne
se joue pas.
Le caractère proprement obscur de la généalogie musicale Sibelius-Wagner et/ou de l’Œuvre de Sibelius
ne se joue pas à mon sens dans les techniques
employées, techniques qui ne sont en effet musicalement évaluables que du point
des idées musicales au service desquelles ces techniques sont mobilisées.
Le caractère obscur de cette musique ne se
jouera donc pas
·
dans un maintien de la tonalité,
·
dans un retour à la modalité,
·
dans la rythmique et le maintien du mètre,
·
dans le classicisme des formes chez Sibelius (sonate, rondo…)
·
moins encore dans la couleur « sombre » de l’orchestration ou l’harmonie sibéliennes,
·
ni le caractère national de sa musique
Plus généralement cela ne se jouera pas dans
une question de système musical employé.
Dite en termes adorniens, la question ne se
joue nullement dans une figure systématique du « matériau musical »,
selon un paradigme alors toujours peu ou prou condamné à opposer une figure
progressiste (ou progressive) et une figure réactionnaire (ou réactive) du
matériau : la figure du sujet (c’est-à-dire de l’œuvre) ne se décide pas à
mon sens au point du matériau.
Si le caractère subjectivement obscur de
l’Œuvre-Sibelius ne se joue pas dans une dimension des systèmes musicaux venant
organiser son « matériau », où cela se joue-t-il ?
Je formulerai en ce point une hypothèse de
travail, un programme de recherche plutôt que je n’avancerai des conclusions
définitives. Je le répète : cette intervention vise à tracer une diagonale
dans des matériaux analytiques déjà existants plutôt qu’à ajouter à ces
matériaux de nouveaux résultats d’analyse.
Dans l’Œuvre-Sibelius, l’obscurcissement se
jouerait paradoxalement dans ce que j’appellerai une univocité du discours
musical.
Qu’est-ce que j’entends par l’idée d’un
discours sibélien univoque ?
Nullement que ce discours soit prévisible – on
connaît le caractère imprévisible des nombreuses ruptures et des décalages
impromptus chez Sibelius – mais que chaque proposition une fois là, chaque
situation une fois présentée est par elle-même univoque.
J’oppose ici l’univoque sibélien moins à l’équivoque
(cette équivoque dont Thomas Mann faisait le propre de la musique) qu’au
multivoque [41].
Il faudrait analyser musicalement plus avant
ce que je nomme ici univoque sibélien : disons qu’il tient à une manière
incessante d’accompagner toute présentation d’un matériau par le geste de nous
dire : « voilà c’est ça et pas autre chose » [42],
une manière qu’on pourrait donc dire de doubler toute présentation d’une
représentation si bien que toute présence se trouve comme soulignée en sorte
que tout risque d’ambivalence soit évité.
Attention : univoque ne veut pas dire
simple pas plus que multivoque ne veut dire complexe. Une situation diverse et
complexe peut être univoque si la place de chaque chose est clairement
délimitable, si la répartition entre choses est sans ambivalence possible.
Réciproquement une situation assez simple en apparence (par exemple un
contrepoint à 4 voix) restera multivoque si l’ensemble des rapports qu’elle met
en œuvre échappe à toute récapitulation instantanée.
Attention : si le « système »
musical sibélien (métaphoriquement : son « langage ») n’est,
lui, pas univoque mais souvent équivoque ou plurivoque (modal/tonal ?,
tons relatifs Majeur/mineur ?, etc.), je vise ici autre chose : moins
un supposé « langage musical » de Sibelius que ce qui est
« dit » dans ce « langage ». Pour filer la métaphore, la
thèse est ici que, même si Sibelius même à loisir les langues, les hybrides en
un « sabir » qui lui est propre, son propos pour autant reste
univoque car il s’agit de dire une seule et même chose de différentes manières.
Le paradoxe est alors de nommer obscurcissement un type d’opérations qu’on aurait plutôt tendance à registrer comme
clarification puisqu’il y s’agit de nous dire : « tout est simplement
là devant vous ».
C’est que l’obscur s’attache ici à ce que
l’idée d’une trop grande évidence obscurément dissimule : celle d’une
musique qui bouleverse d’autant plus qu’elle est multivoque, indéfiniment
stratifiée, et c’est bien ici que Wagner reste le choc incontournable que
Sibelius n’a d’ailleurs pas pu contourné même s’il s’est orienté vers la
Symphonie plutôt que vers l’opéra.
Le fil de la recherche est donc le
suivant : Sibelius obscurcit sa musique (son intension musicale) à mesure de son effort pour la purifier et la rendre
univoque.
Un point subjectivement décisif me semble ici
le suivant : la puissance subjective de ce que j’appelle obscurcissement
du discours tient à sa capacité de fasciner et même de sidérer. Et c’est en ce
sens qu’une univocité, qu’il faut alors dire sur-univocité – univocité au carré
– est décisive car c’est elle qui génère fascination et sidération : on
reste sidéré devant une telle univocité, et on ne se remet pas si facilement
d’avoir été ainsi fasciné.
Il me semble que se joue là cette puissance singulière du
discours sibélien dont nous parlait lundi Marc Vignal de ne plus jamais lâcher
l’auditeur qui a été une fois attrapé…
Ainsi l’obscurcissement dont il est ici
question est très précisément l’inverse de ce qu’il pouvait signifier pour un
Charles Mauron écrivant, en 1941, un Mallarmé l’obscur. L’obscur de Sibelius ne tient nullement au fait qu’il serait
difficile de saisir ce dont il est question dans son discours musical mais,
tout au contraire, à une manière parfaitement univoque de s’y rapporter,
tellement univoque qu’elle sidère, fascine, arrête et tétanise la pensée… [43]
Ou encore : le sujet obscur n’est pas le
sujet d’un discours obscur mais, tout au contraire, d’un discours
unilatéralement « clarifié », d’un discours univoquement
purifié. [44]
Dois-je préciser que cet effet de fascination
et de sidération interdit alors à mon sens toute écoute musicale qui se respecte
si bien que ma question adressée à Sibelius l’obscur pourrait tout aussi bien
être : comment arriver à écouter cette musique et pas seulement à la
percevoir l’auditionner, l’entendre et la comprendre ? Il me semble que ce
que je nomme ici fascination et sidération l’interdit, précisément parce qu’il
fixe l’auditeur dans l’immobilité d’un face à face.
Face à quoi l’auditeur ainsi fasciné se
trouve-t-il ?
Face au corps orchestral mobilisé par
Sibelius, qu’il aimait à appeler « symphonique ».
Qu’est-ce que ce corps symphonique sibélien a
en propre ? Qu’est-ce donc qui s’invente ici sous le nom de Symphonique ?
Au total, quelle nouvelle ressource du xxe siècle musical s’est
donnée dans ce geste de Sibelius ?
Je ne vois pour le moment que deux réponses.
Une réponse se présente immédiatement
ici : on pourrait soutenir que Sibelius, ce faisant, a tout simplement
inventé la musique de film.
En un sens, c’est très exactement la thèse
qu’a musicalement soutenue Esa-Pekka Salonen à la tête du Los Angeles Philharmonic
ce lundi 5 novembre 2007 salle Pleyel dans son interprétation de la
V°. N’y manquait même pas le moment-faveur :
ce moment du premier mouvement où l’orchestre semble imploser en se ramassant
sur des cordes pianissimo, au profil devenu générique [45]
(le « “champ” indifférencié sans mélodies ni rythmes » dont parle
Marc Vignal [46] ou, pour
James Hepokoski, le « passage sombre et mystérieux [47]) :
(mes.
78-80)
qui va se trouver ici bien vite se relever et
se réidentifier, en un lent crescendo débouchant sur un large unisson mélodique
des mêmes cordes (le « grandiose thème lyrique » dont parle Marc
Vignal [48], la « lumière
des cuivres » pour James Hepokoski [49]),
épaissi à souhait ce soir-là par une direction emphatiquement
hollywoodienne :
(mes.
91-94)
Soit au total, un passage de l’obscur (la musique générique du moment-faveur) à la « lumière » (celle de la musique rendue univoque)…
Ce qui m’a très frappé, c’était que Salonen
pouvait nous interpréter ainsi toute la V°
symphonie – pas seulement un passage, ou même un mouvement – comme si cette œuvre
inventait sous nos oreilles la musique de film, comme si toute la symphonie
accouchait pour nous d’Hollywood. C’est d’ailleurs bien ce propos (non pas
jouer la V° comme si c’était de la musique de film mais comme si son intension profonde était de mettre au jour un nouveau de type de musique symphonique :
la musique de film) qui rendait cette interprétation proprement écoutable, le moment-faveur précédant étant alors le moment qui nous faisait
accéder à l’intension jusque-là secrète de la
musique, dans le crescendo suivant le moment-faveur [partie K [50]]
et conduisant à la mélodie ci-dessus (Largamente)
jouée à l’unisson par les cordes.
Mieux : la thèse de Salonen prenait
d’autant plus de consistance qu’elle portait sur la V° [51]
qui, comme l’on sait, constitue à l’intérieur du grand Œuvre sibélien, le rôle
d’une contre-tendance après ce que Marc Vignal appelle « la tentation de
l’avant-garde » dans la IV° symphonie. Ainsi le tournant local (tel
qu’interprété par Salonen), interne au premier mouvement, s’avèrerait valoir
tournant global à la fois pour la V° et pour toutes les symphonies…
Faisons en passant une remarque : la
musique de film comme telle n’est pas écoutable (Hans Eisler a dû d’ailleurs en
prendre son parti), si l’on accepte de considérer que l’écoute proprement musicale
n’est pas seulement la perception, l’audition ou l’entendement.
Si la V° était écoutable sous la baguette de
Salonen, c’est précisément parce qu’elle n’était pas une musique de film mais
une musique accouchant du genre « musique de film ».
Le point finalement de savoir si la musique de
Sibelius dans son ensemble est ou n’est pas de la musique de film (se dispose
bien ou ne se dispose pas selon ce nouveau paradigme musical) reste à mon sens
indécidable. Autant dire que chacun est tenu en ce point de se décider.
On ne peut alors que prendre acte du fait
qu’un Pascal Dusapin tranche assez clairement dans sa Préface au livre de Marc
Vignal lorsqu’il écrit :
« La musique de Sibelius […] ne possède
aucune vertu astreignant l’écoute, tant elle semble se défaire elle-même de
toute intention didactique. » [52]
Si l’écoute (au sens précis que je convoque
ici) est précisément ce qui astreint l’oreille à une discipline musicale à
l’œuvre (l’intension) qui ne se fait jour qu’à
partir du moment-faveur, récuser, comme le fait Dusapin, l’astreinte à cette
écoute dans la musique de Sibelius s’obtient en aplatissant cette intension musicale sur une pure et simple « intention didactique »…
Qu’il soit possible d’interpréter tout
autrement que Salonen la V° ne doit cependant pas raturer le fait qu’il est
effectivement possible de l’interpréter comme nous l’avons entendu lundi
soir : un tel parti pris ne serait guère possible avec Wagner – qu’on a
pourtant souvent taxé de la même gestation – : Wagner peut certes être
utilisé comme musique de film (on l’a très souvent fait) mais on prélève alors
pour ce faire dans sa musique des extraits, les « passages favoris »,
non une œuvre entière — on pourrait également dire la même chose à mon sens de
Mahler, ou de Debussy -. Le point notable chez Sibelius est que Salonen ait pu
suivre la V° d’un bout à l’autre sous l’hypothèse musicale qu’il s’agissait là
d’une œuvre inventant, dans son obscurcissement même, cette musique d’un type
nouveau qu’on nomme ici, sans plus de précision, « la musique de
film » [53].
Et inventer la musique de film – comme l’on
sait d’ailleurs, les inventions de ce type se font souvent simultanément, selon
des voies très différentes et par des gens qui ne se connaissent pas :
Sibelius n’est donc certainement pas le seul à donner forme à ce nouveau type
de musique qui est, comme l’on dit, « dans l’air du temps » (Zeitgeist) -,
ce n’est pas rien !
Il y a une autre réponse possible à la
question : quelle figure particulière du symphonique au xxe
siècle s’invente chez Sibelius ? Elle passe par l’idée d’un nouvel espace
sonore via la constitution des sonorités orchestrales en vaste Timbre [54].
On trouve par exemple cette réponse sous la
plume de Marc Vignal :
« Cette démarche [précisément dans le premier mouvement de la V°] témoigne chez Sibelius d’un sens aigu de l’espace sonore. » [55]
Et c’est aussi la réponse d’un certain nombre
de compositeurs qui ont déclaré hériter de Sibelius, singulièrement les
compositeurs qui se sont inscrits sous le nom propre de L’Itinéraire, disons, pour simplifier, ceux qui s’inscrivent dans une généalogie,
cette fois descendante, Sibelius→Varèse→…
L’idée est ici que le Symphonique sibélien
réintroduirait l’autonomie du sonore dans le musical sous la catégorie de
Timbre.
En deux mots, l’idée est la suivante :
avec le Timbre (à différencier du timbre instrumental, ou « petit
timbre »), des sonorités diverses fusionnent en une seule masse d’un seul
tenant (même si elle est irrégulièrement répartie en différents formants).
Le propre du Timbre symphonique est alors que
l’espace sonore se trouve directement adhérer à l’espace orchestral :
l’espace sonore n’est plus tant l’espace de la trace projetée à partir d’un
corps-accord que l’espace même d’un son rayonnant autour de l’orchestre
symphonique. La coupure entre la trace et son origine est récusée, comblée.
D’où cet effet subjectif tout à fait singulier
qui me semble caractéristique de ce que j’appelle ici obscurcissement : un
effet de fascination et de sidération. Face à un tel Timbre symphonique (espace
sonore en fusion adhérant à l’espace des formants de l’orchestre), l’oreille se
trouve proprement fascinée et sidérée, l’écoute comme bloquée d’avoir à faire
face à un tel Corps sans pertes.
Le point essentiel de ce qui est inventé par Sibelius
et que je tente de clarifier devant vous me semble se jouer là : dans un
excès de poids sonore par rapport à l’écriture musicale. L’ouverture d’une
partition de Sibelius est à chaque fois pour moi stupéfiante tant la maigreur
de ce qu’on appelle l’écriture proprement musicale y saute aux yeux. Dans ce
parti pris de transparence d’écriture, véritablement aux antipodes des
pratiques wagnériennes, se révèle quelque chose de l’intension profonde de cette musique : on pourrait le dire en termes
psychanalytiques en parlant d’un refus de la castration (l’écriture musicale ne
doit pas échapper à l’oreille, une faille ne doit pas se glisser entre écriture
et perception, soit encore l’axiome de Grisey qui s’appliquerait aussi me
semble-t-il à Sibelius : la partition est conçue comme la simple carte
d’un espace sonore).
Au total, pas de césure (dans ce qui est ici
pris pour une chaîne) entre écriture, corps-accord, trace sonore, perception,
ce qui légitime que les deux bouts de la chaîne (écriture et perception) soient
alors rapprochables.
Notons au passage que cette manière de voir
est aussi ce qui rend compte de ce fait : Sibelius, joué au piano, perd
tous ses atouts, ce qui n’est bien sûr pas le cas de Wagner…
Le paradoxe est bien sûr que ce dispositif
génère un discours lui-même strié de vides, de failles et de ruptures, un discours
qui se déploie donc au plus loin de la figure du discours plein. Il y a dans le
discours sibélien d’innombrables interruptions, fractures et sauts non
préparés ; et il y a de nombreux vides entre les formants sonores :
ici, pas de sonorités onctueuses mais des sonorités rêches prenant plutôt
modèle sur ces rochers de granit qu’il aimait en Finlande…
Mais si le discours sibélien peut multiplier
ces vides intervallaires, c’est précisément parce qu’il s’est assuré au
préalable que ces intervalles interviennent entre des solides dont la
consistance intérieure, elle, ne doit rien au vide, sur des solides d’un seul
tenant.
Au total, le nouvel espace sonore ainsi engagé
par le symphonique sibélien aurait pour socle que l’écriture n’excède pas la
perception en sorte de garantir que le Corps symphonique, à la fois Timbre et
Espace, repose sur des bases sans faille.
Si ce Corps sidère l’oreille, c’est aussi
parce qu’en un sens, il arrête le temps musical. Et c’est en ce point que je
voudrais conclure en retrouvant notre question de départ, celle de la
généalogie Sibelius-Wagner, s’il est vrai qu’en ce point du Corps-Timbre
inventé par Sibelius, se constitue une tout autre réponse que celle de Wagner
au fameux énoncé de Gurnemanz dans Parsifal :
« Ici le temps devient espace. » [56]
Se dessine en ce point une disjonction
radicale :
·
pour Wagner, « ici le temps devient
espace » veut dire : un seul instant suffit pour faire un bond dans
l’espace (mental et non pas sonore), pour accéder à un lieu (mental) d’une tout
autre nature – c’est somme toute la maxime de l’écoute qui, d’un seul bond
(moment-faveur) passe de l’extérieur à l’intérieur de l’œuvre ; c’est,
plus théâtralement, dans Parsifal, l’accès au lieu singulier qu’est le lieu de
culte des chevaliers du Graal -.
·
pour Sibelius, « ici le temps
devient espace » veut dire : en un clin d’œil, l’écoute est sidérée
par le vaste corps symphonique édifiant son espace sonore adhérent par
empilement de rochers de granit. Qu’il y ait ici une proposition originale,
nouvelle par sa puissance de stupéfaction et de sidération sonore me semble
indubitable. C’est peut-être elle qui rend compte de ce que nous disait Marc
Vignal en ouverture de ce Colloque : on ne se remet jamais d’avoir été
ainsi sidéré, arrêté et cloué sur place par une telle stupéfaction.
*
Cf. Badiou (Logiques des mondes) :
avec
C = Corps plein dont s’autorise le sujet
obscur [57]
ε = la trace de l’évènement
¢ = le corps barré porteur de fidélité
π = le présent produit par la procédure
L’Œuvre-Sibelius comme sujet obscur :
avec
S = Symphonique sibélien [58]
W = Wagner
Ø = l’Øpéra wagnérien comme musique
supportant la barre du poème
o = « l’opéra contemporain »,
fidèle à la proposition wagnérienne
soit :
*
[1] Le texte de Maeterlinck date de 1882.
Rappelons que Fauré les avait tous
précédés en composant en 1898 son propre Pélleas.
[2] Sibelius cite d’ailleurs le Pelléas de
Schoenberg dans sa quatrième partie (cf. Vignal, op. cit. p. 385-386)
[3] Cours d’esthétique. Traduction de
Jean-Pierre Lefebvre et Veronika von Schenk (Aubier, 1995 ; vol. I,
p. 18)
Dans la traduction cette fois de S.
Jankélévitch : « L’art reste pour nous, quant à sa suprême
destination, une chose du passé. De ce fait, il a perdu pour nous tout ce qu’il
avait d’authentiquement vrai et vivant. »
[4] Cours d’esthétique. Traduction de
Jean-Pierre Lefebvre et Veronika von Schenk (Aubier, 1995 ; vol. I,
p. 323)
„Aus dem
Bereiche der Kunst aber sind die dunklen Mächte gerade zu verbannen, denn in
ihr ist nichts dunkel, sondern alles klar und durchsichtig“.
Dans la traduction de S.
Jankélévitch : « Ces puissances obscures doivent justement être
bannies du royaume de l’art, parce que dans ce royaume, il n’y a rien d’obscur,
mais tout y est clair et transparent. »
[5] Voir son dernier maître ouvrage Logiques des mondes. C’est à lui que j’emprunte la trilogie subjective du fidèle, du réactif et de l’obscur.
[6] Si l’on devait inscrire cette diversité des sujets en mathématiques,
il faudrait ajouter aux théories mathématiques inventives et créatrices, non
seulement l’invention dont procèdent telle ou telle contre-théorie mais aussi
celle dont procèdent ces mathématiques se voulant « effectives » (et
non plus « abstraites », comme les deux précédentes), c’est-à-dire
qui ordonnent leur pensée à la logique du pur calcul.
[7] De même, en retour, Sibelius a témoigné à de nombreuses reprises de
son intérêt pour la musique de Schoenberg, par exemple lors de son voyage aux
États-Unis en 1914 : « Il y a un compositeur que j’admire
beaucoup, et c’est Arnold Schönberg. » (Vignal, p. 645), mais aussi, toujours en 1914 mais cette fois en
Allemagne, à propos de la Symphonie de chambre op. 9 : « Intéressant.
Cubisme en musique » (633) ou du second quatuor
op. 10 : il « m’a beaucoup fait réfléchir. Il m’intéresse
énormément. » (634)
[8] Critères de jugement de la musique,
1946 (Le Style et l’idée, p. 113)
[9] comme le fait par exemple Pascal Dusapin en préface au livre de Marc
Vignal : « œuvre profondément mélancolique… » (p. 9)
[10] « Le cas Sibelius a ceci de paradoxal et d’étrange que dans de
très sérieuses histoires de la musique du xxe siècle, son nom est
passé sous silence, ou à peine mentionné, alors qu’il reste un des rares
compositeurs de son temps à avoir suscité d’abondants commentaires d’ordre
strictement musical, et que tout ceux qui le connaissent bien n’ont jamais
hésité à le placer au tout premier rang, à le considérer comme une des forces
vives de l’époque. »
[11] Il est clair que Sibelius n’hérite pas de Wagner la même capacité à
constituer un « cas », du moins au sens précis (anti-philosophique au
demeurant) donné par Nietzsche à ce mot : s’il y a un « cas
Sibelius », il sera de nature toute différente du « cas
Wagner »…
[12] Don Rodrigue (Le Cid, IV.3)
[13] Cette citation, comme les suivantes non précisées, provient du livre
de Marc Vignal (ici p. 106)
[14] p. 203
[15] p. 203
[16] p. 327
[17] Marc Vignal, p. 213
[18] p. 213
[19] p. 214
[20] p. 214
[21] p. 215
[22] p. 216
[23] p. 216-217
[24] p. 217
[25] p. 218-219
[26] p. 218
[27] Sibelius et Wagner (dans le numéro spécial
de Boréales, n°54/57, consacré au Colloque International Jean Sibelius de 1993)
p. 97
[28] p. 577
[29] Jean Sibelius : Observations on Music and Musicians (compiled by Glenda Dawn Gloses); The
Sibelius Companion, edited by
Glenda Dawn Gloses (Greenwood Press, 1996)
[30] Journal du 3 juin 1918 (Marc Vignal ; p. 766)
[31] Journal du 19 avril 1912 (Marc Vignal ; p. 577)
[32] Sibelius et Wagner (dans le numéro spécial
de Boréales, n°54/57, consacré au Colloque International Jean Sibelius de
1993).
Sibelius and Wagner dans The Sibelius
Companion, edited by Glenda
Dawn Gloses (Greenwood Press, 1996)
[33] L’œuvre symphonique de Jean Sibelius (1865-1957) : Essai de
caractérisation stylistique (thèse soutenue le 29 septembre 2007 à Paris IV)
[34] Rapprochement de déplacements séquentiels chromatiques Kullervo /Tannhaüser (exemples 3.1 et 3.2 page 68)
[35] Cf. jouer, comme Wagner, d’une paire de tonalités à intervalle de
tierce : Tristan → I°. Cycle des tierces dans
la VI° comme dans Tristan…
[36] Cf. (voir Erik Tawaststjerna) le solo de cor anglais du 3° acte de Tristan et le même instrument dans le Cygne de Twonela (les deux dans un style récitatif, les deux associés à la mort). Le
solo est précédé d’un accord de la mineur dont le changement de timbre pendant
qu’il monte dans l’orchestre a un précédent dans le prélude de Lohengrin.
Les violons dans le développement de
IV.1 suivent une ligne ascendante du même type que celle qu’on trouve dans Siegfried III (ex. 3.3 et 3.4).
[37] Les couleurs de cordes graves et de vents sombres qui ouvrent la IV°
ouvrent aussi Parsifal ; les instruments utilisés
comme « acteurs » distincts au début du 3° mouvement et les motifs de
la clarinette juste avant l’entrée de Klingsor au début de l’acte II
[38] Les « nappes de son » qu’on trouve par exemple au tout début
de Parsifal mais, plus généralement bien des sonorités
d’orchestre
[39] Voir ses ex. 3.7 et 3.8 dans Sibelius and Wagner (op. cit.) : leitmotiv de la blessure → figure de transition du
1° mouvement aux cuivres – section C,4
[40] Jean Sibelius : Observations on Music and Musicians (compiled by Glenda Dawn Gloses); The
Sibelius Companion, edited by
Glenda Dawn Gloses (Greenwood Press, 1996)
[41] qui n’est pas exactement le plurivoque : le pluriel est fait de
plusieurs uns quand le multiple est sans un. Le plurivoque désigne donc ce qui
a plusieurs sens, dénombrables, chacun étant délimitable. Le multivoque désigne
une prolifération des sens telle qu’il ne va pas de soi de savoir ce
qu’« un » sens serait : un multivoque ne procède pas, comme
pourrait le faire le plurivoque, par superposition d’univocités.
[42] Ce geste est indépendant du fait de savoir si le « ça »
présenté par le « c’est ça » est lui-même clairement caractérisable.
[43] On pourrait trouver des équivalences à cette tétanisation
obscurcissante de la pensée dans d’autres gestes : ceux qui contemplent la
mort ou l’horreur, fixent
l’impensable, ou pourquoi pas exhibent obscènement le phallus, ce
signifiant sans signifié… En chacune de ces occurrences, ce qui obscurcit n’est
pas la nature difficilement déchiffrable de « la chose » mais très
exactement l’inverse : l’aplomb du geste qui redouble – réduplique -
l’univoque…
[44] C’est pour cette même raison qu’il faudrait chercher en mathématiques le sujet obscur non du côté du discours devenu obscur du dernier Grothendieck (celui, disons, de L’interprétation des rêves) mais plutôt dans ce qui s’est appelé, à partir des années 80, « les mathématiques effectives » : l’évidence univoque du calcul, purifiée de toute hétérogénéité, est précisément ce qui organise la sidération.
[45] Comme pour tout moment-faveur qui se respecte, l’aspect déterminant
pour l’oreille d’un tel moment tient au retrait qui s’opère en cet endroit, à
une logique soustractive qui prend la forme d’un reflux laissant à nu le soubassement
jusque-là inaperçu, révélant l’intension à l’œuvre…
Il est clair que Salonen majorait dans
ce passage la logique du flux et du reflux, accusant le retrait par un léger
ralentissement non écrit du tempo en sorte de fragiliser encore plus le
discours des cordes : son intention véritable (on peut discuter si elle s’accorde
avec l’intension sibélienne originale) était de
mettre ainsi dramatiquement en relief le crescendo qui allait suivre conduisant
à une apothéose homophonique : voir l’épaississement de la mélodie jouée à
l’unisson par les cordes (Largamente mes. 91)
qui en constitue le point d’aboutissement et qui était ici rendue avec
l’emphase hollywoodienne de rigueur…
[46] p. 796
[47] Sibelius : Symphony n°5 (Cambridge Music Handbook, 1993) – p. 67
[48] p. 797
[49] p. 67
[50] Selon Salonen, cette partie K constituerait ainsi le lieu de naissance
de la musique de film, telle qu’inventée en tous les cas par Sibelius.
[51] jouée, ce soir-là, en seconde partie du concert, après la VI°
[52] p. 9
[53] En deux mots, quand même : la musique de film se caractérise par
son univocité, bien sûr, laquelle s’oppose moins à l’équivocité (celle dont
Thomas Mann faisait l’essence de la grande musique) qu’à la plurivocité. D’où
qu’une musique de film se caractérise implacablement par le fait que chacune
des situations sonores qu’elle expose est immédiatement caractérisable comme un
climat (comme « climat » faisant un) et comme un affect stabilisé,
mieux : comme l’étiquette d’un affect…
[54] Il faudrait sans doute chercher cette invention au cœur cette fois de
la IV° Symphonie, en sorte que Sibelius l’obscur se jouerait pour l’essentiel
dans l’écart (ou le tournant) entre IV° et V° symphonies…
[55] p. 797
[56] „zum Raum wird
hier die Zeit.“
[57] Comme on pourrait le remarquer, en comparant le mathème du sujet
obscur à ceux du sujet fidèle et du sujet réactif, le Corps plein C est l’invention propre du sujet obscur.
[58] Si l’invention propre de Sibelius se concentre bien dans ce
Symphonique comme « Corps musical plein », alors il faut entendre
l’invention de la musique de film (par la V°) comme une manière de remplir les
vides et les failles en premier lieu de la musique et, par là, en second lieu
des films qui pourront ultérieurement venir la convoquer – où l’on retrouve ce
« théorème de la musique de film » : une musique est
« musique de film » pour des raisons non pas exogènes (tenant à son
importation dans un film) mais endogènes (c’est « en soi » qu’une
musique s’affirme « musique de film », ce qui s’atteste par le fait
que l’oreille la décèle parfaitement lorsqu’elle est jouée seule…).