De sept moments « mamuphiques » dans l’histoire de la pensée

(Séminaire mamuphi, 13 octobre 2012)

 

François Nicolas (Ens-Cirphles)

 

Peut-on déduire du nom propre mamuphi (désignant une initiative singulière engagée à Paris en 1999, dont un séminaire éditant les actes de ses dix premières années d’existence) un adjectif apte à qualifier d’autres moments équivalents dans l’histoire de la pensée ?

 

« Théorisons » pour cela les principales caractéristiques de notre moment mamuphi actuel.

Ce moment procède de la conjonction inattendue de trois circonstances indépendantes :

      en mathématique, le développement de la géométrie algébrique (Grothendieck…) et de la théorie des catégories (pour la France, Ehresmann…) ;

      la relance d’une philosophie française du concept attachée à la pensée des sciences (dont la généalogie va de Brunschvicg à Badiou en passant par Bachelard, Cavaillès et Lautman, ainsi que – en un certain sens - Althusser et Desanti) ;

      en musique, la nécessité compositionnelle d’échapper, en une époque nihiliste du « post » (post-sérialisme, post-spectralisme, post-modernisme…), à la dualité obscurantiste d’un néo-romantisme (lyrisme néo-tonal…) et d’un néo-positivisme (technique informatique…).

Dans ce contexte, mamuphi a noué des rapports entre mathématiques, musique et philosophie sous le signe de la logique pour se demander : comment, dans la situation de pensée caractérisée ci-dessus, les logiques respectivement mathématique, musicale et philosophique entrent-elles ou non en raisonance ?

Pour cela mamuphi a pu tirer parti d’une quatrième circonstance : une transformation interne à la logique mathématisée (voir les travaux de Girard) qui a remis sur ses pieds le rapport mathématique/logique, en fondant désormais la logique sur les avancées mathématiques les plus contemporaines, abandonnant ainsi la prétention logiciste de fonder (puis réduire) la rationalité mathématique sur la logique.

 

On propose alors de qualifier de mamuphique des moments où d’une part mathématiques, musique et philosophie connaissent séparément de significatives transformations internes, et où, d’autre part, ces trois transformations entrent temporairement en raisonances réciproques, se confrontant et se fécondant les unes les autres.

On propose alors de discerner au moins sept moments mamuphiques de ce type ; successivement :

  1. un moment grec originaire (VI° av. J.-C.),
  2. un moment du quadrivium qu’on dira celui de Boèce (VI° ap. J.-C.),
  3. un moment arabe (Bagdad, IX°-XI°) qu’on dira celui d’Al-Khayyâmi (XI°),
  4. un moment Descartes (XVII°),
  5. un moment des Lumières (XVIII°) qu’on dira celui de Rameau,
  6. un moment « Music Theory » (aux États-Unis, après 1950),
  7. et notre moment mamuphi en cours (à Paris, à partir de 1999).

A contrario, on ne semble pas pouvoir déceler de tels moments, ni durant l’histoire de Rome, ni pendant le Moyen Âge européen (spécialement à partir de la scolastique : XIII°…) ou la Renaissance (XVI°), ni au cours du XIX° (partagé entre romantisme et positivisme), ni même dans la plupart du XX° (et ce malgré l’important constructivisme de ce siècle et, après-guerre, le structuralisme).

On entreprendra de caractériser spécifiquement chacun des six moments mamuphiques qui nous ont précédés : que s’est-il passé, dans chaque cas, en mathématiques, en musique, en philosophie puis dans leurs rapports ?

 

On débouchera sur un examen de notre futur possible : comment poursuivre notre moment mamuphi ?

On proposera, pour ce faire, de compléter nos activités de théorisation (théoriser la musique à la lumière de la mathématique et à l’ombre de la philosophie) d’une perspective légèrement déplacée : examiner comment les différents « faire » (faire des mathématiques, de la musique, de la philosophie) peuvent résonner directement entre leurs acteurs respectifs (plutôt qu’entre les disciplines) en une sorte de fraternité d’intellectualité entre working mathématicians, musicians and philosophers.

 

*

 

Formalisation de notre moment mamuphi (1999-…)

Moments « mamuphiques » ?


 

 

 

 

Point de départ

Porteur, vecteur

Problématique

mathématiques

musique

philosophie

nœud ?

effets sur la musique

1

Grèce

VI° av. J.-C.

philosophie

mathématiques

musique

démonstration

notions théoriques

Parménide

rationalité

≠mythe et calcul

?

 

Rome

 

 

 

 

 

rythme ?

Augustin ?

 

 

2

Quadrivium

Boèce

VI°

?

?

?

 

 

 

 

?

3

Bagdad

Al-Khayyâmî

XI°

mathématiques

philosophie

musique

algèbre

le quart de ton

muεtazylisme

rationalité musulmane

?

 

Scolastique

XIII°

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Renaissance

XVI°

 

 

 

 

 

 

 

 

4

Descartes

XVII°

musique

philosophie

mathématiques

arithmétique

harmonico-tonale

sujet cartésien

autonomie relative des disciplines de pensée

Mersenne

Rameau : appui à la nouvelle intellectualité musicale

5

Lumières

Rameau

1750

musique

philosophie

musique

philosophie

mathématiques

 

tonale

cartésianisme

l’intellectualité

et sa dimension critique

Théorisation de l’harmonie tonale !

 

XIX°

Romantisme / Positivisme

XIX°

 

 

 

 

romantique

positivisme

 

 

 

XX°

Constructivisme & structuralisme

XX°

 

 

 

« bourbakisme »

sérielle

structuralisme

 

 

6

Music Theory

1950…

musique

musique

philosophie

théorie des groupes

dodécaphonique

phénoménologie husserlienne

néo-positivisme logique

 

musicologie computationnelle

7

mamuphi

XXI°

mathématiques

musique

philosophie

géométrie algébrique

théorie des catégories

Comment être contemporain de « post » ?

philosophie française des sciences

+…

logique

théorisation

faire

intellectualité