Le nihilisme de la toxicomanie à la lumière de Nietzsche

 

(Groupe d’études des politiques publiques en matière de drogues)

École des Mines de Paris, 22 octobre 2003

 

François Nicolas

 


I.      Quelques rappels sur le précédent exposé.

I.1. Métaévaluation

Notre programme cette année n’est pas d’évaluer directement des politiques publiques en matière de drogues — ce type d’investigation requerrait des moyens qui ne sont pas encore les nôtres — mais d’évaluer des évaluations déjà existantes. Appelons cela des métaévaluations.

Évaluer une évaluation, cela peut se faire de deux manières :

·         Une manière endogène, qu’on dira « logique », qui examine de l’intérieur de l’évaluation considérée sa puissance évaluatrice c’est-à-dire sa capacité d’identifier les valeurs à l’œuvre dans la politique qu’elle évalue.

·         Une manière exogène, qu’on dira « valeur contre valeur », qui se trouve stimulée par le moment précédent (« logique ») de la métaévaluation dans la mesure où ce premier moment contribue à exhausser le champ des possibles où les valeurs qu’on évalue ont été décidées.

I.1.a.                  Toute évaluation d’une politique est une métaévaluation

On peut dire qu’une politique, impliquant déjà un régime de valeurs décidé contre d’autres régimes possibles, est par elle-même un régime évaluant (voir ce que j’ai appelé l’axiome n° 4 : une valeur n’existe comme telle qu’à mesure de sa puissance d’évaluer ; une valeur, c’est ici une capacité évaluante) ; une politique est donc déjà par elle-même une évaluation : une évaluation politique des problèmes considérés comme ceux qu’il convient de traiter, une évaluation des moyens à mettre en œuvre, une évaluation des effets visés…

En ce sens, toute évaluation d’une politique donnée est déjà, peu ou prou, une métaévaluation à propos de laquelle la distinction précédente s’applique : est-elle exogène (« valeur contre valeur » — et j’avais l’autre fois rappelé, dans mon axiome n° 3 que toute valeur n’existe et ne se décide que contre d’autres valeurs) et/ou est-elle endogène (« logique ») ?

En ce qui concerne nos propres métaévaluations, je considère préférable d’adopter la voie endogène c’est-à-dire non pas d’opposer frontalement et ex abrupto des valeurs alternatives aux valeurs mises en œuvre dans telle ou telle évaluation mais, à l’inverse, d’examiner logiquement le mouvement endogène de l’évaluation retenue pour en examiner la consistance évaluante.

Cette méthode endogène privilégie — je l’ai dit — la dimension logique : la cohérence et la consistance du travail évaluant, ses méthodes, ses lignes de force… J’avais esquissé cette méthode à l’occasion d’un très rapide examen d’une petite évaluation proposée par Pierre Kopp de la politique américaine répressive. Vous trouverez les notes de mon exposé sur le site web.

I.2. La métaévaluation comme différencialisation d’une intégrale

Une valeur, c’est en fait une capacité d’évaluation, c’est une mesure, une jauge.

I.2.a.                  Exemple

Par exemple la valeur « courage » est ce qui permettra de dire de tel ou tel acte qu’il est plus ou moins « courageux ». La valeur « courage » est ce qui permet d’évaluer un acte en évaluant sa dimension plus ou moins « courageuse ». Une valeur est donc essentiellement un attribut (une puissance attributive) plutôt qu’un substantif. Évaluer la valeur donnée par tel ou tel discours au mot « courage » se fera en examinant la manière dont ce discours indexe tel ou tel acte, tel ou tel énoncé du qualificatif « courageux » en le mesurant comme « un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout… courageux ». C’est ainsi qu’on pourra dégager la mesure « courage » — la valeur « courage » — telle que mise en œuvre par ce discours.

I.2.b.                 Intégration

On peut décrire cela au moyen du formalisme mathématique de l’intégration et de la dérivation.

On dira : une valeur v, c’est une mesure, ou une jauge, qui à toute chose x entrant dans son champ propre d’évaluation attribue une valeur v(x).

Supposons qu’une politique π adopte une valeur vπ au regard d’un champ C constitué d’éléments ci (l’indice π dans l’expression vπ indique que c’est la valeur particulière adoptée par la politique π), on dira que cette politique π évalue le champ C en sommant les valeurs des différents éléments selon la formule :

Vπ(C) = ∑vπ(ci).

En notation intégrale, ou aura :

Vπ(C) = Cvπ(c) dc

Une politique, c’est donc la volonté d’établir la valeur Vπ(C) d’un champ C selon la valeur vπ retenue.

Évaluer cette politique consistera alors en deux choses :

1. Expliciter la valeur adoptée par cette politique (en la différenciant)

Ceci se fera en différencialisant l’intégrale précédente c’est-à-dire le Vπ(C) retenu.

L’idée mathématique sous-jacente est élémentaire : il s’agira de revenir de l’intégrale à la fonction première par dérivation, soit la formule :

(vπ)’=vπ

où la dérivée de l’intégrale restaure la fonction :

F (X) = Xƒ(x) dx soit F’=ƒ

Soit la généalogie nietzschéenne…

Cette différentialisation d’une intégrale en vue de retrouver la valeur à l’œuvre s’appelle chez Nietzsche « généalogie » : « Pour juger de la valeur d’un phénomène il faudra comprendre comment s’explique la hiérarchie qu’on y trouve, c’est-à-dire comprendre pour quelles raisons y dominent, selon le cas, les forces actives ou les forces réactives. Pour ce faire, il faudra comprendre sa généalogie, c’est-à-dire distinguer par quel type de volonté de puissance, affirmative ou négative, il est engendré, motivé. » [1]

2. Juger cette valeur dégagée

Ceci se fera à son tour de deux manières complémentaires :

2a. Logiquement

Il s’agira ici en quelque sorte de refaire les calculs d’intégration [Vπ(C) = Cvπ(c) dc] pour s’assurer que l’évaluation qu’on examine a bien été cohérente ; on opère ici en épousant de manière endogène le raisonnement de la politique examinée et en mettant à l’épreuve sa consistance interne.

2b. Valeurs contre valeurs

Il s’agira ensuite de confronter cette fois de manière exogène la valeur vπ aux autres valeurs alternatives ; cette séquence de l’évaluation se dira « valeur contre valeur ».

I.3. Exemple d’évaluation comme généalogie : Pierre Kopp

Exemple : soit l’évaluation avancée par Pierre Kopp de la politique répressive américaine (voir séance précédente). La métaévaluation de cette évaluation consiste alors en ceci :

1) Expliciter son vé (c’est-à-dire la valeur particulière mise en œuvre par cette évaluation) : il apparaît que c’est ici « la minimisation du coût social » puisque la valeur déclarée par Pierre Kopp consiste uniquement à réduire le coût budgétaire de la drogue pour la collectivité.

2) Évaluer ce vé se fait ensuite en deux temps :

• D’abord logiquement : l’évaluation par Kopp explicite de manière contradictoire la valeur vπ de la politique répressive examinée puis en vient à présupposer que la valeur qui est au principe de l’évaluation par Pierre Kopp (vé) serait la seule possible, serait donc en fait « La Valeur » normative si bien qu’elle devrait être également la valeur immanente à la politique répressive examinée !

L’axiome implicite de cette évaluation est donc vπ= vé axiome qu’il nous revient alors d’évaluer comme un forçage logique. D’où que l’évaluation avancée par Pierre Kopp apparaisse comme une pseudo évaluation : on ne peut dire qu’elle a été une opposition « valeur contre valeur » puisqu’elle a court-circuité la phase d’explicitation de vπ et donc sa mise à l’épreuve logique.

• Ensuite « valeur contre valeur » : il faut rétablir la pluralité des valeurs possibles, montrer donc le caractère partisan de la valeur vé utilisée par Pierre Kopp en dégageant ce qu’une telle « valeur », appliquée sans discussion (puisque considérée par son auteur comme « allant de soi »), a pour effets discutables (voir les conséquences problématiques d’une telle « valeur » s’il s’agissait de trancher ce qu’une collectivité doit faire à l’égard d’une minorité), etc.


II.    La dimension du vouloir

Je voudrais aujourd’hui, dans cette seconde séance de méthode, qui précède d’autres séances consacrées cette fois à des examens plus minutieux d’évaluations existantes, aborder un autre thème qui me semble capital en matière d’évaluation des politiques publiques de lutte contre la drogue : celui de la valeur que ces politiques accordent ou non à la volonté, au vouloir.

II.1.           La valeur en politique du « vouloir » est aujourd’hui controversée

Il s’agit donc ici de traiter l’une des valeurs politiques possibles : précisément celle du vouloir politique comme tel, c’est-à-dire du fait que la politique est volonté.

Il est patent que, de même que toute valeur n’existe que contre d’autres valeurs, de même la valeur accordée à la politique comme volonté s’oppose à d’autres valeurs qui défendent a contrario le non-vouloir — ou l’a-vouloir — de la politique : ce sont les thèmes bien connus du moindre mal, ou de la gestion, ou même du consensus — autant de manières possibles pour valoriser moins un vouloir en sa délimitation forcément dissensuelle [2] qu’une logique d’action faisant l’économie d’un partage des consciences —.

Je ne parle pas ce faisant d’une controverse concernant tel ou tel vouloir concret : par exemple la volonté que les toxicomanes ne transmettent pas le sida à la population non-toxicomane, ou la volonté que les toxicomanes coûtent le moins cher possible à la collectivité, etc. Je parle du principe même de vouloir, de l’idée même que la politique serait la mise en œuvre d’une volonté. Je veux dire par là qu’en amont de toute valeur donnée à tel ou tel type de vouloir politique, il y a une valeur généalogiquement première qui attribue valeur, positive ou négative, à l’acte même de vouloir en politique.

Une double importance

Cette dimension me semble pour nous cardinale, et ce à un double titre.

1) Elle l’est d’abord parce que le champ de la politique me semble exemplairement celui où se constituent, se rencontrent et s’affrontent des volontés. La volonté joue un rôle central en matière de politiques, un rôle ici bien plus évident et reconnu que par exemple en matière artistique ou scientifique : il va moins de soi que l’exercice de la composition musicale ou que l’activité mathématique de base requiert, convoque, met à l’épreuve tel ou tel type de volonté. En matière politique, cette dimension est plus immédiatement manifeste.

2) La seconde raison est que l’existence même de volontés est aujourd’hui fortement décriée, déqualifiée. Le nom que prend ce dénigrement de la possibilité même d’un vouloir est celui de nihilisme, et l’influence de ce nihilisme me semble d’une particulière importance dans le champ qui est le nôtre : les politiques en matière de toxicomanie.

Détaillons un peu ces deux points.

II.2.           Une politique, c’est une volonté politique

Une politique singulière est sous le sceau d’un vouloir singulier ; elle est proprement ce vouloir. Pour le dire en une formule, une politique, c’est une volonté politique. À ce titre, évaluer une politique, c’est toujours évaluer une volonté, et l’intérêt de cette catégorie de volonté est alors d’indexer un processus : une volonté, c’est ce qui s’éprouve dans des obstacles, c’est ce qui décide d’objectifs là où d’autres décisions auraient pu être prises, c’est ce qui met en œuvre des moyens en vue de ces objectifs (une volonté n’est pas un doux rêve), etc. On pourrait dire encore, en tendant un peu plus les choses : une valeur pour une politique, c’est l’inauguration d’une volonté, ou ça n’est pas une valeur. Soit cette autre formule : une valeur politique, c’est une volonté politique. Évaluer une politique, juger ses valeurs, c’est donc aussi bien évaluer une volonté politique, juger une telle volonté.

II.3.           Le nihilisme comme crise de la volonté

Or — second point — les politiques en matière de toxicomanie se déploient dans un champ où le principe même de la volonté est mis en question ; elles agissent auprès d’acteurs mettant en question la possibilité même de vouloir quelque chose. Ces politiques interviennent en effet dans un espace saturé de nihilisme : mon hypothèse est ainsi que si le nihilisme n’est pas propre à la toxicomanie, il y est cependant particulièrement agissant. Or le nihilisme est caractérisable par une contestation particulière de tout vouloir. Cela, c’est Nietzsche qui, me semble-t-il, nous permet le mieux de le comprendre et c’est à ce titre que je propose aujourd’hui de l’étudier quelque peu.

La question que je me pose est donc celle-ci : qu’est-ce qu’une politique dans le champ de la toxicomanie s’il est vrai

1) que « politique » désigne une volonté politique,

2) que « toxicomanie » désigne un nihilisme,

3) que « nihilisme » désigne une forme de déni de toute volonté possible ?

La singularité d’une politique en matière de toxicomanie est donc celle d’une volonté (politique) qui se propose d’opérer non pas, comme d’ordinaire, contre d’autres volontés mais face à des dénis de tout vouloir.

Nietzsche écrivait dans Par delà le bien et le mal que « la volonté, bien entendu, ne peut agir que sur une volonté et non sur une matière » [3]. Une politique de lutte contre la toxicomanie constitue alors cette singularité d’être une volonté qui se propose d’agir moins sur une autre volonté déclarée qu’au lieu même où toute volonté semble déqualifiée.

II.4.           La toxicomanie, lieu privilégié de nihilisme

L’hypothèse est donc que la toxicomanie est un lieu privilégié de nihilisme, soit un espace configuré par la crise de l’idée même d’un vouloir. Et c’est avec Nietzsche que je voudrais maintenant explorer cette hypothèse, en sorte qu’elle éclaire les conditions de possibilité des différents vouloirs politiques face à la toxicomanie.

III.  Le nihilisme à la lumière de Nietzsche

Nietzsche nous délivre le chiffre du nihilisme à la fin de sa Généalogie de la morale où il écrit : « L’homme préfère encore avoir la volonté du néant que de ne point vouloir du tout… ». Soit la maxime essentielle du nihilisme : « plutôt vouloir le rien que ne rien vouloir ! », plutôt une volonté de néant qu’un néant de volonté.

III.1.         Remarque

Je choisis ainsi d’indexer le nihilisme chez Nietzsche à cette torsion du vouloir. Je retiens donc une acception du concept de nihilisme qui en fait une détermination singulière en matière de volonté. À ce titre, nihilisme désigne une figure subjective moderne ou contemporaine : en gros une figure qui se constitue dans la seconde partie du 19° siècle et qui se poursuit, cahin-caha, jusqu’à nos jours.

Je ne retiens donc pas ici l’ensemble des considérations de Nietzsche sur ce qui configure un tel nihilisme : la mort de Dieu, etc. Je prends simplement acte aujourd’hui d’un tel nihilisme et me propose de l’analyser à la lumière de certaines caractérisations déployées par Nietzsche. Mon objectif est ici limité : il n’est pas proprement philosophique ; il est de prélever dans la philosophie de Nietzsche des outils pour penser nos problèmes d’évaluation.

III.2.         Petite généalogie du mot « nihilisme » [4]

Le mot nihilisme nous vient du 19° siècle, singulièrement des écrivains russes. Maupassant [5] attribue ainsi à Tourgueniev l’invention du terme en 1862 [6]. Mais le terme apparaît en fait pour la première fois au 18° siècle dans le contexte d’un débat théologique sur la nature humaine du Christ : dans ce contexte, le nihiliste désigne une forme d’hérétique.

Pour les Russes du 19°, le nihiliste sera avant tout l’homme du « à quoi bon », du « en vain ». Remarquons au passage une priorité de la figure subjective du nihiliste sur la doctrine générale du nihilisme : c’est la conviction qui semble ici faire la doctrine, plutôt que l’inverse…

L’étymologie du terme renvoie au « nihil » latin, qui indexe le rien : le nihilisme se constitue face au rien, face au néant, qu’il ne faut pas confondre bien sûr avec le vide…

Heidegger restitue l’étymologie première du mot latin « nihil » [7] en rappelant que « nihil », c’est un « ne-hilum » c’est-à-dire la négation du hilum (du hile) lequel désigne en botanique « le point ténu qui attache la graine au funicule, le subtil point noir qui retient la fève dans la cosse », le filament ténu par lequel transite la vie élémentaire ; le hile, c’est ce point infime où la vie existe comme suspendue à un fil. Le nihil, le rien, le néant, c’est alors une privation si intégrale qu’elle abolit jusqu’à ce menu fil.

Le nihiliste est cette figure subjective qui porte la conviction qu’il n’y a même pas ce hile, qu’il n’y a rien, s’entend bien sûr rien qui vaille, pas même un mince filet apte à faire transiter quelque valeur et intensité d’existence.

III.3.         « Plutôt vouloir le rien que ne rien vouloir »

Nietzsche reprend ce terme de nihilisme pour lui conférer un statut d’une tout autre ampleur. Deleuze remarque ainsi que pour Nietzsche, nihil n’indique plus seulement le néant comme non-être — le néant comme détermination ontologique — mais le néant comme valeur [8].

Il ne s’agit pas ici de faire un exposé synthétique sur la philosophie de Nietzsche : je n’en ai ni les savoirs, ni la compétence. Je me propose simplement de faire une coupe dans le massif de ses écrits, singulièrement de ceux qui suivent son Zarathoustra, pour éclairer ma question : de quelle crise de la volonté témoigne la toxicomanie contemporaine à laquelle les politiques vont confronter leurs vouloirs propres ?

Je caractérise donc le nihilisme comme la constitution subjective suivante : « plutôt vouloir le rien que ne rien vouloir ».

D’où une question : mais pourquoi donc ne rien vouloir ? Si la maxime est relative, s’il s’agit de vouloir le rien non pas en soi mais essentiellement parce que c’est quand même mieux que ne rien vouloir, il faut alors se demander à quel titre serions-nous sous la norme d’un « ne rien vouloir ».

C’est là, bien sûr, où les choses se compliquent, et je ne voudrais pas ici m’engager trop avant dans les chicanes du nietzschéisme — si tant est que ce mot ait un sens… —.

Posons, pour simplifier, que le nihiliste est celui qui tient que la norme de l’époque est de ne rien vouloir et qui, dans ces conditions, soutient qu’il préfère alors vouloir le rien. Son affirmation du « vouloir le rien » est donc elle-même sous conditions : elle est conditionnée par l’idée qu’il s’agirait désormais de ne rien vouloir.

Nous ne sommes nullement obligés de partager cette conviction originaire. Il est certes facile de voir de quelle manière « les temps modernes » — ceux de Charlot — affichent qu’en effet il ne faut plus rien vouloir, parce que vouloir serait dangereux, problématique et incertain, parce que toute volonté instaurerait des risques qu’on ne saurait couvrir, inaugurerait des aventures bordées de périls. On comprend donc pourquoi le nihiliste conçoit son époque comme exaltant le « ne rien vouloir » mais on n’a pour autant aucune raison de lui concéder que ceci serait bien l’horizon véritable du temps.

Bref, on soutiendra ici, à distance du nihiliste, qu’il reste logiquement possible de vouloir quelque chose et non pas rien, ce qui nous conduira à distinguer en première approximation trois types subjectifs :

— celui qui tient qu’il ne faut rien vouloir ;

— celui qui tient que dans ces conditions, il préfère vouloir le rien ;

— celui qui tient qu’on peut vouloir quelque chose et qu’on n’est donc nullement enfermé dans l’alternative de ne rien vouloir ou de vouloir le rien.

Détaillons un peu cela.

III.3.a.              Ne rien vouloir ?

Ne rien vouloir ? Qu’est-ce à dire ? On reconnaît aussitôt sous ce nom le principe du pur et simple gestionnaire : « il y a ce qu’il y a ; gérons-le ! »

L’intérêt en ce point de lire Nietzsche est qu’il clarifie le réseau des « valeurs » donnant consistance à cette position du « ne rien vouloir ».

Cette position, en fait, se divise en deux : il y a d’un côté la pure et simple passivité (du « ne rien vouloir ») et il y a d’un autre côté les thurifaires de ce « ne rien vouloir », ceux qui déclarent : « il faut ne rien vouloir », ceux qui font un devoir du « ne rien vouloir » et non un simple état des subjectivités.

Différence entre nihiliste passif et nihiliste réactif

On peut lire cette distinction dans la légende du Grand Inquisiteur de Dostoïevski (Les frères Karamasov) où la subjectivité supposée des gens — telle que décrite par le Grand Inquisiteur — se distingue de la subjectivité particulière du Grand Inquisiteur lequel veut assurer leur bonheur au prix de leur liberté et au prix de se condamner lui-même au malheur… — voir plus loin le petit florilège —.

Il faut donc distinguer le nihiliste qu’on dira passif — celui du « À quoi bon… », du « En vain », du « on ne peut plus rien vouloir » — du nihiliste qu’on dira réactif : celui du « Il faut ne rien vouloir », ces deux types de nihilistes s’opposant alors au troisième, celui qu’on dira actif, et qui est proprement celui du « plutôt vouloir le rien que ne rien vouloir » [9].

La différence entre nihiliste passif et nihiliste réactif se localise dans le fait que le réactif déclare la valeur d’un « il faut » là où le passif n’en discerne aucune.

Le nihiliste réactif va fonder son « il faut » — il faut ne rien vouloir — sur un réseau de valeurs que Nietzsche nous aide à mettre au jour. Les valeurs mises en avant par le nihiliste réactif vont être : « bonheur », « confort », « sécurité » (pas de risque), « pitié », « santé » (au prix des poisons)… Voir plus loin le petit florilège rassemblé de citations de Nietzsche.

Remarque sur la différence réactif / actif

En un certain sens, vouloir ces valeurs réactives — vouloir la survie confortable, la résignation pragmatique, etc. —, c’est aussi pour Nietzsche une manière de vouloir le rien plutôt qu’une manière de prôner un « ne rien vouloir ». On pourrait donc dire en ce sens que le nihiliste réactif est aussi actif (il est également quelqu’un qui veut le rien, du rien) — c’est d’ailleurs bien pour cela qu’il y a actif dans réactif — sauf que le réactif ne déplore nullement le « ne rien vouloir », ce que fait par contre l’actif lequel, s’il veut le rien, c’est seulement « plutôt que ne rien vouloir ».

Ceci a pour importante conséquence que le réactif ne thématise pas son « vouloir le confort », son refus du risque inhérent à la liberté comme un « vouloir le rien ». Il le thématise seulement comme un « il faut ne rien vouloir », un « il faut assurer la tranquillité », un « il faut gérer le confort » en économisant les risques d’un vouloir qui n’aurait pas ces traits de la nécessité (cette nécessité qui procéderait de « la nature humaine »…). Pour le réactif il ne s’agit pas, comme pour l’actif, de « vouloir le rien plutôt que ne rien vouloir » mais plutôt de « vouloir le non-vouloir-quelque-chose », « vouloir le rien des vouloirs », « vouloir ne rien vouloir plutôt que vouloir quelque chose » mais où le premier vouloir de la formule « vouloir ne rien vouloir » se présente dans la figure d’un « il faut ». D’où que la maxime propre du nihiliste réactif est : « Il faut ne rien vouloir plutôt que vouloir quelque chose ».

III.3.b.             Vouloir le rien ?

Vouloir le rien ? C’est ici le nihiliste qu’on dira actif (troisième type de nihiliste après le passif et le réactif). Il s’agit ici à proprement parler de celui qui soutient le vouloir le rien par contraposition à un « ne rien vouloir », comme un « plutôt cela que ceci ». D’où les trois types de nihilistes, identifiés à leur maxime propre :

Nihiliste

Passif

Réactif

Actif

Maxime :

On ne peut plus rien vouloir.

Il faut ne rien vouloir plutôt que vouloir quelque chose.

Plutôt vouloir le rien que ne rien vouloir !

Vouloir le rien, c’est vouloir l’autodestruction, la mort (Viva la muerte…), la servitude (on peut vouloir la servitude, et pas seulement la subir : voir la Boétie et le thème de la servitude volontaire…).

 

Quatre exemples de nihilisme actif

Vouloir la servitude (Étienne de la Boétie : Le discours de la servitude volontaire [10])

Ce ne sont pas les armes qui défendent le tyran. [… Les hommes tyrannisés,] s’ils désiraient la liberté, ils l’auraient. […] Un tyran n’a puissance que celle que lui donnent les hommes qui l’endurent. […] Le tyran asservit les sujets les uns par le moyen des autres.

La coutume n’a en aucun endroit si grande vertu qu’en ceci, de […] nous apprendre à avaler le venin de la servitude. […] La première raison de la servitude volontaire c’est la coutume.

Pour avoir liberté, il ne faut que la désirer, il n’est besoin que d’un simple vouloir.


Vouloir la mort (Fritz Zorn : Mars [11])

Puisqu’on ne peut rien tirer du vivre, essayons donc le mourir. Et voyez, ça allait mieux ainsi. […] Je ne peux qu’être content de ce que j’aie attrapé le cancer. [12]

J’ai grandi dans le meilleur, le plus sain, le plus harmonieux, le plus stérile et le plus faux de tous les mondes [La Suisse en l’espèce, singulièrement celle fortunée de Zurich]. […] Plutôt le cancer que l’harmonie. Ou, en espagnol : ¡Viva la muerte ! [13]

Vaut-il mieux, soixante ans durant, mijoter à mort sur la petite flamme de la frustration ou plutôt, par désespoir, déjà mourir à trente ans du cancer ? Le moulin de la désespérance doit-il plutôt tourner un peu plus lentement pendant soixante ans ou vaut-il mieux, sur un rythme un peu plus rapide, être, au bout de trente ans déjà, moulu à mort ? Naturellement, je choisis le second cas. Si déjà, en tant que descendant de ma famille, il ne me reste pas d’autre solution que de me laisser broyer par le désespoir, j’aime bien mieux déjà mourir à trente ans de mon désespoir mué en cancer plutôt que d’attendre soixante ans durant l’anévrisme libérateur. S’il n’y a tout de même plus d’autre solution pour moi que d’être détruit, je préfère un franc suicide à un suicide déguisé. [14]

Maintenant je suis en enfer mais au moins je n’y ai pas « ma tranquillité ». Bien sûr l’enfer est effroyable mais cela vaut la peine d’y être. [15]

Vouloir le bonheur contre la liberté (Dostoïevski : Les frères Karamasov [16])

Ivan parlant du Grand Inquisiteur : « Il se vante d’avoir, lui et les siens, supprimé la liberté, dans le dessein de rendre les hommes heureux. » [17]

Le Grand Inquisiteur s’adressant à Jésus : « Tu as rejeté l’unique moyen de procurer le bonheur aux hommes. […] Il n’y a pas de souci plus cuisant pour l’homme que de trouver au plus tôt un être à qui déléguer ce don de la liberté que le malheureux apporte en naissant. […] Tu as trop exigé de lui. […] Nous rendrons tous les hommes heureux. […] Nous leur donnerons un bonheur doux et humble. […] Je te montrerai les milliards d’heureux. Et nous, nous serons chargés de leurs fautes, pour faire leur bonheur. » [18]

Vouloir la non-pensée par la sophistique d’un nouveau vocabulaire (Georges Orwell : 1984)

L’espèce humaine avait le choix entre la liberté et le bonheur et le bonheur valait mieux. [19]

En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. [20]

Vous croyez que notre travail principal est d’inventer des mots nouveaux ? Pas du tout ! Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mot, des centaines de mots. [21]

Savez-vous que le novlangue est la seule langue dont le vocabulaire diminue chaque année ? [22]

Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? [23]

Il n’était pas nécessaire d’en savoir beaucoup. Aussi longtemps qu’ils continuaient à travailler et à engendrer, leurs autres activités seraient sans importance. [24]

Une idée hérétique — c’est-à-dire une idée s’écartant des principes de l’angsoc — serait littéralement impensable, du moins dans la mesure où la pensée dépend des mots. […] Le vocabulaire du novlangue excluait toutes les autres idées et même les possibilités d’y arriver par des méthodes indirectes. L’invention de mots nouveaux, l’élimination surtout des mots indésirables. [25]

Les mots formés pour des fins politiques étaient destinés à imposer l’attitude mentale voulue à la personne qui les employait. [26]

La fonction spéciale de certains mots novlangue n’était pas tellement d’exprimer des idées que d’en détruire. [27]

En novlangue, l’expression des opinions non orthodoxes était presque impossible. [28]

 

Petit florilège nietzschéen des valeurs nihilistes [29]

« À quoi bon ? », « En vain ! »

Les dernières corneilles dont on entend la voix croassent : « À quoi bon ? », « En vain ! », « Nada ! ». (GM [30])

Le refrain désolé : « En vain ! » (GM [31])

Une doctrine se répand : « Tout est vain, tout est égal, tout est révolu. » (Z [32])

Il [Zarathoustra] méprise la sagesse geignarde qui ne cesse de gémir : « Tout est vain ! » […] Ce qu’il hait par-dessus tout, c’est l’homme passif qui s’accommode de tout. […] Cet égoïsme bienheureux crache avec mépris sur toute servilité, quelle qu’elle soit. Il appelle mauvais tout ce qui est courbé, servile, avare, les yeux clignotants et soumis, les cœurs contrits, et cette façon hypocrite et complaisante de prodiguer les baisers de grosses lèvres molles. (Z [33])

« Rien ne vaut la peine. Il ne faut rien vouloir. » Mais c’est une prédication de servitude. (Z [34])

Résignation

« Tout s’arrange » — voilà une maxime de résignation. Mais je vous le dis, âmes douillettes : « Tout se dérange, et tout vous dérangera de plus en plus. » (Z [35])

Ne plus vouloir, ne plus juger, ne plus créer ! Oh ! puisse cette grande lassitude me demeurer toujours étrangère. (Z)

Servitude [36]

La servitude est la seule et l’ultime condition dans laquelle prospère l’homme faible de volonté. (VIII [37])

« Rien ne vaut la peine. Il ne faut rien vouloir. » Mais c’est une prédication de servitude ! (Z [38])

Bonheur

Notre recherche a-t-elle pour objectif la tranquillité, la paix, le bonheur ? Non, seulement la vérité, quand bien même elle serait terrible et repoussante au plus haut point. [39]

La fin de la civilisation n’est pas le bonheur d’un peuple ; cette fin, c’est la production des grandes œuvres. [40]

Qu’importe le bonheur ! Il y a longtemps que je ne suis plus à l’affût du bonheur, je suis à l’affût de mon œuvre. (Z [41])

Si le bonheur était vraiment souhaitable pour l’homme, l’idiot serait le plus beau représentant de l’humanité. [42]

Toutes ces morales qui offrent à l’individu de faire son « bonheur », comme on dit, que sont-elles autre chose que des compromis avec le danger qui menace la personne à l’intérieur d’elle-même ? Tout cela, intellectuellement, ne vaut pas cher, c’est fort loin de la « sagesse ». On tâche de réduire les passions à un degré de médiocrité qui les rende inoffensives et permette de les satisfaire sans danger. (PBM [43])

Pitié

Cette estimation exagérée et toute moderne de la pitié est quelque chose de nouveau : jusqu’à présent c’était précisément sur la valeur négative de la pitié que les philosophes étaient tombés d’accord. Qu’il me suffise de nommer Platon, Spinoza, La Rochefoucauld et Kant, ces quatre esprits aussi différents que possible l’un de l’autre mais unis sur un point : le mépris de la pitié. (GM [44])

Je vous mets en garde contre la pitié. (Z [45])

Le dernier péché : la pitié (Z [46])

Ménager les hommes, avoir pitié d’eux — tel fut toujours pour moi le pire danger. (Z [47])

La pitié, c’est la pratique du nihilisme… La pitié persuade du néant ! (AC [48])

Plaisir & jouissance

Quiconque prêche la jouissance, vois s’il ne porte pas un groin de porc. [49]

Il ne faut pas, en règle générale, rechercher le plaisir. (Z [50])

On aura son petit plaisir pour le jour, et son petit plaisir pour la nuit ; mais on révérera la santé. (Z [51])

Pragmatisme et réalisme du « fait » [52]

Vous choisissez pour idole le fait accompli, alors que le fait a toujours ressemblé à un veau plutôt qu’à un dieu. (CI [53])

L’homme n’est vertueux que s’il se révolte contre la puissance aveugle des faits. (CI [54])

Ce fatalisme des « petits faits » (ce petit faitalisme, comme je le nomme). (GM [55])

Toutes les menaces de l’avenir […] sont encore plus rassurantes et plus familières que votre « réalisme ». (Z [56])

La vie conçue comme survie [57]

L’État, c’est le lieu où tous sont intoxiqués, […] où le lent suicide de tous s’appelle « la vie ». (Z [58])

Peur

La morale de la peur [59]. (PBM [60])

Drogues

Un peu de poison de temps à autre ; cela donne des rêves agréables. Et beaucoup de poison pour finir, afin d’avoir une mort agréable. (Z [61])

L’Europe d’aujourd’hui est riche avant tout en excitants ; il semble que rien ne lui soit indispensable que les stimulants et les eaux-de-vie. (GM [62])

 

III.3.c.              Vouloir quelque chose ?

On a donc trois types subjectifs de nihiliste :

·         Le passif : « À quoi bon vouloir ? Tout vouloir est en vain. On ne peut rien vouloir. »

·         Le réactif : « Plutôt ne rien vouloir que vouloir quelque chose. Il faut ne rien vouloir. »

·         L’actif : « Plutôt vouloir le rien que ne rien vouloir ».

Reste le type subjectif — celui qu’incarne Nietzsche lui-même, qui bien sûr n’est pas lui-même nihiliste — qui tient non seulement qu’on peut vouloir quelque chose mais également qui affirme : « plutôt vouloir quelque chose que vouloir le rien ou que ne rien vouloir ». J’appellerai ce type subjectif le type militant (militant de l’action collective émancipatrice mais aussi militant de telle musique ou des mathématiques ou de tel sport ou de tel métier, ou des Narcotiques Anonymes…). Ce type subjectif est essentiellement affirmatif (plutôt que critique) — à ce titre, il se retrouve, sous d’autres noms, chez Nietzsche… —.

Notre tableau des types devient alors celui-ci :

Nihiliste passif

Nihiliste réactif

Nihiliste actif

Militant affirmatif

On ne peut rien vouloir.

Il faut ne rien vouloir.

Plutôt vouloir le rien que ne rien vouloir !

On peut vouloir quelque chose

Accord en un point du militant et du nihiliste actif

En un certain sens pour le militant non-nihiliste, le nihiliste actif est le plus intéressant des trois types nihilistes [63], car lui au moins n’a pas cédé sur le vouloir propre d’un sujet, sur le vouloir comme marque d’existence subjective, comme opérateur d’intensification de l’existence, et toute existence subjective est bien requise en effet d’évaluer son intensité propre. En un certain sens, le militant s’accordera au nihiliste actif pour dire : s’il s’agissait de ne rien vouloir, mieux vaudrait en effet vouloir le rien que ne rien vouloir, mais le militant soutiendra qu’on n’est nullement condamné à ne rien vouloir puisqu’on peut vouloir quelque chose…

 

Petit florilège nietzschéen des valeurs affirmatives

Vivre, c’est risquer [64]

La valeur d’une cause se mesure parfois non à ce qu’on atteint par elle, mais à ce qu’il faut la payer, à ce qu’elle nous coûte. (VIII [65])

Il faut vivre dangereusement. [66]

L’homme est une corde tendue entre la bête et le Surhumain — une corde au-dessus d’un abîme. (Z [67])

Zarathoustra était l’ami de tous ceux qui n’aiment pas à vivre sans péril. (Z [68])

J’aime ceux qui ne savent vivre qu’à condition de périr, car en périssant ils se dépassent. (Z [69])

J’aime ceux qui ne veulent point se préserver. J’aime de toute ma tendresse ceux qui périssent ; car ils franchissent le pont. (Z [70])

La vertu est volonté de périr et flèche de l’infini désir. (Z [71])

C’est pour moi une nécessité d’ignorer la prudence ; mon destin le veut ainsi. (Z [72])

Quelle dose de vérité un esprit sait-il supporter, sait-il risquer ? Voilà qui, de plus en plus, devint pour moi le vrai critère des valeurs. (EH [73])

Se mettre toujours dans des situations où il ne soit pas permis d’avoir de fausses vertus, mais où, comme le funambule sur sa corde, on ne puisse que tomber ou tenir — ou s’en sortir… (VIII [74])

Vivre, c’est se dépasser

Celui qui veut créer ce qui le dépasse est à mes yeux celui dont le vouloir est le plus pur. (Z [75])

J’aime l’homme qui veut créer ce qui le dépasse, et qui en périt. (Z [76])

Vous n’êtes plus aptes à créer ce qui vous dépasse. (Z [77])

L’homme est un être qui doit se dépasser. (Z [78])

L’homme est ce qui doit être dépassé. (Z [79])

Il faut que tu t’élèves plus haut que toi-même. (Z [80])

Mourir n’est pas le vrai danger [81]

Meurs à temps ; tel est le conseil de Zarathoustra. Mais celui qui n’a jamais vécu à temps, comment pourrait-il mourir à temps ? (Z [82])

Celui qui a la plus belle vie est celui qui ne tient pas à la vie. (CI [83])

Je ne connais pas de meilleure raison de vivre que de mourir pour une grande cause, pour un dessein impossible. (CI [84])

Vouloir

Le nom du grand dragon, c’est « Tu dois ». Mais l’âme du lion dit : « Je veux ! ». […] Conquérir le droit sacré de dire non, même au devoir. (Z [85])

Le caractère essentiel de la volonté humaine, son horror vacui : il lui faut un but, — et il préfère encore avoir la volonté de néant que de ne point vouloir du tout. (GM [86])

Une volonté d’anéantissement, c’est du moins, cela demeure toujours une volonté ! : l’homme préfère encore avoir la volonté du néant que de ne point vouloir du tout… (GM [87])

J’enseigne aux hommes un vouloir nouveau. (Z [88])

Ne plus vouloir, ne plus juger, ne plus créer ! Oh ! puisse cette grande lassitude me demeurer toujours étrangère. (Z [89])

Vouloir est délivrance. (Z [90])

Vouloir délivre, car vouloir, c’est créer. (Z [91])

Grandeur

Je cherche la grandeur. […] Chercher la grandeur, cela te fait honneur. (Z [92])

Les grands moments de la lutte entre les individus forment une chaîne qui prolonge à travers les millénaires la ligne de faîte de l’humanité. La cime d’un de ces moments depuis longtemps révolus demeure vivante, lumineuse et haute. […] Tout ce qui est grand doit être éternel. (CI [93])

Tu es en marche vers ta grandeur. (Z [94])

La grandeur de l’Homme, c’est qu’il est un pont et non un terme ; ce qu’on peut aimer chez l’Homme, c’est qu’il est transition et perdition. (Z [95])

Liberté

Qu’est-ce que la liberté ? C’est d’avoir la volonté d’être responsable de soi-même. De maintenir la distance qui nous isole des autres. (VIII [96])

Courage

Celui qui a du courage, c’est celui qui connaît la peur, mais qui dompte la peur [97]. (Z [98])

Vérité

Il ne faut jamais demander si la vérité est utile. [99]

Une chose peut être vraie même si elle est au plus haut point nuisible et dangereuse. […] La vigueur d’un esprit se mesurer à la dose de « vérité » qu’il peut supporter. (PBM [100])

Une valeur n’a pas de prix

Ce qui a un prix n’a guère de valeur. (Z [101])

 

III.4.         La toxicomanie comme nihilisme

Les types nietzschéens peuvent aiguiser une lecture symptomale des discours à évaluer en nous rendant attentifs aux valeurs qu’ils mettent à l’œuvre sans forcément les déclarer, les problématiser, les réfléchir.

III.4.a.              Nihiliste passif

Toxicomane passif

C’est le toxicomane qui s’installe dans la drogue par faiblesse plutôt que par décision, insensiblement plutôt qu’en s’y jetant de toutes ses forces.

Nihiliste passif non toxicomane

Cf. la position « on ne peut plus vouloir être contre la drogue », ou « être drogué n’est plus un problème » (à l’heure du tout médical, par exemple).

III.4.b.             Nihiliste réactif

Toxicomane réactif ?

Il n’existe pas. Ce point me semble important.

Nihiliste réactif non toxicomane

C’est le pragmatiste de la toxicomanie qui la considère comme pratique inévitable. C’est moins : « on ne peut plus se battre contre la drogue » que « il ne faut plus se vouloir contre la drogue ». Il faut seulement gérer l’état des choses.

C’est la drogue prise comme un « fait » qui doit dicter sa ligne de conduite : il faut se résigner à la montée des drogues.

On retrouve ici le réseau des valeurs nihilistes : c’est aussi bien l’éloge de la survie — du simple « ne pas mourir » — prise comme valeur suprême décidant de la vie même (au lieu que la mort se mesure à la vie — « plutôt mourir libre que vivre esclave », « la liberté ou la mort ! », etc. —, dans le nihilisme c’est la vie qui se mesure à la mort : « plutôt rouge que mort ! »). D’où plutôt vivre drogué, plutôt rester drogué à vie que de risquer de mourir abstinent. D’où l’indifférence revendiquée à la dimension de liberté subjective, l’éloge d’une servitude volontaire d’autant plus positive qu’elle serait désormais partagée par tous sous le nouveau nom générique de « dépendance » (sophistique de la liberté comme indépendance impossible…), la revendication libérale du droit individuel aux plaisirs (quand cela ne devient pas cet impératif de jouir auquel seul les « puritains » pourraient trouver à redire), etc. On reconnaît là tout un réseau consistant de valeurs mises en jeu plus ou moins ouvertement dans le champ des discours sur la toxicomanie.

III.4.c.              Nihiliste actif

Toxicomane actif

Le toxicomane, comme voulant la servitude par rapport au produit, comme acteur de son autodestruction.

Nihiliste actif non toxicomane

Cette figure, je pense, n’existe pas.

D’où ce tableau avec deux vides qu’il serait intéressant d’interroger plus avant… :

Nihiliste

Passif

Réactif

Actif

Sa maxime :

On ne peut rien vouloir.

Il faut ne rien vouloir.

Plutôt vouloir le rien que ne rien vouloir !

Toxicomane

 

Ø

 

Non toxicomane

 

 

Ø

 

Florilège du nihilisme de la drogue

Intensification de l’existence

[Dans la drogue], « il ne s’agit que d’une intensification de la vie telle qu’elle est vécue ordinairement. » Philip K. Dick (Substance mort [102])

« N’oubliez jamais l’intensité, car les approches qui marchent dans nos métiers vis-à-vis des toxicomanes, c’est là où passe un peu d’intensité. » Claude Olievenstein (Toxicomanie et devenir de l’humanité [103])

« Vitesse lente de l’opium. » « Il est difficile de vivre sans l’opium après l’avoir connu parce qu’il est difficile, après avoir connu l’opium, de prendre la terre au sérieux. » « Guéri, je me sens vide, pauvre, écœuré, malade. Je flotte. » Jean Cocteau (Opium [104])

« Quand on arrête, tout paraît terne, mais on ne peut oublier le rituel de la piqûre, l’horreur passive de la came qui semble concentrer toute vie dans le bras, trois fois par jour. » William Burroughs (Junky [105])

Autoempoisonnement, autodestruction

« Cet empoisonnement exquis » Jean Cocteau (Opium [106])

« Les crackheads inhalent dans un effort constant pour perdre leur identité et parvenir à la fusion avec la cocaïne-crack. » Terry Williams (Crackhouse [107])

« Rôdait une vérité trop cruelle pour être affrontée de face : tous ses autres problèmes avaient été fort commodément oubliés pendant qu’elle ne s’occupait que d’une seule chose, la drogue. » Donald Goines (L’accro [108])

« Il n’arrive jamais rien dans l’univers de la drogue. » William Burroughs (Le festin nu [109])

Plaisir & jouissance

« La drogue devient l’autoplaisir quasi exclusif. […] L’autoplaisir narcissique devient roi. » « L’utilisation de leurs corps par les toxicomanes pour jouir d’eux-mêmes dans un corps à corps avec eux-mêmes qui utilise pour médiateur la seringue » Claude Olievenstein (La drogue/Écrits sur la toxicomanie [110])

Vouloir la drogue…

« L’abus des drogues n’est pas une maladie ; c’est une décision, au même titre que la décision de traverser la rue devant une voiture lancée à vive allure. » Philip K. Dick (Substance mort [111])

Servitude volontaire

« Le plaisir qu’on tire de la came est de vivre sous sa loi. » William Burroughs (Junky [112])

 

Mais sans doute tous les toxicomanes ne sont pas actifs : cf. culpabilité de beaucoup qui s’avèrent être des nihilistes plus passifs qu’actifs.

III.4.d.             Militant

C’est le type subjectif qui soutient un usage affirmatif et « positif » du vouloir.

Il faudrait en ce point rappeler les termes du débat philosophique existant aujourd’hui sur le concept de volonté. Le lieu n’est pas ici de le déployer mais simplement d’indiquer que le partage philosophique perdure sur la question : le concept classique de « volonté » (issu du XVII° siècle) est-il aujourd’hui condamné à devoir être déconstruit ou y a-t-il sens philosophique à repenser aujourd’hui qu’un sujet peut vouloir [113] ?

Bref, il y a toujours lieu de décider sur ce point : vouloir ou ne pas vouloir si bien qu’on dira que « vouloir » reste une valeur en jeu (valeur contre valeur : vouloir contre non-vouloir) qui se trouve alors au cœur des politiques, singulièrement des politiques en matière de toxicomanies.

IV.  Conclusion

Évaluer les politiques en matière de toxicomanie, c’est donc aussi — et peut-être avant tout — évaluer leurs volontés à l’œuvre.

D’où le tableau suivant, introduisant à une typologie possible des volontés politiques en matière de toxicomanie selon trois catégories de politiques publiques et un mode collectif d’action.


Éléments de la discussion

 

• La politique pratiquée aux États-Unis ne semble pas réductible aux éléments donnés dans le tableau, en particulier concernant les soins et la prévention.

Oui. Ce pays n’est ici mentionné qu’au titre d’exemple concret d’un type abstrait. Le tableau présenté ici (qui diffère du tableau présenté en séance) a été modifié en tenant compte de cette remarque.

 

• Si l’on examine les pays affichant une forte volonté contre la drogue — disons les pays « prohibitionnistes » —, force est de constater que leur langage guerrier traduit surtout dans les faits une plus grande impuissance que d’autres pays. À l’inverse, les politiques nationales affichant plus de pragmatisme ne doivent-elles pas en fin de compte être considérées comme plus courageuses que les précédentes puisqu’elles ont le courage de ne pas se payer de mots et de s’affronter à la réalité ? Et d’ailleurs la politique de réduction des risques a bien dû faire preuve d’une forte « volonté » pour arriver à s’imposer. Au total, cette mise en avant du thème de la volonté politique ne risque-t-elle pas d’orienter l’action politique vers un certain donquichottisme ?

• D’une part, il ne va nullement de soi que la guerre soit le paradigme de la forte volonté politique. Ceci engage une conception de l’articulation entre guerre et politique dont deux extrémités sont fixées par Clausewitz (la guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens) et par Carl Schmidt [114] (la politique comme guerre continuée par d’autres moyens). On peut soutenir a contrario que politique et guerre ne sont pas — ou plus — articulables ainsi. À tout le moins, on peut soutenir que la volonté politique n’a pas — ou plus… — la volonté guerrière comme paradigme d’intensification maximale. Qu’une politique doive en effet se déclarer n’entraîne nullement que son modèle doive être ipso facto la déclaration de guerre : somme toute, en matière de déclaration, il existe aussi d’autres modèles, tel celui de la déclaration d’amour…

Qu’une politique prenant modèle sur la guerre soit affectée d’impuissance plutôt que de puissance s’atteste dans le champ de la lutte contre la drogue : les politiques qui éprouvent le besoin de nommer « guerre à la drogue » leur lutte contre la drogue semblent effectivement vouloir ainsi masquer une forme d’impuissance. De même d’ailleurs pour celles qui brandissent le drapeau de la « guerre au sida » : ces fortes déclarations indiquent plutôt que la situation concrète qu’il s’agit de traiter n’est guère pensée dans sa singularité.

• À rebours, le pragmatisme consiste à caler la volonté sur l’ordre empirique des faits : c’est alors l’état des choses qui est censé dicter sa loi. On sait combien toute politique se déclarant pragmatique en vient alors à réduire le champ des possibles (qu’elle considère comme son lieu propre) à une seule éventualité, autant dire à une nécessité. La volonté pragmatique, à se couler ainsi sur l’ordre du possible, s’éponge bien vite en un pur et simple accompagnement-accommodement de l’ordre existant.

S’il est donc vrai qu’il y a une volonté à l’œuvre dans le pragmatisme, elle est intrinsèquement indexée d’un non-vouloir : étant volonté de se conformer à l’ordre empirique des choses, elle est un vouloir ne pas vouloir à la place des choses. Cette ambivalence est indexée dans le type nihiliste réactif par l’expression « il faut » : « il faut ne rien vouloir ». Ou encore : le pragmatisme serait bien l’exercice d’une volonté, mais ici d’une volonté réactive.

• Concernant l’horizon donquichottesque qu’aurait toute exaltation de la volonté en politique, on peut dire d’abord que Don Quichotte reste, pour sa part, dans la figure de la guerre (qu’il déclare) ; or il ne s’agit guère ici de cela. Ensuite Don Quichotte est l’homme d’une déclaration (de guerre) sans suite véritable (et pour cause…) ; or une déclaration politique de volonté n’est nullement condamnée à rester ensuite lettre morte !

• Au total, la polarité volontarisme guerrier / velléité donquichottesque est partie intégrante de l’idéologie pragmatique des choses : elle participe de sa manière propre de dénigrer dans le vouloir son ambition d’élargir le champ des possibles en rendant possible ce qui était jusque-là tenu pour un impossible.

• Dernière précision : il est parlé ici de « vouloirs » politiques plutôt que de volonté. Sans nous étendre sur des questions proprement philosophiques, indiquons simplement qu’on peut récuser un concept de volonté qui désignerait une capacité (conception psychologisante de la volonté) tout en soutenant qu’il y a place pour des vouloirs, des gestes de vouloirs assignables à certaines circonstances (les différents vouloirs sont ainsi conditionnés et ne composent pas une capacité inconditionnée, disponible et mobilisable ad libitum) et ne se reliant pas nécessairement entre eux en la figure continue et stable d’une « volonté ». Ceci revient à soutenir qu’à certaines conditions, tel ou tel « sujet » peut vouloir quelque chose sans tenir pour autant que ce vouloir puis cet autre et cet autre composeront ensemble pour autant une « volonté » (entendue comme capacité permanente).

 

• Y a-t-il une projection des quatre types subjectifs (3 types de nihilistes + le type affirmatif du militant) sur les quatre types de volontés politiques dressés dans le dernier tableau ?

Non. La répétition du chiffre quatre est ici une simple coïncidence.

Il est vrai que résonnent des accointances entre ce qui est ici appelé « nihiliste réactif » et « politique publique de réduction des risques », entre « militant affirmatif » et ce qui est ici appelé « action collective face au nihilisme » mais il n’y en a pas a priori entre « nihiliste passif » et « politique publique répressive », ni entre « nihiliste actif » et « politique publique de soins ».

Mais il est vrai que la répétition du nombre « 4 », qui plus est comme « 3+1 », est troublante…

 

• La remarque précédente suggèrerait-elle qu’il y a peut-être d’autres politiques publiques que les trois précédentes ?

C’est en effet possible. L’évaluation des politiques existantes nous amènera peut-être à compléter alors ce tableau.

 

• De même n’y a-t-il pas d’autres types d’actions collectives que celui relevé dans ce même tableau ?

Oui. Le point serait de savoir si ces autres actions collectives sont simplement un appui à un des trois types relevés de politique publique (auquel cas il n’y aurait sans doute pas lieu de leur attribuer une véritable autonomie de pensée) ou s’il s’agit vraiment d’une nouvelle conception politique du rapport à la toxicomanie produisant un nouveau « type ».

Là encore, la suite de notre travail nous permettra peut-être de préciser ce point.

 

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[1] Le Zarathoustra de Nietzsche, par Pierre Héber-Suffrin (Puf, 1988) – p. 97

[2] Voir, par exemple, Jacques Rancière…

[3] § 36

[4] Cf. Le nihilisme. Textes choisis & présentés par Vladimir Biaggi (GF Flammarion)

[5] p. 65

[6] dans Pères et fils (cf. p. 14)

[7] p. 17

[8] « Dans le mot nihilisme, nihil ne signifie pas le non-être, mais d’abord une valeur de néant. » Gilles Deleuze (Nietzsche et la philosophie) p. 169

[9] Attention : la distinction passif / réactif / actif que je propose ici s’écarte de celle que constitue Deleuze (op. cit. pp. 169-174) entre négatif / réactif / passif : nos objectifs comme nos espaces de pensée ne sont pas ici les mêmes…

[10] 1546. Ainsi « vouloir le rien » n’est pas une invention moderne. Le propre du nihilisme s’enracine dans une déconsidération, elle moderne, du « vouloir quelque chose » en sorte qu’il s’agisse désormais de vouloir le rien plutôt que de ne rien vouloir…

[11] 1977. Fritz Zorn est suisse (Zurich)…

[12] p. 218-219

[13] p. 225

[14] p. 239

[15] p. 314

[16] Livre V, chapitre V

[17] p. 233

[18] p. 233-241

[19] p. 370

[20] p. 55

[21] p. 78

[22] p. 79

[23] p. 79

[24] p. 105

[25] p. 422

[26] p. 426-427

[27] p. 429

[28] p. 435

[29] Références

GM : Généalogie de la morale

Z : Ainsi parlait Zarathoustra

EH : Ecce homo

VIII : Œuvres complètes, tome VIII

CI : Considérations intempestives

AC : L’Antéchrist

PBM : Par delà le bien et le mal

[30] p. 237

[31] p. 244

[32] p. 285, 427

[33] p. 399

[34] p. 431

[35] p. 359

[36] Cf. Spinoza (quatrième partie de l’Éthique)

[37] p. 220

[38] p. 241

[39] Cité par Montinari

[40] Cité par Granier

[41] p. 493

[42] Cité par Montinari

[43] § 197

[44] p. 15, 189

[45] p. 203, 491

[46] p. 503

[47] p. 389

[48] § 7

[49] Cité par Henri Guillemin

[50] p. 417

[51] p. 69

[52] Cf. Rousseau : si l’on veut penser, commençons par écarter tous les faits.

[53] p. 337

[54] p. 339

[55] p. 228

[56] p. 259

[57] Cf. les situationnistes… Par exemple Raoul Vaneigem (Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations) : « Le mal de survie… La survie est une vie au ralenti. » (p. 207-208) « Il y a un monde entre lutter pour vivre et lutter pour ne pas mourir. Les révoltes de survie s’étalonnent sur les normes de la mort. » (p. 224) « L’homme du ressentiment est le parfait survivant. » (p. 212)

Cf. aussi Kafka : « Celui qui, de son vivant, ne vient pas au bout de sa vie, a besoin de l’une de ses mains pour écarter le désespoir que lui cause son destin — il n’y arrive qu’imparfaitement — et de l’autre main il peut enregistrer ce qu’il aperçoit sous les décombres, car il voit autre chose et plus que les autres, il est donc mort de son vivant et il est essentiellement le survivant »

[58] P. 129

[59] Nietzsche appelle ainsi la magnétisation par la peur : cette manière de s’orienter selon la peur, pour l’économiser. Or (cf.) Spinoza, la peur est mauvaise conseillère ; la peur de la peur (ou lâcheté) n’est pas une vertu. A contrario, le courage (voir plus loin : « valeurs affirmatives ») connaît la peur et l’affronte ; il ne se laisse pas guider par le désir de l’éviter.

[60] § 197, 198…

[61] p. 67

[62] p. 240

[63] Cf. le libertin par rapport au Jésuite des Provinciales (celui-ci pour Pascal aurait été — attention à l’anachronisme de parler de nihilisme pour Pascal — de type réactif quand le libertin aurait été de type actif).

[64] Cf. vivre (et pas survivre), c’est intensifier l’existence.

Par exemple :

« Qu’est-ce qui arrivera le jour où vous aurez éliminé le risque et donné à l’humanité cette sécurité qui n’est faite que pour les bêtes à cornes ? Il nous faut cette mordante inquiétude de demain, il nous faut des ennemis pour de bon, il nous faut des passions bon gré mal gré, le sang qui chauffe, un pincement de temps en temps au bon endroit qui nous fasse sauter en l’air, une bonne grosse bêtise pour s’amuser ! […] C’est comme ça qu’on saura de quoi nous sommes faits. […] J’aime quelque chose qui m’oblige à donner mon plein, et non seulement toute ma force mais quelque chose de trois fois et quatre fois au-dessus de ma force. » Claudel

« Il faut savoir risquer la peur comme on risque la mort, le vrai courage est dans ce risque. » Bernanos

« Parmi les dangers de l’art nouveau, le pire est l’absence de risque. » Adorno

[65] p. 133

[66] Cité par Henri Guillemin

[67] p. 63

[68] p. 325

[69] p. 63

[70] p. 63

[71] p. 63

[72] p. 531

[73] § 3 et aussi VIII p. 240

[74] p. 64

[75] p. 265

[76] p. 157

[77] p. 103

[78] p. 107

[79] p. 127, 555

[80] p. 321

[81] Cf. Spinoza : un homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort.

[82] p. 169

[83] p. 227

[84] p. 357

[85] p. 87

[86] p. 144

[87] p. 246

[88] p. 97

[89] p. 197

[90] p. 297

[91] p. 433

[92] p. 533

[93] p. 225

[94] p. 231

[95] p. 63, 415

[96] p. 133

[97] Contre ce que Nietzsche appelle la « morale de la peur » (voir supra)

[98] p. 597

[99] p. Cité par Granier

[100] § 39

[101] p. 425

[102] p. 296

[103] p. 79

[104] p. 118, 162, 267

[105] p. 175

[106] p. 86

[107] p. 35

[108] p. 114

[109] p. 8

[110] p. 27, 229, 252

[111] p. 296

[112] p. 126

[113] Voir par exemple les cours d’agrégation donnés à l’ENS en 2002-2003 par Alain Badiou…

[114] réexaminé par Michel Foucault dans son cours Il faut défendre la société