Bien sûr, tout ceci s’engagera très librement en caractérisant rigoureusement la notion d’obstruction (dans son propre réseau de
contraposées) et les possibilités de relève affirmative.
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François Jullien : De l’obstruction
J’en viendrai à l’« obstruction » par deux biais.
Le premier, plus ancien dans mon travail, est celui de la langue-pensée chinoise.
Dans la pensée lettrée, plus elle se réfléchit au cours de son histoire, plus l’« obstruction » – la « non-communication » – paraît
le « mal ». Et même la seule forme de mal qui puisse exister, sans donc que s’y rajoute aucun plan moral ou métaphysique.
Puisque tout dans le monde est en corrélation et par suite en interaction, qu’il y a pensée, non de l’Être, mais des processus, la
non mise en rapport et la non-circulation sont le seul obstacle. Cela commence avec la respiration et s’étend au rapport du
prince et du peuple.
L'autre biais, plus récent dans mon chantier, est lié au concept de dé-coïncidence.
Quand les choses « coïncident », au sens premier, géométrique, du terme, qu’elles sont en parfaite adéquation entre elles, et
déjà entre la « chose » et l’« esprit » (la définition traditionnelle de la vérité), cela bien sûr est satisfaisant.
Mais, qu'on en soit légitimement satisfait fait qu’on s’immobilise dans cette coïncidence qui paralyse. Le positif de l’adéquation
verse alors en positivité morte qui bloque et fait obstruction à l’avènement du nouveau.
D’où l'importance de dé-coïncider pour rouvrir des possibles dans la pensée comme dans la société.
En suivant successivement ces deux chemins, on interrogera le phénomène de l’« obstruction », dans son ampleur, du physiologique au
politique. Et l’on cherchera aussi à en dégager une politique.
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Édouard Thomas : Pavages du plan - des tuiles de Wang au « chapeau » de David Smith
Existe-t-il une tuile (une forme connexe du plan euclidien, par exemple un polygone) grâce à laquelle on puisse réaliser une partition
du plan ? C’est le problème « ein Stein » (en allemand, « une tuile »). Posée à la fin des années 1970, cette célèbre question de géométrie
a aiguillé toutes les avancées récentes relatives à la théorie des pavages. Une percée mathématique spectaculaire, survenue en 2023 et
due à David Smith, Chaim Goodman-Strauss, Craig Kaplan et Joseph Myers, vient y répondre positivement. La tuile qu’ils proposent
est un polygone appelé le « chapeau ».
Plusieurs manifestations d’obstructions vont être discutées à l’occasion de la présentation. Au début des années 1960, une obstruction
mathématique profonde et a priori éloignée du sujet (l’indécidabilité du problème de l’arrêt d’une machine de Turing) va bouleverser
de manière radicale la compréhension des pavages du plan avec l’apparition des fameuses tuiles de Wang. Dans la foulée, la découverte
des premiers pavages apériodiques va obliger les mathématiciens à introduire des obstructions locales (les règles d’assemblage sur les
ensembles de tuiles) pour imposer ou forcer certaines propriétés globales. Ensuite, pendant près de cinquante ans, et malgré d’intenses
recherches, aucune tuile apériodique n’est découverte, et aucune preuve de non-existence n’est trouvée non plus : y aurait-il une
obstruction à l’existence d’un tel objet ? Enfin, la découverte du « chapeau » va susciter un engouement planétaire… et déclencher une
polémique aussi virale qu’éphémère : l’utilisation d’une symétrie axiale fait-elle obstruction à la solution proposée au problème « ein
Stein » ?
La présentation, très visuelle et accessible, abordera plusieurs thèmes liés aux pavages apériodiques (méthodes de construction, structure
hiérarchique, nombre de Heesch, découverte du « chapeau » et de ses variantes…). Elle permettra également de questionner certains
liens entre découverte mathématique et créativité artistique.
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